Obédience : NC

Loge: Variot 

2003

 

Le bijou du Maître Ecossais de Saint André

Histoire du bijou

La description du bijou fait partie du fonds documentaire Willermoz de Lyon. Néanmoins, d’après nos frères érudits historiens du RER, il semble que l’achèvement du rituel et des attributs du 4ème Grade, dont le bijou, soit le fait d’un aboutissement assez tardif par Willermoz lui-même (1809 - pour mémoire le Convent de Willemsbad s’est tenu en 1782). Si les bases du 4ème grade étaient établies dès le convent de Willemsbad, celui-ci a fait 27 ans plus tard l’objet d’ajouts très significatifs, lesquels ? Principalement l’instruction par questions réponses et…le verso du bijou avec la figure de Saint André sur sa croix

Cette date d’achèvement du 4ème Grade est authentifiée par un courrier de Willermoz à Charles de Hesse qui manifeste la crainte de son auteur pour la pérennité du Rite Ecossais Rectifié, s’il ne parvenait pas à en fixer définitivement les contours.

Il est à noter que le bijou de MESA de JB Willermoz conservé à Lyon ne comporte qu’une face, le recto du bijou d’aujourd’hui. Quel sens attribuer à l’ajout tardif de Saint André au verso ? C’est cette question que j’ai voulu traiter comme un indice, c’est elle qui a déclenché la voie que j’ai prise pour mon travail.

La description du bijou laissée par Willermoz fait état d’un bijou en vermeil…

…de deux pouces de diamètre, composé de deux triangles entrelacés formant une étoile à 6 pointes, entourée d’un cercle guilloché sur ses deux faces de trois lignes de largeur le motif en du guillochage figure la chaîne d’union présente sur les tapis de Loge. De chacun des angles entrants sort une flamme dardée contre le cercle. Le milieu du double triangle est plein, de couleur vermeil. Sur ce fond : les quatre instruments : compas, équerre, niveau, perpendiculaire encadrent la lettre H au milieu.

Au revers du bijou, au milieu du triangle, sur fond doré, une figure de Saint André sur la croix éponyme. Le bijou est surmonté d’une couronne royale et de l’anneau suspensoir au cordon du grade de couleurs vert et rouge.

Récapitulons : au recto, le double triangle, sceau de Salomon, emblème de la sagesse, le nombre 6, les flammes, le cercle, les outils maçonniques sur le fond vermeil du centre du triangle, qu’on dirait enluminé de sang, et au verso, Saint André sur sa croix, (écossaise ou bourguignonne). Comment considérer ces symboles ? Les décrire nous prendrait plus que quelques minutes. Comment les relier ? C’est la quête à laquelle j’ai tenté de me livrer, assez modestement, considérant les travaux très érudits déjà publiés sur ce bijou, et espérant ne pas trop faire redondance avec vos lectures.

Aussi me suis-je concentré sur une voie de recherche assez simple et qui ne prétend pas faire le tour de la question.

Cette voie se place dans ce qui me semble être ce que nous propose ce grade, c'est-à-dire un nouveau passage, une nouvelle Loi, un nouveau mode de relation entre l’Homme et le GADLU. Pour cela, j’ai essayé de séparer ce qui à mes yeux pouvait l’être, de Dieu d’une part, et de l’Homme d’autre part. En appliquant cette démarche, Dieu vers Homme, ou Homme vers Dieu, on voit que les symboles du bijou sont de trois ordres.

Certains symboles sont directement reliés à l’Homme. Saint André, son patronyme, son supplice tellement humain, ou la lettre H en tant qu’elle figure l’initiale de notre Maître Hiram, assassiné par l’indignité des compagnons félons.

A l’opposé d’autres symboles du bijou sont résolument reliés à l’évocation de la Divinité : le cercle, qui figure l’infini, la couronne, sur laquelle je reviendrai, les flammes qui figurent l’Esprit divin, celui qui s’est posé sur la tête des apôtres sous forme de langues de feu le jour de la Pentecôte.

