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La Porte Basse

 
La porte basse parait être un symbole à la signification évidente. Sa réalité, (le geste d'humilité imposé au profane qui entre en loge), est immédiatement reliable à sa symbolique, passage, entrée dans un monde nouveau, geste de respect et d'allégeance à l'ordre que l'on se dispose à intégrer et aux rites auxquels on se prépare à se soumettre.

La réalité est si proche de la symbolique qu'elle semble ne pouvoir faire l'objet que d'une description, et non pas d'un commentaire. En fait, la porte basse est plus proche d'un rite que d'un symbole, tant il est vrai que le symbole n'est réellement tel que s'il est distinct du concept symbolisé: le soleil ne peut être symbole de la lumière, puisque il est la lumière. La faux, elle, peut être le symbole de la mort, elle n'est pas la mort.

La porte basse apparaît donc simple et compréhensible. Trop simple.
Physiquement, elle est une contrainte matérielle qui oblige le postulant à se courber très bas pour entrer en loge. Spirituellement, elle contraint le postulant à montrer par un geste d'usage universel et antique (se rabaisser devant son vis à vis), qu'il est humble, modeste, respectueux, soumis par avance à ceux qui l'accueillent.
Cette immédiateté apparente de la porte basse masque en réalité de multiples questions qui apparaissent presque graves. Ces questions découlent de l'observation objective suivante:

La Porte Basse, hormis son nom, n'est en aucun cas une spécificité maçonnique. Elle possède de très nombreux avatars (manifestations) qui se rencontrent dans toute l'histoire et dans tous les pays.
* La génuflexion devant l'autel catholique et d'une manière générale, le ploiement d'un ou des deux genoux devant la représentation divine sont une constante quasi-universelle de la pratique des religions.
* La révérence devant le chef, l'inclinaison devant le suzerain, le baisemain, l'expression faire des courbettes, la prosternation, la supplique à genoux devant le trône du souverain, sont les équivalents sociaux et politiques de la génuflexion religieuse.
En prenant le point de vue linguistique, on constate rapidement que: se soumettre signifie se mettre dessous. Révérer implique la révérence.

Ce sont autant de manifestations d'importances inégales d'une même réalité: Pour marquer le respect, ou la soumission, ou l'allégeance, bref pour concrétiser l'existence d'un rapport d'acceptation de l'Autorité, l'être humain adopte une attitude spécifique et universelle qui le conduit à rabaisser ses yeux en dessous de la hauteur normale, et à contraindre son corps à un effort de repliement vers le bas.

Jusque là, rien que d'évident et de descriptif dans l'analyse. Rien que de très naturel, ou en tout cas, que de très habituel, puisque tous, dès l'enfance, nous marquons la contrition en baissant la tête vers le sol. Nous sommes accoutumés à ce geste de manière quasi instinctive, et comme toujours dans ces cas là, la remise en cause de cette attitude demande un effort considérable. Lorsque on agit d'une certaine manière, lorsque tous agissent de la même manière, lorsqu'il en a toujours et partout été ainsi, on peut valablement se demander s'il est réellement utile de remettre en cause cette manière d'agir, s'il est réellement utile de rejustifier ce qui est juste de manière évidente.
Et pourtant. Où donc ailleurs qu'en loge pourra t'on aller soulever le couvercle plombé des habitudes évidentes, pour les examiner, les critiquer, et éventuellement les considérer comme justes et bonnes ?

Aucun rite, aucune habitude, aucune règle, aucun système ne peut se justifier par la simple constatation du fait qu'il en a toujours été ainsi. Un tel système de pensée s'appelle obscurantisme, qui recèle le radical obscur, qui est bien loin de la lumière.
Ceci posé, et pour en revenir à la Porte Basse, une fois constaté que ce rite dans son aspect spécifiquement maçonnique, s'intègre beaucoup plus généralement dans le rite humain de la soumission à l'autorité, il semble possible, juste une fois, afin de pratiquer ce rite avec sérénité, de poser la question suivante:

Si l'être humain est l'entité libre que nous pensons, responsable de ses actes devant ses pareils, ne tenant sa légitimité d'individu libre d'aucun autre que de lui même, par quelle perversion épouvantable cet être humain peut il être amené à ployer le genoux devant l'un ou plusieurs de ses égaux?

Autrement dit, (et en recherchant clairement la provocation), le symbole sympathique de la porte basse n'est il pas l'un de ces multiples rites scandaleux, l'une de ses habitudes anciennes et tristement humaines, enfin, n'est il pas l'un de ces vices profanes qui sans cesse et sous des légitimités toutes plus diverses, fumeuses ou élaborées les unes que les autres, n'ont en fait qu'un seul but: s'assurer la domination d'un fort sur un faible, d'un ancien sur un jeune, d'un riche sur un pauvre, d'un puissant sur un quémandeur, bref, de l'autorité installée sur la jeune revendication ?

Bien sûr, je tente ici une provocation. Comment ! Un rite maçonnique, pratiqué à l'entrée d'une Loge, Temple des libertés et de la lumière, rassemblant des hommes libres et de bonnes mœurs, ne serait qu'un bras séculier de plus, qu'un outil pervers de plus servant à DEMONTRER l'humble vulnérabilité d'un postulant en situation de faiblesse, face à des maîtres ironiques et installés !

Allez, rassurez vous, il s'agit de provocation...voire. La cause n'est pas si simple et innocente. Car voyez vous, j'ai tendance à poser en hypothèse que la cause n'est JAMAIS innocente lorsque un être humain pose le genoux à terre devant un autre être humain. Il faut refuser de le prendre à la légère au motif que c'est une habitude ancienne, justifiée par des habitudes et des traditions. Non! nul ne pose le genoux à terre sans se demander pourquoi, afin de ne le faire qu'après avoir obtenu une réponse satisfaisante. Soit, on voudra bien admettre que, peut être, ailleurs, dans certain cas, ce rituel est justifié et ne recèle pas de tentations perverses. Mais tout de même, en étant objectif, lucide, en se dés-étouffant l'esprit du poids des habitudes admises, on ne peut que regarder a priori un tel acte avec au moins... un maximum de suspicion!.
Quoi! Par le passé, on est allé expliquer à des peuples aveuglés que des dictateurs-césars-empereurs étaient des Dieux vivants devant lesquels il fallait se prosterner. Vous allez rire.. ils l'ont cru, ils se sont prosternés.

Par le passé on est allé expliquer à des pauvres gens affamés qu'une classe spéciale d'êtres humains étaient plus humains que les autres. On leur a dit: « Ce sont des Nobles, ils sont biens nés, ils valent plus que vous quoi qu'ils fassent mal, quoi que vous fassiez bien, vous leurs devez la révérence et le respect ». On leur a dit ça. Vous allez rire...ils l'ont cru, dix siècles durant ils les ont révérés et respectés, ils ont ployé le genou devant eux. Parce que c'était le rite, la tradition, et qu'il en avait toujours été ainsi.
Par le passé, on est allé expliquer à des esclaves que, parce qu'ils étaient fils d'esclaves, ils devaient obéir à ceux qui étaient fils d'hommes libres. Qu'ils leurs appartenaient. Et ils obéissaient.

On est allé expliquer à Galilée qu'il avait tort et on lui a demandé de ployer le genou et de dire j'ai tort, la terre ne tourne pas.
Dites moi! Cela fait combien de genoux ployés depuis des millénaires ? Combien ? Au nom de grandes et belles choses, mais aussi au nom des intérêts les plus bas. Au nom de principes sacrés et au nom de croyances abrutissantes. Non, vraiment ! Le passé ne parle pas en faveur du ploiement de genoux. Ce geste traîne derrière lui un cortège puant d'abus, tout rutilant de justifications traditionnelles et de bons sentiments. On dit à l'Homme : ceci est sacré! Incline toi!... et on le fait s'incliner, non pas devant le sacré, mais devant un autre homme qui prétend représenter ce sacré. Combien de genoux ployés sur cet abus de confiance?

Alors permettez moi la méfiance! Lorsque un rite, une habitude, une pratique, une procédure, stipule qu'on doit plier le genoux, permettez qu'on s'interroge...ce n'est pas mauvaise volonté, n'est ce pas, on est tout disposé à faire ce qu'il faut, n'est ce pas. Mais, si l'on porte en soi un vieux relent de mémoire de l'humanité, si le passé a servi à quelque chose, le meilleur hommage que l'on puisse rendre à ces quelques milliards de gens qui se sont fait manipuler et sont morts sans même savoir qu'ils s'étaient faits berner, c'est tout de même de se méfier un peu.
Méfions nous un instant ensemble.
Au passage de la Porte Etroite et Basse, le profane est symboliquement contraint de s'incliner afin d'accéder à un lieu de lumière et de vérité, séparé par ce moyen de l'extérieur.
Peut être pourrait on dire qu'il ne s'incline pas devant des hommes, mais devant la lumière et la vérité elles mêmes, toutes deux suffisamment sacrées pour que le geste d'humilité soit justifié?

En me soumettant au rite de la Porte Basse, j'ai considéré que le postulant s'impose volontairement l'épreuve, car il sait que l'accès à la connaissance passe absolument par la reconnaissance du fait qu'« on ne sait pas ». L'accès à la connaissance, (donc: apprendre, faire un apprentissage, revendiquer le statut d'apprenti...) est donc fondamentalement et dès l'origine un acte d'humilité (c'est humblement que je reconnais ne rien savoir).

De ce point de vue, le passage de la Porte Basse n'est plus un acte de révérence adressé à d'autres hommes, ni supérieurs, ni différents, mais une épreuve librement imposée, librement acceptée, visant à démontrer la capacité du postulant à devenir un réceptacle de savoir: à devenir un apprenti. En bref, de même que le sportif va faire jouer ses muscles avant l'épreuve, afin d'en vérifier le fonctionnement, de même le candidat à l'apprentissage va vérifier qu'il est capable de se positionner en situation d'apprendre, donc en situation d'humilité face au savoir. Avant d'aller écouter l'enseignant, il vaut mieux vérifier que l'on a des oreilles pour l'entendre. Hors la présomption de connaissance (et la présomption tout court) est le meilleur obstacle, voire bouchon, à l’acquisition de cette connaissance.

Ainsi, l'inclinaison sous la Porte Basse devient le geste dense, significatif, utile, par lequel le profane s'adresse un message à lui même. Nul risque d'entrer dans un schéma de soumission et de compromettre le rite avec les pratiques mille fois dangereuses décrites plus haut.
L'être humain qui s'incline sous la porte basse, s'incline devant qui on peut s'incliner sans compromission: devant lui même.

T\ V\


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