Obédience : NC Loge : NC 16/02/2004


Quelques réflexions sur la F\ M\

De tous temps l’homme a cherché à percer les mystères de son environnement. Frappé d’abord par la régularité des mécanismes célestes avec l’alternance du jour et de la nuit, du froid et du chaud, des saisons, des marées, il a été tout naturellement amené à se demander pourquoi, comment.

En effet, c’est avant tout cette étincelle de curiosité, d’interrogation qui le pousse à aller toujours plus loin dans sa quête de connaissance, de compréhension. Cette étincelle, ce désir de connaître, est le propre même de l’homme. C’est en ce sens allégorique que l’on peut comprendre la bible lorsque qu’elle nous indique que le premier homme, la première femme ont mangé le fruit de l’arbre de la connaissance. Ce faisant, ils perdent leur innocence et sont obligés de quitter le jardin d’Eden.

Il faut voir dans cette allégorie le point de départ de l’espèce humaine, le début de son interrogation permanente, de sa recherche de compréhension du monde qui l’entoure. Elle abandonne l’état d’innocence, d’acceptation passive de son environnement et la motivation purement instinctive, biologique. Elle le dépasse cet état d’innocence. Elle va chercher désormais à comprendre le monde dans lequel elle vit afin de le maîtriser.

Ces efforts de compréhension seront guidés avant tout par un désir utilitaire, pratique : comprendre afin d’agir et de maîtriser. Si l’astronomie figure parmi les toutes premières manifestations de recherche que l’homme du 21ème siècle qualifie de scientifique, c’est d’abord parce qu’il s’agit de comprendre afin de prévoir : Quel sera le moment le plus propice pour semer, récolter, donc pour assurer la pérennité de l’espèce, du groupe ? Quelles sont les conditions favorables à telle activité, défavorable à telle autre ?

Dès lors, il n’y a rien d’étonnant à constater que les principaux monuments mégalithiques qui aient traversés les siècles en témoins de l’aurore de l’humanité semblent être, au moins en majeure partie, des observatoires astronomiques, permettant de calculer avec une précision remarquable les saisons et les mouvements de la voûte céleste. Ce n’est pas seulement le cas pour le cercle de Stonehenge, c’est le cas pour bien des alignements de menhirs en Bretagne et en Ecosse, d’autres sites et monuments néolithiques d’Europe occidentale. Il en est de même au Moyen-Orient, où les vestiges des premières civilisations semblent s’organiser autour d’observatoires astronomiques. Les civilisations d’Amérique précolombienne reposent en bonne partie sur des relations étroites entre la religion et l’astronomie.

L’autre aspect de cette étincelle de curiosité, de compréhension, est la prise de conscience, par l’homme, de sa mortalité : Parmi toutes les espèces qui peuplent notre planète, seule l’espèce humaine en a une conscience active. Elle seule cherche à mesurer le temps, à le définir.

Elle seule paraît en mesure de concevoir et de développer des notions de futur ou de passé, et à partir de là de ressentir le besoin de transmettre ses connaissances, non pas seulement de façon instinctive, c’est à dire de ce qu’il faut savoir pour survivre, mais de façon active, raisonnée. L’homme aura tôt fait de mettre au point des méthodes actives de transmission de la connaissance. D’abord par le verbe, la parole, puis sous une forme durable, par l’écriture.

A travers toutes ces méthodes, largement empiriques, qui ont servi de support et de véhicule au développement et à la propagation de la connaissance, il est frappant de constater l’existence et le développement de sociétés initiatiques. Tout prête à croire qu’elles ont débuté à l’aube de l’humanité, regroupant des hommes unis par le désir de connaître, de comprendre de développer et de transmettre les connaissances ainsi acquises.