Au chapitre des symboles figurant l’alliance de Dieu et des Hommes, l’un des élément les plus explicitement représentatifs est le double triangle dont il est dit en toutes lettres dans l’instruction du Grade « qu’il exprime la double nature de celui qui est la vraie lumière du monde et de l’homme qui est son image ». [Nota : je laisse de côté d’autres analyses symboliques du double triangle, inspirées de considérations alchimistes ou hermétistes, faisant mention du triangle du Feu qui s’élève pour se combiner au triangle de l’eau qui descend, creuset de la fécondité par le chaud et l’humide, permettant au soufre et au mercure de s’y exalter et de favoriser le grand œuvre de la transmutation, ou d’autres analyses inspirées de la mythologie grecque, faisant mention des symboles imbriqués figurant l’union sacrée du principe masculin (s’érigeant) et féminin (réceptacle), non que ces analyses soient fautes ou inintéressantes, mais en l’occurrence, j’ai voulu centrer mes propos sur l’alliance Homme Dieu et Dieu Homme, et Le Rituel m’en fournit la voie la plus directe].

Revenons sur Saint André, puis sur l’autre face du bijou.

Saint André sur sa croix.

Comme son nom l’indique, André est la figure de l’Homme (racine grecque Andros). L’hagiographie de Saint André s’est développée à partir d’actes apocryphes rédigés en grec surtout au 2ème siècle sans doute à Alexandrie, relayés en latin par Grégoire de Tours au 4ème siècle, et enrichis au 6ème siècle pour relater le détail de la passion de l’apôtre à Patras. André est l’une des premières figures de la piété martyriale au 5ème siècle et dans le haut moyen-âge. Il prend ainsi une des toutes premières places dans la galerie des Saints qui ont forgé la conscience populaire.

Il symbolise le martyr Humain et on a voulu qu’il ait, selon cette hagiographie, aspiré à différencier son martyr simplement humain de celui du Christ en demandant à ce que sa croix fût disposée en X par respect pour la croix du Christ. Saint André est ainsi représenté épinglé comme un insecte, écartelé, bras et jambes en croix.

Cette image d’une force extraordinaire est très paradoxale. En effet, le centre de cette croix, ne passe pas par le cœur, mais par le nombril, centre symbolique des énergies. Les quatre segments de la croix sont de longueur égale, et leurs directions figurent clairement les quatre coins du monde. Comme si le personnage de Saint André, à l’instar de l’homme était à la croisée des chemins, écartelé dans son énergie profonde par l’impossibilité d’un choix profond, comme si l’attachement à sa liberté primordiale d’Homme le paralysait littéralement. Comme si cette liberté était pour reprendre une phrase clé de nos rituels « profondément éparse ».

Il est dès lors d’autant plus significatif de se rappeler qu’André, frère aîné de Pierre, fut le premier des apôtres à quitter l’enseignement de Jean-Baptiste pour suivre le Christ. Souvenons-nous de la parole du Christ au jeune homme riche : « lève-toi et suis moi ». Une parole toute simple…et terrible. La parole qui met en mouvement. Paradoxe des paradoxes : André sacrifie la Liberté dont il est prisonnier.

Le choix du Christ, de la Divinité, nous fait passer du 4 de la Croix de Saint André, au 4 (liberté humaine) + 1 (divinité) = 5, symbole de la quintessence et de l’Homme complet, représenté dans la figure de l’Homme de Vitruve. Cette figure, qui est aussi celle de l’Homme André sur sa croix, est inscrite dans la figure à 6 pointes du double triangle. 4, 5, 6, la progression, la mise en mouvement est clairement signifiée.

Cette mise en mouvement est aussi symbolisée par la disposition de la croix, en X, qui symbolise la rotation, à la différence de la « Croix de Saint André » représentée souvent verticale avec quatre segments égaux dans les sculptures et ornements des églises ou sur les tombes du moyen âge.

