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Le sablier et la perception du temps en FM

Lors de mon passage sous le bandeau, l'une des questions qui me furent posées se rapportait à ma passion pour les montres anciennes et de là, à mon approche du temps, de sa relativité et de son emprise sur nos vies.

Bien qu'à ce moment, pas plus qu'aujourd'hui, je ne puisse y apporter de réponse si peu satisfaisante fut-elle, cette question me trotta dans l'esprit pendant les semaines qui suivirent.

Ce n'est qu'en subissant l'épreuve de la terre dans le cabinet de réflexion, que je fus mis en présence d'un sablier, ce qui cristallisa mes interrogations. En effet, la présence de cet objet ne pouvait être le fruit du hasard, et sa signification m'échappait alors. Servait-il à mesurer le temps passé dans le cabinet de réflexion ?

J'apprit plus tard en lisant Plantagenêt, que le sablier symbolise le rappel de l'oeuvre ininterrompue du temps qui domine et survit aux forme transitoires. Il est associé au coq qui fait allusion au réveil des formes endormies. Il annonce alors la fin de la nuit et le triomphe de la lumière sur les ténèbres.

Le sablier, par sa forme caractéristique, étranglée en son milieu et évasé à ses deux extrémités, laisse s'écouler le sable dans un temps prédéterminé. Il convient alors de le renverser pour le faire fonctionner à nouveau. Il symbolise ainsi un monde soumis aux lois d'un temps cyclique, c'est à dire à l'éternel retour des mêmes situations cosmiques.

Le sablier est apparu à la fin du Moyen-Age. Il sera parfois employé pour limiter le temps des entrevues et des sermons, mais son usage sera plus répandu à bord des navires, où en raison des mouvements imprévisibles provoqués par la mer, les autres garde-temps sont inutilisables. (les amateurs d'horlogerie ne parlent en effet pas de montres ou d'horloges mais de garde-temps, comme s'ils voulaient par ce mot, retenir cette eau-vive insaisissable, qui nous entraîne dans son tourbillon.)

Le sablier ne sera détrôné par l'horlogerie marine de précision qu'au 18° siècle.

La montre, avatar actuel du sablier, nous accompagne dans toutes nos activités profanes. Il s'agit bien d'un paradoxe, car ce rappel permanent à notre poignet du temps qui passe, au lieu de le jeter au loin et de vivre en l'oubliant, nous le portons constamment et sommes perdus quand il s'arrête.

De tout temps, les initiés ont dû apprivoiser le temps pour pouvoir oeuvrer.
Le plus ancien instrument de mesure est sans aucun doute le cadran solaire, inventé probablement par les sumériens. Du haut des ziggourat, les prêtres qui sont astronomes et astrologues, observent chaque nuit le ciel et la marche des étoiles en s'aidant de cet instrument, bientôt suivi par la clepsydre, une horloge à eau.

Dans l'antiquité égyptienne et romaine, l'heure réglait les rendez-vous d'affaires et les prières. Dès le Moyen-Age, elle fixait les horaires de travail dans les fabriques.

Les plus belles réalisations techniques des chinois et des musulmans du 11° siècle, automates, appareils donnant la position des planètes et reproduisant les phénomènes célestes, n'avaient pas pour but de donner l'heure, mais de représenter le monde et le temps, afin de se les approprier par la connaissance. Ces deux civilisations n'inventèrent pas l'horloge mécanique, elles n'en avaient pas besoin. Dans ces pays ensoleillés, cadrans solaires et clepsydres étaient largement suffisants.

La première horloge mécanique est apparue probablement entre le 12° et 13° siècle. Elle répondait aux besoins croissants des couvents de disposer de mécanismes de réveil autonomes, du fait de la multiplication des offices religieux nocturnes.
Ces horloges rudimentaires, se virent rapidement adjoindre un cadran et une aiguille permettant de repérer l'écoulement du temps entre 2 sonneries.
Il est paradoxal que ce soit dans les monastères, là ou les hommes sont censés abandonner toute ambition temporelle, que se développa un des objets les plus caractéristiques de notre civilisation technologique.