Leur développement s’est effectué en partie de façon parallèle avec celui des religions. Dans ce parallélisme, les religions, qu’elles soient monothéistes ou polythéistes, ont de tout temps occupé une double fonction : D’une part fournir une tentative de réponse à l’angoisse métaphysique de l’homme conscient de sa mortalité et cherchant des réponses à son environnement. D’autre part, fournir par les règles morales sur lesquelles reposent les principales religions une base de contrat social, de ciment sans lequel une société ne peut survivre. Le fait que dans la quasi-totalité elles aient également servi soit d’outil à l’appui d’un pouvoir politique, soit directement en tant que structure de pouvoir politique, fréquemment en contradiction avec les principes mêmes qu’elles énoncent, sort du cadre de mes propos de soir.

La connaissance que propage l’enseignement religieux est de nature essentiellement passive, d’acceptation, d’explication, de règles de comportement. Cet enseignement exotérique laisse relativement peu de place à la curiosité naturelle de l’homme, et lorsqu’il n’est pas possible de faire autrement, il tend à entourer cette curiosité de paramètres et d’a priori. Cela prend la forme de formulation de doctrines, de délimitation de champs de recherche au travers de tabous et d’interdits de toute sorte. Malheur à celui qui va contre le dogme !

En comparaison, les sociétés initiatiques ont une approche plus active de la connaissance. En effet, leur recherche de compréhension et de perfectionnement implique un travail actif, positif, orienté vers un but. Il n’en demeure pas moins vrai qu’elles aussi ont tendance à limiter le champ de la recherche, mais il me semble que ces limites sont plutôt de nature latérale que limitatives dans leur téléologie. La recherche se concentre sur certains domaines ou selon certaines directions, mais sans que soit fixée une limite dans le but à atteindre autre que celle de la perfection, de la compréhension.

La distinction entre religions et sociétés initiatiques est cependant souvent plus ténue qu’il ne paraît. A côté de l’enseignement religieux traditionnel, exotérique s’est développée à l’intérieur de beaucoup de religions une recherche ésotérique qui présente de nombreux points communs avec les sociétés initiatiques. Les religions monothéistes abrahamiques ont chacune leur branche ésotérique, qu’il s’agisse de la Kabbale pour les juifs, du Soufisme pour les musulmans ou de l’ésotérisme chrétien. Dans le Bouddhisme, il me semble que l’aspect ésotérique est inscrit dans la religion, il n’en est pas distinct. Cependant, il ne semble pas comporter l’élément de recherche extérieure mais bien plutôt de quête personnelle dans la poursuite d’une perfection qui sera atteinte dans le Nirvana.

La F\ M\ s’inscrit dans la droite lignée de ces sociétés initiatiques regroupant les hommes animés de curiosité envers le monde qui les entoure, soucieux de progression, de recherche de la connaissance et de perfectionnement. En ce sens il est possible d’affirmer que la F\ M\ remonte dans la nuit des temps, à l’aurore de l’humanité.

Une perspective historique du développement de l’humanité permet de constater que de tous temps, les sociétés initiatiques ont accompagné et ont été un des moteurs principaux du développement de la connaissance humaine. Il n’y a là rien d’étonnant, puisqu’elle regroupe des hommes qui cherchent à comprendre, qui s’interrogent sur le sens des choses, du monde, qui ont soif de connaissance, bref des hommes qui cherchent la vérité.

De par leur nature même, notamment l’aspect du secret, qui est propre à la quasi-totalité des sociétés initiatiques, nous ne disposons que de très peu d’informations historiques sur celles de l’antiquité. Ce que nous en savons est ce que divers auteurs, historiens, philosophes d’alors nous en ont dit. Il semble, en toute occurrence, que plus l’on remonte dans l’histoire, plus le rapport entre sociétés initiatiques et religion est étroit.

Ainsi les Esséniens, d’il y a 2000 ans étaient une société initiatique. La Grèce antique connaissait les mystères d’Eleusis, d’Epidaure, de Delphes. Le culte d’Isis en Egypte semblait avoir tous les attributs d’une société initiatique.

Moyen-âge : bâtisseurs de cathédrales : développement de l’art et des connaissances, recherche du perfectionnement.

