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Portes de Cornes portes d’Ivoires

Je vous invite à vous replacer quelques instants avec moi devant une porte… choisissons en une et  essayons quelques clés, nous verrons bien si elles tracent un chemin ou une impasse, et quelles questions surgissent.

- la première clé sera celle du désir, au commencement ;
- la seconde nous parlera de ruptures, et  de dieux, au pluriel ;
- la 3me posera  la question de l’étude des symboles, des langues mortes et des langues vivantes
enfin j’espère que la 4eme clé, après tous ces  errements, nous ouvrira la porte de corne et nous reconduira chez nous, parmi les hommes, à moins que nous ne soyons condamnés à errer de mystère en mystère, le retour devenu impossible, simplement par ce que  nous ne le désirons plus.

I Première clé : au commencement  le désir

Avant -Avant de franchir la porte  basse, avant le premier coup, frappé en profane,  dans l’espace indifférencié du dehors  que je n’appelle pas ténèbres, et du désir qui m’a amené ici..
Pourquoi demander à entrer en maçonnerie ?    Par filiation envers nos pères déjà maçons, par fidélité ou admiration envers des frères, par gout du mystère, par transgression telle l’épouse de Barbe bleue qui s’ennuyait un peu dans son château vide ?
 Un jour Quelqu’un nous a tendu une clé, et invité à entrer.
C’est un moment plein d’attentes floues et de vagues promesses : la maçonnerie correspond à  une possibilité de réponse à quelque question pas vraiment formulée... Est-ce à dire que les raisons qui nous ont amené à frapper à cette porte, ne sont pas les mêmes que celles qui nous amènent à rester…  et si c’étaient les mêmes, cela voudrait il  dire que n’avons pas trouvé de réponse ?  Bon, on m’avait bien dit que la maçonnerie n’était pas une réponse, mais une méthode… mais alors, quelle était la question ? 

ù La porte, le seuil, parle d’abord de désir, et d’action : c’est le commencement de toutes les bonnes histoires. A ceci près que celle-ci commence les yeux bandés, et dans l’obscurité !

Il ne me sera pas donné de passer le seuil en une seule fois …
 le temps s’écoule, celui des enquêtes : c’est à moi d’abord d’ouvrir la porte de mon intimité à des inconnus.. L’attente s’éternise et attise ma curiosité,  jusqu’au Jour J…la première porte est lourde et menaçante, bardée de serrures elle émet des bruits fracassants, qu’accentue ma cécité. Quel accueil ! je serai plusieurs fois  reconduite sur le seuil, puis mon guide  me fera passer  une porte basse, si basse.. Tous mes sens sont en alerte, je suis bousculée, malmenée, on me force à boire des breuvages non identifiés et à dire des serments qui flirtent avec le danger.  Mon désir m’a poussé à me mettre en danger...
Enfin, musique, lumière, sourires, accolades …

ù  L’histoire se développe ensuite de toutes les manières possibles ;  après une  première phase d’éblouissement je suis  renvoyée au silence de l’apprenti, à l’exigence de  travail  personnel et collectif, et aux autres frères et sœurs de l’atelier… certains décideront de repasser la porte dans l’autre sens. A rebours,  le chapitre  se referme..c’était une porte à double sens.. nous n’aurons plus l’occasion d’appeler frère ou sœur quelqu’un qui l’était devenu…personnellement je ne sors pas indemne de ces départs… il y a là comme une défaite, un appauvrissement … dans quelle mesure  ce qu’ils n’ont pas trouvé invalide t’il ma démarche, ou l’impacte au contraire d’une manière à  me repositionner, à  reconfirmer mon  propre engagement…de la même manière que je revis  ma propre initiation lors de chaque initiation, le départ d’un maillon de la loge, fait vaciller au moins un instant  ma flamme maçonnique.

…c’est l’occasion de toucher du doigt  la pertinence de notre choix, la profondeur  de notre engagement, les gains, les pertes, et le prix, si prix il y a…

II 2nde clé, la porte sépare et annonce

Ensuite, la porte  se referme, gardée par  le couvreur, armé s’il vous plait…  et un changement de nature s’opère dans le temps et dans l’espace : entre les colonnes, chacun prend place, 3 lumières éclairent  ce que nous décidons d’appeler le temple.
Pour y avoir accès il faut montrer patte blanche, je veux dire gants blancs, et il existe un tuilage,  des mots magiques.  Comme dans les contes pour enfants : sésame, ouvre-toi. Je me soumets au jeu et m’ouvre à une autre dimension. Mon esprit, mais aussi mon corps en entier y participent : la posture, la parole, la circulation…

ù  La porte sépare d’abord l’espace, intramuros, et extramuros. Je passe le seuil et vais de l’horizon au vase clos, de la foule à la communauté ou à la famille…je passe le seuil dans l’autre sens et quitte l’espace fermé pour l’horizon, je deviens étranger à ce qui m’était familier…

