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Déambulations autour des quatre éléments

Introduction
Je commence par analyser l’aspect symbolique et théorique du problème.
Dans l’initiation, le contact avec la terre (et le premier voyage qui conduit de la terre au temple) puis, les trois voyages qui s’en suivent disent probablement le parcours individuel. De la (re) naissance (après la mort symbolique que représente le cabinet de réflexion) à l’enfance et la famille représentée par le premier voyage jusqu’à l’âge adulte puis à la vieillesse.
Je postule dans ce qui suit, de manière un peu osée que ce que dit cette symbolique pour l’ontogenèse, c’est-à-dire pour le développement individuel, elle le formule aussi peut-être pour la phylogenèse, autrement dit la société humaine en général, pour les transformations socio économiques, au moins pour celles intervenues depuis trois ou quatre siècles en Occident.

La terre représente le corps et la vie matérielle, l’eau l’âme et la religion, l’air le mental et la vie philosophique, le feu l’esprit et l’initiation vraie. Cette classification se rapproche plus ou moins de celles formulées par Auguste Comte, Jean Baptiste Vico ou plus récemment Jacques Attali. Pour le premier on trouve le temps théologique, puis métaphysique et enfin positif (c’est-à-dire celui où la science positive explique tout — on peut relier ces trois époques aux trois voyages), pour le deuxième on passe pour la connaissance du temps des héros au temps des dieux et au temps des hommes, pour le dernier du temps des corps au temps des machines et au temps des codes.
A l’élément Feu correspond aussi l’ardeur l’enthousiasme, à l’élément Eau la sensibilité et l’émotivité, à l’élément Air, l’intellectualité et à l’élément Terre la matérialité. On sait aussi que chaque élément permet de classer quatre signes du zodiaque occidental.

L’on peut associer également les quatre voyages aux quatre saisons aux quatre points cardinaux, mais aussi aux quatre âges du monde : âge d’or, âge d’argent, d’airain, et de fer.
L’initié subit une triple purification par l’Air, une double purification par l’Eau et une simple purification par le feu. Ces différentes numérations correspondent en réalité au Tétractys sans le chiffre quatre (qui représente en fait la terre). Le Tétractys est une figure triangulaire équilatérale dont la base est quatre et le sommet un. Elle est la série des quatre premiers nombres dont la somme est égale à dix. Elle avait un caractère sacré chez les pythagoriciens. Dans ce cas, 1 représente l’esprit créateur (le feu), 2 la matière (l’air), 3 l’union de l’esprit et de la matière (l’eau), 4 la forme crée (la terre).

Enfin, il n’est pas possible d’oublier comme je l’ai dit dans mes impressions d’initiation que la terre, l’eau, l’air et le feu sont aussi en nous dans les théories hippocratiques — reprises jusqu’à la fin du XVIIIème siècle au moins — dans le champ de la médecine sous la forme des humeurs froides, humides, sèches et chaudes.
Ces quatre éléments et ces quatre symboles devraient donc, pour toutes ces raisons, nous dire quelque chose sur l’homme et la société

La terre réalité et symbole
La Terre bien sûr, représente le premier moment de l’initiation et c’est en la « visitant et en rectifiant que l’on trouve la pierre cachée » (Visitan Interior Terrae et Rectificandoque Invenes Olvidam Lapidem, V.I.T.R.I.O.L.). Elle explique donc que c’est d’elle que tout doit partir, que c’est en elle que tout doit commencer. Ce que je ferais pour cette planche. Mais c’est aussi peut-être, comme une boucle, en elle que tout fini (du moins la vie de profane).
La terre, en tout cas, est à la fois le lieu qui dans l’univers porte la race humaine, minuscule planète bleue (on aurait peut-être dû l’appeler « la mer ») gravitant autour d’une banale étoile jaune au bord d’une quelconque galaxie spiralée s’éloignant d’un hypothétique « big bang » initial, mais c’est aussi la matière qui constitue, pour partie cette planète.

