GODF Loge : Abraxas - Orient de Lyon Date : NC


Le Carré Long


Demandez à un profane ce que pourrait évoquer pour lui le terme « Carré long » il vous dira : « Quelle drôle d'idée ! Pour continuer à être carré, un carré long doit être non seulement long, mais également large, et même aussi large que long. Un grand carré finalement ». Si on lui demande « Grand comment ? », il ne saura pas répondre. Le M\, en revanche, trouvera une réponse dans le catéchisme de l'apprenti.

Question: « Quelle est la figure de la loge ? » : « un carré long » « Quelle est sa longueur ? » : « de l'orient à l'occident »
« Quelle est sa largeur ? » : « du nord au midi ».

La géométrie est sauve : le carré long reste un carré, aussi long que large et couvrant la totalité de la surface de la Terre. Et même plus puisque, si l'on s'en réfère une fois de plus au catéchisme, le carré long a une profondeur et une hauteur : il part du centre de la Terre et s'élève en altitude sur des coudées sans nombre. Le carré long est donc un objet de dimensions infinies qui embrasse symboliquement l'univers dans son ensemble.
Nous y voilà. Le mot est lâché. Le carré long est un symbole. Il est plus qu'une figure géométrique, il est une figure de style. Comme tout symbole, c'est un objet concret et physique qui fait référence à du conceptuel ou du métaphysique. Ce qui est important, ce n'est pas l'objet lui-même, mais le lien vers un quelque chose à découvrir. La recherche et l'étude de ce lien demandent naturellement travail et curiosité ; mais elles demandent également libre arbitre et esprit critique pour éviter de se lancer dans des interprétations plus ou moins obscures.

En l'espèce, l'analyse de ce carré long va conduire à associer des figures géométriques et des valeurs morales. Les propriétés des figures géométriques sont faciles à identifier : les mathématiques sont là pour nous aider. En revanche leurs associations à des principes moraux ou philosophiques relèvent d'une pétition de principe et sont par nature indémontrable. Dans ce cas, prenons-les simplement pour ce qu'elles sont, à savoir des métaphores, des images servant à transmettre des valeurs humanistes.

Lors de ma première intervention ici - il s'agissait des impressions d'initiation - j'avais eu l'occasion de dire qu'une des choses qui m'avaient le plus marqué au cours de cette cérémonie était l'omniprésence d'une symbolique. Mais si j'en pressentais l'importance, la diversité et la richesse, j'étais loin d'en mesurer la portée. Comme tous j'ai alors entamé ma formation. De cette étape j'ai tiré un double enseignement. Le premier, naturellement, a consisté à acquérir une partie du vocabulaire symbolique maçonnique. Le second a porté sur la méthode elle-même. Je crois avoir compris, aujourd'hui, que ce qui est essentiel, ce n'est pas la signification de tel ou tel symbole, mais le travail à accomplir pour l'analyser, l'apprécier et surtout, en tirer des leçons de conduite. Dans un sens, les symboles maçonniques sont des notes de musique et être apprenti, c'est en quelque sorte apprendre un nouveau solfège, faire des gammes afin d'être prêt à entendre de nouveaux accords d'harmonie.

Venons-en maintenant au « Carré long ». La première question qui se pose est : « Parmi tous les rectangles, puisqu'il s'agit finalement de rectangles, quels sont ceux qui présenteraient une caractéristique particulière que l'on pourrait exploiter dans un cadre maçonnique ? »

Je vais vous en proposer cinq, le nombre du Compagnon.
Le premier est le rectangle nommé « Triple Carré ». Le Premier Livre des Rois, au chapitre 6, nous rapporte que le Temple de Salomon avait soixante coudées de long, vingt de large et vingt-cinq de haut. Le plan de l'édifice était donc un rectangle de rapport 3 sur 1. Quand on connaît l'importance de ce Temple et de son architecte Hiram dans la symbolique de la M.•. ce rectangle là, est un excellent candidat au titre de carré long. Image du Temple idéal successivement construit et détruit, il représente le Travail et la Persévérance nécessaires dans la quête de la Vérité, et son architecte Hiram, l' homme juste et vertueux mis à mort par la vanité, la cupidité et l'ignorance.

