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Blanc ou noir ou la tragédie du binaire

Il est toujours malaisé d'aborder l'ésotérisme à l'aide d'un langage forgé à l'école de la pensée grecque. Celle-ci a toujours fait merveille dans le domaine de l'analyse et il est certain que la langue française véhicule dans ses structures syntaxiques les schémas de pensée dont elle est le fruit.

Cette affirmation trouve sa justification dans l'exemple suivant : En 1945, à Nag Hammadi en Egypte on faisait la découverte d'une série de documents écrits en copte dits « documents de la Mer Morte ». Parmi ceux-ci un évangile attribué à Thomas, disciple du Christ.

Cet évangile allait faire l'objet d'une étude approfondie qui jetterait une curieuse lumière sur la pensée de Jésus, et l'on peut affirmer que cet évangile est plus ancien que les évangiles canoniques, eux traduits du grec, et que par suite, il exprime plus fidèlement la pensée du Christ. Celle-ci serait originellement étrangère au moralisme rigoureux qui a présidé à son développement en Occident; étrangère au dualisme mystificateur dont est imprégné le christianisme que nous connaissons; étrangère encore à la vision apocalyptique traditionnelle. Selon Thomas : (logion 8) : et il a dit : « L'homme est semblable à un pécheur avisé qui jette son filet à la mer et le retira plein de petits poissons ; parmi eux le pécheur avisé trouva un bon et gros poisson. Il rejeta tous les petits poissons au fond de la mer, il choisit le gros poisson sans peine. Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende ! »

Mais que dit Mathieu sur le même thème : 13.47-50 : « Encore le royaume des cieux est semblable à un filet jeté dans la mer et qui ramasse toutes sortes de choses. Une fois plein, l'ayant remonté sur le rivage et rejeté les mauvaises. Ainsi en sera-t-il à la fin du monde. Les anges viendront et sépareront les mauvais du milieu des justes et les jetteront dans la fournaise du feu; là seront les pleurs et les grincements de dents ».

Que représente le gros poisson du logion 8 ? Il symbolise le Un, l'unité par opposition à la multitude des petits poissons qui représentent la diversité telle que perçue par nos sens grossiers. Dans Mathieu, le gros poisson disparaît dans les « bonnes choses » séparées des mauvaises. Et que dire des derniers versets à la résonance apocalyptique ?

On a simplement utilisé cet exemple pour montrer la cohérence de la pensée avec les structures de la langue et comment une pensée peut se déformer au cours des retransmissions, traductions et exégèses.

Ainsi donc la pensée occidentale est tributaire de la pensée grecque (surtout celle d'Aristote) et, même au XXe siècle, on peut dire qu'elle n'est pas sortie de l'ornière du principe d'exclusion. Il s'agit en fait du principe qui affirme que si un objet est A, il ne peut en même temps être B. Un minimum de réflexion permet d'entrevoir que la base de notre civilisation repose sur ce principe. Elle repose davantage encore sur celui de la causalité. Tout événement est le produit d'une cause et porte en lui des conséquences. Une dernière caractéristique de notre mode de pensée est que l'observateur d'un phénomène quelconque n'interfère pas avec le sujet de son observation. C'est ce qu'on appelle le postulat d'objectivité.

Ces principes ont primé toutes les autres formes de pensée jusqu'à l'aube du XXe siècle. On pourrait dire qu'ils constituent la base de la pensée exotérique. Est-ce à dire qu'il existerait des principes de pensée qui n'ont pas eu droit de cité dans notre civilisation occidentale ? Certes, et il serait souhaitable de les mettre à jour. Il faut ajouter que cette fin de XXe siècle est en train de les réhabiliter.

Il existe un autre type de pensée qu'on peut appeler analogique, et qui serait, lui, le fruit d'un principe qui n'a pas reçu de nom officiel. On pourrait se risquer à l'appeler « principe de sympathie universelle » c'est-à-dire établir des analogies au sens où le mot sympathie signifie « syn=ensemble » et « pathos=sentir », donc « sentir avec ».

Jusqu'ici ce principe a animé dans notre civilisation les tenants des sciences occultes et de la pensée ésotérique. Dans les civilisations orientales, la pensée analogique a inspiré de larges secteurs de la société et n'a pas connu l’opprobre que nous lui avons réservé en Occident. Les alchimistes furent au nombre des proscrits, sauf quand on espérait pouvoir tirer de leur pratique des fortunes fabuleuses. Il est sans doute opportun de rappeler que la première phase du Grand Œuvre est la « putréfaction » et qu'on dit alors que l’œuvre est au noir. Ce symbolisme contient l'enseignement que pour renaître à une vie supérieure il faut mourir à l'ancienne vie; que de la pourriture jaillit le germe de la vie.

