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La lumière maçonnique et les 3 piliers

Après avoir analysé les termes et symboles principaux, nous essayerons d'étudier les rapports entre la lumière maçonnique et les 3 piliers : Force Sagesse Beauté.

Introduction

Je vais donc témoigner sur l’acte fondateur de chaque tenue qui est la transmission de la lumière de l’orient vers les trois petites lumières et de l’alchimie qui se produit lors de l’illumination des trois petites lumières : le moment ou un espace ordinaire se transforme en un espace sacré.

Parcourons ensemble une partie du rituel d’ouverture.

Le Vénérable Maître s’assure que le temple est bien couvert et que tous les frères sont à leur place et à leur office. Il interroge le frère premier surveillant : « …qu’avons-nous demandé à notre entrée dans le temple ? ». La réponse du premier surveillant est explicite « La lumière, Vénérable Maître ». Le Vénérable Maître dit alors : « Que cette lumière nous éclaire ».

Dans cette invocation, l’adjectif démonstratif « cette » confirme que la lumière demandée lors de notre première entrée dans le Temple est bien définie. Par cette interrogation, le Vénérable Maître rappelle à l’assemblée :

- l’objet de notre présence,
- la motivation initiale qui nous a animés en frappant à la porte du temple.

A travers le premier surveillant, le Vénérable Maître invite chaque frère explicitement à :

- abandonner consciemment son ego,
- respecter l’engagement pris lors de son initiation,
- persévérer sur le chemin.

La lumière

La lumière, Lux, le point lumineux et Lumen, le rayonnement qui en provient, est d’abord ce qui éclaire et qui rend les choses visibles. C’est elle qui permet de voir clair, de lire et de savoir où on met les pieds. De plus, elle force à l’éveil et à la réflexion.

Dans la langue hiéroglyphique, il se trouve que l’utilité et l’efficacité d’une chose et la lumière sont indiquées par le même mot. Se demander comment son regard peut se tourner vers la lumière, c’est pour un initié se poser la question de savoir s’il est utile.

L’apprenti franc-maçon « ne sait ni lire ni écrire ». Aussi a-t-il besoin de lumière, pour apprendre à lire dans le vaste domaine de la pensée et à écrire par le biais de l’action qu’il pose.

Selon Oswald WIRTH, « l’homme pleinement éclairé, qui a réussi à se saturer de lumière, devient à son tour un foyer lumineux. Il rayonne et il éclaire les autres ». Thomas Jefferson notait généreusement « Celui qui apprend quelque chose de moi enrichit son savoir sans réduire le mien, tout comme celui qui allume sa chandelle à la mienne se donne de la lumière sans me plonger dans l'obscurité ».

Maintenant que nous avons librement reçu cette lumière tant convoitée, il n’est plus question de s’en départir mais plutôt d’y recourir permanemment car, « On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau », disait un évangéliste.

La Lumière de l’Être n’est pas celle d’un réverbère dont la flamme vacille plus ou moins mais une sorte de lampe ultraviolette, hors de portée des yeux, qui agit sans que l’on s’en rende compte et qui donne du bronzage plus ou moins fort à tous ceux qui l’approchent. Ainsi se réalise le but de l’initiation maçonnique, au fil des jours, rencontres après rencontres, degré par degré mais, pour le coup, d’une façon invisible, profonde mais incertaine, tangible mais imprévisible.

La Lumière est aussi celle qui nous éclaire intérieurement. Si l'on accepte cette idée, l'on voit alors que l'on peut être enfermé dans la pièce la plus sombre et quand même baigner dans la lumière et à contrario, être sous le soleil le plus éclatant, tout en étant dans les ténèbres. C'est cette différence de conception de la notion de lumière, qui sépare le profane de l'initié.

Cette lumière, unique en sa triple formulation de Delta, Soleil et Lune, a son siège à l’extrémité de l’Orient de la loge, derrière la Vénérable Maître, ou elle est symbolisée par le Delta lumineux.

La Lumière incréée a besoin de l’opacité d’un milieu résistant, tel celui du Temple, qui la révèle. Formulé autrement, dans la Bible, Dieu crée la lumière d’un seul coup « que la Lumière soit ». Dans notre rituel, la Lumière est crée progressivement sous forme de chemin qui implique un temps.