Passons le vestibule (le Oulam) et entrons dans ce Temple. Il est composé de deux parties : le Debir ou Sanctuaire, carré de 20 coudées de côté, dépourvu de fenêtre et plongé dans l'obscurité. Il contenait, près du fond, dans une caisse, l'Arche d'Alliance et n'était accessible qu'au Grand Prêtre, une fois par an, le jour du grand pardon.

L'autre partie du Temple, Le Hékal, était la partie du temple affectée au culte. C'était un rectangle de quarante coudées de long sur vingt coudées de large, autrement dit un « Double Carré ». Dans la mesure où ce Hékal était le lieu de prière, le double carré qui en est la représentation acquiert à son tour une fonction symbolique de première importance: il matérialise l'âme humaine qui entre en Communion avec son Créateur.
Ces deux premiers carrés longs que l'on vient de décrire, le triple et le double, font référence au Temple de Salomon. De ce fait, la symbolique qui leur est associée est directement liée à des notions théologiques. Nous allons voir qu'avec les 2 carrés longs qui suivent on entre dans une dimension plus humaine.

Poursuivons donc avec un troisième carré long particulier, le « Rectangle d'or ». Sa définition est la suivante : un grand côté et un petit côté partagés selon une extrême et moyenne raison, soit approximativement 1.618, nombre appelée nombre d'or.
De quelles propriétés algébriques intéressantes ce rectangle dispose t-il et quelles symboliques particulières pouvons-nous lui attacher ? Si on prend un rectangle d'or (a, b) et qu'on lui retire un carré(b, b) construit sur son petit côté b, on obtient un autre rectangle d'or (b, a-b), plus petit mais de même proportion, duquel on pourra encore détacher un carré pour obtenir de nouveau un autre rectangle d'or et ainsi de suite. De même, si on ajoute à un rectangle d'or (a, b) un carré (a, a) on obtient un nouveau rectangle (a, a+b), plus grand mais qui respecte à son tour les mêmes proportions. Et ainsi de suite, là encore.

On ne peut s'empêcher de faire l'analogie entre ce rectangle doré et notre communauté, et associer la transmission de ses traditions de générations en générations avec la succession géométrique des rectangles dorés. Les F.•. passés a l' Orient Eternel sont symbolisés par les carrés qui se détachent; les profanes le sont par la pierre brute qui après taille devient carrée/cubique, prête a s'intégrer a un rectangle doré pour former un nouveau rectangle doré plus grand. Le rectangle doré des maçons et hommes de bien se perpétue ainsi par l'ajout de nouveaux éléments parfaitement taillés.

Si le carré long précédent de dimension 1 sur 2, image du lieu de culte, illustrait la communion des hommes avec le Divin, ce nouveau carré long de proportion dorée illustre une notion tout aussi importante: celle de la communion des hommes entre eux, de la Fraternité.

On ne peut conclure sur le nombre d'or sans évoquer le lien que certains lui prêtent avec l'esthétique. Dans leur esprit, ce nombre correspond à un canon de beauté et d'harmonie, qu'il s'agirait donc de respecter. Or, chacun conviendra ici que la beauté est un fait de culture, une affaire de lieu et d'époque. C'est une notion tout à fait relative et contextuelle et non absolue et universelle. Associer l'idée d'harmonie a un objet mathématique, c'est en quelque sorte en figer la définition d'une façon définitive, c'est enlever a l'homme son libre arbitre dans un des jugements les plus importants (car inutile) qui soient : l'esthétique, le sens du beau. C'est comme si on expliquait les sensations humaines par des réactions chimiques, c'est comme si on modélisait les émotions, les sentiments et pourquoi pas le sens moral et l'éthique par des équations. Cela ne me semble ni pertinent, ni utile. C'est même dangereux: attribuer aux nombres une valeur transcendantale c'est réduire l'homme a l'état de machine ou de marionnette. C'est en fin de compte l'aliéner ou le déresponsabiliser, en somme une voie contraire a l'idéal maçonnique.