Une étude statistiques des images montre que la porte véhicule  en elle 2 aspirations contraires qui se matérialisent dans chacun des cotés entrée/ sortir : d’une part l’incorporation, la rencontre, et d’autre part  l’échappée, l’évasion….elle comporte simultanément l’idée de protection et de danger. C’est  à à la fois un lieu d’arrivée et de départ….nous sommes dans  une dynamique à double sens, qui englobe une dimension spatiale, et temporelle : ce que je laisse de l’autre coté de la porte, mon passé, et la quête qui me pousse vers l’avenir…

Les débuts de la  démarche maçonnique oscilleront  sans cesse entre ce double mouvement : l’invitation à entrer en moi et celle à connaitre, visiter, exprimer, sortir de moi… 

ù L’architecture de toutes les civilisations nous le rappelle, il suffit de contempler les portes des grands monuments sacrés, la porte remplit une fonction annonciatrice

 Les tympans des cathédrales  sont décorés de bas reliefs annonçant  un thème majeur du christianisme, le jugement dernier, ou la glorification de Marie ( notre Dame de Paris), dite elle-même porte du Christ…

La grande porte  des églises peut en comporter une plus petite et selon les périodes liturgiques de l’année, les battants seront ouverts ou fermés 
 
Les portes du temple de Janus s’ouvrent ou se ferment et annoncent la guerre ou la paix.

Quant aux  7 ( fausses)  portes figurant sur certaines tombes  du site de  KARNAK en Egypte, elles  font écho aux  7 chakras avec l’ouverture du 7eme sur le divin.. ici l’on accède  du vivant au mort,  du monde terrestre au monde céleste, du corps au cosmique.

ù Le dénominateur commun de ces portes est d’annoncer quelque chose que nos yeux ne sont pas capables de voir.. Il y a à la fois rupture de l’espace et invitation à la transcendance. La porte contient une dimension «  épiphanique » au sens ou elle renvoie toujours à du non perceptible… ce ci  étant infiniment  plus précieux  et désirable que ce que nous voyons : selon les hommes qui l’invoquent et les époques, cela s’appellera lumière, transmutation, vie après la vie, accès à la Connaissance….

« Derrière toutes les portes fermées, Dieu se tient », ce n’est pas d’un grand mystique, mais d’André Gide dans les Nourritures Terrestres.

Quant au maçon, après avoir franchi la 1ere porte matérialisée par le bruit des chaines, il lui faudra passer la porte basse. . un emprunt peut être à la porte étroite dont fait mention l’évangile de Mathieu, invitation à l’humilité : je dois me  RECROQUEVILLER POUR RENAITRE… les yeux fermés… « BAISSEZ VOUS ENCORE répète  le Grand Expert, cette porte est vraiment très basse »…
 Le corps doit ressentir une contrainte pour permettre à l’esprit de passer d’un monde matériel au monde spirituel.

L’annonce précède l’arrivée, la  croyance précède la révélation, contempler la porte et la franchir y participe.

Il n’est pas nécessaire de percevoir  la porte basse pour la faire exister : nous entrons dans une dimension symbolique.
Comme est non perceptible le retour de la Lumière célébré lors de la Saint Jean d’hiver, appelée aussi porte solsticiale ; ces 2 portes, dites portes des dieux et portes des hommes rythment  l’année rituelle des Maçons du monde entier.

III 3me clé, changement de dimension, les symboles ré enchantent ils le monde.

La 3me clé nous invite par l’étude des symboles à revisiter le monde, en changeant de dimension et d’orientation.

Ce qui amène la remarque suivante : une fois la porte franchie, ce chemin là choisi, …  au bout d’un certain temps, les autres s’effacent … bien sur cela est vrai pareillement de  beaucoup de choix que nous faisons dans la vie, le choix d’un métier, d’un endroit où vivre.. qu’en eut’ il été de nous, notre vie et notre vision du monde si nous avions choisi autre chose ? se joue ici  quelque chose d’irréversible, l’identité s’agrège différemment, la carte du monde change..  D’autant plus que cette démarche là, initiatique et rituelle,  est faite en conscience, et qu’elle n’a d’autre finalité qu’elle-même, je veux dire par là qu’elle ne se situe pas dans le champ du nécessaire, du profitable, qui règle l’essentiel de la  vie en société.

Donc à  un moment donné,  on se rend compte que l’on est franc  maçon parce qu’on appréhende le monde (chacun  différemment  heureusement !) d’une façon «  maçonnique » , sans  effort, presque de manière aussi naturelle que l’on parle une langue maternelle. 
L’expérience est incommunicable à un profane, et d’ailleurs nous promettons le secret.

