GLDF Loge : NP 21/02/2006



La Règle à 12 Divisions


3132-2-1         3132-2-2

La règle à 12 divisions nous offre une représentation immédiate de l’espace et du temps. Elle nous est connue depuis notre plus jeune âge en tant qu’instrument privilégié de découverte du monde : celui brillant de la géométrie euclidienne et celui plus sombre de la sanction indissociable de la transgression à cette même règle.

Rapport à l’espace, la règle est présentée au récipiendaire lors de la cérémonie d’initiation pour lui suggérer qu’aucun travail de rectification, qu’aucun chemin pour sortir de la caverne intérieure ne sont possibles sans la règle, associée à l’équerre et au compas.

Rapport au temps, les 12 divisions évoquent la course quotidienne de la barque d’Osiris dans son périple du Soleil au Soleil. Et là, je parle de déplacement et donc à nouveau d’espace.

En physique, le mouvement d’un point est d’ailleurs exprimé par ses coordonnées, sa vitesse et son accélération en fonction d’un paramètre appelé… temps. La physique quantique propose qu’un corps puisse être dans différents états à la fois ou dans plusieurs univers en même temps.

Les 12 divisions sont envisageables sous de multiples angles et notamment :

   -    géométrique : des pyramides égyptiennes à aux cathédrales,
  -    mythologique : les 12 travaux d’Héraclès qui symbolisent la destinée de l’homme gravissant douze degrés d’initiation pour atteindre la totalité de ses potentialités, ou les 12 dieux majeurs du panthéon grec qui représentaient chacun l’une des facettes de la perfection divine,
  -    astrologique : les différentes approches zodiacales qui permettent de décrire à la fois le temps qui s’écoule, l’espace parcouru, la vie de l’homme et son destin,
  -    biblique : les 12 tribus d’Israël, les 12 portes de la Jérusalem céleste ou encore les 24 vieillards de l’Apocalypse dont Jésus donne une exégèse en 21,18 de l’Evangile de Saint Jean :
« En vérité, en vérité, je te le dis,
quand tu étais jeune,
tu mettais toi-même ta ceinture,
et tu allais où tu voulais ;
quand tu seras devenu vieux,
tu étendras les mains,
un autre te nouera ta ceinture
et te mènera où tu ne voudrais pas ».

J’ai choisi de traiter « La règle à 12 divisions » surtout dans son rapport au temps pour les raisons suivantes :
  -    La pendule maçonnique invite le F.·.M.·. à travailler de midi à minuit avant de poursuivre au-dehors l’œuvre commencée au-dedans,
  -    Nos travaux sur l’univers sont orientés dans l’espace depuis 127 jours, et nous ouvrons ce soir les portes du temps.

Je vous propose un voyage dans l’histoire du temps, avant d’ouvrir la perspective sur la règle et son symbolisme.

Le Temps existe puisque nous savons le mesurer.

La mesure n’est utilisable que si le phénomène observé est invariable. La première définition du temps est liée aux observations astronomiques car l’homme a depuis la nuit des temps constaté le mouvement régulier des astres et remarqué que la lune revenait environ 12 fois dans l’année solaire.

Les Chinois divisaient en 12 la durée séparant 2 passages du soleil au méridien. Rome plaçait 12 compagnes, les « Horae », auprès de la déesse Aurore pour guider le char du Soleil.

C’est en Mésopotamie qu’il faut aller chercher les premières divisions de la journée en 12 ou 24 heures. L’heure serait une invention des Babyloniens pour lesquels le jour contenait 12 heures doubles chacune divisée en 60 minutes. Le zodiaque babylonien date du VIème siècle avant J.-C. et est divisé en 12 parties.

Les Sumériens qui inventent l’écriture vers 3000 ans avant J.-C. comptent en base 12. Les systèmes duodécimal et sexagésimal jouent un rôle prépondérant dans toutes les mesures de la vie quotidienne et par exemple :
   -    unité de longueur : 1 ninni (cordeau) mesure 120 coudées,
   -    unité de surface : 1 sar égale 12 fois 12 coudées-carrées,
   -    unité de poids : 1 gin (sicle) pèse 3 fois 12 su.
 