En horlogerie, le souci de la maîtrise du temps poussa les ingénieurs de la firme Patek Philippe à imaginer une montre mécanique à complications, dont le mouvement est programmé pour donner l'heure et la date jusqu'au 27° siècle...Elle tient compte du fait qu'une année séculaire sur quatre est bissextile, grâce à un petit rouage satellite qui effectue un tour complet en 400 ans.
Cependant, même ce prodige de la technique horlogère contient une faille : une erreur de 57.2 secondes fait que dans 15 siècles, les indications lunaire de cette montre seront à contre-phase. Ainsi le cosmos rétablit-il les limites de la pensée humaine qui prétendait le maîtriser.

Venons-en à la mesure du temps en FM; elle est révélatrice de l'importance qu'accorde notre ordre à ce grand régulateur des activités humaines.

L'apprenti franc-maçon vient au monde à l'âge de 3 ans. Le VM s'assure d'ailleurs de l'âge du second surveillant avant d'ouvrir les travaux. Cet âge symbolique s'explique par le fait que l'apprenti doit maîtriser les mystères des 3 premiers nombres.
Le chiffre 3 concilie ainsi les deux extrêmes représentés par l'unicité (tout est un), et la borne artificielle que forme le chiffre 2 dans l'esprit humain. De ce point de vue, le 3 est l'être ou ce qui est. C'est donc le retour à l'unité.

Le M\ de la L\ ouvre les travaux à midi. Etrange horaire pour débuter une journée de travail dont la logique voudrait qu'elle commençât plutôt dans la matinée.
C'est le moment de la journée où le soleil est au plus haut dans le ciel. On dit qu'il est au zénith. A cet instant, selon les musulmans et les sages chinois, l'homme est sans ombre, ce qui signifie qu'il est entré dans la perfection de son âme.
Ouvrir les travaux à midi est donc propice à la perfection et l'harmonie.
Inondés de cette lumière dure qui efface toutes les aspérités, nous pouvons nous consacrer à faire des progrès en franc-maçonnerie.

Le VM ferme les travaux, quelques heures plus tard, à minuit.
A minuit, l'obscurité couvre la lumière jaillie plutôt au sein du temple, et indique qu'il est temps pour les maçons de quitter le temple pour revenir au monde profane.
Ce voyage extraordinaire dans le temps, cette compression d'une journée de travail en quelques heures, loin d'en réduire l'effet, sublime au contraire le temps passé en Loge et nous fait quitter à regret les colonnes du temple, encore imprégnés des mystères entr'aperçus, l'âme engourdie par la chaleur de la chaîne d'union.

Mais minuit, est aussi parfois synonyme de renaissance. Certains mystiques parlent de soleil de minuit. Minuit est l'heure de la naissance du Christ, a Noël. C'est l'heure où l'imagination créatrice et spirituelle est à son comble. N'est-ce pas finalement le bon moment pour les maçons de continuer à l'extérieur le travail accompli et de répandre alentour la lumière qu'ils ont entrevue dans les opérations de la Loge de Saint-Jean ?

Enfin, il existe un lien notable entre le sablier et l'épreuve de la terre subie par le candidat dans le cabinet de réflexion.
Le sablier est, selon WIRTH, l'attribut de Saturne, dont le nom grec est Cronos, le Temps. Père de Jupiter, qu'il essaya sans succès de dévorer dès sa naissance, Cronos fut exilé par son fils sous terre, où il fit un voyage long et pénible vers les îles fortunées. Il gouverna alors à l'époque de l'âge d'or.
Les oppositions symboliques de l'histoire de Saturne sont donc le pouvoir de destruction mais aussi de renaissance spirituelle, de vieillesse et de stérilité, mais aussi de jeunesse et de fécondité.

S

elon le philosophe Marsile Ficin, c'est grâce à Saturne que se déroule tout processus de création, et qu'il n'y a pas d'imagination créatrice sans la mélancolie saturnienne.

Le métal symbolique de Saturne est le plomb (on parle de saturnisme, lors d'une intoxication au plomb). Ce métal est étroitement associé à l'or dans le processus alchimique de transmutation, grâce à l'action de la pierre philosophale.
Il symbolise ainsi l'éveil de l'homme ancré dans la matière, qui accède à la spiritualité et la lumière.

Si Biedermann attribue symboliquement à Saturne des idées comme cachot et longue solitude, il lui reconnaît également les notions de travail minutieux, d'esprit de recherche continuelle et de pratique de la patience.

Ainsi, le sablier nous invite à la méditation et surtout à la mesure, car le temps imparti à l'homme ne doit pas être gaspillé. Son passage inexorable transcende nos vies forcément passagères.

J'ai dit.

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