Passons maintenant a un quatrième carré long. C'est le rectangle dont les côtes font 3 et 4 unités. Pourquoi ce rectangle ? La réponse nous vient là encore des mathématiques. C'est le plus petit rectangle tel que la mesure des 2 côtés et de la diagonale sont des nombres entiers - en l'occurrence 3, 4 et 5. Le 5 est obtenu simplement par l'application du théorème de Pythagore 32+42=52. Son importance en maçonnerie opérative est primordiale : si on fait 11 nœuds a une corde, ce qui délimite 12 intervalles (12=3+4+5), on dispose d'un moyen de tracer très facilement des angles parfaitement droits. Du coup, ce carré long symbolise le génie créatif de l'homme, sa capacité a inventer des outils et des instruments permettant de construire des édifices stables et solides. Parmi ces instruments, le plus important est certainement l'Equerre. Elle représente la droiture, l'équilibre et le travail bien fait. Elle indique a l'apprenti la voie a suivre pour transformer sa pierre brute en pierre cubique. Avec ses branches de côtés 3 et 4, elle est le bijou du V\ M mosaïque, instrument qui valide toute oeuvre, qu'elle soit matérielle, intellectuelle ou spirituelle, que ce soit sur un chantier, sur le papier ou au fond du cœur. Ce carré long de 3 par 4 symbolise la tâche a accomplir pour rendre le monde plus juste et plus droit.

Dernier carré long : le pavé mosaïque. Spontanément, le damier du pavé mosaïque évoque l'opposition des contraires. La juxtaposition du blanc et du noir représente l'alternance de la lumière et des ténèbres, le jour et la nuit, et, par suite, toute paire d'opposés. Mais ce pavé mosaïque - image des tensions internes qui animent chaque être humain et des rivalités entre communautés - nous invite a dépasser cette dualité, faire de nos contrastes et de nos différences un atout et non une source de conflits. Il est une invitation a l'effort continu pour plus de respect de l'autre, plus de pondération, de modération et de tempérance.

Mais ce n'est pas tout. Le catéchisme nous apprend que ce pavé mosaïque est la porte qui couvre l'entrée du souterrain du Temple. « Souterrain », qui nous fait penser a VITRIOL, symbole le plus énigmatique du cabinet de réflexion. « Visite l'intérieur de la Terre et tu trouveras la pierre cachée ». Cette pierre philosophale des alchimistes, c'est aussi celle qui se trouve en chacun de nous, au plus profond de nous-mêmes. «Pour t'éveiller, visite l'intérieur de toi- même » voilà l'invitation faite par ce pavé mosaïque.

En résumé, Fraternité pour le rectangle doré, Droiture et
Rectitude pour le rectangle pythagoricien, Humilité, Respect des différences et Équilibre pour le pavé mosaïque, voilà les signifiés cachés sous ces trois derniers carrés longs qui rejoignent Aspiration à l'élévation, Travail et Persévérance des doubles et triples carrés longs.

J'étais loin de me douter lorsque notre F
\ 2éme S\ m'a donné
comme sujet de la planche d'augmentation « le carré long » que j'y trouverai une telle richesse. Mais n'est-ce pas là précisément la quête maçonnique : l'amélioration de chacun via l'interprétation sans limites de symboles au service d'un sujet d'études - la recherche de la Vérité - lui même inépuisable.

On raconte que Pythagore demandait à ses disciples de méditer
durant sept ans - l'âge du Maître - sur certaines figures géométriques fondamentales. Le carré long / rectangle en faisait partie. Je n'avais pas autant de temps devant moi, les quelques semaines de préparation de cette planche m'ont seulement permis de l'approcher ; rendez-vous est pris dans 7 ans pour une planche plus complète.

J'ai dit V\M\.

G\ C\

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