Cette terre, on la représente souvent, ce qui est une convention, avec le Nord en haut et le Sud en bas, il y a donc sur cette terre ceux qui sont en haut et ceux qui sont en bas. Si l’on admet qu’il s’agit d’une sphère dans un univers sans haut et sans bas, on voit que le système de représentation de la terre nous dit l’homme qui représente : toujours celui du haut, autrement dit l’Occidental, autrement dit encore l’homme d’un pays dit développé. Essayez d’imaginer la terre représentée Sud en haut et Nord en bas. On a une très grande difficulté à le faire, bien sûr à cause de la convention mais aussi parce que la convention est devenue vérité. La vérité et non une vérité. Regarder une représentation de la terre dit donc qui l’a construite, mais aussi le passé qui l’a construite. Elle dit la colonisation, la domination de l’Occident et du Nord sur l’Orient et le Sud. Elle dit le pouvoir de certains.
Dans le même sens, les projections de la terre sur un planisphère ne tiennent pas du tout compte de la surface réelle des différents pays, une représentation qui tient réellement compte de la surface des différents pays nous semble étrangère, difforme. L’Afrique devient immense le Groenland minuscule...
Penser la terre montre que l’on pense avec des catégories humainement construites. La maçonnerie œuvrant à l’universel et à l’amélioration matérielle et morale de l’homme pourrait peut-être contribuer à rediscuter ces catégories.

La symbolique de la loge, représentant pourtant en partie le même univers ne dit visiblement pas la même chose. Elle dirait même plutôt le contraire puisque la colonne du Nord est celle où siègent les pierres non dégrossies que sont les Apprentis alors que la colonne du Midi est celle où siègent les Compagnons, pierres un peu dégrossies. La loge qui symbolise l’ensemble de la terre et de tous les hommes, réunis sous la voûte étoilée, s’étend de l’Orient à l’Occident et du Nord au Sud. Et bien que l’on entre par l’Occident, la loge ne dit pas l’orientation de la terre. Elle ne dit pas ceux qui sont en haut et ceux qui sont en bas. Elle dit aussi que c’est de l’Orient que vient la lumière. L’image de la loge pourrait peut-être contribuer à faire reconsidérer les cartes de géographie et les représentations de la terre.

De l’Agriculture à la culture
Mais, la terre c’est aussi la matière première qui fut donnée à l’homme au cours du temps.
Si l’on pense la terre à la fois comme symbole du matériel, mais aussi comme réalité, on peut admettre, avec quelques arguments, que l’histoire de l’humanité dessine un chemin qui part de la terre (souvent associée à l’eau), de l’agriculture, de productions du type d’une économie primaire, c’est-à-dire visant à prélever directement de notre terre (ou mer) à une économie secondaire, c’est-à-dire transformant la matière brute, puis à une économie de type tertiaire c’est-à-dire fondée essentiellement sur des abstractions, des services, de la communication et de l’information qui se déplace à la vitesse de la lumière. De la terre à la lumière, de la matière à l’esprit.
Jean Fourastié dans Les trente glorieuses (Paris, 1979), écrit à ce sujet : « De ces changements dans la nature de l'activité économique dérive, pour les hommes une foule de changement dans leur travail et dans leur vie quotidienne... Les métiers tertiaires sont en effet moins exigeants en force physique que les autres, plus éloignés de la dureté des volumes, des poids, des températures, des climats. Ils requièrent par contre (en général dis-je encore une fois), plus d'attention, et souvent plus de finesse...les machines industrielles deviennent de plus en plus aisées à conduire avec une faible force corporelle mais avec une souple précision...la tendance est à la « tertiarisation » des emplois primaires et secondaires eux-mêmes. Tout se passe comme si le travail humain était en transition de l'effort physique vers l'effort cérébral... aujourd'hui (ce qui est primordial) ce n’est plus le contact de la main avec la matière c'est le contact du cerveau avec l'information. » (p. 82 - 84).