Si l’on s’attarde un instant sur la progression numérique de 4 à 6, on peut y voir des significations tout à fait inverses, car les symboles peuvent aussi figurer des contraires. L’homme attaché à la croix de sa liberté profonde, et qui fait le choix de se mettre en mouvement vers Dieu trouve sa quintessence, 4+1=5, une forme de liberté habitée par le Haut. L’Homme, ainsi habité, qui fait Alliance avec la Divinité se traduit par 5 (Homme dans sa quintessence + 1 (divinité)=6 Dans les six pointes du double triangle de Salomon, il trouve la Sagesse et la Connaissance, une quintessence additionnée de Dieu, illuminée dans sa profondeur. Dans la Genèse, c’est au sixième jour que l’Homme fut créé.

Si, présumant de ses forces et de son génie, l’Homme à la croisée de sa Liberté envisage de passer directement de 4 à 6 et de vouloir exercer sa liberté (4) par le simple discernement ou la lucidité (2), alors il se condamne à un 4+2 = 6 bien différent de la Sagesse. Un 6 que nous connaissons depuis nos premiers pas d’apprentis. La pierre brute a six faces. Le six évoque la permanence du travail qui doit être mené sans fin pour accéder à un accomplissement qui sans cesse nous échappe, comme souffrant et persévérant. Un travail qui n’est jamais fini. Une condamnation ? Une damnation ? N’est-ce pas celle que l’on voit dans les yeux de nos contemporains les plus « éclairés » ( par quelle lumière ? Celle de la prétendue lucidité, celle de Lucifer ?).

Pensons, mes F\ F\, à tous ces cherchants profanes, que nous sommes aussi, attachés au stress et au polissement vain de notre réussite ici-bas… Attention, je ne voudrais pas qu’on se méprenne. Je n’ai pas dit que le travail sur la pierre brute était un travail inspiré par Lucifer. Le travail sur notre pierre brute est un travail sacré et tourné vers Dieu. Mais c’est en ce que notre pierre est toujours brute et que nous ne parvenons pas à la tailler de façon parfaite que nous sommes damnés vivants et toujours en quête de notre rédemption, par le travail que nous faisons à la Gloire du Grand Architecte. La condamnation au travail est présente aussi dans la mythologie grecque par la figure du forgeron Hephaistos.

On le voit, mes F\ F\, le 6 de la sagesse est aussi le 6 de la damnation. Il y a le côté lumineux, et le côté obscur des choses. Toute médaille a deux faces. Tout comme cette médaille, figure centrale de notre bijou du 4ème Grade de notre Rite Ecossais Rectifié.

Se mettre en mouvement…

Retourner la médaille, c’est passer à l’acte et se mettre en mouvement, comme nous y invitent le X en rotation de la croix de Saint André, comme nous y invite aussi la progression du 4 au 5 au 6. Que voit-on lorsqu’on retourne le bijou pour contempler le recto ?

Au centre du bijou, des signes d’alliance : ainsi la chaîne d’union, qui entoure le cercle divin, figurant ainsi la nature éternelle et divine du lien qui unit l’Humanité, et l’unit à son créateur. Ainsi également, au centre du bijou, le fond rouge qui symbolise à la fois le feu, divin, et la force, vertu humaine du Grade. La pensée du Grand Architecte irrigue le monde, comme le sang irrigue le corps humain. Le rouge qui symbolise ainsi à la fois le sang de la vie humaine et la vie spirituelle qui irrigue notre communauté circonscrite au sacré. Un sacré délimité par les outils qui encadrent la lettre H, formant une enceinte pour le travail. Un travail dévoué au Grand Architecte, un travail qui nous rend dignes de pouvoir nous dresser devant lui, certes en se protégeant les yeux de sa lumière, mais debout, et cette fois, sans aide. Comme le montre le troisième tableau du Grade.

Au centre du centre la lettre H. …la lettre H, qui, si elle figure l’initiale de notre profondément humain Maître Hiram, figure aussi la cinquième lettre de l’alphabet Hébreu, le « », présent dans le tétragramme. et qui évoque le souffle de Dieu. Ainsi le H de Hiram, est aussi le H du souffle divin, le Hé du « ruha » primal. Ce souffle, qui d’une créature de glaise, a fait l’Homme. On voit ici la démarche de Dieu, qui vient au devant de sa créature l’Homme, et la transforme de l’intérieur. La lettre H est aussi la lettre rajoutée à Abram pour en faire Abraham, le père des peuples. C’est la lettre ajoutée à Saraï pour en faire Sarah, la princesse de tous.

