Obédience : NC Loge : NC 08/10/2000


Symbolisme de l'expression
« Signes, mots et attouchements »
Du Rituel au Premier Degré

Le Vénérable Maître conclu le rituel d'initiation par ces mots « Je peux maintenant vous informer qu'il y a plusieurs degrés en Franc-maçonnerie, dont chacun contient des secrets particuliers qui sont communiqués aux récipiendaires suivant leurs mérites ».

Ces secrets du premier degré sont alors transmis au jeune initié, par signes, mots et attouchements, dont nous allons essayer de définir le sens et d'en approcher l'ésotérisme.


Donc ; pourquoi se reconnaître, à quoi peut servir d'évoluer par palier, pourquoi de nouveaux symboles, et surtout, quels aspects traditionnels de notre humanité ont bien pu inspirer ces signes, mots et attouchements ?


Nous savons que différentes codifications du langage, du symbole et du contact physique sont présents à tous les niveaux de notre existence et sont nécessaires à la compréhension et à l'harmonisation de toutes les sociétés, de tous les regroupements humains, de tous les cercles et déterminent le degré de communication entre tous, de manière unilatérale, bi et multilatérale ; lecture, dialogue, signalisation, peinture, etc., mais aussi entre tout, homme et machine, machine et machine.

Au même titre que nos premiers pas d'enfant, la première approche de ces signes mystérieux pour le jeune initié se matérialise par les pas spécifiques lors de l'entrée en loge quand la tenue est déjà ouverte ; Soit trois pas, les pieds en forme d'équerre.


Historiquement, nous pouvons facilement nous mettre en lieu et place de nos frères maçons opératifs, qui voyant arriver un inconnu dans leur loge, à proximité d'une cathédrale en construction, le reconnaissaient comme tel tout d'abord en voyant sa démarche, avant même de débuter un quelconque tuilage ; pour ce dernier, cette démarche inhabituelle pouvait signifier une cassure entre le monde profane et l'arrivée en loge de maçons, lieu bénéficiant d'une autre dimension ou il pouvait exprimer librement son savoir et écouter ses pairs ; mais c'est aussi une preuve d'intégrité physique, d'équilibre indispensable aux travaux de maçons opératif.


Aujourd'hui, notre rituel de Maçons spéculatifs nous indique que ces trois pas doivent montrer le zèle que nous mettons à nous rapprocher de celui qui nous éclaire, soit le Grand Architecte de l'Univers.


Comme le doigt d'une mère bougeant de gauche à droite signifie pour un jeune enfant une interdiction, le signe pénal, dévoilé lui aussi à la fin de l'initiation, reste pour le jeune initié une gestuelle nouvelle, qu'il découvre au même titre que le rituel de fermeture de l'atelier - puisque durant l'ouverture des travaux, il se trouvait dans le cabinet de réflexion - qu'il découvre donc comme un nouveau monde, une nouvelle manière de se comporter, une entrée dans un univers secret et mystérieux, rien de plus.


Au fur et à mesure de sa progression, façonnée par les réunions d' instruction, les tenues de loges, les visites d'autres ateliers, et l'écoute des Frères sachant lire et écrire, l'apprenti prend conscience qu'au-delà d' un rite ancestral mystérieux, il s'agit aussi de rassembler, de faire vivre ensemble, d'assurer la cohésion d'un groupe pas spécialement propice au début à une vie philosophique commune, mais dont ce début d'osmose commencerait par une gestuelle, un langage, une manière de communiquer commune.


Le signe d'Apprenti comprend deux signes distincts ; le signe d'ordre, main en forme d'équerre posée sous la gorge et le signe pénal qui met en lumière les trois premiers outils qu'approche l'apprenti dans le rituel du premier degré ; l'équerre, le niveau, la perpendiculaire, symboles du  Vénérable Maître, du premier et du second surveillant qui assurent entre autre tache la rectitude de l'atelier, en le dirigeant, en aidant le Maître de la loge à ouvrir et à fermer les travaux, en réalisant l'instruction des apprentis et des compagnons ; mais le signe en lui-même n'est-il pas une forme de volonté de recherche de cette rectitude dès l'entrée en loge ? En effet, dans « le livre de l'apprenti » Oswald Wirth nous dit que « La main droite placée sous la gorge, parait contenir le bouillonnement des passions qui s'agitent dans la poitrine et préserver ainsi la tête de toute exaltation fébrile, susceptible de compromettre notre lucidité d'esprit. »


