Impressions

Tout au long de ma très courte existence, j’ai pensé que la vie pouvait être beaucoup plus intéressante que ce que l’on a coutume de nous présenter. La preuve pour moi en étaient ces moments pendant lesquels un voile, qui jusqu'alors semblait obstruer notre vue, se lève, laissant passer un rayon de lumière qui teinte alors l’existence d’une beauté sans âge. Cette Beauté n’est ni surnaturelle, ni divine. Elle n’est que le reflet de la grandeur dont peut être capable le génie humain. Cette beauté prend ses racines dans notre monde et nous chuchote à l'oreille le chemin d’une grandeur oubliée.

Il y a deux semaines j’ai été initié, et j’ai cru entrevoir cette lumière.

En arrivant dans le cabinet de réflexion que le voile a commencé à bouger. La peinture noire, le crâne et le sablier, l’avertissement m’ont d’abord questionnés : que garderai-je de ma vie ? Est-ce que mon temps en bien utilisé ? Puis, quelques minutes plus tard, les questions se sont éteintes pour laisser place à un sentiment de quiétude. Je n’avais pas peur et je n’avais pas froid. Derrière le noir des murs et l’incandescence de la bougie je me sentais hors du temps, hors du monde. Au fond de la Terre comme au fond de mon être je me suis senti exister.

Nous portons tous des masques. Mais, dans la moiteur du cabinet de réflexion, je n’en n’avais plus.

Après un laps de temps que je ne saurais déterminer, on vint m’apporter mon testament philosophique. Les questions qu’il allait soulever étaient les mêmes que je me posais quelques minutes plus tôt : il fallait maintenant y mettre des mots.

C’est inquiet que l’on vint me cueillir pour m’emmener au Temps. On m’assit dans le siège pour me poser des questions : étais-je vraiment certain de vouloir entrer en maçonnerie ? J'eus peur de ne pas convaincre et au moment de me raccompagner aux portes du Temps, les questions se bousculèrent dans ma tête. Et j’y attendis, transi.

La porte s’ouvre et on vient me chercher. On me demande mes métaux. Une joie forte s’empare de moi : je serai initié.

Vous connaissez sans doute mieux le rituel mieux que moi et c’est pourquoi je ne vous en referai pas tout l’historique. Je vous dirai seulement ce que j’ai pu y ressentir, si tenté que ce soit possible.

Au cours des trois voyages symboliques j’ai essayé de m’imprégner de tous les symboles qu’on présentait sur mon chemin. Tout est symbole. Mais le l’imprégnation des symboles s’est d’abord faite par le corps. Ces trois voyages m’ont permis de les éprouver en moi et d’en faire l’expérience. Mais celui qui m’a le plus marqué restera pour moi le bras fort qui supportait mon poids et m’aidait à passer les épreuves.

Le moment le plus fort de mon initiation fut la présentation à l’ennemi qui se trouvait derrière moi. J’en ai d’abord ressenti une grande surprise. Mais dans les secondes qui ont suivi, je pris conscience que le combat serait un combat quotidien : je ne me regarderai plus jamais de la même façon. Je repensais au moment dans le cabinet de réflexion. La pierre doit être taillée.

Au moment où l’on m’a ôté le bandeau je vous ai tous regardé, tour à tour. Et au delà de la joie d’être ici, j’ai eu beaucoup de reconnaissance. Et la quiétude qui m’avait quittée plus tôt est revenue…pour ne plus jamais me quitter.

Ma joie d’être maintenant parmi vous est immense et l’est d’autant plus que j’ai reconnu en vous des frères. Vos marques de fraternité et la chaleur de nos échanges ont fait prendre aux mots du Vénérables qui me « créait, constituait et recevait Apprenti franc-maçon » l’épaisseur des choses ressenties.

Le voile a bougé. Et j’ai entrevu la Beauté.

V\ M\, j’ai dit.

K\ I\