Se mettre en mouvement, aller vers le Grand Architecte, mettre la Force qu service de la Nouvelle Loi.

J’ai parlé du personnage de l’Homme, de Saint André, qui se met en mouvement vers Dieu, j’ai parlé des signes d’alliance du Grand Architecte avec l’Homme, je n’ai pas encore parlé des signes du bijou, propres à la Divinité elle-même. Considérant la culture de JB Willermoz, son expertise de bibliste, il est difficile de parler de « signes de la divinité », mieux vaut considérer ici les « émanations » de celle-ci, et pour cela s’en rapporter au « Zohar », qui dépeint le processus d’émanation du monde divin, et nous aide à percevoir celui-ci à travers une expression pour ainsi dire « langagière » de l’ineffable. (N’oublions pas que le mot de Dieu est imprononçable – et d’ailleurs qui pourrait prétendre que le mot « Jéhova » qui nous est révélé au 4ème Grade, est l’ultime révélation ? A moins qu’il fût un nouveau code ? Placé sur notre chemin ?)

Le Zohar, ou livre des splendeurs (Castille XIIIème siècle) est attribué à Moïse de Léon. Il est l’un des ouvrages les plus importants de la Kabbale médiévale. Sa figure la plus connue est l’arbre des Sephiroth, ou arbre de la Connaissance. Emanations divines, les sephiroth sont des facteurs agissant dans l’homme et dans l’univers à tous les niveaux. Selon ces niveaux, les sephiroth sont vues comme des attributs divins, des concepts, des types de forces, de niveaux de conscience, des processus à l’œuvre dans le corps humains par exemple, mais aussi l’Histoire.

Je n’ai pas le temps dans ce travail de vous décrire chaque sephiroth et son mode de fonctionnement. Heureusement. Pour garder le fil de mon propos, je vous donnerai seulement certaines indications qui lui sont utiles.

Selon le Zohar, la première partie de l’arbre de la Connaissance est disposée dans la même forme que les six sommets du double triangle de notre bijou. Les six premières sephiroth sont ainsi disposées comme un hexagone ayant comme axe de symétrie une verticale qui passe par la séphire du haut : Kéther (l’étincelle divine), et par la séphire du bas : Tiphéreth (l’harmonie). Les séphire de droite, Chokmah (la sagesse) et Chésed (la compassion, la majesté) constituent en partie le premier pilier : le pilier de la Miséricorde associée à…la Force. Les séphire de gauche sont Binah (la compréhension, la mère) et Géburah (la sévérité, la justice). Elles constituent en partie le second pilier, pilier de la rigueur, associé à la notion de Forme. Le pilier central qui unit (entre autres Kéther et Tiphéreth), est le pilier de la conscience, qui allie Force et Forme.

Vous comprendrez mon allusion au Zohar et à l’arbre de la Connaissance lorsque je vous dirai que la séphire du haut, Khéter, est symbolisée par une couronne, la même que l’on trouve sur notre bijou, au même endroit. Elle commence l’arbre et n’a pas de commencement. Elle incarne l’étincelle divine elle-même. Vous comprendrez d’autant mieux lorsque je vous dirai que selon le Zohar, la place des piliers des Sephirot change de place suivant qu’on se réfère au microcosme : l’Homme ou au Macrocosme, l’Univers.

C’est ainsi que par rotation autour de l’axe de l’équilibre et de la conscience, on passe de la Loi de la rigueur et de la Forme, à celle de la Force et de la Miséricorde. Faisant route alors vers cette langue de la Connaissance, cette langue du cœur, dont les apôtres ont reçu le don, sous formes des langues de feu pour porter la Nouvelle Loi.

J\ F\


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