La terre est le premier lieu et la première source de vie de l’humanité, comme la terre est première dans l’initiation.
L’homme, enfin, voyage sur la terre d’abord et parfois un peu sur le bord des mers, sur quelques rivières et fleuves non loin de la terre ferme.
La terre est bien son lieu premier.
Mais tant que l’homme voyage peu, reste sur sa terre d’origine, il ne sait pas le monde et ne peut ouvrir son esprit qu’à ce qui l’entoure de manière proche. Sa socialité demeure communautaire. Son esprit ne s’ouvre qu’à une partie du monde et pense difficilement l’Universalité. Collé à la terre, il est difficile de penser le monde. Collé à la matière, il est difficile d’élargir l’esprit.
C’est ainsi que l’on défend son bout de terre parce que l’on ne peut penser le bout de la terre.

Le voyage de l’eau et l’eau comme voyage
Après la terre vient l’eau, d’abord les fleuves et les rivières, puis vient la mer (la mère ?). La mer c’est la Mare Nostrum des latins d’abord, c’est-à-dire : notre mer. La mer entourée de terre. Puis c’est l’immensité de l’Atlantique (le pays des Atlantes). Pour la traverser l’esprit doit penser plus loin mais aussi vaincre des croyances établies (au-delà de l’horizon séjournent des monstres), construire de nouveaux outils (le sextant), et risquer de perdre de vue la terre. Faire le tour de la terre par les mers permettra d’affirmer qu’elle est à peu près ronde. L’eau dit la terre. L’eau dit la distance à la terre. Elle dit aussi le mouvement de l’esprit pour penser la rondeur de la sphère. Elle dit le chemin de Ptolémée à Copernic, Ticho Brahé (brûlé par l’inquisition pour cette découverte) et à Galilée (« e pur si muove » : et pourtant elle tourne). Aurait-on pu penser qu’elle tourne sans en faire le tour, sans traverser la grande eau.

L’homme après la terre, ou pratiquement en même temps qu’elle, fait la conquête de l’eau en la guidant pour irriguer, puis en la canalisant pour produire de l’énergie. D’abord l’eau va animer des moulins qui vont mouvoir des meules pour fabriquer plus vite les farines, l’huile, etc., puis des scieries et des manufactures. L’eau contribue au développement technique et, dans certains cas à alléger le travail humain. L’eau partiellement dominée par l’homme participe à la transformation de l’homme.

L’eau dans les années cinquante devient « houille blanche ». Elle change encore le travail en le rendant encore moins pénible. Elle produit l’électricité sans trop polluer, mais en changeant la terre, en la submergeant parfois.

L’eau au-delà c’est la vie (mais on a vu à la dernière tenue que c’était aussi la mort). Sans eau on ne survit guère plus de trois ou quatre jours dans un climat chaud. L’eau est indispensable. Pratiquement toutes les cités anciennes ont été élevées à proximité d’un point d’eau ou d’une rivière ou d’une mer. L’eau est donc le moteur de la vie.

Elle est également le moteur de nombreux déplacements de populations et d’une grande partie du commerce mondial. Elle permet des rencontres étonnantes et imprévisibles entre différents groupes d’êtres humains (voir la première rencontre des amérindiens et des espagnols qui conduira à la controverse de Valladolid tentant de définir ce qu’est l’humain : les amérindiens ont-ils une âme ? Sont-ils des hommes ou des bêtes ?).

Mais l’eau dit aussi bien souvent le chemin des migrations humaines. Aux sources et à l’embouchure du Mississippi, par exemple, on parle le français (le joual ou le cajun) entre autres parce c’est cette grande eau (signification du terme Mississippi en indien des plaines) a porté la migration en canoës et en bateaux des canadiens francophones.

On dit aussi que c’est de l’eau que viennent les premières bactéries, les premiers animaux. De l’eau vient toute la vie. La jonction de la terre et de l’eau fait germer les graines. Le contrôle de l’eau est en grande partie le contrôle de la nourriture surtout dans les pays arides ou tempérés.
L’eau est devenue aujourd’hui un enjeu commercial d’envergure partout en Occident. La consommation s’en est accrue phénoménalement en trente ans. Elle sert surtout à l’agrément et à l’hygiène. L’eau c’est l’or translucide de la société de consommation. Mais, se faire déposséder de l’eau revient peut-être pour l’humanité à régresser à l’enfance (à la terre).
L’eau dans la symbolique maçonnique lave peut-être du premier voyage difficile cahotique. Peut-être rend-elle la vie ?

L’eau, au plan symbolique représente aussi une première « élévation de la matière à l’esprit », de la pierre brute à la pierre dégrossie. Elle permet de voyager dans l’univers de la connaissance des autres et de soi. Le voyage de l’eau symbolise aussi l’adolescence. L’eau serait dans cette optique et dans la perspective choisie, l’adolescence de l’homme mais aussi peut-être l’adolescence de l’humanité.
Elle serait aussi encore le temps des religions pour l’humanité. Ce temps serait suivi de celui de la connaissance philosophique représentée par l’air.

L’ère de l’air
De toute évidence l’air est plus indispensable encore que l’eau à l’homme, sans air on reste à peine trois minutes en vie. Mais l’air est beaucoup plus que cela.
D’abord l’air porte le langage verbal. Sans air l’on ne parle pas et l’on n’entend pas, puisque ce sont ses vibrations qui transmettent l’information sonore. L’air fait donc aussi le cri, le langage, le chant et la musique. Il crée encore davantage la musique dans les instruments à vent.
La consonance, la concordance, l’harmonie trouvent pour partie leur source dans l’accord d’instruments, mais ce qui est dans la musique peut être pensé dans l’humain : consonance, concorde, harmonie. Cela correspond à l’idéal maçonnique.

Si la musique est tributaire de l’air qui la porte la musique, construit des ponts entre les âmes, entre les esprits, elle est fondamentalement système de reliance et de religiosité au sens étymologique de créer un lien. La musique renvoie à la danse et donc à un lieu de communion collective et même parfois de fusion. Mais musique comme danse constituent sans aucun doute un temps important dans l’élévation collective de l’humanité, dans le chemin de l’esprit. Pour moi même si cela choquera peut-être, il n’y a pas de différence fondamentale sur le plan de la reliance entre la musique traditionnelle, médiévale, baroque, classique, jazz, rock, house, rap ou techno. L’air porteur de notes crée une communion.

Mais, sans air, je le répète encore, pas de vie (bien que la vie puisse aussi exister dans le seul élément eau, dans la mesure où il contient de l’oxygène). L’air fait germer les graines, fermenter la bière et le vin.
La conquête de l’air paraît tellement invraisemblable à l’homme qu’elle produit le mythe d’Icare. L’air est d’abord conquis par le vol des outils de chasse et de guerre (lances, flèches, boomerang...). Ce n’est que très récemment dans l’histoire de l’humanité que le mouvement de l’esprit conduit l’homme à se déplacer par la voie des airs. Les expériences concrètes des frères Montgolfier n’ont guère plus de deux siècles. Mais dès lors que l’homme commence à conquérir l’espace aérien, la rapidité des voyages s’accélère, les migrations deviennent plus nombreuses et plus rapides. Le temps de la mondialisation vraie commence peut-être avec la conquête de l’air.
Le problème est ici encore, comme pour l’eau, que l’air peut être détruit et dans ce cas détruire la vie. Si le marché de la fin du XXème siècle et du début du XXIème siècle est l’eau (ce qu’ont compris de nombreuses multinationales dont Vivendi), peut-être que le marché du XXIème siècle sera celui de l’air. A moins que l’on ait alors renoncé à l’idée de marché et substitué à celle-ci l’idée d’économie distributive, de partage des richesses.

L’air c’est aussi le vent. Le vent, comme l’eau, actionne les premières mécaniques (moulins) et sa maîtrise progressive contribue aussi à diminuer la dureté du travail. Dans les milieux arides, l’air est lié à l’extraction de l’eau de la terre par les premières éoliennes associées à des puits artésiens. L’air produit déjà, dans de nombreux pays (à part la France), une énergie très peu polluante (sauf pour le paysage) par le biais d’éoliennes géantes.
Mais, symboliquement si l’air peut être associé à la philosophie, l’air nous dit aussi la prise de recul de l’esprit sur lui-même, ce qui est finalement, peut-être, au-delà de la concorde universelle, l’un des éléments importants de la maçonnerie symbolique. L’ère de l’air correspond sûrement, dans cet esprit, à l’âge adulte de l’humanité.
Sans air, le feu ne peut pas brûler.

L’esprit du feu ou le feu de l’esprit
Comment homo sapiens a-t-il pu penser à utiliser le feu ? Comment le feu fut-il donné à homo sapiens. N’est-ce pas le feu qui a transformé homo sapiens, en sapiens sapiens ? N’est-ce pas parce que l’homme a commencé à maîtriser et à utiliser le feu qu’il a pu se détacher progressivement de la nature, de l’animalité ? Pratiquement tous les animaux ont peur du feu, aucun ne l’utilise à son profit.

Prométhée, l’un des Titans, dérobe le feu aux dieux pour le donner à l’homme, il est puni terriblement pour cela par Zeus. Le feu est donc très important lorsqu’il s’agit d’humanisation. Il est aussi dangereux.

Alexandre Leroy Gourhan — et bien d’autres anthropologues — considèrent que si la création du langage (et donc de la pensée) vient de l’usage de la main et, en conséquence, de la libération de la mâchoire qui ne sert plus à tuer, l’usage du feu conditionne très vivement les transformations du corps humain au plan de l’énergie. Le feu change le singe en homme en le faisant « singe nu ». Il le désadapte du milieu naturel pour le conditionner à l’artificiel. Il dit, plus que tout autre élément, la fabrication de l’homme par lui-même.

Le feu d’abord durcie le bois des lances, il cuit les poteries et les aliments, il génère ainsi l’art culinaire, il réchauffe les huttes, les maisons et les hommes enfin, comme l’eau et l’air il produit de l’énergie mécanique surtout au travers d’abord des pompes à feu puis des machines à vapeur à partir du XIXème siècle. Ici encore il contribue, en principe, à alléger le travail mais aussi à le rendre plus répétitif, plus mécanique. Son contrôle pour produire de l’énergie en n’importe quel lieu est l’élément majeur de la première révolution industrielle.

Le feu l’homme le dérobe au bois d’abord, c’est la déforestation, au charbon après, c’est Germinal et la mort actuelle des bassins houillers, au pétrole ensuite, c’est la pollution industrielle, domestique et automobile qui gagne, c’est la guerre du golfe, la crise de 1973. Le feu est confort et danger.

Le feu enfin brûle dans le ventre des réacteurs nucléaires en créant une pollution mortelle, invisible mais fabriquée pour durer des millénaires. Il peut provoquer Tchernobyl, mais aussi le syndrome chinois. Il ne faut pas comme Prométhée oublier le danger qu’il y a à jouer avec lui à le posséder. Serons-nous condamnés comme lui, à nous faire dévorer éternellement le foie par les particules radioactives ?

Le feu ce sont enfin bombardes et canons, bombes et fusils, grenades et mines antipersonnelles. Le feu c’est Hiroshima, Nagasaki, Yokohama. C’est lui aussi qui brûle dans les fours crématoires d’Auswich de Dachau ou de Buchenwald.

Le feu, comme l’esprit, dit le pire et le meilleur pour l’humain. Le feu donne la mort et le bien être. Ce n’est donc sûrement pas un hasard s’il vient en dernier dans l’ordre des voyages, s’il est la dernière purification. Le posséder c’est posséder la vie et la mort, ce qui est moins évident pour les précédents éléments. C’est peut-être aussi pour cela que le dernier voyage est celui qui symbolise la vieillesse, rapprochant du passage à l’orient éternel.
L’homme à qui Prométhée a donné le feu est maintenant dépositaire du destin du monde, il est devenu dieu de lui-même en possédant cet élément.
Comment éviter que le feu de l’esprit se transforme en esprit du feu ?

