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Loge : Amon-Ra - Orient de Montpellier

Date : NC


La Porte Basse

« Courbez-vous, cette porte est très basse ». Cette phrase, je l’ai entendu prononcée par la sœur «expert» qui me guidait pour mon initiation.

Je suis donc entré courbé dans le temple, c’était d’une certaine façon un second passage sous le bandeau, mais cette fois, avec la promesse du passage du monde profane à la lumière.

La porte est basse, nous fait-elle nous courber en signe d’humilité, c’est peut-être le sens recherché ? Elle est basse et donc difficile à franchir, c’est peut-être aussi une autre volonté de marquer le début d’un parcours d’initiation semé d’obstacles dont l’étroitesse de l’entrée est le premier.

En se courbant le futur  initié vient de vivre l'épreuve de la Terre. Il lui est rappelé qu'il en est le fils (il en vient et y retournera). Et à ce fils de la Terre (HUMUS en latin) il est demandé de montrer de l'humilité par son inclination.

Le néophyte entend « courbez-vous, cette porte est très basse ». Hésitera-t-il ? Peut-il douter que l'entre-deux par lequel il doit passer pour franchir le seuil ne soit pas ce qu'on lui dit ? Depuis son obscurité, le récipiendaire fait confiance à la parole de la lumière. Alors il se baisse, par acceptation que la porte soit basse ; en réalité ou symboliquement.

C'est se baisser, non pour se faire petit, mais pour faire confiance à l'autre; pour laisser place à la parole d'un autre qui sait mieux, qui guide, qui indique, qui dit. C'est l'humilitas selon Spinoza qui donne la mesure de la prise en considération de sa puissance d'agir et non la micropsuchia d'Aristote qui s'apparente à la bassesse ou à la petitesse.

C'est une forme d'humilité très différente de la négation de soi. C'est avoir la capacité d'une grande qualité de présence dans laquelle rien n'est exagéré ou clinquant. C'est une attitude délicate et respectueuse dans laquelle on n'a pas besoin de prouver qu'on existe. Cela génère du confort pour l'entourage.

En se baissant le futur maçon rend sensible sa confiance sous forme d'un acte qui n'est pas obéissance, mais entendement et compréhension. Il se met en relation avec une forme de monde qui l'environne ; il s'y adapte, il tient compte de ce qui lui est extérieur en se modifiant pour se conformer à une unité harmonique.

L'humilité est ainsi une conscience extrême de ses limites.

Je suis trop grand pour une porte plus basse que moi, ce n'est pas la porte que j'agrandis, car je ne le peux, c'est moi que je diminue pour me placer avec juste mesure dans l'espace que je traverse. Ainsi l'humilité vécue par le profane n'est pas une humiliation. C'est une épreuve de savoir-faire par une réponse de réalité adaptée à une parole qui ne commande pas mais recommande. Baissez-vous, la porte est basse et si je me baisse pour passer, il y a alors une relation de qualité, de sujet à sujet, qui échangent des informations constructives. Il est indiqué que la porte est basse. Une raison est donnée qui explique pourquoi il faut se baisser, il s'agit de pouvoir passer sans se faire mal.

Et le récipiendaire qui vient juste de se baisser, pour toucher la terre, se protège en s'approchant de l'humus et se présente ainsi dans une position fœtale pour aller vers sa renaissance. Baissez-vous, c’est comme l’invitation à naître, à se baisser pour vivre debout ; baissez-vous cela s’entend, en ce temps initial, comme une indication du moment à renaître. Allez maintenant, sortez de la matrice obscure pour pénétrer dans la loge-mère. Franchissez cette limite au-delà de laquelle il y a votre devenir franc-maçon.

En se baissant, c’est par un changement de position que le profane passe d’une attitude rigide et droite à une autre position dans son mental. Il s’ouvre en laissant place en lui à sa renaissance. La porte basse est à vivre comme une difficulté de l’accès à un autre soi-même, comme nécessité d’une modification du récipiendaire pour parvenir à l’initiation. La porte est basse pour être le lieu de passage d’une arrivée de plus d’être qui, de ce fait, va participer de l’autre côté à la transformation du monde.

La porte basse marque l’espérance de cette possibilité d’accès à une réalité supérieure. Les rites maçonniques placent au commencement de l’initiation une recommandation, celle de l’humilité qui de ce fait apparaît comme fondamentale et fondatrice du rapport entre Sœurs et Frères. La fraternité c’est avant tout de l’humilité en ce sens qu’elle fait place à l’autre dans un relatif renoncement de la dilatation naturelle de l’ego au profit de la réalité de l’autre : Humilité, synergie de Tolérance. Par l’humilité, c’est à dire en se retirant de soi pour s’ouvrir aux autres, la tolérance se dynamise. La porte basse est donc l’accès à une naissance pour une nouvelle vie, c’est un développement sur lequel je reviendrai plus loin.