L’enchaînement des mesures du système duodécimal vers le système décimal s’explique facilement d’un point de vue historique et scientifique, ne serait-ce qu’avec l’apparition du zéro, ou l’observation des cycles célestes.
 
Toutefois, reste une question fondamentale : pourquoi 12 ?

Une explication parfois avancée réside dans le système de comptage manuel, naturellement aussi vieux que l’homme lui-même. Le pouce de la main s’oppose aux autres doigts et compte toutes les phalanges, soit 4 fois 3. La main pleine de 12 unités peut alors être rapportée à 1 doigt, et 5 doigts donnent alors 60 chèvres au troupeau du comptable sumérien. Cependant, le seul instrument de mesure du temps était le gnomon, piquet planté en terre pour mesurer l’ombre portée, précis le jour bien que donnant des résultats différents suivant la saison, et inopérant la nuit. La division du jour donnait donc des heures inégales dites « heures temporelles ».

Les Egyptiens, qui étaient d’excellents géomètres et qui n’utilisaient l’arithmétique qu’à des fins comptables élémentaires, définirent un calendrier basé sur le système duodécimal se rapportant à l’activité agricole. Ils se baseront sur le mouvement des eaux, divisant l’année en 3 saisons de 4 mois chacune, saison des eaux, saison de la végétation et saison des récoltes. Les prêtres égyptiens adoptèrent une démarche originale en s’efforçant de diviser la nuit. Ils en avaient besoin pour régler les offices nocturnes qui accompagnaient la quête du Soleil par Pharaon. Ils s’appuyèrent pour cela sur le lever de certaines étoiles à l’aube, appelé « lever héliaque ». Observant 12 levers d’étoiles pendant la nuit la plus courte en été, les astronomes égyptiens divisèrent la nuit puis le jour en 12 heures. Ces heures saisonnières étaient inégales tout au long de l’année. Le Livre des Morts compte 12 parties correspondant aux 12 heures de la nuit pendant lesquels Râ effectue son voyage.

Ce sont les astronomes Grecs qui définiront des heures de durée égale, appelées heures équinoxiales et relieront logiquement année solaire, jour, nuit, heure et seconde.

Dès le IIème siècle avant J.-C., Hipparque de Nicée divise le jour en heures égales pour ses besoins astronomiques. Claude Ptolémée reprendra ces travaux et contribuera à l’adoption des divisions du jour en minutes et secondes, outil bien théorique quant on sait que Ptolémée n’indiquait jamais le temps de ses observations avec une précision supérieure au quart d’heure.

Utiles aux astronomes, ces heures ne seront que très inégalement utilisées. L’église catholique et les règles monastiques utilisaient une division du jour en 8 sections : matines, laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres et complies.

L’utilisation du jour en 24 divisions d’égale durée n’interviendra vraiment que lorsque la mesure du temps deviendra l’affaire de chacun, au tournant du XIIIème siècle avec l’apparition d’instruments de mesure utilisables par tous, clepsydres et autres horloges.

Le mot « jour» vient du latin « dies », prenant lui-même racine dans le mot indo-européen « dei » qui exprime la clarté, toujours présent dans nos jours de la semaine du lundi au dimanche et  également dans midi. Jusqu’au Vème siècle, le latin utilisait « diurnum » comme synonyme de « dies » et qui est devenu « jorn » puis « jur » au Xème et XIème siècles avant de se stabiliser en « jour » à partir du XIIIème siècle.  Nous noterons que la planète Jupiter tient son nom de « die-pater » ou « jur-pater » interprétable comme « dieu de la lumière du jour ». Les mots « jour » et « dieu » ont donc étymologiquement de forts liens de parenté.

La Règle existe puisque nous savons la mesurer.