Les initiés passés à l’Orient éternel (et qui ont donc vécu le mythe) ont incarné la Lumière de l’Orient  et ils guident les pas de la Loge dans l’invisible qui est expérimenté à chaque tenue.

J’ai eu la surprise dans mes lectures de constater que ce n’était pas le Maitre des Cérémonies et les surveillants qui allumaient les étoiles des piliers, mais le Vénérable Maître lui-même et les surveillants leur pilier, par exemple d’après Olivier Doignon.

La transmission de la lumière partant du Vénérable Maître est un geste d’amour. Par ce geste le Vénérable transmet aux frères surveillants et à travers eux à tous les frères de la loge l’étincelle dont ses fonctions sont le maillon. Il invite tous les frères à travailler pour que nos échanges soient des échanges de lumière. Ce don est aussi acte de confiance. La même confiance que le Vénérable et la loge, ont témoignée à chaque frère lors de son initiation : « que le bandeau lui soit enlevé, qu’il voit et qu’il médite ». Chaque frère est garant de la manière de faire briller la parcelle de lumière dont il dépositaire.

L’allumage progressif des petites lumières à flamme vivante, consiste à répandre d’une manière progressive la Lumière de l’Orient à tous les Frères de la Loge. L’illumination progressive du Temple symbolise donc le passage des ténèbres à la Lumière. A chaque tenue, cette progression se fait à l’identique du jour de notre initiation. Nous avons reçu la lumière et pourtant pour se déplacer dans le temple, un frère est toujours précédé du frère Maître des cérémonies. Ce dernier, avance à l’aide de la canne tel un aveugle.

La Sagesse

Le maître des Cérémonies allume le pilier sud-est et Le Vénérable Maître dit : « Que la sagesse préside à la construction de notre édifice ».

Ce mot a d’abord désigné une connaissance surnaturelle ou acquise des choses et cela est resté dans le vocabulaire religieux. Depuis le début du 15ème siècle, il désigne prudence, circonspection puis modération, retenue, maîtrise de soi.

Les enseignements de la maçonnerie sont intimement liés à la sagesse. Chaque franc- maçon est en route pour une quête initiatique de sagesse.

N’y a-t-il pas pire sage que celui qui croit l’être et s’autoproclame « sage des mœurs et beau dans son caractère » pour reprendre les formules d’un tuilage de maîtrise.

Pour les Egyptiens, La sagesse correspond à « sia », la connaissance intuitive et il est évident que si un être n’est pas équipé d’une perception intuitive de la réalité, les choses deviennent difficiles.

Pour Socrate, « l’homme ne peut que participer à la Sagesse du Monde divin, mais sa propre sagesse sera toujours limitée ».

Roger Bacon dira « j’ai appris des vérités plus importantes de la bouche d’humbles gens que de tous les fameux docteurs. Qu’aucun homme par suite, ne se vante de sa Sagesse ».

Alain Lejeune dira « être sage, n’est ce pas avant tout savoir donner à autrui la nourriture qui lui convient et le faire grandir à son tour ».

Le sage, tel un excellent jardinier, est en permanence en éveil. Il n’a de cesse que de rechercher le geste et la parole juste au moment juste afin que fleurisse le Verbe et de le nourrir de ses fruits.

La Force

Le Maître des Cérémonies allume le pilier nord-ouest et dit « Que la Force le soutienne ».

Le mot force est issu du latin fortia, qui signifie « actes de bravoure », ou plutôt de l'adjectif fortis « courageux, robuste ». Une seconde origine du mot force vient aussi du latin robur, qui signifie force physique (au sens, vigueur, solidité) et force morale (au sens caractère, énergie, fermeté).

Dans le langage courant français, on dit plutôt : toute cause capable d’agir, de produire un effet.

Les Egyptiens quant à eux avaient deux concepts de la Force :

Le Heka qui découle de l’énergie lumineuse. Ce type de Force permet de lutter contre le cours naturel des événements et de modifier le cours du destin.

Le Ka est la force qui nourrit. Elle est liée à la qualité des êtres et des choses et doit être elle-même nourrie en retour.