Et le cinquième élément : la lumière ?
Dans l’antiquité et au cours de la période médiévale, l’on parle souvent d’un cinquième élément, c’est l’éther ou la lumière.
Je vois la lumière qui conclue l’initiation comme le don de l’information et du savoir. Tout savoir suppose lumière sur et information. La fin provisoire du voyage de l’apprenti et du monde, de l’homme et de la société, pour poursuivre la métaphore, c’est donc cette information (ni terre, ni eau, ni air, ni feu).
Les quatre éléments ont contribué à formaliser le monde actuel et le monde passé. Comment penser notre cybermonde en création au travers des quatre éléments mais aussi de cette dernière chose ni matérielle ni immatérielle qu’est la lumière.
D’abord, l’information est quelque chose qui ne peut faire fi des quatre éléments pour se transmettre et se perpétuer. Elle est dans toute matière. Mais, l’information transcende les quatre éléments, elle crée un système virtuel, matériel et non matériel. Elle fait partie du monde dans lequel on ne peut pas donner des coups de pied mais elle est indissociable du monde dans lequel on peut donner des coups de pied.

Le trajet de l’homme occidental et de la société occidentale (en voie d’universalisation et de mondialisation) conduit donc de la maîtrise et de la tentative de domination des quatre éléments à un détachement de plus en plus accompli de ces quatre éléments. L’information est partout,  mais elle est aussi nulle part. Elle est donc largement autonome dans sa dynamique.
En Occident, tout ce qui était donc le travail de l’homme lié au quatre éléments, à la matière est en voie de disparition au profit d’un monde virtuel et d’un travail virtuel détaché très largement de seule matérialité. Le chemin de quatre éléments nous permet à tout point de vue de comprendre cela : de la matière à l’esprit, de la terre au feu.
Mais, penser aujourd’hui l’amélioration matérielle et morale de l’homme et de l’humanité se heurte donc à cette virtualisation du monde. Comment agir sur un monde dans lequel on ne peut pas donner des coups de pied ?
Probablement d’abord en disant, car dans ce monde spécifiquement humain, dire c’est faire (cela a très bien fonctionner pour l’AMI et est en train de fonctionner pour la mise en place d’une Taxe Tobin). J’acquiesce donc à l’idée que l’on doit aujourd’hui faire connaître hors de nos temples l’idéal maçonnique, le propager, mais aussi le propager dans les cybermondes qui pour l’instant ne sont qu’éléments et matière, que lumière mais lumière sans direction sans système de valeur.
Plus nos voix seront nombreuses et fortes plus la trajectoire de l’information sera infléchie.

Pour ne pas conclure
Jürgen Habermas, philosophe allemand, freudo-marxiste, contemporain explique dans un ouvrage intitulé La science et la technique comme « idéologies » que « L'évolution de la technique se prête bien au modèle d'interprétation selon lequel l'espèce humaine aurait projeté l'un après l'autre sous la forme de moyens techniques les éléments qui sont à la base des différentes fonctions de l'activité rationnelle par rapport à une fin, lesquelles se situent d'abord au niveau de l'organisme humain — l'espèce pouvant ainsi se libérer elle-même de ces fonctions. Ce sont d'abord les fonctions de l'appareil de locomotion (les bras et les jambes) qui ont été renforcées et remplacées, puis la production d'énergie (du corps humain), puis les fonctions de l'appareil sensoriel (les yeux, les oreilles, la peau) et pour finir les fonctions du centre de commande (le cerveau). L'évolution technique obéit à une logique qui correspond... à la structure du travail » idem p. 13-14. On pourrait même rajouter à cela aujourd’hui la reproduction de l’espèce avec les fécondations in vitro.

Le trajet des quatre éléments dans l’histoire de l’humanité permet sûrement de mieux comprendre encore cette dynamique et de mieux penser l’homme comme un « animal technique », c’est-à-dire indissociablement lié à l’artificialisation qu’il construit.
Penser le rapport de l’homme aux éléments qui l’entourent et le constituent c’est donc très certainement penser l’homme lui-même.
Si la maçonnerie opérative veut vraiment œuvrer à « l’amélioration matérielle et morale de l’homme » peut-être est-il utile que non seulement elle discute et pense le monde dans ses ateliers, mais aussi qu’elle prenne la leçon des quatre éléments (cinq ?), fonctionnant finalement comme un système, qui ramènent à l’environnement, à l’action matérielle et concrète. Mais les quatre éléments sont aujourd’hui transcendés par l’information et la communication.
Kant se pose trois question fondamentales : qui suis-je ? que puis-je espérer ? mais aussi que puis-je faire ?

J\ G\


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