Je ne retiendrai de l’histoire du système métrique décimal que le seul fait qu’il existe depuis 1985 un lien physique fiable entre temps et espace et donc entre longueur et divisions de la règle. Au XVIIIème siècle, les savants proposaient des étalons basés sur la longueur d’un pendule battant la seconde, mais les résultats différaient suivant les lieux de l’expérience, Pérou ou Laponie, ce qui permit du reste de mettre en évidence que la Terre était aplatie aux pôles et renflée à l’équateur. En 1747, La Condamine proposa d’adopter comme étalon de mesure la longueur du pendule battant la seconde à l’équateur. A partir de 1960, le mètre n’est plus fondé sur un élément matériel mais sur une longueur de rayonnement. L’art du physicien consiste à stabiliser l’émission du rayonnement atomique, ce que les lasers feront avec une précision satisfaisante. Mais c’est en 1985 que se sont réunis à Paris 43 états pour définir le mètre comme étant la longueur du trajet parcouru par la lumière en 1/299.792.458 de seconde, la seconde étant fixée depuis 1967 en fonction de la radiation du césium 133. C’est donc ainsi qu’aujourd’hui, temps et espace se rejoignent dans une mesure commune : l’étalon de fréquence au césium.


Maintenant que sont tracés quelques contours relatifs au temps et à la mesure qui m’incitent à dire que la Règle et ses 12 divisions existe, voyons comment l’utiliser en F\M\.

La Règle est un outil curieux qui brille par sa discrétion : omniprésente dans le monde profane, elle fait l’objet de peu de littérature maçonnique.

Dans notre atelier, la Règle agit sous deux formes :
   -    opérativement, elle est présente dans la main du V.·.M.·. qui l’utilise pour effectuer son Tracé lors de l’ouverture des travaux,
   -    symboliquement, elle se manifeste au sautoir du F.·. Expert où, croisée avec l’épée, elle offre son appui à l’œil qui appelle à la vigilance.

A ce point, il convient de remarquer que la règle, associée au maillet et au ciseau, est l’outil de l’apprenti. Nous avons tous à l’esprit l’image du compagnon bâtisseur qui, au Moyen-âge, voyageait avec une canne et une besace contenant l’essentiel de ses connaissances : son compas, son équerre et son cordeau. Notons que la règle est ici remplacée par le cordeau en tant qu’outil de travail. Plus facile à transporter et plus souple à utiliser, la corde à 13 nœuds et 12 segments égaux permettaient tous les tracés nécessaires à la construction, à commencer par le plan de situation au sol, établi à partir du point central où était planté le gnomon. La maîtrise de l’art du trait autorisait ensuite le tracé en proportion des triangles isocèles et équilatéraux, des cercles, des carrés, de différents polygones et bien sûr du rectangle doré basé sur le nombre d’or. La mesure des intervalles utilisée était souvent la coudée royale, établie à partir de l’observation des proportions du corps humain, tout comme d’ailleurs la déclinaison des lieues, toises, mains, pieds et autres pouces. Il était même possible de réaliser avec cette corde à 12 divisions la quadrature du cercle, c’est-à-dire de tracer un cercle d’un même périmètre qu’un carré donné. Il suffisait pour cela de poser le cordeau sur les côtés du carré puis de l’arrondir. Problème mathématique insoluble, la résolution géométrique opérative de la quadrature du cercle permettait par exemple de construire, au chœur des cathédrales, des voûtes circulaires au-dessus de la croisée du transept. L’art du trait a conduit les bâtisseurs du Moyen-âge chrétien à des approximations qui suffisaient amplement à rendre gloire à Dieu et au travail des hommes.

C’est le travail avec cette même Règle à 12 divisions qui permet au  F.·.M.·. de passer du Pavé Mosaïque à la Voûte étoilée, de la Pierre Brute à la Pierre Cubique, du carré au cercle, du 4 au 3, de la matière à l’esprit, du visible à l’invisible, du Un au Tout. Il doit également servir à passer du Temple au monde profane.

