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Le Sablier

« Oh temps suspend ton vol »
... puisque le sablier renvoie pour tout un chacun au temps.

Je vais donc dégager quelques notions sur le temps pour revenir au sablier et étudier l'enseignement qu'il nous transmet.

Le temps : celle des dimensions de l'univers selon laquelle semble s'ordonner la succession irréversible des phénomènes. L'unité de mesure pour notre esprit cartésien est la seconde. Pourtant, le temps n'est pas à proprement parler une grandeur physique. Il constitue plutôt au même titre que l'espace, une grandeur par laquelle le monde évolue. Comme il est impossible de réaliser un étalon de temps, la mesure du temps doit être rattachée à un phénomène simple qui se reproduit périodiquement.

Un intervalle de temps est limité par deux dates dans l'échelle de temps. L'échelle d'ailleurs dont la physique quantique s'est aperçue qu'elle était évolutive à la notion de temps absolu doit être substituée à celle de temps relatif. Deux événements qu'un observateur juge simultanés ne le seront pas pour un autre observateur en mouvement par rapport au premier s'ils se produisent en des points distincts de l'espace (relativité).

Dès lors, comme il y a plusieurs taille de sablier on s'aperçoit qu'il y a plusieurs temps. Le temps universel se déduit de la rotation de la terre autour de son axe et de son mouvement autour du soleil. Le temps solaire moyen lui est calculé en supposant un soleil fictif dont l'angle horaire varie uniformément. Au temps solaire moyen on substitue le temps civil, par addition de 12 heures. Le temps universel est par définition égal au temps civil de Greenwich. Mais il existe un deuxième temps astronomique, le temps des éphémérides, dont l'échelle se déduit du mouvement de la terre autour du soleil dont la période fondamentale est l'année. Enfin, le temps atomique international a été défini à partir de la vibration de l'atome de césium. Il constitue l'échelle de temps officiel. Cette échelle coïncidait avec l'échelle de temps universel du 1er janvier 1958 ; l'écart entre ces deux temps est de l'ordre d'une seconde par an. On ajoute chaque année 1 seconde au temps atomique pour obtenir le temps universel coordonné ainsi son écart reste inférieur à une seconde.

Héraclite disait « Le temps est un fleuve qui coule », son écoulement est irréversible et régulier : « car on ne peut entrer deux fois dans le même fleuve ». Nous ne pouvons pas nous mettre en retrait par rapport à lui et l'observer car il nous affecte sans cesse. Sans lui, nous ne sommes plus. Nous ne pouvons pas en sortir ; le temps n'a pas d'extérieur. Il est également impossible de le saisir comme nous le ferions d'un objet. Il ne s'arrête jamais. Le temps n'est donc pas une matière.

De même, il est évident pour nous de ressentir que le temps s'écoule toujours dans le même sens. Pourtant, s'il est fléché, il demeure un objet invisible à nos yeux. De même si le temps des horloges est uniforme, il s'écoule régulièrement et s'il est défini comme je le dis plus haut par son étalon « la seconde », le temps de la conscience quant à lui ne s'écoule pas uniformément : « J'ai trouvé le temps long ». D'une personne à l'autre, la sensation de temps qui s'écoule est très différente. Une minute d'ennui nous parait plus longue qu'une minute de plaisir. La physique quantique a trouvé là une faille à la représentation unidimensionnelle du temps. Cette représentation du temps qui sous-entend qu'il n'y a qu'un temps à la fois et que ce temps est continu, qu'il peut être représenté sur la ligne du temps par un point précis (une heure ou une date par exemple). Cette date se situera avant ou après une autre car le temps n'a qu'une dimension. Il n'y a donc que deux possibilités pour représenter le temps : La droite (si le temps est linéaire) ou le cercle car la répétition d'une même période a toujours été évidente à l'homme ; pensons au rythme circadien.

Du reste, pour matérialiser le temps nous le mesurons depuis la nuit des temps c'est le cas de la dire. Nos ancêtres savaient parfaitement utiliser les astres comme le soleil, la lune, et les différentes étoiles qui composent la galaxie afin de mesurer le temps ou pour diriger les voyageurs sur terre et sur mer.

