Déambulations
autour des quatre éléments
Introduction
Je commence par analyser l’aspect symbolique et
théorique du problème.
Dans l’initiation, le contact avec la terre (et le premier
voyage qui conduit de la terre au temple) puis, les trois voyages qui
s’en suivent disent probablement le parcours individuel. De
la (re) naissance (après la mort symbolique que
représente le cabinet de réflexion) à
l’enfance et la famille représentée par
le premier voyage jusqu’à
l’âge adulte puis à la vieillesse.
Je postule dans ce qui suit, de manière un peu
osée que ce que dit cette symbolique pour
l’ontogenèse, c’est-à-dire
pour le développement individuel, elle le formule aussi
peut-être pour la phylogenèse, autrement dit la
société humaine en général,
pour les transformations socio économiques, au moins pour
celles intervenues depuis trois ou quatre siècles en
Occident.
La terre représente le corps et la vie
matérielle, l’eau l’âme et la
religion, l’air le mental et la vie philosophique, le feu
l’esprit et l’initiation vraie. Cette
classification se rapproche plus ou moins de celles
formulées par Auguste Comte, Jean Baptiste Vico ou plus
récemment Jacques Attali. Pour le premier on trouve le temps
théologique, puis métaphysique et enfin positif
(c’est-à-dire celui où la science
positive explique tout — on peut relier ces trois
époques aux trois voyages), pour le deuxième on
passe pour la connaissance du temps des héros au temps des
dieux et au temps des hommes, pour le dernier du temps des corps au
temps des machines et au temps des codes.
A l’élément Feu
correspond aussi l’ardeur l’enthousiasme,
à l’élément Eau
la sensibilité et
l’émotivité, à
l’élément Air,
l’intellectualité et à
l’élément Terre
la matérialité. On sait aussi que chaque
élément permet de classer quatre signes du
zodiaque occidental.
L’on peut associer également les
quatre voyages aux quatre saisons aux quatre points cardinaux, mais
aussi aux quatre âges du monde : âge
d’or, âge d’argent, d’airain,
et de fer.
L’initié subit une triple purification par
l’Air, une double purification par
l’Eau et une simple purification par le
feu. Ces différentes numérations correspondent en
réalité au Tétractys sans le chiffre
quatre (qui représente en fait la terre). Le
Tétractys est une figure triangulaire
équilatérale dont la base est quatre et le sommet
un. Elle est la série des quatre premiers nombres dont la
somme est égale à dix. Elle avait un
caractère sacré chez les pythagoriciens. Dans ce
cas, 1 représente l’esprit créateur (le
feu), 2 la matière (l’air), 3 l’union de
l’esprit et de la matière (l’eau), 4 la
forme crée (la terre).
Enfin, il n’est pas possible
d’oublier comme je l’ai dit dans mes impressions
d’initiation que la terre, l’eau, l’air
et le feu sont aussi en nous dans les théories
hippocratiques — reprises jusqu’à la fin
du XVIIIème siècle au moins — dans le
champ de la médecine sous la forme des humeurs froides,
humides, sèches et chaudes.
Ces quatre éléments et ces quatre symboles
devraient donc, pour toutes ces raisons, nous dire quelque chose sur
l’homme et la société
La terre réalité et
symbole
La Terre bien sûr, représente le premier moment de
l’initiation et c’est en la « visitant et
en rectifiant que l’on trouve la pierre cachée
» (Visitan Interior Terrae et Rectificandoque
Invenes Olvidam Lapidem, V.I.T.R.I.O.L.). Elle explique donc
que c’est d’elle que tout doit partir, que
c’est en elle que tout doit commencer. Ce que je ferais pour
cette planche. Mais c’est aussi peut-être, comme
une boucle, en elle que tout fini (du moins la vie de profane).
La terre, en tout cas, est à la fois le lieu qui dans
l’univers porte la race humaine, minuscule planète
bleue (on aurait peut-être dû l’appeler
« la mer ») gravitant autour d’une banale
étoile jaune au bord d’une quelconque galaxie
spiralée s’éloignant d’un
hypothétique « big bang
» initial, mais c’est aussi la matière
qui constitue, pour partie cette planète.
Cette terre, on la représente souvent, ce qui
est une convention, avec le Nord en haut et le Sud en bas, il y a donc
sur cette terre ceux qui sont en haut et ceux qui sont en bas. Si
l’on admet qu’il s’agit d’une
sphère dans un univers sans haut et sans bas, on voit que le
système de représentation de la terre nous dit
l’homme qui représente : toujours celui du haut,
autrement dit l’Occidental, autrement dit encore
l’homme d’un pays dit
développé. Essayez d’imaginer la terre
représentée Sud en haut et Nord en bas. On a une
très grande difficulté à le faire,
bien sûr à cause de la convention mais aussi parce
que la convention est devenue vérité. La
vérité et non une vérité.
Regarder une représentation de la terre dit donc qui
l’a construite, mais aussi le passé qui
l’a construite. Elle dit la colonisation, la domination de
l’Occident et du Nord sur l’Orient et le Sud. Elle
dit le pouvoir de certains.
Dans le même sens, les projections de la terre sur un
planisphère ne tiennent pas du tout compte de la surface
réelle des différents pays, une
représentation qui tient réellement compte de la
surface des différents pays nous semble
étrangère, difforme. L’Afrique devient
immense le Groenland minuscule...
Penser la terre montre que l’on pense avec des
catégories humainement construites. La maçonnerie
œuvrant à l’universel et à
l’amélioration matérielle et morale de
l’homme pourrait peut-être contribuer à
rediscuter ces catégories.
La symbolique de la loge, représentant
pourtant en partie le même univers ne dit visiblement pas la
même chose. Elle dirait même plutôt le
contraire puisque la colonne du Nord est celle où
siègent les pierres non dégrossies que sont les
Apprentis alors que la colonne du Midi est celle où
siègent les Compagnons, pierres un peu
dégrossies. La loge qui symbolise l’ensemble de la
terre et de tous les hommes, réunis sous la voûte
étoilée, s’étend de
l’Orient à l’Occident et du Nord au Sud.
Et bien que l’on entre par l’Occident, la loge ne
dit pas l’orientation de la terre. Elle ne dit pas ceux qui
sont en haut et ceux qui sont en bas. Elle dit aussi que
c’est de l’Orient que vient la lumière.
L’image de la loge pourrait peut-être contribuer
à faire reconsidérer les cartes de
géographie et les représentations de la terre.
De l’Agriculture à la
culture
Mais, la terre c’est aussi la matière
première qui fut donnée à
l’homme au cours du temps.
Si l’on pense la terre à la fois comme symbole du
matériel, mais aussi comme réalité, on
peut admettre, avec quelques arguments, que l’histoire de
l’humanité dessine un chemin qui part de la terre
(souvent associée à l’eau), de
l’agriculture, de productions du type d’une
économie primaire, c’est-à-dire visant
à prélever directement de notre terre (ou mer)
à une économie secondaire,
c’est-à-dire transformant la matière
brute, puis à une économie de type tertiaire
c’est-à-dire fondée essentiellement sur
des abstractions, des services, de la communication et de
l’information qui se déplace à la
vitesse de la lumière. De la terre à la
lumière, de la matière à
l’esprit.
Jean Fourastié dans Les trente glorieuses
(Paris, 1979), écrit à ce sujet : « De
ces changements dans la nature de l'activité
économique dérive, pour les hommes une foule de
changement dans leur travail et dans leur vie quotidienne... Les
métiers tertiaires sont en effet moins exigeants en force
physique que les autres, plus éloignés de la
dureté des volumes, des poids, des températures,
des climats. Ils requièrent par contre (en
général dis-je encore une fois), plus
d'attention, et souvent plus de finesse...les machines industrielles
deviennent de plus en plus aisées à conduire avec
une faible force corporelle mais avec une souple
précision...la tendance est à la «
tertiarisation » des emplois primaires
et secondaires eux-mêmes. Tout se passe comme si le
travail humain était en transition de l'effort physique vers
l'effort cérébral... aujourd'hui (ce qui est
primordial) ce n’est plus le contact de la main avec la
matière c'est le contact du cerveau avec l'information.
» (p. 82 - 84).
La terre est le premier lieu et la première
source de vie de l’humanité, comme la terre est
première dans l’initiation.
L’homme, enfin, voyage sur la terre d’abord et
parfois un peu sur le bord des mers, sur quelques rivières
et fleuves non loin de la terre ferme.
La terre est bien son lieu premier.