Réfléchissant grâce à Wirth sur ce signe d'une manière physique, la longue pratique des arts martiaux  permet un raisonnement curieusement assez similaire ; en effet, dans plusieurs katas supérieurs, les katas étant des simulations de combats face à un ou plusieurs adversaires imaginaires et nécessitant l'utilisation d'enchaînements de coups et de parades préétablis, l'artiste martial apprend à maîtriser sa respiration (kata respiratoire) et son agressivité, peu propice à une complète concentration, en débutant et terminant son exercice par ses deux mains, tendues et paumes vers le bas, qu'il place au niveau de sa gorge pour les faire descendre  lentement vers son abdomen, tout en respirant avec ce dernier (respiration abdominale).


L'un des signes propres à la franc-maçonnerie turque est l'exact mouvement de fin de l'un de ces katas supérieurs ; la main gauche se trouve sous le plexus solaire, paume vers le haut, la main droite sous la gorge, au niveau des pectoraux, paume vers le bas ; la définition symbolique de ce signe est la présentation du Livre Sacré ; on peut pourtant y lire une définition bien connue des pratiquant d'arts martiaux ; le rassemblement de l'énergie vitale vers le centre de l'être, le plexus solaire, à l'aide de la respiration abdominale.


Cette réflexion permet d'entrevoir une nouvelle et surprenante approche de nos signes, non plus seulement intellectuelle, mais aussi physique, se rapprochant de la philosophie grecque et orientale de l'absence de domination du corps face à l'esprit, ou de l'inverse, mais d'une obligation de faire travailler les deux symétriquement, afin que l'un prenne sa force dans l'autre ; les katas respiratoires puisent leurs sources aux fameux chakras hindous, déterminant les centres de force humains, et que l'on retrouve dans leurs plénitudes dans l'art martial le plus pratique sur la planète ; le Tai Chi Chuan, créé par des moines chinois, à la fois technique de concentration, de souplesse, de bien être physique, mais aussi d'ouverture de l'esprit par l'oxygénation du corps.


Il est d'ailleurs à noter que notre culture occidentale a totalement occulté le niveau physique de la méditation et de la prière, alors que le reste du monde l'utilise encore : Certains bouddhistes pratiquent les arts martiaux, la secte musulmane des Soufis, la danse mystique (les fameux derviches tourneurs), le Yoga vient de la culture Hindouiste.


Un Maître d'Oeuvre, Petrus, fait un très intéressant parallèle entre les Chakras et leurs correspondances avec les polyèdres réguliers Platoniciens dans son ouvrage « De l'Architecture Naturelle », livre surprenant tant dans son contenu que dans son contenant, puisque imprimé et façonné suivant les règles du nombre d'or.


Dans notre rituel, le signe pénal doit aussi rappeler à tous les Frères, l'importance du secret de nos rites et de nos travaux, qu'il leur faut garder sous peine d'avoir la gorge tranchée.


Pour conclure ce chapitre sur nos signes au premier degré, comme il est important pour un combattant d'assurer sa plénitude physique et mentale en associant l'idée d'un combat avec le développement de son équilibre physique (les katas), pour un maçon, il est tout aussi important de " vaincre ses passions ", en se mettant à l'ordre avant chaque intervention et de montrer sa qualité d'initié en réalisant sa marche et son signe, se coupant ainsi des réalités du monde en entrant en loge, acceptant de se hisser vers un nouvel état mental, mais aussi physique ; Le jeune Frère ne parle pas, et ce, de son plein gré.


Nathalie Sarraute, dans Tel Quel, nous rapporte que « le lien indissoluble entre la réalité subtile et la forme neuve qui la crée, fait que toute exploration de cette réalité constitue une exploration du langage ».


Il est, pour nous maçon, agréable - et utile - de songer à ces différentes formes de langages en les visualisant sous la forme d'une pyramide,  où naîtrait dans sa partie basse l'interaction entre chaque être du cercle constitue le plus large d'une société, par l'intermédiaire de son type de communication primaire, avec ses codes et l'utilisation spécifique de ses symboles ; Soit son langage et son alphabet.


