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Il est venu parmi les siens et les siens ne l'ont pas reçu…
Prologue de l'évangile de Jean, 11ème verset

Il est venu. Idée d'un mouvement. Quelque chose se meut, vient d'ailleurs, se met en route. Aller vers…
Qu'est-ce qui se met en route ? Le Verbe, le Logos.
Parmi les siens. Idée d'appartenance, de légitimité, de source… Il existe une destination, un lieu final, un lien qui est miroir … Pourquoi vouloir se rendre ailleurs que chez les siens ? Se rendre ailleurs que chez soi ?
Et les siens ne l'ont pas reçu… Rupture du mouvement initié… La porte se referme brutalement, elle claque au nez…Terrible injustice… Le droit est retiré…La chaos devient une vérité. Apparition de la loi des hommes. Violence suprême. On refuse à l'enfant, porteur de la vie, de naître à la vie…

Si nous cherchons humblement, c'est à dire en acceptant de ne pas trouver, de nous perdre, nous pouvons alors commencer à associer. L'évangile de Jean nous offre la vision d'une mise en abîme. Tout d'abord, nous avons un évangile, une vie de Jésus. Le monde juif de ce temps. Monde singulier. Bousculé, politiquement par Rome. Spirituellement, entre autre par l'hellénisme. Dans ce monde, il est un lieu où il faut aller, un endroit où les croyants doivent se rendre. Au plus près du Saint des Saints, où réside l'Arche d'Alliance, la Présence active de Dieu sur terre. C'est au dire au centre de l'univers, le Temple de Jérusalem. Ce temple est gardé par les hommes qui sont ses créatures. C'est naturellement vers eux que se rend Jésus pour délivrer son message. Pas en guerrier, ni en monarque, mais humblement il est venu, juché sur le petit de l'ânesse. Et les siens ne l'accueilleront pas. Et les siens le rejetteront. Et le rejet sera sanglant. La greffe du Verbe ne prend pas…

Bien sur, il s'agit déjà de la fin du Livre. Mais Il débute de la même manière. C'est dans le Pseudo Mathieu que nous trouvons le passage suivant : "Or, le 3ème jour après la naissance de NS, Marie sortie de la grotte, et elle entra dans une étable et elle déposa l'enfant dans la crèche, et le bœuf et l'âne l'adorèrent"[1]. Le texte n'est pas forcément très connu, mais sa légende est restée vivace. Elle nous dit que le peuple est ému de voir son dieu méconnu parmi les hommes et accueilli par les plus humbles des animaux.

