GLNF Loge : Saint Jean d'Ecosse et la Vertu persécutée - Orient d'Avignon Date : NC


Vaincre mes passions,
soumettre ma volonté à mes devoirs,
et faire de nouveaux progrès dans la Maçonnerie


Le sujet sur lequel je devais réfléchir se trouve dans le rituel du premier degré au chapitre « instruction ». C’est un frère qui se présente et qui est questionné. Voici donc la question qui m’a été soumise. Celle-ci a constitué la base de ma réflexion et je me propose maintenant de vous en livrer le fruit. Demande: Que venez-vous faire ici ? Réponse: Vaincre mes passions, soumettre ma volonté à mes devoirs et faire de nouveaux progrès dans la Maçonnerie.

Tout d’abord, la réalisation de ce travail n’a pas été sans difficulté pour moi. Un sujet qui au départ me paraissait assez banal, général, s’est révélé plus ardu voire perturbant par moments, au fil de ma réflexion. Je m’explique.

De prime abord, j’ai peut-être sous-estimé ce thème de la passion, du combat qu’elle peut engendrer. En effet, nous employons bien souvent des mots ou des termes sans en saisir la véritable signification, en oubliant leur sens premier. Ainsi il est fréquent d’entendre dans les médias ou autour de soi parler de déchaînement des passions, de voir porter aux nues les gens passionnés comme étant des personnes réellement authentiques, la passion devenant même une marchandise monnayable et source de profit, voire une valeur. Voyons-là un phénomène de banalisation, de vulgarisation des mots, des termes ou des concepts ayant pour effet secondaire de nous détourner de leur message, de leur sens premier.
Après m’y être intéressé plus précisément, cette expression « vaincre mes passions » m’a très vite interpellé. Je me suis toujours considéré comme quelqu’un de passionné et très souvent c’est à la fois la raison et la passion qui m’ont guidé dans la vie. La ou les passions ont joué un grand rôle dans mes orientations et mes choix. Et jusqu’à ce travail, qui a occasionné une réflexion sur ce sujet et une remise en question de mes conceptions, la passion, la capacité à être passionné m’apparaissait plus comme une qualité, un atout, qu’un obstacle à une évolution. La première difficulté s’est pour moi posée à ce niveau : comment et pourquoi vouloir vaincre ce qui jusqu’ici m’a animé ?

J’ai alors pensé que la question n’était peut-être pas à aborder de façon si manichéenne avec d’un coté la passion, de l’autre rien. Mais pour me permettre d’avancer dans la réflexion, il m’a paru intéressant de fouiller la passion dans son étymologie. Voici donc quelques définitions qui m’ont aidé.

Du latin « passio » qui signifie souffrance, il s’agit d’un état ou d’un phénomène affectif (émotion, sentiment), un mouvement émotionnel qui échappe à la raison.
« ...c’est un état affectif et intellectuel assez puissant pour dominer la vie de l’esprit, par l’intensité de ses efforts ou par la permanence de son action. ».
« ...inclination vers un objet que l’on poursuit, auquel on s’attache de toutes ses forces », « ...affectivité violente qui nuit au jugement » Et enfin « état affectif et intellectuel dont la puissance s’impose durablement à la volonté ».

A la lumière de ces précisions, j’ai quelque peu modifié ma façon d’approcher la question et par là, il m’a été possible d’élargir mon champ de réflexion. Dans un même temps la réponse
« vaincre mes passions, soumettre ma volonté à mes devoirs et faire des progrès dans la Maçonnerie » m’est apparue plus claire dans son sens et plus profonde qu’au départ. Si l’on se réfère aux définitions, la passion peut donc aussi être appréhendée, comme un boulet qui alourdit l’homme dans son évolution puisque celui-ci peut très vite en devenir prisonnier. Elle peut être acceptée, comme un facteur aliénant dans la mesure où elle peut nuire au jugement, comme un parasite, comme une contingence nuisible à toute élévation. Je me permet d’insister sur ce terme « élévation » car il est pour moi une des louables aspirations que la Maçonnerie permet d’atteindre. Après avoir tenté de cerner ce que pouvait recéler ce terme de passion dans toute son acceptation, la volonté de vaincre, de combattre la passion présente dans la réponse du frère et inhérente au F\ M\  m’a paru parfaitement logique et légitime.

Une des aspirations de tout F\ M\, n’est-elle pas justement de libérer son esprit? De se défaire des parasites, de ces aspérités qui déforment la pierre brute, matérialisés par des passions aliénantes et autres attachements ou ancrages matériels excessifs pesants et qui freinent toute élévation spirituelle ? A ce moment, l’idée n’est-elle pas de pouvoir se purifier de ces aspérités encombrantes, le travail du F\ M\, symbolisé par le maillet et le ciseau, ne va-t-il pas dans le sens d’alléger son esprit, ce qui nous permet comme le dit la planche Bartholdi du 16/02/2005 relative à la matière et à l’esprit, « d’accéder à un niveau de conscience suffisant pour accéder à la vérité tout en se libérant des contingences ».