Plus nous nous élevons dans cette pyramide, plus les mots spécifiques d'un même palier se rétrécissent, leurs utilisateurs devenant moins quantitativement important - puisqu'ils servent a la communication dans des  cercles fragmentaires de la société humaine, ou chacun crée et transmet ses spécificités, qui peuvent d'ailleurs être interactifs.


Il me plait à penser que la partie haute de cette pyramide nous apprendrait le signe suprême, la communication avec Dieu : la pyramide dans son ensemble représentant l'être humain tel qu'il est aujourd'hui et depuis sa création ; Sa naissance est le langage, dans toutes ses formes « Au commencement était le verbe... » et sa réalité, une communication commune et étendue entre tous les êtres qu'empêcheraient les passions non raisonnées et la suffisance, que nous rappelle le mythe de Babel, et que nous vivons encore aujourd'hui.


A notre naissance, notre conscience s'éveille peu à peu à la compréhension de notre environnement, par le biais des différents langages qui s'offrent à nous par l'éducation, et par l'usage ; à notre naissance maçonnique, la fin du rituel d'initiation est réservée à la découverte et à l'apprentissage de cette nouvelle manière de communiquer, au même titre qu'à notre naissance.


Les mots sont ici un type de code permettant d'entendre immédiatement le niveau d'évolution, un mot sacré est alors donne au jeune frère, "Je ne sais ni lire, ni écrire ; je ne sais qu'épeler, donnez-moi la première lettre, je vous donnerai la suivante : B.O.A.Z.",il ne sait donc ni lire ni écrire, juste épeler, sans en connaître encore la définition symbolique, même s'il en connaît la traduction : en force, tel un jeune enfant de trois ans balbutiant des mots sans suite, entendus, retenus, mais non assimilés comme outils de communication propre à une tache définie.


Cette première approche des mots lui annonce implicitement que ce qu'il vient de vivre n'est pas une finalité, mais le début d'un long apprentissage ; en fait, le jeune frère comprend alors que son initiation semble être seulement la porte qu'il a du pousser pour recevoir l'enseignement, l'assimiler puis le vivre ; il n'a d'ailleurs pas reçu de mot de passe, inhérent à toutes les sociétés initiatiques, mais un mot sacré ; il vient encore du monde profane ; tels les initiés de ces cultures anciennes qui ne pouvaient sortir du temple qu'après de longues années d'apprentissages, n'ayant donc nullement besoins d'un mot de passe pour y entrer ; l'apprenti ne peut "voyager" seul, il n'a pas non plus cette nécessité.

L'initiation a donc pour thème (et non pas pour objet ou pour fonction) de transmettre au profane la communication des mots, et bien sur, le serment propre à la loge.

Les mots sont alors le premier outil pour la transmission de l'enseignement, un rail qui permet de guider le profane dans une approche méditative qui n' aura jamais de fin et qu'il ne peut appréhender qu'en tenant compte de son histoire personnelle, de son éducation, de sa culture ; Ce rail est ascendant ; d'ailleurs, l'initiation l'est aussi, ne serait-ce que par les différents noms qu'utilise le Vénérable Maître pour s'adresser au nouvel arrivant :
Profane, Postulant, Récipiendaire, Néophyte, puis Frère.


Pour finir ce chapitre sur les mots, il est clair que ces derniers sont aussi un moyen de se faire reconnaître d'une manière discrète - l'histoire nous a d'ailleurs montré la nécessité de discrétion, et nous n'avons pas à nous projeter bien loin pour en trouver des exemples - mais même dans ce cas, ils restent un support à la recherche intellectuelle : Le rituel du premier degré doit être appris littéralement afin de pouvoir être utilisé comme un contrôle, mais il doit aussi être compris ; Chaque module de question/réponse est une porte ouverte sur la réflexion, symbolique ou morale ; c'est pourquoi, même si nous trouvons certains mots et tentatives d'explications de nos rites et de nos mystères dans des ouvrages accessibles aux profanes, les différents paliers de compréhension et la progression intérieure qui s'en suit ne peuvent être atteints que par l'expérience de partage et de prolongement de ces symboles que nous vivons en commun, ce qui met donc à l'abri la réalité de nos actions de la manière la plus sûre.


Dans la plupart de nos sociétés, le salut courtois est aujourd'hui matérialisé par la poignée de main, ce qui n'est pas une longue tradition, mais une coutume assez récente ayant pour base l'idée d'égalité de chaque être humain face à un autre ; On salue un supérieur à l'armée, on se génuflexe devant un monarque ou un prince de sang, on baise la bague d'un prélat, on se prosterne devant dieu, mais on ne sert la main que de notre égal.


Cette poignée de main "initiale" avait aussi une forte personnalité, presque rituel ; Un homme à qui nos ancêtres prenaient la main n'était pas armé, donc venait en paix, ensuite, il était possible de vérifier son état d'esprit, amical ou non, par la moiteur de la main, ou, en utilisant son index sur les veines de son poignet, la régularité de son pouls, preuve de son calme ; La texture de la main indique souvent la qualité d'un homme ; une main fortement calleuse indique un travailleur manuel, ouvrier ou paysan ; la main dont les callosités se sentent sous les phalanges des doigts est un guerrier -ou un tennisman- ; ces observations, liées à un code de la poignée de main tel que nous le pratiquons en tant que maçons spéculatifs, semblent primordiales pour des opératifs itinérants : on repère un nouvel arrivant à sa démarche, puis à ses mots, puis à ses attouchements, ce qui forme déjà une progression par palier, de manière symbolique, mais aussi pratique : équilibre de la marche indiquant une aptitude physique, connaissance des termes techniques indiquant une aptitude intellectuelle, poignée de mains et texture de celle-ci : preuve de la profession et de sa pratique technique.


Cette poignée de main peut donc être, elle aussi, prise en compte sur au moins deux niveaux, l'un purement physique, de salut d'un être humain, d'un égal, mais aussi d'une reconnaissance d'un cercle constitué, en ajoutant à cette dernière des signes subtils, utilisant encore le niveau physique afin de le prolonger vers le symbole et la réflexion : Pour Jules Boucher, dans son Symbolique Maçonnique, les correspondances générales attribuées aux doigts et aux phalanges indiquent que la phalange unguifère du pouce correspond à la volonté et la première phalange de l'index à la religion, d'une manière plus physique, il n'est pas rare de voir un sportif, avant une compétition, se pincer les ongles et étirer ses doigts afin de stimuler les organes qui s'y rapportent. 

 
Il ne serait pas sage de conclure sans brièvement approcher une unité commune aux Signes, mots et attouchements ; la trinité ; l'apprenti a trois ans, frappe trois coups à l'entrée de la loge, y fait trois pas, sa batterie est triple ainsi que son exclamation.

Trois est symbolique non seulement dans nos loges, mais aussi dans le monde, en tant que suite du un, l'unité et de deux, la différence (restons simple, ce n'est pas le sujet de cette planche) ; on retrouve ce fameux trois dans la tradition de toutes les religions, de tous les rites : La trinité chez les chrétiens et les hindous, nombre parfait de la grande triade chinoise, le temps est triple - passé, présent, futur -, le monde est triple - terre, atmosphère, ciel -, les éléments du grand oeuvre sont trois - souffre, mercure, sel, trois correspond ainsi à une structure primordiale, non seulement de l'homme, mais aussi de l'univers ; nous y reviendrons sans doute plus en détails un jour.

En conclusion générale, ces signes, mots et attouchements forment un tout indissociable dans notre manière de communiquer ; le langage seul reste restreint, il n'exprime qu'une pensée basée sur trois niveaux, le passé, le présent et le futur ; les signes et attouchements permettent de faire évoluer notre langage sur des niveaux peu explorés (ou plus explorés) dans nos sociétés ; Notre intellect découvre l'imagination, la projection vers un autre univers non soumis aux restrictions de l'usage habituel, non dicté par des passions, et décalé par rapport à notre vie profane, dont il tient compte, mais qu'il prolonge par un apprentissage intellectuel plus profond, mêlant habilement traditions opératives, motivations intellectuelles et morales, et pratiques symboliques pour créer et tresser un lien entre nous, forger des chaînes pour nos passions, et nous permettre de revenir dans le monde métamorphosé. 


J'ai dit, Vénérable Maître.


J\P\ G\

3168-3 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \