Obédience : NC | Loge : NC | Date : NC |
Le Don de Soi en Loge L'être humain qui passe cette porte est par
définition privé de ses métaux. C'est
notre Règle. Il est dépouillé de tout
ce qui n'est pas lui même. Que peut-il donc bien nous donner ? Son plan est le suivant : Lors du passage sous le bandeau, il est donc souvent
demandé au candidat : que comptez vous apporter à
la loge... Il répond généralement :
moi ! Et, que pouvions nous attendre d'autre ? Le groupe qui souhaite s'enrichir d'une différence est un groupe de travail et de réflexion. Il a besoin de personnalités diverses, de points de vue différents. Il souhaite s'enrichir de manière qualitative. Un club d'études économiques, une équipe de recherche scientifique, font partie de cette catégorie. L'efficience de ces groupes est proportionnelle à leur diversité, d'où découle leur capacité d'imaginer, de comparer, de débattre. A l'inverse, Attention, qu'il n'y ait pas de malentendus! Je ne hiérarchise pas ces deux types de groupe en supposant que l'appartenance au premier est spirituelle, noble, maçonnique, alors que l'appartenance au second est opérationnelle, brutale, profane. L'action et la réflexion sont indissociables et inhiérarchisables. Il y a un temps pour l'une et un temps pour l'autre. Simplement, lorsqu'on intègre un groupe, il faut savoir de quoi l'on parle. Plus encore lorsqu'on se donne à lui. Il vaut mieux être différent et complémentaire pour se donner au groupe de travail et de réflexion. Il vaut mieux être similaire et supplémentaire pour se donner au groupe de pression. Sinon, le recruté supplémentaire dans le groupe de réflexion est par définition un inutile, et le recruté complémentaire dans le groupe de pression est un facteur de discussions, de polémiques et d'échec. Quand je dis : Il faut savoir de quoi on parle,
j'entends : Ce n'est pas tout de se donner, encore faut t'il qu'il n'y
ait pas d'erreur sur la personne et sur le groupe. Faute de quoi, le
don de soi sera inutile, préjudiciable et dangereux, tant
pour le donateur que pour la communauté receveuse. Je dis que notre extraordinaire
spécificité est qu'une loge maçonnique
et un groupe hybride qui participe des deux catégories. Je
dis aussi que ceux qui, par leurs actions, leurs discours, leurs actes,
nous rangent abusivement dans l'une ou l'autre des
catégories, se trompent et ne nous rendent pas service. Ceci est une belle déclaration de principe.
Une bonne intention, un projet dévoyé par la
pratique, comme toujours. L'objet de mon discours d'aujourd'hui est de
remarteler le projet et de réénoncer ce principe.
Nous devons accueillir, sélectionner nos futurs
frères, non pas malgré leurs
différences, mais à cause de leurs
différences, ensuite seulement, l'augmentation du nombre se
constate, n'est pas une fin en soi, mais un simple effet
mécanique de ces acquisitions de différences. Considéré ce que j'ai à dire, il serait parfaitement discourtois de prendre un autre exemple que le mien, même si parler de soi est une forme de discourtoisie: J'ai été un profane frappant à la porte du temple maçonnique. Mais quel profane ! La Maçonnerie est un organisme-colonie et je suis un solitaire dont les passions et les loisirs sont fermement individualistes. La Maçonnerie rejette les métaux, et mon activité professionnelle fait de l'argent une véritable matière première. La Maçonnerie est fondée autour des principes de solidarité et de fraternité, et ces principes étaient pour moi comme la danse classique ou le jogging : je savais que ce que cela signifiait, je savais que ça existait, mais je ne pratiquais pas. La Maçonnerie est un ordre initiatique et traditionaliste : je suis un antitraditionaliste iconoclaste. Je ne révère jamais, par définition, un ordre établi. J'examine toujours le rite comme une survivance à faire évoluer. Je respecte les règles, mais à la marge, toujours à l'affût de la transgression qui exprimera ma liberté. La Maçonnerie est fondée sur le travail symbolique et je suis plus que méfiant quant à la tentation de faire signifier ce que l'on veut aux pauvres symboles qui n'en demandent pas tant et pour les besoins d'un discours particulier au mépris de significations absolues. La Maçonnerie est lieu de
tolérance large, mais je ne considère
certainement pas que seule l'intolérance est
intolérable. Et pour finir sans
ambiguïté : non, je n'aime pas le monde entier. Il est évident que lors de mon passage sous
le bandeau, lors duquel je n'ai pas cherché sciemment
à dissimuler, de nombreux frères se sont
aperçus de cette apparente inadéquation, totale,
tellurique, définitive, entre la Maçonnerie et le
candidat que j'étais. Le paradoxe est lumineux : La
franc-Maçonnerie n'était pas faite pour moi mais
simplement en m'acceptant comme je suis, elle prouve qu'elle est
exactement ce qu'il me faut. Je ne peux faire moins que lui donner en
retour ce qu'elle attend, moi, c'est-à-dire mon
inadéquation. Nous avons pour objectif statutaire de travailler au
progrès et à l'amélioration de
l'humanité. Fort bien ! Posons nous la question de savoir
quel est la cheville ouvrière de toute évolution,
quel est le facteur actif de toute amélioration. Ne vous interloquez pas, ce n'est même pas un
paradoxe, c'est une réalité
générique. Le facteur prédateur
prédate et oblige le prédaté
à trouver une réponse. Ce faisant, la victime
cherche, trouve...et progresse. Les exemples sont là par
milliers, je ne les cite pas pour prouver mais pour mieux faire prendre
conscience de la réalité extraordinaire de la
progression par la prédation. Si la concurrence n'existait
pas, les méthodes de gestion des entreprises et leur
productivité ne pourrait pas progresser: la concurrence est
un facteur prédateur. Si ma femme était
génétiquement programmée pour ne voir
que moi, je n'aurais aucun besoin de faire le moindre effort pour lui
plaire : les autres hommes sont des facteurs prédateurs qui
me contraignent à progresser, à la
séduire, à m'améliorer pour elle. Tout
cela peut se généraliser en une phrase simple:
s'il n'y avait jamais aucun problème, il n'y aurait jamais
nécessité de trouver des solutions, et c'est dans
la recherche des solutions que se situe l'amélioration. Pour revenir à notre sujet, je voudrais montrer que lorsqu'on a compris la logique de la prédation, la démarche devient très simple : la prédation est le facteur de la progression, nous voulons progresser, nous devons donc être prédaté, soit en subissant, soit en organisant notre propre prédation. Imaginez, la civilisation, la
société, la Loge, d'où la
prédation est absente totalement. Une Loge où
aucun problème n'émergerait jamais. Les
postulants sont recrutés sur la base d'une
adhésion stricte à une vision commune. D'ailleurs
dans cette loge, tout le monde est toujours d'accord. Personne ne se
sent jamais agressé par une idée qu'il ne partage
pas et aucune discussion n'est jamais à craindre. Bref, on
s'ennuie à mourir, mais le plus grave, c'est qu'on ne
progresse pas. Pour m'exprimer d'une manière encore plus claire et prosaïque, je dirai que je vous remercie d'avoir voté mon admission, mais si dans l'avenir vous me recrutez trente Thierry Viquerat, je ne viendrai plus, et, du reste, personne ne souffrira de mon absence imparticulière dans cette cohorte homogène, ennuyeuse et stérile. C'est ma demande pressante aux Maîtres plus anciens qui animent la Loge et c'est l'objet de ma planche: recrutez nous des fous, des illuminés et des personnages, des poètes qui ne savent pas ce qu'est l'argent et des experts qui ne font qu'y penser, des génies qui nous éblouirons et des gens de bon sens qui nous raccrocherons les pieds sur la terre ; des bardés de diplômes et des baroudeurs de la vie, des têtes bien pleines et des têtes bien faites, des bavards indéboulonnables du plateau d'orateur et des timides qui cherchent des mots mieux choisis, des gens biens et des gens-foutres, des polémiqueurs et des renfrognés, de ceux qui se prennent au sérieux et de ceux qui sont ironiques jusqu'à l'égard d'eux-mêmes, des doctes cultivés et des dilettantes enjoués, des professionnels de la vie et des amateurs du bonheur, de ceux qui font semblant de travailler et de ceux qui travaillent à faire semblant, ceux qui aiment facilement leur prochain et ceux qui essaient d'apprendre, et ceux qui n'y parviennent pas simplement parce qu'ils voudraient être aimés, ceux qui ont le sens du panache et ceux qui n'ont pas celui du ridicule, ceux qui savent et ceux qui doutent, pour mes frères compagnons et mes frères apprentis, recrutez nous tous ceux là, parce qu'avec tout ceux là nous serons la loge parfaite. Nous serons ce petit échantillon représentatif d'humanité, grandiose et désespéré, magnifique et pitoyable, émouvant ou pathétique, capables de la plus grande générosité avec le frère en difficulté comme d'être moqueurs à l'occasion avec le frère auteur d'une planche somnifère, capables du meilleur et du pire, entassés dans cette éprouvette que nous appelons Loge et dont les dimensions englobent l'univers exactement comme l'éprouvette du chimiste englobe l'univers car l'expérience réactive qui s'y déroulera avec succès se déroulera pareillement en tout point de cet univers. Il en est de même dans l'éprouvette que nous appelons Loge. Petit recoin d'humanité, serein, régulé par le rite, ouvert et conscient, nous pourrons affûter in vitro toutes les théories et toutes les philosophies, pour le plus grand profit de notre population et en nous préservant des risques de polémiques froides et de guerres chaudes qui règnent à l'extérieur. F\ V\ |
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