Si nous nous laissons glisser davantage dans l'abîme, c'est à dire vers le Centre. Comment peut-on songer cela ? Le lieu, c'est le monde manifesté, le monde conçu par le Verbe, harmonieusement, en conformité avec les lois de  la proportion, c'est à dire avec la règle qui justement, régi l'univers. Au sein de ce monde, les choses crées, l'ont été dans cet équilibre particulier et au final, c'est peut être en l'homme qu'Il s'est le mieux incarné. "Dieu a créé l'homme à son image…" Le Verbe, reposant dans le Principe, a animé, a donné vie à l'être humain. La vie dont il est question est un mystère, elle est vie, autant que celle de l'amibe ; elle est principe de vie, c'est l'instinct de survie, mais elle va bien au delà en posant la question de sa présence, de son créateur, et de son devenir… L'Homme est mystérieusement animé. C'est le Mystère. Auquel se rattache la foi. Pas nécessairement une foi religieuse, mais bien une foi spirituelle. La tradition nous dit qu'au commencement, les hommes n'avaient pas de religion, ils n'en avaient pas besoin,  car ils étaient reliés directement aux lois de l'univers. Et puis, ils s'en sont détachés. Légende adamique…
Le détachement de l'homme est sans doute en lien avec sa belle intelligence "incapable de savoir  absolument et  d'ignorer, certainement[2]". L'intellectualisation nous éloigne du Principe, elle nous installe inévitablement à distance de l'intuition, processus vivant, ancien et fondamental qui permet de contempler ce qui n'est pas et qui ne peut se dire avec de la pensée cursive, avec des mots. L'intelligence est toute parole… l'intuition prend son envol dans le silence vibrant de la contemplation.  L'intellectualisation est un processus de durée[3] ; L'intuition n'existe que dans le surgissement d'un présent principiel, suspendue entre deux néant : ce qui vient de passer et qui n'est plus et ce qui pourrait advenir et n'est pas encore[4]. Et pour être plus précis, je me dois de souligner au passage la place de l'acte d'attention, c'est à dire de l'intention,  dans l'expérience  que nous pouvons avoir de l'instant. L'univers n'a pas besoin de mots pour être. Il Est ! Les mots des hommes n'embrasseront jamais l'univers, le tout. Ils n'en recouvrent qu'une infime et déraisonnable partie. Avec cette parcelle d'univers, on ne peut connaître le tout, juste un angle (même si la physique peut démontrer le contraire).  L'intelligence, affinant, au fur et à mesure de son évolution, les différents types de langage, philosophiques, techniques, scientifiques, a repoussé l'intuition et la foi. Vide de foi, et toujours en dehors du silence, une sentimentalité a fait son nid dans la place laissée vacante. Je ne parle pas d'émotion, mais bien de sentimentalité. Nous pouvons même lui donner un nom, le désir. Dans nos Loges, nous l'évoquons davantage sous le vocable de "métaux". Ses métaux, son désir ont fortifié un Ego tout entier éperdu dans la satisfaction de lui-même. Le renoncement et l'abandon ne sont plus de mise. Comment revenir au Principe sans l'abandon de soi dans le Tout, c'est à dire sans le détachement ? Rendu handicapé intuitionnel, véritablement estropié par l'émergence de ses désirs, trop pesant du poids de ses métaux,  l'homme a perdu la capacité à s'émerveiller. Il a égaré la possibilité de s'émouvoir d'une émotion vraie,  pleine et belle, de la foi dans le Mystère. Ainsi fourvoyé, il ne sait plus (re) connaitre le Verbe et s'en réjouir. Et quand celui-ci est présent, l'homme ne le distingue ni ne l'entend. Aveugle et sourd à son appel. Il a perdu son essence. Pas d'expansion hors du Principe, pas de promesse du Principe en dehors du silence de soi. L'homme social n'a pas su, n'a pas pu faire silence. Le combat entre nature et culture, a révélé la part métallique. L'homme ferme donc la porte.
 L'intelligence, l'intellectualisation, est sans doute le péril qui menace le plus l'humanité, en lui faisant refouler sa part de spiritualité.
Nous pouvons également réfléchir le sens de la proposition de Jean à partir des cycles du Manvarata de la tradition hindouiste. Guénon nous dit qu'ils sont 4, et que l'un succède au précédent dès que celui-ci se fane. Notre cycle serait le Kali Yuga, l'âge de fer, que l'on peut aussi traduire par âge sombre. C'est à dire un âge durant lequel les hommes sont le plus éloignés de la Lumière,  du Verbe qui l'a initié. Durant cette période règne la plus grande confusion. Le monde et ses règles sont devenus confus. Buts et moyens ont changé leurs places. On ne sait plus qui est qui, qui fait quoi. L'individu n'a plus de place, n'a plus sa place. Les places se font et se défont au gré d'une lutte des places qui n'a plus rien à voir avec les anciennes traditions dans lesquelles l'on recevait l'initiation  selon, justement, sa place : sacerdotale, guerrière ou artisanale. La confusion a fondu les castes, a confondu les places…
 
 Que faire alors du poids de nos métaux, parce que, finalement, même libres et de bonnes mœurs,  nous ne sommes "que" des hommes. Si le langage est métal, ne s'oppose t'il pas au silence de la contemplation ? Silence qui relie comme le gué d'une rivière le monde manifesté, notre charnelle condition et l'Autre Rive, celle qui baigne dans la Lumière du Fiat Lux intemporel. Silence vertigineux qui uni les deux rives au delà d'une dualité puisqu'il intègre en ternaire la Connaissance. L'éternité du silence et le temps de la parole peuvent-ils s'unir, s'offrir en noces l'un à l'autre ?
 Je n'en sais rien, Mes Frères. Je cherche. La réponse ne peut être binaire. Trop simpliste. Elle ne peut pas non plus être pensée et relever d'une démonstration intellectuelle et d'une décision de type pharisiannique. Alors je me laisse vagabonder. Je n'ai pas la réponse. Et je ne crois pas qu'elle soit de si grande importance. On ne peut répondre que par qui l'on est… Savoir qui l'on est se défini, au delà des mots, par la rencontre avec l'alter.

"Il est venu parmi les siens, et les siens ne l'ont pas reçu".
Le message pourrait donc paraître parfaitement pessimiste, mais restons humbles Mes F\, "Rien ne meurt, tout est vivant[5]". Peut-être est-ce aussi cela, le Mystère de l'Initiation ! Et en guise de conclusion, et en même temps d'ouverture, pour accompagner ce qui serait alors une Noce Divine, je vous invite Mes Frères, avec un respect infini,  à laisser vagabonder votre méditation autour de cette lumineuse proposition de LEVINAS
"Le regard de l'autre, c'est le chemin de Dieu".

J'ai dit V\ M\

J\M\ F\ 



[1] Evangile apocryphe Pseudo-Mathieu, environ 550 après JC
[2] Pascal, Les pensées
[3] Voir les travaux de Bergson sur la question, en particulier : Essai sur les données immédiates de la conscience
[4] Lire à ce sujet Gaston Bachelard. L'intuition de l'instant. Livre de poche)
[5] Rituel Funèbre REAA. Parole d'Espérance.

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