Que l'on passe du noir au blanc. Nous avons retenu cet enseignement dans le tapis de loge qui se présente comme un damier. Ce symbole nous rappelle que la sérénité‚ ne s'acquiert qu'en intégrant dans sa personne les aspects positifs et négatifs de l'existence sans jugements de valeur.

La fin du siècle dernier voyait un engouement pour la science positiviste qui poussait l'esprit humain à s'enfermer dans la tour d'ivoire de la rationalité. Pourtant des philosophes, de loin en loin, essayaient de faire reconnaître ses droits à la pensée analogique. Cependant, ce sont les sciences qui portèrent les premiers coups : que dire de la double nature des particules élémentaires comme le photon, l'électron, qui ont aspect à la fois corpusculaire et ondulatoire. Le principe d'exclusion d'Aristote ne tient plus. En 1931 le physicien Heisenberg énonce son principe d'incertitude qui établit que pour des particules élémentaires on ne peut connaître à la fois simultanément leur position et leur mouvement. Ce principe suggère que l'objet à observer et le moyen d'observation réagissent l'un sur l'autre, c'est un coup porté au postulat d'objectivité.

Le moment est venu de parler d'un martyr de la pensée analogique, il s'agit du biologiste autrichien Paul Kemmerer, et qui était aussi notre frère. La bataille se situe au niveau des théories évolutionnistes. On sait que le biologiste français Lamarck avait énoncé une théorie de l'évolution, selon laquelle les nouveaux caractères héréditaires qui apparaissaient dans une espèce résulteraient d'une adaptation au milieu, qui serait ensuite transmise génétiquement.

Cette théorie évoque l'idée d'une harmonie de l'être vivant avec son milieu et relève du principe de sympathie universelle. Darwin, par suite, voyaient la phylogénèse des êtres vivants comme une sélection des plus aptes d'une génération, au hasard de mutations arbitraires.
La théorie de Darwin rejeta celle de Lamarck dans l'oubli. Toutefois dans les années 1920, Paul Kemmerer réalisait des expériences irréfutables sur certaines espèces de crapauds et de salamandres qui montraient que ces animaux avaient acquis des caractères par adaptation au milieu et étaient devenus capables de les transmettre génétiquement à leurs descendants. Ses publications furent accueillies avec froideur et mauvaise foi. Kemmerer multiplia les conférences et l'opposition grandit, en Angleterre surtout, où il se monta une véritable cabale pour le discréditer. On alla même jusqu'à charger quelqu'un de falsifier ses spécimens conservés dans un musée de Vienne. Une enquête ouverte par une commission de savants conclut à une fraude. Kemmerer se sentant déshonoré, se suicida.

Il fallut attendre qu'Arthur Koestler, écrivain et chroniqueur scientifique de réputation internationale fit une étude exhaustive de l'affaire pour réhabiliter Kemmerer. Ce travail a fait l'objet d'un livre intitulé : « l'étreinte du crapaud ».

Mon choix finalement, repose sur une philosophie universelle et naturelle qui repose sur l'expérience de l'homme éternel. C'est une recherche de la parole perdue, enfouie sous des millénaires de mystification philosophique ou religieuse. Et c'est avec cet esprit que j'en suis venu à attacher beaucoup d'importance à un de nos plus beaux symboles le tapis de Loge à damier noir et blanc; il symbolise le retour cyclique de la tragédie, un peu comme la progression du cavalier des échecs qui parcourt alternativement des cases noires et blanches. Il symbolise encore le souci que nous devons transcender le monde de l'illusion binaire, c'est-à-dire sortir des catégories fallacieuses dans lesquelles on nous tient enfermé. A l'orée de ce cheminement s'étale le règne infini de l'Amour qui peut s'étendre à des régions encore obscures de la connaissance et qui sont tenues dans le mépris car elles n'ont jamais eu le moyen de se développer librement.

Il y a dans l'univers un point que nous pouvons atteindre. Là, flamboie une étoile, celle de la connaissance maçonnique suprême, faite de tolérance et de détachement. Le rayonnement iridescent de cette toile vibre depuis des temps infinis, pour ceux qui se sont réveillés. L'étoile flamboyante raconte l'amour de toute la puissance de son verbe. C'est le Grand Œuvre de notre confrérie.


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