Avec le développement du commerce, des transports, et tout simplement du progrès humain, les artisans, les scientifiques, et les artistes imaginèrent des instruments de plus en plus précis, esthétiques, et robustes. Citons quelques dates de la mesure du temps :

3000 ans avant Jésus Christ, invention présumée du gnomon, c'est un bâton gradué permettant de mesurer l'ombre portée. Le gnomon était utilisé chez les Sumériens et les Egyptiens de 3000-2800 avant J.C, et en Chine 2400 avant J.C. 2000 ans avant Jésus Christ, apparaissent les premières horloges à eau.

1000 ans avant Jésus Christ, le sablier voit le jour pour donner les temps courts, dit-on. 800 ans après Jésus Christ, le cadran solaire atteint un haut degré de perfectionnement. Les cadrans portatifs pouvaient comporter : fil à plomb, niveau, stylet rabattable. Ce sont les ancêtres de nos horloges inventées au XIIIème siècle. Enfin au XVI ème siècle, naissance de la montre.

Mais revenons à notre sablier. Il se présente en deux parties symétriques, l'une et l'autre identiques morphologiquement, reliées par un isthme très fin, assemblées en un tout. Comme nous l'avons dit, c'est un outil pour mesurer le temps, ou plutôt une partie du temps, une durée. Le sablier se retourne, le haut devenant le bas, le contenant (réceptacle), celui qui donne celui qui reçoit, le sens de circulation du sable restant le même du haut en bas, ce qui était vide se faisant plein. On constate là la façon dont mesure le temps, mais aussi une préfiguration de la marche de la vie, de la naissance au trépas certes, mais comme le sablier se retourne du trépas à la vie et ainsi de suite. Alors que le sable censé mesurer le temps emprunte un parcours rectiligne, notre action sur le sablier entraîne un parcours cyclique, la fin translation de début. Ainsi ce qui fut sera, et ce qui sera a été. Ce propos sous-entend que la vie recommence et que donc la mort n'est qu'une passerelle vers une autre vie. Les rationalistes objecteront que la réincarnation n'est qu'une vue de l'esprit et que la marche du temps ne peut être que linéaire : un début, une durée, une fin. Or nous avons vu qu'elle était également cyclique.

Mieux, si je retourne le sablier, alors qu'il y a du sable dans chaque partie, le sable qui allait vers la fin retourne vers le début ! Où est donc le début ? Où est donc la fin ?

Je croyais aller vers la mort, le sablier m'indique que je peux retourner à l'origine. Je vois l'écoulement du sable mais où suis-je situé dans le temps si ce n'est à une successions de moments éphémères où l'antépénultième grain de sable va rejoindre ses prédécesseurs et est immédiatement rejoint par ses suivants. J'ai observé un moment, une succession de moments qui ont eu une durée et on m'a appris à appeler temps une succession de durée donc une répétition de retournement du sablier. D'un grain de sable s'en est suivi un tas, du tas est venu le sablier. D'un je suis passé à la totalité, je l'ai renversée elle s'égraine par partie. Je parlais du sablier comme d'un tout, voilà que j'en viens à dissocier le tout comme une somme de parties indépendantes les unes des autres, les grains de sable. Rien de plus normal me direz vous ! En effet, l'ensemble existe grâce à chacune de ses parties et chaque partie existe en elle-même, mais que signifie - t-elle isolée, c'est-à-dire en dehors de la marche dynamique de l'ensemble ? Rien. Le moment n'existe pas sans la durée qui n'existe pas sans le temps, qui n'existe pas sans la durée, qui n'existe pas sans le moment. Il faut un lien dynamique entre chacun, il faut que quelqu'un tourne le sablier. Tennyson écrivait « L'amour pris le sablier du temps et le retourna dans ses mains étincelantes. 