Ce raisonnement m’a très vite renvoyé à la cérémonie initiatique où la lutte contre la passion est omniprésente, notamment dans les trois voyages, et cela m’a davantage éclairé sur le sens de ces voyages. J’ai compris qu’au delà d’une naissance, c’est aussi mon élévation qui avait commencé à ce moment et elle se poursuit par la réflexion et l’action qui en découle et que la Maçonnerie m’invite à mener. Cela m’a également permis de mesurer la nécessité de rester vigilant vis-à-vis de ces passions ou de tout attachement excessif d’un point de vue matériel, d’essayer de rester lucide quant à la nature de mes centres d’intérêt que le rituel définit comme vils quand ils tourmentent le profane.

Je conçois la lutte contre la passion comme un moyen, un outil que la Maçonnerie propose pour s’améliorer, se parfaire, se « tailler » et occuper sa juste place dans l’édifice. Le maçon qui n’est plus tributaire de l’ardeur de ses passions se voit alors davantage disponible pour travailler sur soi, à son amélioration et par conséquent disponible pour les autres.

Ceci étant, si pour moi la légitimité du combat contre les passions est bien fondée et préalable à toute élévation, encore faut-il discerner les passions aliénantes de celles qui sont susceptibles de procurer un certain plaisir voire une énergie qui peuvent également contribuer à une amélioration. Certains auteurs réservent aux passions une place privilégiée. Référons-nous à Diderot qui affirmait : « On déclame sans fin contre les passions, on leur impute toutes les peines de l’homme, et l’on oublie qu’elles sont aussi la source de tous ses plaisirs ». De son coté, Helvétius disait : « Il n’y a réellement que les grandes passions qui puissent enfanter les grands hommes ».

Là se pose une autre difficulté. Si ma volonté est de m’élever de m’améliorer, ce n’est pas non plus dans une forme d’ascétisme que j’entends le faire. A mes yeux, le F\ M\ n’est pas non plus un ascète complètement détaché de toutes contingences puisqu’il s’inscrit dans le siècle et y évolue aussi. La difficulté ne réside-t-elle pas dans la capacité à discerner ce qui peut nous aider de ce qui peut nous freiner dans notre chemin de vie ? 

A ce niveau, le terme vaincre prend toute sa dimension. Accepter dans le sens de dominer, il me semble peut-être plus adapté. Le but n’est-il pas finalement non pas de tout réfuter en bloc mais de rester maître de ses passions sans les fuir (ce qui engendrerait un sentiment de frustration également susceptible de freiner toute progression.)? Se servir de ses passions n’est-ce pas également une force? Vaincre ses passions, c’est « dégrossir la pierre brute afin de la dépouiller de ses aspérités et la rapprocher d’une forme en rapport avec sa destination », la dégrossir mais sans la casser. 

Une passion entendue comme un état affectif et intellectuel dont la puissance s’impose durablement à la volonté constitue un obstacle à toute élévation. Dans la mesure où la force de la passion monopolise la volonté, alors comment soumettre cette dernière à ses devoirs? Voila un autre danger de la passion, un de ses aspects vicieux. Combattre le vice, n’est-ce pas là une des nobles taches (devoirs) du F\ M\ ? 

J’ai voulu rentrer dans la F\ M\ car je pensais et je pense que celle-ci est entre autres une voie spirituelle qui favorise l’introspection dans le but de s’améliorer, de se bonifier, de trouver un sens plus précis à son existence, de trouver sa juste place dans l’édifice de l’humanité. 

La F\ M\ est en quelque sorte une méthode permettant cette élévation dont je parlais plus haut, et une des leçons que je tire de ce travail est qu’un des aspects essentiels de cette méthode est le combat de ses passions sans lequel aucune avancée n’est possible. Au même titre que ce que j’ai pu vivre dans le cabinet de réflexion (c’est-à-dire me retrouver seul face à moi-même), ce travail m’a également engagé à me retrouver seul face à moi-même, m’a placé face à mes contradictions à savoir la volonté de s’élever d’un coté et celle de vouloir garder et tirer profit de mes passions de l’autre. Il est certes louable de vouloir s’élever, se purifier. Il est également facile de le dire mais encore faut-il le mettre en application. La Maçonnerie me propose une voie pour le faire et j’ai maintenant le sentiment d’être au pied du mur.

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Tailler sa pierre, c’est aussi vaincre ses passions, soumettre sa vo-lonté à ses devoirs et, en définitive, faire de nouveaux progrès en Maçonnerie

Le choix est simple, si je veux vraiment m’améliorer, il me faut maintenant m’impliquer, me mouiller et entamer concrètement ce combat difficile et quotidien à travers la lutte contre mes passions ou du moins contre celles qui pourraient constituer un obstacle à ma rogression. Pour conclure, je dirais qu’à l’issue de ce travail, j’ai le réel sentiment d’avoir commencé une remise en question porteuse d’espoir pour ma construction. Je dois donc préserver ma volonté d’éléments qui pourraient l’amoindrir si je veux la mettre à profit pour accomplir mes devoirs.

W\ B\


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