Obédience : NC Loge : Lumière de St Jean - Orient de Montpellier 03/2015

 

Mes F\, nous ne sommes plus dans le monde profane

Préparer un travail, c’est s’immerger dans le rituel. Or le sujet que vous me proposez, V\ M\, c’est au contraire de s’élever. Non plus de plonger mais de sortir du monde profane, pour s’élever jusqu’au monde sacré. Ascension pleine d’embuches, et surtout de questionnements.

Alors prenons notre souffle et montons. Mais d’abord, au ras du sol, concentrons notre attention sur le F\. Expert qui trace le Tableau de Loge. Il va nous faire entrer dans un espace sacré, et pour cela, je vous rappelle que nous sommes tous à l’ordre. Status symbolique qui signifie que nous sommes à l’écoute d’un monde particulier, secret, qui nous est propre, simplement car nous sommes des initiés.

Nous sommes donc à l’ouverture de la loge, dans un temps encore historique. L’espace quant à lui est géolocalisé. Le V\ M\ demande « F\ premier surveillant où est votre place... A l’occident… Pourquoi ? Comme le soleil se couche à l’occident... L’orient n’est que le point où le soleil se lève et l’occident celui où il se couche ». Le temps lui est chronométrique. Le V\ M\ demande « A quelle heure... A midi plein » répond le second surveillant.

Néanmoins, les F\ sont déjà à l’ordre certes, le tableau de loge est déjà tracé. Mais les métaux sont encore là, dans la main du premier surveillant pour payer les ouvriers. La raison et tous nos mécanismes conceptuels fonctionnent encore.L’esprit lui, dort. Or, Saint Exupery nous explique « être tenté, c’est être tenté quand l’esprit dort de céder aux raisons de l’intelligence ». Alors, laissons vite vivre le profane de son côté, celui, qui étymologiquement est devant le temple. Il ne peut y entrer, puisque comme l’a dessinée le F\ Expert la porte en est fermée. Et de plus comme nous le dit Nietzsche « Celui qui cherche la connaissance avec des yeux d’intrus, comment verrait - il autre chose que les premiers plans ? »L’homme au regard profane, est à lui même son seul obstacle. Et le poète P\ Emmanuel rajoute « Je me suis reconnu : le tyran c’est moi, l’engouffrement vertigineux de mon vide ».

Revenons alors à nos travaux. Le tableau de loge est traçé sous le fil à plomb, symbole de l’immanence transcendance. Nous sommes à l’ordre, mais l’espace et le temps ne seront sacralisés qu’après l’invocation du V\ M\ au GADLU, et seulement, lorsque le pommeau de l’Epée flamboyante touchera, frappera le plateau de la chaire du Roi Salomon. Et alors mes Frères, maintenant, nous ne sommes plus dans le monde profane.

Donc, nous nous situons dans un espace devenu sacré. Mais quel est-il ? Il est simplement le tableau de loge, où figurent tous les symboles alchimiques dont nous avons besoin, pour ce lent travail de maturation de notre conscience, que nous avons entrepris, et qui s’appelle l’initiation au REAA.

Ces symboles dont vous connaissez tous le sens et le rôle doivent nous aider à changer de plan, à créer ce monde nouveau auquel aspire l’homme de tradition. Ce monde qui va nous rapprocher le plus possible du divin.

Cet espace c’est donc un temple, représentation du monde organisé, modèle réduit du cosmos, à l’image de la vie de l’homme, à son échelle. Et cette notion d’échelle est bonne car cela implique que nous ne sommes pas écrasés par la construction. Nous pouvons nous y tenir droits, nous y sentir bien, et y être heureux.

Mais cette construction est plus complexe que cela, car il s’agit d’un architecture sacrée.Or, comme l’écrit Jean Hani « Toute architecture sacrée se ramène à la quadrature du cercle, à la trasformation du cercle en carré. C’est à dire à la descente du plan invisible dans le monde visible, du ciel sur la terre ». Voilà le projet que propose le rite. Vous voyez l’ambition, et la confiance faite à l’adepte pour réaliser en lui, un tel projet. Mais vous verrez que nous avons tout le temps qu’il faut pour cela. D’ailleurs Teilhard de Chardin ne disait-il pas « L’homme ne progresse qu’en élaborant d’âge en âge, lentement, l’essence et la totalité d’un univers, déposé en lui ». Je souligne lentement, car le fait de travailler dans cette loge au 1er degré, n’interdit pas de commencer ce lent murissement de la conscience qui va, de degré en degré nous mener vers la connaissance. Georges Duby, dans son grand livre sur l’art cistercien, est au centre de la basilique de Vezelay, espace sacré parfait si il en fut. Il nous dit « Au soltice d’été, lorsque le soleil gagne au firmament la plus haute de ses demeures, des marques de feu dans le plein milieu des nefs abbatiales ponctuent la voie, qui, de pas en pas,de degré en degré conduit aux lumières de perfection ». Saint Exupery, encore lui nous conseille : « connaître, ce n’est point démontrer ni expliquer. C’est accéder à la vision. Mais, pour voir, il convient d’abord de participer. Cela est un dur apprentissage. Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation ».

Deux notions me paraissent essentielles ici. La participation,c’est à dire en premier lieu l’assiduité. La contemplation ensuite, celle de l’oeil placé au dessus de la chaire du V\ M\.

Vous l’avez compris, pour moi, cet espace sacré, est à la fois hors de nous , nous y évoluons. C’est l’univers, le macrocosme. Et en même temps il est en nous. Il est souvent figuré par un point centre d’un cercle ou d’une circonférence représentant l’univers (totalité du manifesté et du non manifesté). De ce point émergent des rayons à la fois centripètes et centrifuges, symbolisant des énergies qui entrent en nous, et aspirations qui sortent de notre esprit éveillé, pour aller vers le divin. J’insiste, comme le propose le V\ M\ dans le sujet qu’il m’a confié, sur cette notion d’éveil qui est essentielle. Au premier degré, le silence de l’apprenti n’est pas indifférence (centrale à inertie de l’âme), ni sommeil, ou même curiosité. Il doit féconder la maxime alchimique du cabinet de réflexion : VITRIOL,en écartant d’emblée la raison et l’intelligence. Martin Buber le note, lorsqu’il dit : « l’activité intellectuelle fait généralement obstacle à la vie spirituelle de l’homme, elle est tout au plus la matière que la vie de l’esprit doit consommer après l’avoir maitrisée et modeler ».

Cet espace sacré que nous créons à l’ouverture des travaux est, je le rappelle, fermé sur le plan horizontal par la porte, et même gardé par le couvreur. Pourquoi ? Pour éviter toute profanation, dont le résultat apparaît chaque fois que l’homme détourne la création de son unité, de son harmonie, au profit de son orgueil, de sa vanité, de son désir de possession.

C’est pourquoi les métaux sont laissés à la porte du temple. Donc la profanation n’est pas seulement le fait de l’intrus dont parlait Nietzsche, mais aussi de notre fait. Et cela nous ramène au miroir tendu au nouvel initié par son parrain dans la chaine d’union.

Espace fermé donc sur le plan horizontal mais ouvert vers le haut, passage du fil à plomb, axe de l’immanence transcendance, permettant la descente de l’invisible dans le visible.C’est le rêve merveilleux de l’Apocalypse « L’ange me montra la ville sainte, Jérusalem, qui descend du ciel… » , symbole de la projection du ciel sur la terre pourqu’il devienne perceptible à l’homme, c’est-à-dire à la dimension spirituelle de l’homme.

Mais construire un édifice sacré commence par son orientation, rite que nous connaissons bien, et qui réunit dans un même symbole l’espace et le temps. Alors entrons dans ce temps sacré qui nous est cher, et qui n’a plus rien à voir avec le temps chronométrique. Midi et minuit n’ont plus de sens. Notre projet, c’est l’éternité.