Ce qui les distingue et les unit cependant toutes, ou presque, c’est la transmission, lors de l’initiation d’un savoir, d’une connaissance inaccessible au profane. C’est aussi la pratique du secret, indissociable du mystère. Je reviendrai dans un instant sur cet aspect des choses.

Le monde qui nous entoure au début de ce XXIe siècle a largement été modelé par des idées, des connaissances que la F\ M\ moderne a formulées il y a trois siècles. Elle ne cherche pas en cela à s’en attribuer la paternité qui est multiple et qui résulte autant d’un concours objectif de circonstances que de recherche positive. En effet, je crois qu’à partir d’un certain niveau de connaissances et de leurs applications technologiques, les structures sociales préexistantes deviennent inadéquates et représentent un frein à l’évolution. Elles seront remplacées par d’autres, parfois sous forme de révolution, mais alors la révolution elle-même ne sera que l’aboutissement d’un processus dévolution et de maturation.

Ainsi la société féodale, marquée par une stratification sociale rigide était de moins en moins en mesure d’accompagner et de fournir un cadre efficace au développement qui a suivi les grandes découvertes, que ce soit géographiques (découverte de l’Amérique, voyages de Marco Polo et ouverture vers l’Asie), astronomique (Galilée), technologiques (imprimerie, poudre).

Le siècle des lumières, en développant la notion de liberté et celle de la valeur de l’individu, a fourni la base, le moteur permettant d’aller plus loin, de progresser. Je ne m’étendrai pas en détail sur la contribution de la F\ M\ aux discussions et réflexions qui ont marqué ce phénomène du 18ème Siècle.

J’en retiendrai, cependant, que le mérite de la F\ M\ moderne est, à mon sens, d’avoir su formuler et propager ces notions, d’avoir su comprendre l’esprit du temps, tout en l’inscrivant dans une continuité historique. Si elle n’a pas été particulièrement visible dans ces développements, c’est que la F\ M\ n’a pas pour vocation première d’agir de façon collective, derrière l’étendard de l’équerre et du compas. Elle n’en a pas moins joué un rôle déterminant en tant que laboratoire d’idées, de concepts, de remise en question, que les Francs-Maçons ont ensuite développés à l’extérieur.

A ce point de vue, je pense qu’il faut voir dans la F\ M\ aussi une pépinière d’idées, de réflexions et de considérations.

Ainsi la constitution des Etats-Unis, modèle de recherche d’équilibre des pouvoirs, cherchant à créer les structures les plus appropriées pour permettre à l’homme de se développer en toute liberté, a été largement inspirée par des réflexions, études philosophiques et discussions dans les loges maçonniques du 18me siècle. La notion de liberté individuelle pour tous, de souveraineté du peuple par opposition au pouvoir absolu, de droit dit divin, en sont des clés de voûte. Ce document, auquel de nombreux Francs-Maçons ont collaboré, était tout à fait révolutionnaire pour son époque.

La révolution française avec le concept des droits de l’homme était de même un phénomène préparé en grande partie dans les loges maçonniques. Les applications des concepts ainsi engendrés ce sont révélés être les ingrédients, explosifs pour l’époque mais néanmoins indispensables, pour le développement de la société industrielle.

Cet accompagnement actif, pour ne pas dire l’orientation ainsi donnée sous l’influence de la F\ M\ se retrouve dans beaucoup des points tournants de l’humanité au cours des trois siècles écoulés. Qu’il s’agisse de l’éducation, de la connaissance scientifique, de la médecine, des idées politiques et philosophiques, il me semble que partout la F\ M\ a joué un rôle important, bien que discret et d’arrière-plan, à travers l’action individuelle de F\ F\ M\ M\.

Qu’en est-il alors de la notion du secret, inséparable de celle de société initiatique. Je pense qu’il faut y voir deux aspects : Le premier est celui de la transmission ésotérique propre à l’initiation. En cela le secret réside essentiellement dans l’incommunicabilité même de l’initiation, car la transmission de la connaissance initiatique se fait et se fait uniquement par et lors de l’initiation.

L’autre est, à mon avis, de nature plus pragmatique : Le secret a été et restera probablement encore longtemps indispensable à la recherche du progrès. En dehors de toute considération de propriété intellectuelle, la recherche a besoin de se faire dans la paix. Elle nécessite une certaine sérénité en même temps que liberté, car elle s’accompagne souvent de réexamen, de remise en question de doctrines ou de connaissances préexistantes, et une telle remise en question ne peut s’effectuer qu’en dehors de toute contrainte ou a priori.

Il faut donc voir dans le secret le moyen de fournir le cadre dans lequel l’homme dispose du supplément de liberté qui lui permet de poursuivre, avec d’autres qui partagent sa soif de connaissances, la recherche et la réflexion, à l’écart aussi des contraintes de la vie quotidienne.

Question : sommes-nous de nouveau à un tournant majeur de l’humanité ? La progression géométrique de la connaissance scientifique et technique, alimentée par la généralisation de l’accès à cette connaissance me font penser que oui. La révolution que nous vivons est, à mon sens, au moins aussi profonde que l’a été celle de l’imprimerie, mais elle se développe sur une durée extrêmement réduite. Ses implications mettent à l’épreuve toute nos structures, que ce soit nos structures sociales ou politiques, que ce soit nos structures mentales et philosophiques, que cela concerne notre façon de percevoir et d’appréhender les choses, de communiquer nos idées, etc.

Dans ce cas nous devons nous poser la question de l’adéquation de la F\ M\ à cette évolution. Il importe de savoir si nous sommes encore qualifiés pour aider à la formulation des conditions nécessaires à la poursuite de l’évolution.

Cela implique d’abord une réflexion approfondie sur ce qui nous semble être le ou les besoins principaux de l’humanité afin de poursuivre son développement, son évolution.

Mon propos de ce soir n’est pas d’entamer une telle recherche, qui devrait se faire en loge, mais tout au plus d’en évoquer quelques aspects très généraux.

Ainsi est-il nécessaire de réfléchir à la façon dont nous utilisons maintenant et à l’avenir le pouvoir croissant que nous donne le développement scientifique et technique. Sous l’aspect positif, il s’agit de réduire les vulnérabilités de toute sorte, économiques, physiques (santé, environnement), politiques et sociales, etc., de réduire ou d’éliminer les contraintes qui empêchent l’homme de réaliser son potentiel, de poursuivre la marche évolutive de l’humanité, vers « plus de lumière ». Nous en avons les moyens, mais la volonté de les mettre en œuvre en ce sens n’est que peu répandue.

Sous l’aspect négatif, il s’agit du potentiel de pouvoir individuel sur les autres, d’utilisation de moyens et de ressources dans un but de domination ou d’asservissement politique ou économique. Là aussi nous en avons les moyens, mais la plupart des hommes reconnaissent les obstacles éthiques et moraux qui s’opposent à leur mise en œuvre.

Comme cela est généralement le cas, la vérité s’établira quelque part au milieu, entre les deux extrêmes : Ce n’est que dans une humanité idéale que la distribution égale du pouvoir n’entraînerait pas l’impuissance ou le chaos, or nous en sommes fort loin. A l’opposée, la concentration extrême du pouvoir entraîne immobilisme ou rétrogradation, la déliquescence sociale et économique. L’histoire - et le monde actuel - nous en livrent des exemples abondants et quotidiens (Corée du Nord, Zimbabwe).

Si la Franc-maçonnerie est capable de dégager des idées-forces dans ces domaines et reste capable d’attirer des personnes en mesure de convertir ces idées-forces en action concrète, alors elle prouvera qu’elle a su garder son actualité, qu’elle continue de fonctionner comme un laboratoire, une pépinière d’idées et de réflexions. Sinon elle évoluera ou sera remplacée par une autre forme de société initiatique qui aura su articuler les principes de base d’organisation de l’humanité.

C\ P\


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