Mais tant que l’homme voyage peu, reste sur sa terre
d’origine, il ne sait pas le monde et ne peut ouvrir son
esprit qu’à ce qui l’entoure de
manière proche. Sa socialité demeure
communautaire. Son esprit ne s’ouvre
qu’à une partie du monde et pense difficilement
l’Universalité. Collé à la
terre, il est difficile de penser le monde. Collé
à la matière, il est difficile
d’élargir l’esprit.
C’est ainsi que l’on défend son bout de
terre parce que l’on ne peut penser le bout de la terre.
Le voyage de l’eau et
l’eau comme voyage
Après la terre vient l’eau, d’abord les
fleuves et les rivières, puis vient la mer (la
mère ?). La mer c’est la Mare Nostrum
des latins d’abord, c’est-à-dire : notre
mer. La mer entourée de terre. Puis c’est
l’immensité de l’Atlantique (le pays des
Atlantes). Pour la traverser l’esprit doit penser plus loin
mais aussi vaincre des croyances établies
(au-delà de l’horizon séjournent des
monstres), construire de nouveaux outils (le sextant), et risquer de
perdre de vue la terre. Faire le tour de la terre par les mers
permettra d’affirmer qu’elle est à peu
près ronde. L’eau dit la terre. L’eau
dit la distance à la terre. Elle dit aussi le mouvement de
l’esprit pour penser la rondeur de la sphère. Elle
dit le chemin de Ptolémée à Copernic,
Ticho Brahé (brûlé par
l’inquisition pour cette découverte) et
à Galilée (« e pur si muove
» : et pourtant elle tourne). Aurait-on pu penser
qu’elle tourne sans en faire le tour, sans traverser la
grande eau.
L’homme après la terre, ou
pratiquement en même temps qu’elle, fait la
conquête de l’eau en la guidant pour irriguer, puis
en la canalisant pour produire de l’énergie.
D’abord l’eau va animer des moulins qui vont
mouvoir des meules pour fabriquer plus vite les farines,
l’huile, etc., puis des scieries et des manufactures.
L’eau contribue au développement technique et,
dans certains cas à alléger le travail humain.
L’eau partiellement dominée par l’homme
participe à la transformation de l’homme.
L’eau dans les années cinquante
devient « houille blanche ».
Elle change encore le travail en le rendant encore moins
pénible. Elle produit
l’électricité sans trop polluer, mais
en changeant la terre, en la submergeant parfois.
L’eau au-delà c’est la
vie (mais on a vu à la dernière tenue que
c’était aussi la mort). Sans eau on ne survit
guère plus de trois ou quatre jours dans un climat chaud.
L’eau est indispensable. Pratiquement toutes les
cités anciennes ont été
élevées à proximité
d’un point d’eau ou d’une
rivière ou d’une mer. L’eau est donc le
moteur de la vie.
Elle est également le moteur de nombreux
déplacements de populations et d’une grande partie
du commerce mondial. Elle permet des rencontres étonnantes
et imprévisibles entre différents groupes
d’êtres humains (voir la première
rencontre des amérindiens et des espagnols qui conduira
à la controverse de Valladolid tentant de définir
ce qu’est l’humain : les amérindiens
ont-ils une âme ? Sont-ils des hommes ou des bêtes
?).
Mais l’eau dit aussi bien souvent le chemin
des migrations humaines. Aux sources et à
l’embouchure du Mississippi, par exemple, on parle le
français (le joual ou le cajun) entre autres parce
c’est cette grande eau (signification du terme Mississippi en
indien des plaines) a porté la migration en canoës
et en bateaux des canadiens francophones.
On dit aussi que c’est de l’eau que
viennent les premières bactéries, les premiers
animaux. De l’eau vient toute la vie. La jonction de la terre
et de l’eau fait germer les graines. Le contrôle de
l’eau est en grande partie le contrôle de la
nourriture surtout dans les pays arides ou
tempérés.
L’eau est devenue aujourd’hui un enjeu commercial
d’envergure partout en Occident. La consommation
s’en est accrue phénoménalement en
trente ans. Elle sert surtout à
l’agrément et à
l’hygiène. L’eau c’est
l’or translucide de la société de
consommation. Mais, se faire déposséder de
l’eau revient peut-être pour
l’humanité à régresser
à l’enfance (à la terre).
L’eau dans la symbolique maçonnique lave
peut-être du premier voyage difficile cahotique.