Dans mes recherches pour préparer ce texte, j’ai beaucoup rencontré d’assimilations entre une porte basse et une porte étroite. Il est vrai que dans un monde profane, une porte demeure un élément familier. La symbolique qui s’attache à celle-ci, basse ou étroite, demeure particulière pour un nouvel initié, par sa situation vers le couchant (ou l’occident), s’ouvrant sur les colonnes d’airain et faisant face à une honorable assemblée dont je ne connaissais rien au jour de mon initiation.

Édouard Plantagenet, abondamment cité par Boucher, parle de « porte étroite et basse » autant que de « porte d’Occident » (Causeries en Loge d’Apprentis, 1929), sans aucune connotation d’abaissement.

En revanche, ces deux frères nous donnent des clefs symboliques de la porte basse. « La Porte du Temple est désignée sous le nom de Porte d’Occident, ce qui doit nous faire souvenir que c’est à son seuil que le Soleil se couche, c’est-à-dire que la Lumière s’éteint. Au-delà règnent donc les ténèbres, par conséquent le monde profane » (Plantagenet, 1929, p.108 ; Boucher, 1948, p. 182).

« Le profane est toujours censé ne pouvoir pénétrer dans le Temple qu’en passant par une porte étroite et basse qu’il ne peut franchir sans se baisser. Ce geste peut lui rappeler que mort à la vie profane, il renaît à une vie nouvelle à laquelle il accède d’une manière semblable à celle de l’enfant venant au monde ». (Plantagenet, 1929, pp. 52 et sq. ; Boucher, 1948, p. 182).

La porte du Temple protège : le monde sacré est à l’abri du monde profane. Elle marque la limite entre ces deux mondes. Elle peut-être considérée comme basse pour ne pas voir facilement les secrets qu’elle abrite s’échapper.

Si l’initiation passe par une « entrée », il est tout à fait normal de penser que la porte revêt une grande importance dans la symbolique.

De même, par extension il est possible de se représenter le temple même, comme une porte entre le ciel et la terre par laquelle on pénètre dans le mystère et qui ouvre sur une infinité d'autres portes. En effet dans nombres de rituels les mutations vécues sur le chemin initiatique sont des passages de porte (cf : les douze portes de la nuit qui nous sont maintenant familières grâce à notre « porteur d'eau »).

L'abaissement pour passer sous cette porte symbolise aussi toute la démarche d'introspection qui venait d'être menée précédemment au sein du cabinet de réflexion, la descente dans son moi profond et une fois passer on se relève, ce geste symbolise la renaissance, à l'image du phœnix, qui renait meilleur qu'il n'était avant.

Mais revenons à la naissance ou renaissance si l'on considère que naître à la vie maçonnique est naître à une nouvelle vie.

La porte basse représente ainsi symboliquement la voie naturelle par laquelle nait tout enfant et ainsi les jambes de sa mère figurent les deux colonnes qui marquent l’entrée vers une nouvelle vie. Ainsi à l'image des deux obélisques qui étaient présents à l'entrée des pyramides, qui étaient considérés par certains comme étant les cuisses de Nout - la déesse-ciel - qui sont souvent assimilés à deux colonnes. Passer entre les deux obélisques - ou les deux colonnes, comme on voudra - c'est pénétrer dans une nouvelle vie.

Dès lors le passage par une porte basse ne symbolise plus l'humilité qui est imposée aux apprentis, dont le silence est exigé, mais le terme d'une gestation; Ces neuf mois qui vont du dépôt de la candidature à l'initiation.

Cette porte, le profane promis à l’initiation que j’étais, l’a cherchée ; J’ai dû, pour cela, effectuer une démarche, m’engager sur un bout de chemin avec la volonté de changer et de progresser, de me transcender, à la recherche de la Vérité... « Et nous avons entendu, tout au fond de nous-mêmes « frappe et on t’ouvrira». Alors, j'ai frappé ; alors, la porte s’est ouverte avec fracas ; alors, j'ai franchi cette porte basse, tellement basse que nous avons été obligés de nous courber jusqu’à terre ».

Et après cela…

Je ne me suis pas reconnu comme plus humble ou trop grand parce que je me suis courbé pour franchir la porte de mon initiation. Ou alors la seule humilité dont je peux convenir est celle de ma méconnaissance des mystères que je voulais pouvoir découvrir.

En revanche, j’analyse bien ce passage comme la reconnaissance d’une naissance à une vie nouvelle dans laquelle je vais devoir tout apprendre et recevoir de mes ainés assemblés ici ou par delà ce temple et qui forme la grande famille des maçons à laquelle j’ai voulu appartenir.

Toutefois cette naissance reste fort différente d’un enfantement profane car une mère et un père choisissent d’avoir un enfant mais ne choisissent pas l’enfant. Ici mes Sœurs et Frères, c’est vous qui avez choisis de m’avoir parmi vous. Cette démarche était la vôtre, nul ne vous y a obligé !

A votre tour de vous montrer humble en acceptant de partager vos connaissances, en acceptant de guider celle ou celui qui voilà peu de temps s'est courbé bas.

De vous  toutes et tous, j'attends un enseignement !

J’ai dit, Vénérable Maître

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