Chaque moment sous la secousse légère, s'écoula en sable d'or. » Cette réflexion me pousse à en conclure que le temps en lui-même n'existe pas, il est une notion dynamique et relative qui me permet de me situer. C'est un repère universel et en tant que tel il n'existe que par la représentation que les hommes s'en font. Par exemple, le commencement du temps est propre à chaque culture, son rythme aussi. C'est un outil de mesure mais un outil abstrait fruit d'une abstraction collective, enfant jumeau de l'impérieux besoin de se situer dans notre monde et par rapport au reste du monde, de répondre à la question où et quand ? Face à cela l'homme est désemparé car il pense que la marche du temps l'entraîne vers la mort. Or à l'instar du mouvement du sable dans le sablier, c'est l'avancement de sa vie qui crée la progression du temps et donc le temps. Si le temps notion universelle nous l'avons dit, existait en tant que tel, nous avons vu qu'il n'est pas le même pour tout le monde à tous les moments de notre existence. Bien plus qu'au temps, qui n'est d'après ce que nous venons de voir qu'une manifestation de notre vie, le sablier nous renvoie à l'archétype de base de notre existence.

« Poussière tu n'es que poussière et tu retourneras à la poussière. »

Qui mieux que le sablier pour nous rappeler cela ? Qui mieux que le sablier pour nous offrir l'espoir que la vie un jour recommencera ?

Le sablier nous montre aussi grâce à sa constitution et notamment à sa partie haute reliée à sa partie basses qui sont interchangeables, inversées mais égales, que nous sommes éléments d'un tout, microcosme contenant le macrocosme. Il nous enseigne que l'évolution a lieu mais que l'involution est possible. Au même titre que vitriol, il justifie la démarche maçonnique, cette descente le long du fil à plomb et la remontée vers la lumière. « Borné dans sa nature infini dans ses voeux, l'homme est un Dieu tombé qui se souvient des cieux. » disait Lamartine. Ne retrouve-t-on pas cette idée de la chute i on s'intéresse maintenant au sable. Il est le contenu et le fluide du sablier, essence donc de la matière. Par analogie, il symbolise l'âme qui descend dans la matière pour revenir dans les cieux. Or le sable est aussi symbole de multitude et par extension d'abondance à tel point qu'en Arabie, où sévit l'aridité, il remplace l'eau synonyme de vie. Les contes des Milles et une nuits foisonnent de passages où le héros procède à ses ablutions avec du sable. Celui-ci devient purificateur, liquide comme l'eau, abrasif comme le feu. Souffrances et voluptés se succèdent continuellement. N'est ce pas le résumé de la vie ? La purification ne renvoie-t-elle pas à l'idée de progression et de régression que j'évoquais précédemment ? 

Allons à la plage mes frères et étendons nous dans le sable chaud. Il épouse parfaitement les formes de notre corps, il est facile à pénétrer. Il procure repos, sécurité, le dictionnaire des symboles nous indique même qu'il correspond inconsciemment au regressus ad uterum des psychanalystes. Il est alors symbole de la matrice surtout si on représente la création par un mythe de type parthénogenèse : un tout ayant par division ou excroissance généré une multitude. Ainsi le sablier d'abord considéré comme le symbole du temps possède des significations beaucoup plus larges. Du supérieur à l'inférieur, le vide succédant au plein, le céleste descendant dans le terrestre, nous montre que la vie est évolution succession, de bonheur et de misère et conduit inéluctablement à la mort. Mais nous enseigne surtout l'inverse de tout cela, l'espoir du retour, car le sablier se retourne, le fait que nous sommes chacun un homme parmi la multitude mais que nous sommes uniques, la possibilité du choix, celle qui nous rend libre.

Voilà, vous pardonnerez mes frères le côté brouillon de cette planche faite de successions de réflexions, mais j'ai surtout voulu grâce à ce premier travail taper la pierre de-ci de-là au gré de mes inspirations du moment au fil du temps qui s'est écoulé entre le premier jour où j'ai commencé ce travail et aujourd'hui.

« Oh temps reprend ton vol ! »

M\ S\


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