Peut-être rend-elle la vie ?
L’eau, au plan symbolique
représente aussi une première « élévation
de la matière à l’esprit »,
de la pierre brute à la pierre dégrossie. Elle
permet de voyager dans l’univers de la connaissance des
autres et de soi. Le voyage de l’eau symbolise aussi
l’adolescence. L’eau serait dans cette optique et
dans la perspective choisie, l’adolescence de
l’homme mais aussi peut-être
l’adolescence de l’humanité.
Elle serait aussi encore le temps des religions pour
l’humanité. Ce temps serait suivi de celui de la
connaissance philosophique représentée par
l’air.
L’ère de
l’air
De toute évidence l’air est plus indispensable
encore que l’eau à l’homme, sans air on
reste à peine trois minutes en vie. Mais l’air est
beaucoup plus que cela.
D’abord l’air porte le langage verbal. Sans air
l’on ne parle pas et l’on n’entend pas,
puisque ce sont ses vibrations qui transmettent l’information
sonore. L’air fait donc aussi le cri, le langage, le chant et
la musique. Il crée encore davantage la musique dans les
instruments à vent.
La consonance, la concordance, l’harmonie trouvent pour
partie leur source dans l’accord d’instruments,
mais ce qui est dans la musique peut être pensé
dans l’humain : consonance, concorde, harmonie. Cela
correspond à l’idéal
maçonnique.
Si la musique est tributaire de l’air qui la
porte la musique, construit des ponts entre les âmes, entre
les esprits, elle est fondamentalement système de reliance
et de religiosité au sens étymologique de
créer un lien. La musique renvoie à la danse et
donc à un lieu de communion collective et même
parfois de fusion. Mais musique comme danse constituent sans aucun
doute un temps important dans
l’élévation collective de
l’humanité, dans le chemin de l’esprit.
Pour moi même si cela choquera peut-être, il
n’y a pas de différence fondamentale sur le plan
de la reliance entre la musique traditionnelle,
médiévale, baroque, classique, jazz, rock, house,
rap ou techno. L’air porteur de notes crée une
communion.
Mais, sans air, je le répète
encore, pas de vie (bien que la vie puisse aussi exister dans le seul
élément eau, dans la mesure où il
contient de l’oxygène). L’air fait
germer les graines, fermenter la bière et le vin.
La conquête de l’air paraît tellement
invraisemblable à l’homme qu’elle
produit le mythe d’Icare. L’air est
d’abord conquis par le vol des outils de chasse et de guerre
(lances, flèches, boomerang...). Ce n’est que
très récemment dans l’histoire de
l’humanité que le mouvement de l’esprit
conduit l’homme à se déplacer par la
voie des airs. Les expériences concrètes des
frères Montgolfier n’ont guère plus de
deux siècles. Mais dès lors que l’homme
commence à conquérir l’espace
aérien, la rapidité des voyages
s’accélère, les migrations deviennent
plus nombreuses et plus rapides. Le temps de la mondialisation vraie
commence peut-être avec la conquête de
l’air.
Le problème est ici encore, comme pour l’eau, que
l’air peut être détruit et dans ce cas
détruire la vie. Si le marché de la fin du
XXème siècle et du début du
XXIème siècle est l’eau (ce
qu’ont compris de nombreuses multinationales dont Vivendi),
peut-être que le marché du XXIème
siècle sera celui de l’air. A moins que
l’on ait alors renoncé à
l’idée de marché et
substitué à celle-ci l’idée
d’économie distributive, de partage des richesses.
L’air c’est aussi le vent. Le vent,
comme l’eau, actionne les premières
mécaniques (moulins) et sa maîtrise progressive
contribue aussi à diminuer la dureté du travail.
Dans les milieux arides, l’air est lié
à l’extraction de l’eau de la terre par
les premières éoliennes associées
à des puits artésiens. L’air produit
déjà, dans de nombreux pays (à part la
France), une énergie très peu polluante (sauf
pour le paysage) par le biais d’éoliennes
géantes.
Mais, symboliquement si l’air peut être
associé à la philosophie, l’air nous
dit aussi la prise de recul de l’esprit sur
lui-même, ce qui est finalement, peut-être,
au-delà de la concorde universelle, l’un des
éléments importants de la maçonnerie
symbolique. L’ère de l’air correspond
sûrement, dans cet esprit, à
l’âge adulte de l’humanité.
Sans air, le feu ne peut pas brûler.
L’esprit du feu ou le feu de
l’esprit
Comment homo sapiens a-t-il pu penser
à utiliser le feu ? Comment le feu fut-il donné
à homo sapiens. N’est-ce pas
le feu qui a transformé homo sapiens,
en sapiens sapiens ? N’est-ce pas
parce que l’homme a commencé à
maîtriser et à utiliser le feu qu’il a
pu se détacher progressivement de la nature, de
l’animalité ? Pratiquement tous les animaux ont
peur du feu, aucun ne l’utilise à son profit.
Prométhée, l’un des
Titans, dérobe le feu aux dieux pour le donner à
l’homme, il est puni terriblement pour cela par Zeus. Le feu
est donc très important lorsqu’il s’agit
d’humanisation. Il est aussi dangereux.
Alexandre Leroy Gourhan — et bien
d’autres anthropologues — considèrent
que si la création du langage (et donc de la
pensée) vient de l’usage de la main et, en
conséquence, de la libération de la
mâchoire qui ne sert plus à tuer,
l’usage du feu conditionne très vivement les
transformations du corps humain au plan de
l’énergie. Le feu change le singe en homme en le
faisant « singe nu ». Il le désadapte du
milieu naturel pour le conditionner à
l’artificiel. Il dit, plus que tout autre
élément, la fabrication de l’homme par
lui-même.
Le feu d’abord durcie le bois des lances, il
cuit les poteries et les aliments, il génère
ainsi l’art culinaire, il réchauffe les huttes,
les maisons et les hommes enfin, comme l’eau et
l’air il produit de l’énergie
mécanique surtout au travers d’abord des pompes
à feu puis des machines à vapeur à
partir du XIXème siècle. Ici encore il contribue,
en principe, à alléger le travail mais aussi
à le rendre plus répétitif, plus
mécanique. Son contrôle pour produire de
l’énergie en n’importe quel lieu est
l’élément majeur de la
première révolution industrielle.
Le feu l’homme le dérobe au bois
d’abord, c’est la déforestation, au
charbon après, c’est Germinal et la mort actuelle
des bassins houillers, au pétrole ensuite, c’est
la pollution industrielle, domestique et automobile qui gagne,
c’est la guerre du golfe, la crise de 1973. Le feu est
confort et danger.
Le feu enfin brûle dans le ventre des
réacteurs nucléaires en créant une
pollution mortelle, invisible mais fabriquée pour durer des
millénaires. Il peut provoquer Tchernobyl, mais aussi le
syndrome chinois. Il ne faut pas comme Prométhée
oublier le danger qu’il y a à jouer avec lui
à le posséder. Serons-nous condamnés
comme lui, à nous faire dévorer
éternellement le foie par les particules radioactives ?
Le feu ce sont enfin bombardes et canons, bombes et
fusils, grenades et mines antipersonnelles. Le feu c’est
Hiroshima, Nagasaki, Yokohama. C’est lui aussi qui
brûle dans les fours crématoires
d’Auswich de Dachau ou de Buchenwald.
Le feu, comme l’esprit, dit le pire et le
meilleur pour l’humain. Le feu donne la mort et le bien
être. Ce n’est donc sûrement pas un
hasard s’il vient en dernier dans l’ordre des
voyages, s’il est la dernière purification. Le
posséder c’est posséder la vie et la
mort, ce qui est moins évident pour les
précédents éléments.
C’est peut-être aussi pour cela que le dernier
voyage est celui qui symbolise la vieillesse, rapprochant du passage
à l’orient éternel.
L’homme à qui Prométhée a
donné le feu est maintenant dépositaire du destin
du monde, il est devenu dieu de lui-même en
possédant cet élément.
Comment éviter que le feu de l’esprit se
transforme en esprit du feu ?
Et le cinquième
élément : la lumière ?
Dans l’antiquité et au cours de la
période médiévale, l’on
parle souvent d’un cinquième
élément, c’est
l’éther ou la lumière.
Je vois la lumière qui conclue l’initiation comme
le don de l’information et du savoir. Tout savoir suppose
lumière sur et information. La fin provisoire du voyage de
l’apprenti et du monde, de l’homme et de la
société, pour poursuivre la métaphore,
c’est donc cette information (ni terre, ni eau, ni air, ni
feu).