La Force est l’expérimentation de la connaissance. Elle ouvre un chemin pour transformer la multitude des éléments apparemment dissociés en une source lumineuse flamboyante.

La Beauté

Le Maître des Cérémonies allume le pilier sud-ouest et dit : « Que la Beauté l’orne ».

Beaucoup d’auteurs préfèrent appeler ce pilier Harmonie car l’harmonie ouvre un champ symbolique beaucoup plus vaste. En effet, la beauté, telle qu’on la conçoit aujourd’hui est liée à des valeurs culturelles et historiques. Pour nos anciens, la beauté n’était pas soumise à l’usure des formes car d’essence divine et éternelle comme est intangible l’Harmonie de l’univers ; ce n’est plus le cas dans notre langage courant. Ces auteurs m’ont convaincu et je parlerai donc d’harmonie par la suite et non de beauté.

L’Harmonie n’est pas absence de contradictions mais équilibre entre des forces de polarités contraires. La Loge est un monde ou tout doit être ordre et harmonie. L’élément potentiellement perturbateur est l’être humain, toujours prompt à exprimer ses outrances et ses conflits personnels.

Les piliers

Pilier vient du latin pilarium : tout massif, qui sert à soutenir quelque partie d’un édifice et du latin pila : colonne, support, massif de maçonnerie isolée, élevé pour recevoir une charge. L’étymologie ne fait donc pas la différence entre colonne et pilier, dont les emplacements et les fonctions sont pourtant nettement distingués dans la Loge.

Au centre de la Loge, un espace délimité par trois piliers placés aux trois angles d’un carré long : le pilier Sagesse au sud-est ; le pilier Force au nord-ouest et le pilier Beauté ou Harmonie au sud-ouest. Ils portent chacun une flamme appelée « Etoile ».

En fait, les 3 grands piliers sont la formulation première du principe invisible qui est le soutien réel de la Loge. Ils constituent l’assise de la Loge comme une empreinte de pied du principe divin sur terre. En effet, en station debout, le pied repose sur 3 points d’appui. Ces 3 points du pied gauche sont disposés en équerre. Qui plus est, en médecine traditionnelle chinoise, à chaque partie de la plante du pied correspond un organe du corps humain : celui du talon, correspondant au pilier Sagesse, est en correspondance avec la partie centrale de l’abdomen. Sa stimulation par la méditation et la concentration permet l’équilibre mental.

Celui sur la partie interne du pied, correspond au pilier Force. Il est lié à la tête et contrôle toutes les activités physiques, symbole de force, ardeur et valeurs guerrières.

Celui de la partie externe, correspond à l’Harmonie. Il est relié au cœur et sa stimulation développe la sympathie et l’amour envers autrui.

Chacun des trois piliers est représenté par l’un des trois principaux ordres d’architecture grecs DORIQUE, IONIQUE et CORINTHIEN.

La colonne Dorique est courte et massive, elle évoque l’idée de force et de grandeur, son chapeau peu élevé présente une section rectangulaire. Son nom lui viendrait de Dorus, fils d’Hellên, roi d’Achaïe et du Péloponnèse.

La colonne Ionique est plus svelte et gracieuse : elle correspond à la Sagesse et présente vingt-quatre cannelures séparées par un filet et non par une arête vive, son chapiteau est caractérisé par un double enroulement en spirale appelé volute. Elle viendrait des ioniens d’Asie et du temple d’Ephèse.

La colonne Corinthienne est la plus belle, elle correspond à la Grâce ou beauté, son fût est cannelé, son chapiteau est une corbeille de feuille d’acanthe. Elle serait due au sculpteur Callimaque de Corinthe.

Vitruve met en rapport les proportions des colonnes dorique « avec la simplicité nue et négligée d’un corps d’homme » d’où la force ; ionique « avec la délicatesse du corps d’une femme » d’où la grâce ; et corinthienne « avec la délicatesse d’une jeune fille à qui l’age rend la taille plus dégagée » d’où l’élégance.

Ces piliers sont posés en équerre, sur le plan horizontal, formé par notre pavé mosaïque noir et blanc ; reliant la terre au ciel, représenté par notre voûte étoilée. Ce n’est pas parce qu’on ne voit pas de 4ème pilier qu’il n’est pas présent. Il est nécessaire pour le percevoir d’élargir notre vision en passant d’une vision exclusivement rationnelle à une perception intuitive des choses. S’il y avait un 4ème pilier visible, on aurait un ensemble figé auquel on ne pourrait rien rajouter et le dogme ne serait pas loin. On pourrait appeler ce 4ème pilier invisible aux yeux des profanes « spiritualité » ou plutôt pilier primordial. Les bâtisseurs médiévaux nous ont laissé un témoignage de ce que pourrait bien être le pilier primordial. Il s’agit du « pilier des anges » de la cathédrale de Strasbourg ou pilier du jugement. Il est constitué par un noyau octogonal dont chaque face est habillée d’une colonne. Il a été considéré au moyen age comme un vrai chef d’œuvre car on n’avait jamais vu pareille réalisation.

Une légende compagnonnique adoptée par la Tradition maçonnique reprend et développe le symbole de 4 évangélistes considérés comme porteurs du Verbe. L’histoire des « 4 couronnés » provient d’un texte du 4 ième siècle appelé « passio Quator coronatum » et décrit l’histoire de 4 tailleurs de pierre chrétiens qui furent martyrisés, puis, plus tard, de 4 soldats romains chrétiens qui le furent également. Par leur attitude, digne d’un roi, on les a appelés « couronnés ». D’où l’expression parfois utilisée pour l’allumage des piliers à savoir couronner les piliers. Qui plus est, les noms des 8 martyrs regroupés 2 a deux rappèlent l’Harmonie, la Force et la Sagesse. Les deux derniers Claudius et Severus pouvant représenter la Justesse.

Les relations

Cette perception du temps ritualisé de la Lumière cheminant dans le Temple engendre une dynamique de création. Il fait passer, tout en sacralisant le temple, du temps profane au temps de l’initiation : l’éternité. Les 3 piliers constituent donc une matrice géométrique pour faire naître la pensée en esprit, l’animer et la manifester dans sa plénitude.

Le propre de la démarche spirituelle maçonnique est d’aller au-delà du visible. Elle se différencie par rapport à d’autres voies spirituelles (religieuse par exemple ou tout est révélé). Dans la démarche maçonnique, rien n’est révélé. Tout est à découvrir. L’initiation est de l’ordre de l’intime, de l’incommunicable. Chacun ne peut qu’en témoigner ! Le quatrième pilier est de cet ordre. La flamme primordiale, qui brille toujours sur le plateau du Vénérable est peut-être le symbole qui s’en approche. Cette flamme forme avec le pilier de la force, l’axe ou se trouverait ce quatrième pilier.

Chaque frère est invité à participer à la dynamique de cette construction en travaillant selon sagesse, force et beauté. C’est l’alchimie qui participe à faire naître de la dualité des envies matérielles et spirituelles un homme harmonieux qui sait rassembler ce qui est épart. Un homme qui travaille et s’efforce à : Agir en fraternité selon la sagesse, force et beauté.

Accepter la part de vérité qui vient des autres et limiter ses ambitions à occuper la place d’où il peut être utile à la construction du temple et servir utilement ses semblables.

Rester lucide sur soi-même et accepter l’épreuve de miroir et persévérer pour construire encore et encore son temple intérieur et veiller à ce que l’oeuvre soit de l’ordre du lumineux.

Un travail rigoureux est nécessaire pour nous rendre sensible à chaque phrase et à chaque geste du rituel. C’est à cette condition que l’on peut agir sur l’éveil de l’être et faire en sorte que la lumière de l’amour jaillisse de notre cœur.

Pour conclure mon travail, je vous propose la traduction d’un poème d’Ibn Arabi : « Auparavant, je méconnaissais mon compagnon Si nous n'avions pas la même croyance. A présent, mon coeur est capable de toute image : Il est prairie pour les gazelles, cloître pour les moines, Temple pour les idoles, ka'aba pour les pèlerins, Table de la Thora et livre Saint du Coran. L'amour seul est ma religion, Partout où se dirigent ses montures. L'amour est ma religion et ma foi ».

Vénérable Maître, j’ai dit.

B\ K\


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