GLDF Loge : NC Date : NC


Le Signe Pénal


J’ai tout d’abord considéré, le jour de mon initiation, que l’aboutissement de mon long parcours vers la Franc maçonnerie s’achevait là, quand le bandeau est tombé pour la dernière fois, mais sans doute aujourd’hui, dois-je dire au contraire que tout a commencé là, depuis que le bandeau est tombé.
C’est effectivement là qu’a commencé toute la découverte symbolique du Temple et du Rituel et notamment l’apprentissage des premiers secrets de la Franc-maçonnerie : le pas de l’apprenti, le signe d’ordre et le signe pénal.

Il me paraît en effet impossible de distinguer l’un sans les autres tellement ils sont étroitement liés dans la façon de les exécuter certes, mais aussi dans ce qu’ils représentent en tant que symboles.

Le pas de l’apprenti laisse à penser que l’initié a choisi d’avancer vers la lumière, mais qu’il faut pour cela qu’il soit conscient que rien n’est simple, car par nature même, l’homme est sans cesse confronté à la dualité, que ce soit dans ses pensées, dans ses choix ou dans ses actions. L’équerre formée par ses pieds signifie à mon point de vue que pour être dans la voie droite, il faut certes avancer vers la lumière mais sans oublier qu’il faudra traîner derrière soi sa propre condition d’homme soumis à son passé, son histoire, ses doutes et surtout sa fâcheuse tendance à être capable de tout et de son contraire. Cette dualité permanente n’est pas seulement le fait de l’homme mais se trouve compris dans la totalité du créé.

Pour tracer l’angle droit qui après travail permettra à la matière brute de devenir rectiligne, on se sert  des deux branches de l’équerre qui vont bien dans deux directions différentes, mais pas opposées et qui indiquent que loin de s’opposer, elles peuvent et doivent être complémentaires pour former l’angle droit.

N’oublions donc jamais que le signe d’ordre doit se faire d’abord les pieds en équerre afin de toujours nous rappeler notre condition d’homme capable de tout et de son contraire et que nous devons prendre en compte la totalité de ce que nous sommes, c’est à dire ce qui est bien en nous, mais aussi ce qui l’est  moins. C’est à cette seule condition que l’équerre nous indiquera par la complémentarité de ces branches, comment commencer le tracé de la pierre cubique.

Les pieds en équerre dans le signe d’ordre nous renvoient également à la matière que nous sommes en semblant nous enraciner encore plus dans cette terre, dans ce limon de la création dont notre corps est  issu.

Le bras droit à l’horizontale conforte le fait que la matière du corps soit totalement attachée à la matière terrestre. L’horizontalité ainsi marquée montre à notre corps qu’il dispose d’un large espace pour vivre sa vie matérielle, mais que, quoiqu’il fasse, il n’évoluera qu’en fonction de ce qu’il est, c’est à dire un corps matériel, de chair et de sang, appelé à naître, à vivre, puis à mourir avant de redevenir limon comme au jour de la création originelle. Si l’homme peut en effet ne choisir que de vivre pleinement cette vie matérielle, nous autres, francs-maçons, avons choisi en plus de nous interroger, de chercher à comprendre l’autre partie de nous même, la partie invisible et immatérielle, celle qui fait que nous sommes aussi autre chose que de simples corps de chair et de sang, celle qui nous renvoie à la création, comme il est rappelé dans la Genèse lorsqu’il est dit : “ Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa ” (Gen. 1,27)

C’est le sens de la main droite placée sous la gorge, le pouce en équerre et qui semble selon Wirth contenir le bouillonnement de nos passions que je qualifierais de “ terrestres. ” Cette main droite pouce en équerre semble en effet contenir la plus grande partie de notre être de chair, comme pour la rendre immobile et inactive, ne laissant que nos sens en action  afin de voir et d’entendre mais aussi parfois de parler et c’est d’ailleurs seulement dans cette position d’ordre que nous prendrons la parole en loge. Placée juste au niveau de la gorge, la main peut sentir notre souffle, ce souffle dont nous savons qu’il nous vient de Dieu et que c’est de lui que nous tenons la vie. 

Dans le signe d’ordre, c’est notre bras gauche, immobile le long du corps qui nous en donne le sens. Ce bras dans son immobilité verticale nous indique deux directions : la première allant du plus petit point possible au centre de la terre, au centre de la matière qui a servi a façonner notre corps vers autant de points du cosmos, vers l’infini de l’univers. Et si la force de gravité   fait peser sous nos pieds en équerre le poids de notre corps posé sur ce sol de terre, il nous faudra assurément beaucoup plus de travail  pour élever notre esprit toujours plus haut vers le grand architecte et pouvoir peu être enfin donner une signification à cette parole de la Genèse :
“ Faisons l'homme à notre image, comme notre ressemblance... ” ( Gen. IJ6 )

Car bien entendu, cette ressemblance ne peut être que celle de l’esprit, mais pour accéder à l’esprit, il nous faut contrôler et cultiver notre être de chair, il nous faut dominer la matière en transformant notre pierre brute en une pierre cubique harmonieuse et qui n’ayant plus à se préoccuper de sa forme pourra alors laisser sa beauté rayonner, à sa place, dans l’édifice. On peut d’ailleurs aussi remarquer, en utilisant les méthodes de  projection de l’art du trait cher aux bâtisseurs, que si l’on projette l’équerre de la main droite au sol, en suivant l’axe de la perpendiculaire matérialisée par le bras gauche, elle forme avec l’équerre des pieds un carré qui pourrait bien représenter pour l’Apprenti le tracé de la base de sa Pierre Cubique qu’il s’efforcera de façonner à partir de sa Pierre Brute et s’élever ainsi vers son idéal.
           
A chacun son idéal, mais élevons-nous par l’ordre et dans l’ordre. Par l’ordre maçonnique que nous avons choisi et dans l’ordre des secrets de la Franc-maçonnerie. Il y a dans cette notion d’ordre plusieurs idées très fortes ; l’appartenance à la Loge, le respect de ses règles comme celui de ses Frères et bien au-delà, par une sorte de soumission que suggère l’inaction du signe en lui-même, quelque chose de divin, comme l’attente d'un message plus spirituel, comme une voix intérieure qui nous donnerait la marche à suivre pour nos travaux, une position de maîtrise de soi, une libération du monde profane rendant d’un seul coup possible l’écoute de Dieu.

Mais annoncer qu’un assemblage de pieds, de mains et de bras formant des équerres dans un peu tous les sens puissent mener vers Dieu en suivant une perpendiculaire tracée par je ne sais quel bras ne mérite-t-il pas quelques précautions ? Je vous en laisse juge et pour ma part, je pense qu’il faut plus que des précautions, qu’il faut même sans doute un secret bien gardé et révélé aux seuls initiés, préparés au moins à recevoir, à défaut de tout comprendre.
Ce secret existe, objet du Serment prononcé au moment de l’initiation. Il existe mais il m’a fallu sans aucun doute un travail comme celui-ci pour achever de m’en persuader. Hors de cette initiation, tout ici peut ne ressembler qu’à une réunion de quelques apprentis sorciers cherchant peut-être tout au plus à faire pleuvoir, mais seulement et au mieux à faire pleuvoir les rires et les moqueries du monde profane.

Je dirai de l’initiation qu’elle est l’entrée par la porte du Temple et le secret en est la clé.

Qui oserait donner la clé de sa maison à des inconnus ?

Dans ses Mémoires, Casanova nous dit pourtant que: “ Le secret de la maçonnerie est inviolable par sa propre nature, puisque le maçon qui le sait, ne l’a appris de personne. Il l’a découvert à force d’aller en loge, d’observer, de raisonner et de déduire. ”
Que doit–on alors protéger si le secret est inviolable ?
Sans doute, déjà protéger chacune des expressions individuelles, garantissant ainsi à chacun des frères le respect de la propriété de sa réflexion, de son point de vue, de ses sentiments, car chaque expression individuelle est pour celui qui l’exprime le fruit d’une recherche visant en premier lieu à répondre à des interrogations somme toute, très personnelles.
Protéger donc, d’une part, chacune des expressions individuelles mais aussi, protéger la conscience collective à laquelle cette expression individuelle est venue s’ajouter, se mêler pour permettre de nouvelles interrogations, de nouvelles réflexions et produire alors cette forme d’alchimie que nous ressentons en loge parque nous avons été initiés, c’est à dire “ mis sur la voie. ” La somme de ces expressions individuelles appartient alors à la loge toute entière de même que nos travaux et notre rituel qui nous ont été transmis, je devrais dire confiés par les anciens, ce qui revient à dire que nous en sommes les gardiens.

C’est peu être en partie cela que doit nous rappeler le signe pénal.

Le mot Pénal vient de Peine, du latin penas qui signifie “ tourments du martyre ”

La peine a longtemps été considérée comme le châtiment infligé au délinquant à raison de l'infraction qu'il a commise. La peine remplissait d'abord une fonction d'intimidation collective et c'est cette idée qui prévalait dans la mise en œuvre des châtiments corporels, au besoin exécutés sur la place publique ou encore dans la peine capitale.

Qu’en est-il de notre signe Pénal ?

S’agit-il d’une autosuggestion du châtiment à s’infliger soi-même comme pour s’interdire de donner la clé du temple à des inconnus ou bien remplit-il la fonction d’intimidation collective  ?

Il faut tout d’abord noter qu’il est dit “ je préfèrerai avoir la gorge coupée ” et non pas “ j’aurai la gorge coupée ” ! Il s’agit là d’une nuance qui marque déjà toute la différence entre le monde profane et le monde Maçonnique. En effet, quand la justice profane disait : “ Tout condamné à mort aura la gorge tranchée! ”, cette affirmation ne supportait aucune interprétation. Par contre quand nous disons : “ je préfèrerai ” revient bien évidemment à l’esprit une alternative et assurément l’idée d’un choix, celui d’avoir la gorge tranchée ou pas, mais aussi le choix de trahir ou ne pas trahir mon serment. Cette notion de choix se retrouve aussi largement dans le symbolisme de la gorge au travers la pomme d’Adam. Si l’on s’en tient à la symbolique du geste qui détruirait la pomme d’Adam, on peut se référer à l’analyse de Paul Diel qui dit que la pomme par sa forme sphérique signifierait globalement les désirs terrestres ou la complaisance en ces désirs. L’interdit prononcé par Yahvé mettrait l’homme en garde contre la prédominance de ces désirs qui l’entraînent vers une vie matérialiste à l’opposé de la vie spirituelle. Cet avertissement divin donne à connaître à l’homme ces deux directions et à choisir entre la voie des désirs terrestres et celle de la spiritualité. La pomme serait le symbole de cette connaissance et de la mise en présence d’une nécessité, celle de choisir.
Le signe pénal permettrait alors de rappeler à l’initié qu’il a déjà choisi la voie de la connaissance et de la spiritualité et qu’il ne doit pas laisser ses désirs rompre son serment.

Si dans un premier temps, cette interprétation me donne satisfaction,  notamment par tout ce qu’elle évoque sur les notions de choix, j’ai éprouvé le besoin dans un deuxième temps, après discussion avec des Frères, d’approfondir cette notion au travers d’une question : le signe tranche-t-il la Pomme ou bien la gorge, à moins qu’il ne s’agisse d’autre chose encore ?

Dans “  Le Grand Mystère de la F\M\ révélé ”, datant de 1724, on trouve un texte qui ouvre la voie vers une réponse possible:

   Q : Avez-vous la clé de la loge ?
   R : Oui, je l’ai
   Q : Quel est son pouvoir ?
   R : Ouvrir et Fermer, Fermer et Ouvrir
   Q : Où la gardez-vous ?
   R : Dans une boite d’ivoire entre ma langue et mes dents ou dans mon cœur où je       garde tous mes secrets.
   Q : Avez-vous une chaîne à la clé ?
   R : Oui, j’en ai une
   Q : Quelle est sa longueur ?
   R : Aussi longue que de ma langue à mon cœur

Mais peu être pour répondre aux interrogations que suggère ce texte lui-même, faut-il revenir à l’objet du serment, c’est à dire au secret qu’il faut protéger et se redemander quel est ce secret. Il m’a d’ailleurs semblé que le secret et le serment associés étaient présent dans de nombreuses et différentes traditions.
Le serment maçonnique apparaît très tôt dans les loges opératives et il se rattache alors au “ mot du maçon ” Ce mot est dévoilé lors de l’initiation, après avoir prononcé le serment d’en garder le secret. C’est ce mot qui permettra au nouvel apprenti de pénétrer dans la loge. Posséder le mot, c’est donc être initié et le serment devient le ciment de cette initiation. Celui qui rompt son serment en révélant le mot, s’expose à “ avoir la langue coupée sous le menton ”
La gorge ne serait donc tranchée que pour pouvoir couper la langue à la racine. Il s’agirait alors de punir le parjure par l’objet même qui lui a permis de dévoiler le secret, c’est à dire par la parole, mais cet aspect symbolique peut perdre de son sens si le mot est écrit ou tracé. Il faut alors se rappeler que c’est ce mot secret qui permet l’entrée dans la loge et que le fait d’avoir la langue coupée à la racine empêchera à jamais le parjure de parler, donc de donner le mot pour entrer en loge.
La langue, en disant le mot du maçon,  devient alors la clé de la loge, et le serment le gardien de la clé. C’est le serment qui constitue le maçon puisque s’il le rompt, plus de parole, plus de mot, plus de loge. Sans le mot, le maçon n’est plus qu’un “ cowan ” en anglais, c’est à dire un manœuvre qui plus jamais n’accédera à quelque élévation que ce soit. 

Il n’existe sans doute pas de mot pour définir ou décrire les conséquences que peuvent avoir le parjure car si les conséquences peuvent être matérialisées dans notre monde terrestre et alors s’appeler sanctions qu’en sera-t-il dans l’au-delà ?
Je n’ai bien évidemment pas la réponse à cette question, mais sa seule évocation me suffit pour dire qu’un serment ne doit jamais être prononcé à la légère et que bien qu’il soit difficile pour l’homme que je suis d’envisager à l’instant présent quelle sera ma conduite pour tout le restant de ma vie, je peux me donner les moyens de me rappeler sans cesse l’existence de mon serment, c’est également à cela que renvoie le signe pénal.

Si l’inaction suggérée par le signe d’ordre à quelque chose de divin, que dire au contraire de l'action générée par le signe pénal lui-même.

Plusieurs hypothèses me viennent à l’esprit :

Même sous la menace, je peux assez facilement concevoir de préférer avoir la gorge tranchée plutôt que de mettre en péril la vie de mes frères. L’histoire en général, nous a montré que ce n’était finalement pas si rare, et je rejoindrais alors le sort des résistants ou encore des premiers martyrs chrétiens qui préférèrent mourir plutôt que de renier leur Dieu, donnant ainsi une justification étymologique au mot pénal.
Je peux par contre plus difficilement concevoir de trahir de mon plein gré mon serment, en sachant que je m’expose à un châtiment que je devrai peu être de plus m’infliger moi-même. Qu’aurais-je alors retiré comme bénéfice de mes actes ? Rien d’autre que le vide et le néant, ne pouvant dans la mort profiter de plaisirs terrestres et sans espoir non plus d’accéder à une vie spirituelle ayant moi-même choisi d’avoir la gorge tranchée, laissant s’échapper  le souffle qui au-delà de me donner la vie, animait mon esprit, et la langue coupée rendant impossible mon entrée en loge puisque incapable de prononcer alors le “ mot du maçon ”

Et si reprenant l’idée de l’intimidation collective dans ce qu’elle a de collectif, chacun d’entre nous, par le signe, montrait à ses frères le sacrifice qu’il est prêt à consentir pour eux, chacun disant à tous les autres “ C’est notre souffle qui nous unit car il nous vient du créateur et c’est lui qui donne force à notre esprit, mais c’est notre corps de chair qui en est l’expression sur cette terre et je préférerais tout perdre plutôt que de vous perdre vous mes frères”

Nous donnerions alors sans doute  un sens à cette réflexion de Paracelse :
 L’Art est dans l’Astre invisible, mais c’est le corps visible qui est l’instrument qui révèle l’art de l’invisible. ”

V\M\ J’ai dit.

Y\ D\

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