Les quatre éléments ont contribué
à formaliser le monde actuel et le monde passé.
Comment penser notre cybermonde en création au travers des
quatre éléments mais aussi de cette
dernière chose ni matérielle ni
immatérielle qu’est la lumière.
D’abord, l’information est quelque chose qui ne
peut faire fi des quatre éléments pour se
transmettre et se perpétuer. Elle est dans toute
matière. Mais, l’information transcende les quatre
éléments, elle crée un
système virtuel, matériel et non
matériel. Elle fait partie du monde dans lequel on ne peut
pas donner des coups de pied mais elle est indissociable du monde dans
lequel on peut donner des coups de pied.
Le trajet de l’homme occidental et de la
société occidentale (en voie
d’universalisation et de mondialisation) conduit donc de la
maîtrise et de la tentative de domination des quatre
éléments à un détachement
de plus en plus accompli de ces quatre éléments.
L’information est partout, mais elle est aussi
nulle part. Elle est donc largement autonome dans sa dynamique.
En Occident, tout ce qui était donc le travail de
l’homme lié au quatre
éléments, à la matière est
en voie de disparition au profit d’un monde virtuel et
d’un travail virtuel détaché
très largement de seule matérialité.
Le chemin de quatre éléments nous permet
à tout point de vue de comprendre cela : de la
matière à l’esprit, de la terre au feu.
Mais, penser aujourd’hui l’amélioration
matérielle et morale de l’homme et de
l’humanité se heurte donc à cette
virtualisation du monde. Comment agir sur un monde dans lequel on ne
peut pas donner des coups de pied ?
Probablement d’abord en disant, car dans ce monde
spécifiquement humain, dire c’est faire (cela a
très bien fonctionner pour l’AMI et est en train
de fonctionner pour la mise en place d’une Taxe Tobin).
J’acquiesce donc à l’idée que
l’on doit aujourd’hui faire connaître
hors de nos temples l’idéal maçonnique,
le propager, mais aussi le propager dans les cybermondes qui pour
l’instant ne sont qu’éléments
et matière, que lumière mais lumière
sans direction sans système de valeur.
Plus nos voix seront nombreuses et fortes plus la trajectoire de
l’information sera infléchie.
Pour ne pas conclure
Jürgen Habermas, philosophe allemand, freudo-marxiste,
contemporain explique dans un ouvrage intitulé La
science et la technique comme «
idéologies » que « L'évolution
de la technique se prête bien au modèle
d'interprétation selon lequel l'espèce humaine
aurait projeté l'un après l'autre sous la forme
de moyens techniques les éléments qui sont
à la base des différentes fonctions de
l'activité rationnelle par rapport à une fin,
lesquelles se situent d'abord au niveau de l'organisme humain
— l'espèce pouvant ainsi se libérer
elle-même de ces fonctions. Ce sont d'abord les fonctions de
l'appareil de locomotion (les bras et les jambes) qui ont
été renforcées et
remplacées, puis la production d'énergie (du
corps humain), puis les fonctions de l'appareil sensoriel (les yeux,
les oreilles, la peau) et pour finir les fonctions du centre de
commande (le cerveau). L'évolution technique
obéit à une logique qui correspond...
à la structure du travail » idem
p. 13-14. On pourrait même rajouter à cela
aujourd’hui la reproduction de l’espèce
avec les fécondations in vitro.
Le trajet des quatre éléments dans
l’histoire de l’humanité permet
sûrement de mieux comprendre encore cette dynamique et de
mieux penser l’homme comme un « animal
technique », c’est-à-dire
indissociablement lié à
l’artificialisation qu’il construit.
Penser le rapport de l’homme aux
éléments qui l’entourent et le
constituent c’est donc très certainement penser
l’homme lui-même.
Si la maçonnerie opérative veut vraiment
œuvrer à « l’amélioration
matérielle et morale de l’homme
» peut-être est-il utile que non seulement elle
discute et pense le monde dans ses ateliers, mais aussi
qu’elle prenne la leçon des quatre
éléments (cinq ?), fonctionnant finalement comme
un système, qui ramènent à
l’environnement, à l’action
matérielle et concrète. Mais les quatre
éléments sont aujourd’hui
transcendés par l’information et la communication.
Kant se pose trois question fondamentales : qui suis-je ? que puis-je
espérer ? mais aussi que puis-je faire ?
J\ G\
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