Les Compagnons opératifs sont encore aujourd’hui hébergés dans des cayennes où l’équerre, le compas et la règle sont considérés comme des Grandes Lumières. Cette tradition se retrouve dans certains rituels maçonniques, et notamment dans le Rite Primitif de Memphis-Misraïm. La Règle, accompagnée de l’Equerre et du Compas et appelée « Joyau », est présente sur l’Autel du Naos, autel triangulaire placé au centre du Pavé Mosaïque autour desquels sont effectuées les déambulations rituelles durant les travaux. En revanche, le Rite Français et le Rite Ecossais n’associent pas la Règle à une Grande Lumière. A ma connaissance, aucun rite maçonnique ne substitue la Règle au V.·.L.·.S.·. sur l’Autel des Serments où l’Equerre, le Compas et le V.·.L.·.S.·. représentent respectivement la Terre, le Ciel et la Loi Cosmique.

Pendant le tracé de cette planche, j’ai été tenté de rapprocher jusqu’à les confondre la Règle et le V.·.L.·.S.·..

La Règle est incontournable : elle représente la loi et en ce sens n’est pas discutable. Elle doit avoir les quatre qualités que possède par ailleurs une bonne échelle de temps :
   -    universalité : accessible à tous,
   -    pérennité : fonctionnement dans le passé et le futur sans interruption,
   -    stabilité : constance de la longueur et des divisions,
   -    exactitude : l’application de la règle doit être identique à la définition de la règle.

Les 12 divisions sont le résultat de la multiplication du nombre 4, symbole de la matière, du carré, du monde manifesté, par le nombre 3 qui, symbole du G.·.A.·.D.·.L.·.U.·. et du monde spirituel, évoque les branches du compas ou les fléaux d’une balance et donc par extension, la justice et la morale. Pythagore inventa la Tétraktys, série des quatre premiers nombres dont la somme est dix et qui représente l’ensemble des connaissances.

La Règle à 12 divisions donne donc un sens fort à la notion maçonnique d’universalité, en tant qu’union du matériel et du spirituel.

Notre Grand Maître Alain Pozarnik rappelle que le symbole n’a de sens que représenté, ressenti, vécu par l’apprenti et que c’est toute la richesse du travail maçonnique que de ne pas se contenter d’un dictionnaire des symboles.

C’est pourquoi je souhaite partager avec vous ma vision de la Règle. Cet outil indique bien sûr qu’en toute chose il faut de la mesure dans nos actes et nos sentiments, et du respect face à ce que nous ne comprenons pas. Si je retourne le sablier et essaye de voir cette réalité autrement, je remarque que la première qualité d’un instrument de mesure est « tolérance zéro ». La Règle présente de surcroît l’avantage de comporter un certain nombre de divisions, 12 ou 24 comme nous l’avons vu. Voilà qui nous signifie que nous sommes aussi rigides, intolérants et divisés que cette Règle que nous nous efforçons de suivre, et qu’il est urgent de laisser nos métaux à la porte du temple et de rassembler ce qui est épars. Nous y travaillons.

En conclusion, la Règle, outil de géométrie spirituelle, nous indique ce qu’il faut faire et nous invite à mesurer le chemin parcouru. De ce point de vue, c’est bien un outil actif qui appartient au monde de l’agir. Les divisions nous montrent ce que nous sommes. Une réconciliation est cependant possible si, loin de nous contenter de l’appliquer, nous cherchons à vivre la Règle. Réconcilier Etre et Agir implique de reconnaître la puissance de la transgression en termes de connaissance, mode de dévoilement du réel qui doit nous accompagner quotidiennement dans la recherche de la vérité. Il est nécessaire pour cela d’être libre et de bonnes mœurs, condition initiale et non suffisante à laquelle il faut sans doute ajouter beaucoup de Force et de Sagesse.

J’ai dit V.·.M.·.

B\ M\

SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES
Mémento du premier degré symbolique écossais
Le Tracé du Vénérable – 15 novembre 6005
La Symbolique Maçonnique – Jules Boucher – Editions Dervy – avril 2001
Cours de l’Ecole Normale Supérieure de Lyon – 2005
La Bible de Jérusalem Editions du Cerf 1961
Le Livre d’Hiram – Christopher Knight et Robert Lomas – Editions Dervy – mai 2004

3132-2 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \