DH Loge : Graal - Orient de Paris 20/12/2009

Courbez-vous, cette porte est très basse


Je dédie cette planche à nos quatre nouveaux apprentis puisque j’ai l’honneur d’être le premier frère assis sur les colonnes qu’ils entendront dans une planche symbolique.

Quel étrange tour de passe que la porte étroite soit devenue la porte basse en F
\M\.
On a tous en mémoire ces versets bibliques :

Mt.7:13 « Entrez par la porte étroite. Car large est la porte, spacieux est le chemin qui mènent à la perdition, et il y en a beaucoup qui entrent par là. »
Mt.7:14 « Mais étroite est la porte, resserré le chemin qui mènent à la vie, et il  y en a peu qui les trouvent. »
J’ai encore en tête ce moment où dépouillé de mes métaux, j’ai dû par des mains vigoureuses passer cette porte basse. "Courbez-vous, cette porte est très basse".
Une phrase qui claque en rupture de tonalité avec jusque-là ce que j’avais entendu.

Franchir une porte basse à mon sens n’est pas un acte volontaire.

Est-ce l’humilité qui fait sens dans cette étape de l’initiation ? Je n’en suis pas sûr. L’humilité sous-tend une action libre et coordonnée. Elle agit dans la lumière. Or, là, je ne la vois pas en action. Il ne s’agit pas d’un acte de contrition, d’autoflagellation. C’est le premier acte publique du profane ; il tranche avec la solitude du cabinet de réflexion qui tout en l’abritant l’exposait à lui-même.

Le profane franchit une porte qu’il ne voit pas, aveuglé qu’il est par le bandeau.  Il est dans les ténèbres et dans le bruit.

Il s’apprête à entrer dans un espace dérobé à ses yeux et aux mystères de cet espace lui-même. Il est au seuil d’un lieu et au seuil de sa nouvelle vie car déjà même encore diffus, le dialogue entre ce lieu et lui commence à naître.
Ici et maintenant, il est dépouillé et se trouve dans une position inconfortable.

L’entrée par cette porte basse conduit à d’autres conditions d’existence, renouvelle la conscience. « Ce sont les violents qui entrent dans le royaume des cieux disait le Christ ».  Il faut se faire violence en effet pour accepter d’être malmené, d’endurer cet inconfort pour poursuivre son parcours, passer du profane à l’initié. 

À ce stade tout souci de respectabilité sociale, de fierté, de curriculum vitae disparaît. La porte basse est le temps de l’universalité ; elle ne connaît ni grand ni petit. La connaissance s’offre à tous et inscrit l’impétrant dans le fil continu de l’invisible à atteindre. L’homme est dans le dépouillement et dans la hauteur.
Dans le dépouillement car c’est en délaissant ses métaux, qu’allégé, qu’il renoue avec la terre sa matrice qui lui remémore d’où il vient. 
Dans la hauteur, car son esprit s’élève vers une nature de simplicité et d’unité, vers une connaissance dynamique et en devenir, vers ce qu’il ne peut encore nommer dans cette confusion émotionnelle dans laquelle il se trouve encore au moment de ce passage.
Encore un passage. Cette porte basse met l’accent sur cette condition naturelle du maçon. Franchir des passages. Nécessité absolue du progrès.
 
Jules Boucher
(La Symbolique maçonnique, Dervy, 1948) précise que : « Le profane, en pénétrant dans le  Temple, doit se courber, non en signe d’humilité, mais pour marquer la difficulté du passage du monde profane au plan initiatique. »

Le mouvement vers la vie s’ordonne dans l’effort, plus ou moins difficile mais rien n’est donné. Or, dans une société désenchantée qui a perdu le sens du sacré, de rites de passage, de l’œuvre de la spiritualité, la porte basse nous rappelle que notre réalité d’homme est celui de l’ignorance, des ténèbres. Ce rappel à nos origines pour entrer et s’asseoir dans le temple nécessite cette violence biblique pour revenir sur soi et remettre en cause nos chères certitudes. Cette porte basse
permet de marquer le passage du monde profane au monde sacré maçonnique ; elle montre que l'on ne passe pas indifféremment une étape, sans s'en apercevoir, sans s'en soucier, en dilettante,  de l'un à l'autre.

Un lien peut être fait avec les trois pas de l'apprenti: car on n'entre pas non plus, une fois initié, n'importe comment dans le temple.
La porte basse est présente dans de nombreuses traditions pour marquer le passage entre deux états, entre deux mondes, entre l’inconnu et le connu, entre les ténèbres et la lumière, entre le secret et le révélé, entre le dénuement et l’abondance. 
La porte, elle-même, se prête à de nombreuses interprétations ésotériques, évoquant une idée d’immanence accessible ou interdite, selon que la porte est ouverte, franchie ou regardée.

Dans les enceintes du moyen-âge, par mesure de précaution ou dans certaines églises, la porte basse empêchait par exemple les chevaliers d’entrer à cheval ; dans les pyramides pour les accès au nahos, elle jouait un rôle clé ; plus tard encore, dans les passages des cavernes préhistoriques qui n’étaient accessibles que par d’étroits boyaux où l’on était obligé de ramper.
"Courbez-vous, cette porte est très basse" ! Est-ce un ordre, une invitation, une exhortation ?
L’un et l’autre conditionne la suite de la cérémonie. Socrate a dit « En se baissant, on assimile la position courbée à la nécessité de descendre en soi-même. »

On entre courbé. Pour se courber, il convient d'être flexible.
C'est probablement cette flexibilité qui permet à l'humain de s'adapter et de rester vivant.

Pour trouver le chemin de la lumière, il convient aussi de savoir laisser sa rigidité, ses pensées bien arrêtées, ses prétentions.

C'est donc un symbole de construction. EIle s’apparente à une clé ; elle ouvre le voyage réparateur et fondateur dont les mystères doivent révéler l’homme à lui-même. C’est la conscience en éveil axée sur une dynamique d’engagement, de lâcher prise, sur un ressenti.
La porte est également un symbole de protection, car elle délimite un lieu, une autre connaissance ; et fermée, elle est protectrice, cette porte gardée par le F∴ couvreur.

Tout a un commencement mais il y a des commencements qui sont d’ordre ontologique. Il ne suffit pas de traverser le chemin pour être ; il s’agit d’entrer en contact, d’éprouver ses sens, de ressentir pour  pénétrer le mystère de la chose vécue.
La porte basse ne se borne pas à ouvrir une nouvelle dimension mais à acquérir. Quoi ? L’impétrant n’en a pas une idée claire dans cet instant solennel. Il a seulement l’intuition, d’ailleurs, on lui dit qu’il va trouver une valeur sublime. N’oublions pas qu’il est encore sous le bandeau, cloîtré dans l’ignorance. Toutefois, cette ignorance n’est pas de la prétention.

L’ignorance est plutôt dans la démarche initiatique ce que nous savons et qui nous entrave pour aller plus loin.

Arrive l’instant de la métamorphose. L’homme est né pour être debout, le profane se relève. Il rompt l’osmose avec la terre, avec cet élément primordial, avec le bas, avec le rampant.

La porte basse est alors promesse : elle ramène de la mort à la naissance. Elle met le néophyte en position d’accès à la lumière, à sa transfiguration. Il est cette nouvelle plante, qui du fond de la terre, cherchait à atteindre la lumière. Il renouvelle en cela l’effort que l’homme a dû accomplir pour acquérir la verticalité. Il peut dès lors poursuivre sa marche initiatique. Le chemin qui s’ouvre devant lui est-il un commencement ? Un aboutissement ? Une leçon de choses pour apprendre à devenir ? À redevenir ? Une résonnance de ce qui a été, de ce qui est et de ce qui sera ? 

J’ai dit.

R\ P\


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