L’étude des symboles est une des méthodes clés par lequel s’opère ces changements… ces séances de travail orchestrées autour d’un symbole du degré choisi : le nombre 3, le pavé mosaïque etc sont des sortes d’odes à la polysémie  et parfois polyphonie : les égyptiens, le moyen âge, l’héritage judéo chrétien,  l’apport des sciences dures et molles..etc… toutes les références y passent… pas de dogme ni de vérité révélée..

ù La référence à une multitude de valeurs est elle un gain, gage de l’abandon de nos métaux, de notre ouverture d’esprit…ou un affadissement, où finalement tout serait équivalent,  hyper saturé de significations ?  L’approche symbolique  enchante le monde, d’une certaine manière en relisant et reliant toutes les significations, au travers des époques et des mythes fondateurs…  et en même temps….Puis je sans danger  affirmer que je suis dans une loge de Saint Jean, moi qui dis que je crois que Saint Jean Baptiste est la voix qui prêche dans le désert, et celui qui baptisera Jésus ?   par exemple,  l’incorporation des références judéo chrétiennes  ne ravale t’il  pas au rang de langue morte ce qui pour moi est une langue vivante ? …est ce que je gagne en lucidité, et au profit de quoi ?

Ces interrogations me mettent en position de doute, ce même danger que j’ai ressenti en buvant des breuvages inconnus les yeux bandés, et en franchissant une porte basse, prêtant serment sur un texte que je n’avais pas lu… franchir la porte n’est pas sans conséquence..

ù  une des réponses, serait à  considérer l’étude des symboles comme une interrogation qui va du particulier  à l’universel,  laissant chacun libre de l’interprétation, au sens ou un musicien interprète une partition. Ainsi traverse t’on les possibles et le symbole atteint simultanément l’universel et l’intime.
 Tagore l’exprime dans un de ses poèmes

"Le voyageur doit frapper à toutes les portes avant de parvenir à la sienne ; il faut avoir erré à travers tous les mondes extérieurs pour atteindre enfin au tabernacle intime "

ù  une autre réponse est que s’affronte ici une recherche de sens  qui met en déroute toutes mes certitudes et l’aspiration à la Vérité avec un grand V…
me vient alors à l’esprit la réponse de
Pénélope à  Ulysse dans le livre XIX de l’ODYSSEE « Étranger, les songes sont impénétrables, difficiles à expliquer, et ils n'accordent pas aux humains tout ce qu'ils leur promettent. Deux portes s'ouvrent aux songes légers : l'une est de corne, l'autre d'ivoire ; ceux qui traversent la porte d'ivoire sont des songes trompeurs apportant aux mortels des paroles qui ne s'accompliront jamais ; ceux, au contraire, qui annoncent la vérité, viennent par la porte de corne. » 

Mais,  comment reconnaitre dans les pas de ma démarche, fussent ils spéculatifs, ceux qui ouvrent un chemin de ceux qui mènent à une impasse ??

IV le retour est impossible

Je me souviens de mon interrogatoire, les yeux bandés, et d’une  question : «  Madame, qui est votre prochain ? »…

La réponse  n’est pas religieuse ni contingente, elle est  géographique, et étymologique, mon prochain, c’est celui qui est à coté de moi… 

C’est alors peut être la mesure qui me permettra de distinguer la porte de corne de la porte d’ivoire, celle qui me rapproche de l’autre, et me fait le considérer comme mon prochain, que je l’appelle frère et sœur ou non.
 Est-ce un hasard si , ayant  franchi bien des portes depuis mon entrée en maçonnerie… je n’ai jamais entendu parler de clé… la clé, qui m’ouvrit la porte ce fut toujours l’autre, dans sa fonction rituelle ou non… 

Dans la tradition des bâtisseurs,  un temple est une porte s’ouvrant sur un mystère ;
La démarche maçonnique conduit d’interrogation en interrogation à ouvrir une infinité d’autres portes et à rencontrer des frères et sœurs aspirant à œuvrer au progrès de l’humanité. Toutes les mutations vécues sur le chemin initiatique peuvent être considérées comme des passages de portes, et chacune d’elle fait percevoir un aspect de la porte unique, dixit François Figeac, «  celle du cœur du Temple, qu’en architecture ou désigne sous le nom de naos. » cette porte là donne naissance à toutes les autres portes du temple et seul peut l’ouvrir un être remplissant une fonction  rituelle.

Le mystère lui-même n’est dévoilé que graduellement, et le maçon devient lui-même une colonne vivante, parmi les autres colonnes, qui soutiennent le temple et encadrent la succession des portes. 

Ces portes là sont, pour reprendre l’expression de F Figeac, « hermétiquement ouvertes » : on ne les voit et n’y accède qu’en fonction de son degré d’éveil, de la connaissance des mots sacrés,  qui seront prononcés aux moments rituels. C’est cet espoir qui me fait rester pour voir la suite.

J’ai dit

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\ L\

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