Plusieurs définitions de ce temps nous sont proposées. M Eliade nous dit : « Temps mythique primordial, rendu présent, et par sa nature même, réversible. Aspect paradoxal d’un temps circulaire, réversible et récupérable, sorte d éternel présent mythique que l’on réintègre périodiquement par le truchement des rites ». Vous l’avez entendu, il est bien question d’éternité. Mais aussi de mythe. Alors qu’est ce que le mythe ? P\ M\ Pailleres l’envisage comme un message envoyé instantanément de l’éternité vers la temporalité. Et il ajoute « on peut donc considérer le mythe comme un lien entre la transcendance et l’immanence ». Vous le voyez, par le biais du fil à plomb au centre de la loge, sont reliés espace et temps sacrés. Alors, j’imagine l’ensemble, non plus comme le cercle que j’évoquais plus haut, mais comme une sphère. L éternité en est le centre, la temporalité en est l’enveloppe.

Jean Servier, notre cher frère, membre de cet atelier naguère, lui aussi unit espace et temps sacrés. Il écrit : « Tout édifice, dans la plupart des civilisations traditionnelles est le signe de leur volonté d’organiser en un même ensemble l’espace et le temps, sans acceptation de durée de fluidité autre que la lumière du soleil pénétrant par des ouvertures précises (nos fenêtres grillagées du tableau par exemple), et illuminant à des moments précis certaines parties de l’édifice. L’espace et le temps tressent une dimension unique dans la pensée des hommes ». Voilà rejoint par Jean la pensée de Georges Duby dans Vezelay.

Mais allons plus loin dans cette union, cette présence espace temps sacrés. Se réunissent-ils seulement en loge, une fois par mois pour les plus assidus d’entre nous ? Notre conscience ne serait-elle, comme la belle au bois dormant, éveillée ou réveillée qu’une fois par mois par le prince charmant du mystère ? Bien sur que non. Jean Servier utilise l’image de l’anneau de Moebius sur lequel nous vivons, ayant une infinité de point de passage d’un côté à l’autre de la surface définie. A chaque instant, en chaque lieu, il peut y avoir passage du visible à l’invisible alors manifesté. Et pour moi je pense par exemple au spectacle perpétuellement renouvelé de la nature. Et sans faire de panthéisme, je pense qu’elle est une manifestation permanente visible de l’invisible. Un rituel nous dit d’ailleurs : « Je ne piétine rien, car toute chose crée est sacrée. Je ne foule même pas le sol, j’y appose mes pieds ». Quelle délicatesse, et quel respect pour toute forme de vie ou de création !

Alors, si espace et temps sacrés semblent se refermer à la fin des travaux, je vous rappelle le s paroles du V\ M\ : « Achevons au dehors l’œuvre commencée dans ce temple, et encore : tournons nos pensées vers le Créateur pour qu’il inspire notre conduite dans le monde profane ». Ce qui nous impose cet exercice difficile d’un grand écart, en cheminant sur deux voies apparemment opposées, regardant simultanément vers l’Orient de l’unité et l’Occident de la multiplicité. L’instruction de l’apprenti le dit d’ailleurs clairement : « L’unité ainsi partagée entre deux extrêmes… » Puis : « Ramener le binaire à l’unité par le moyen du nombre trois ». C’est le plan, c’est le projet de réalisation que propose ici le rite Ecossais Ancien Accepté. Pour finir ces réflexions sur un ton plus léger, je vous propose ces paroles de François Cheng. Dans cette langue admirable qui est la sienne à propos du temps :

  • A la pointe du temps ; quand tout le reste
  • Echoit, nous demeurons longuement
  • Le tronc dénudé, étreints par le regret
  • De chantantes frondaisons.
  • Calligraphies du pur élan transperçant
  • Les espaces visibles, signes tracés
  • Et traçant, plus aigus, plus criants
  • Que la pointe du temps,
  • Déjà dans le sillage même de la flamme
  • Déjà au – delà, au cœur de l’ultime sphère
  • De l’Elan primordial.

J’ai dit.

J\ S\


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