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Saint
Jean d’Eté 6018 - Quelle
heure est-il ? Pourrait demander un Grand Architecte dont les jours
seraient
nos années. - Il
est
midi, Maître, lui répondrait-on, au solstice d'été. Jour en lequel le
soleil passe
au plus haut dans le ciel pour les occidentaux que nous sommes, comme
il
culmine à midi dans sa course journalière. Jour le plus long, fête de
Saint-Jean le Baptiste depuis près de deux millénaires comme au
solstice
d'hiver est fêté Janus bifront, un visage jeune au solstice d'hiver
tourné vers
l'avenir, vers la remontée du soleil dans le ciel, vers le retour de la
lumière, un visage ridé au solstice d'été tourné vers le passé,
regardant le
soleil décliner au fil des jours et les ténèbres s'épaissir. Si les
solstices ont de tous temps été liés aux cultures, ils ont aussi, de
tous
temps, fait partie intégrante des religions et des écoles initiatiques. Presque
toutes les religions sont solaires et presque tous les rites sont
agraires. Faisons un
bond de quelques milliers d'années en arrière, laissez-moi vous
entraîner dans
une fiction qui pourrait commencer comme le film «2001 ou l'odyssée de
l'espace» : la vie d'hommes-singes, uniquement préoccupés de leur
survie. Il était
une fois un homme préhistorique, peut-être déjà vêtu de sa peau de
bête,
peut-être déjà armé de sa massue, qui attendait tous les matins, devant
sa
caverne, le soleil. Cette «chose» qui sort de la terre, qui éclaire et
qui
réchauffe, qui chasse l'obscurité, l'angoisse de la nuit et les dangers
invisibles. C'est quelque chose de bizarre, ce soleil ; il se cache
parfois
derrière des nuages et puis, et puis... il ne sort pas tous les matins
du même
endroit de la terre, il ne reste pas tous les jours aussi longtemps et
les
nuits sont quelquefois bien longues ! Il ne parcourt pas toujours le
même
chemin dans le ciel et ne rentre pas tous les jours au même endroit
dans la
terre. C'est déjà un homme pensant qui se fait ces remarques. Des
générations plus tard, un homme, presque identique au précédent,
remarque que
le soleil ne sort pas n'importe où de la terre, qu'il peut prévoir
d'où il
sortira le lendemain, que ces endroits se placent entre deux points
extrêmes en
un lent mouvement de va et vient et qu'il en est de même pour les
endroits où
le soleil rentre dans la terre. Il
remarque aussi que les trajectoires dans le ciel se déplacent au même
rythme
que les levers et couchers. Des
générations, sans doute encore plus tard, l'homme adore ce soleil qui
apporte
la chaleur, la vie, la lumière ; il en fait un Dieu. Il repère les
positions
extrêmes dans les directions desquelles son Dieu se lève et se couche ;
pour
cela, il pose des cailloux et plante des piquets, enfin érige des
colonnes :
deux colonnes pour marquer les directions de ses levers extrêmes ou
deux
colonnes pour marquer les directions de ses couchers extrêmes à partir
d'un
point qui devient le centre d'un endroit sacré. L'homme a
trouvé les solstices d'été et d'hiver, il a construit le premier
calendrier
annuel puis semestriel. Beaucoup
plus tard, l'ombre d'une colonne lui donnera l'heure, c'est le cadran
solaire,
c'est aussi l'obélisque égyptien dont la pierre cubique à pointe qui le
termine
indique les quatre points cardinaux. Puis, les formes s'affinent, la
beauté
s'en mêle, les diamètres des colonnes circulaires sont tels qu'aux
solstices,
ces colonnes cachent tout juste le soleil qui semble en sortir le matin
ou y
rentrer le soir, apparaissant un instant exactement à leur sommet,
comme un
disque posé dessus ; d'où ces globes qui surmontent parfois les
colonnes sur
certaines illustrations et dans lesquels certains ont voulu y voir les
globes
terrestre et céleste. Ces deux
colonnes, qui prendront ensuite un sens différent, quoiqu’issu du
précédent,
elles indiqueront une limite, en encadrant une porte. Elles marqueront
le
passage d'un monde à un autre. Les colonnes d'Hercule, élevées par ce
héros à
la fin de son voyage en Afrique du Nord, l'une en Europe, le rocher de
Gibraltar, l'autre en Afrique, le rocher de Ceuta, étaient destinées à
marquer
les limites géographiques et séparer le monde connu du monde inconnu.
Elles
permettaient aussi de réduire le passage entre ces mondes afin
d'empêcher les
monstres de l'océan de franchir le détroit. On sait ce que les Grecs
craignaient qu'il leur arrivât s'ils passaient ce détroit : Poséidon
siégeait
dans l'Atlantique ! Les
colonnes marquent le passage entre le monde profane et le monde sacré
dans les
temples chrétiens, égyptiens, grecs, maçonniques. Les
solstices, de manière analogue, marquent des limites, sont des portes. Le
solstice d'été représente la porte des Hommes, le solstice d'hiver la
porte des
Dieux. Le
solstice d'été symbolise aussi l'initiation, la cérémonie par laquelle
le
glébeux devient Homme, passe du monde de la Nature à celui de la
Culture,
devenant un être ouvert à la vie de l'Esprit. Le
solstice d'hiver symbolise, lui, le passage à l'Orient Eternel, porte
qui ouvre
sur un monde sur lequel la Franc-Maçonnerie n'émet aucune hypothèse.
Car si
une religion promet généralement un Ciel, un Paradis, un Nirvana, un
Walhalla,
en récompense d'une vie juste et parfaite, il est des sociétés
initiatiques,
comme la Franc-Maçonnerie, qui ne promettent rien car elles n'ont rien
à
vendre. Elles proposent à l'homme un chemin terrestre de perfection,
que nous
appelons «Voie Royale». «On ne nous enseigne pas la Sagesse, dit
Proust, on la
découvre soi-même au bout d'un chemin que personne ne peut faire à
notre
place». Ce chemin
terrestre commence par l'initiation et l'initiation commence par
l'épreuve dite
«de la Terre» au cours de laquelle le postulant est confronté au coq. De même
que le coq chante à la fin de la nuit pour annoncer la lumière du jour,
Jean le
Baptiste a prêché au désert pour annoncer la venue de la Vraie Lumière. C'est une
parcelle
de cette Lumière que reçoit celui qui est baptisé, non par l'eau mais
par
l'Esprit ; c'est une parcelle de cette Lumière que reçoit l'initié
Franc-Maçon
devenant ainsi «Fils de la Lumière». Car le
message de cette Lumière est le même quelle que soit la façon de la
considérer
; c'est le message qui traverse la nuit des temps : redresser la
structure
psychique de l'adepte, le métamorphoser, transformer le plomb en or,
ressusciter l'Esprit que le profane avait assassiné (P.B. Loiseau). La
Franc-Maçonnerie est un ordre initiatique et traditionnel. Elle se
donne pour
tâche essentielle de transmettre la tradition. C'est ce que nous
faisons lors
de cette fête solsticiale d'été; en honorant Saint-Jean le Baptiste,
nous
perpétuons les traditions des corporations de métiers mais aussi celles
de
toutes les religions dites païennes. Le feu de
la Saint-Jean a toujours brûlé et en tous lieux. Quand la tradition
prit une
forme chrétienne, Janus devint les deux Saint-Jean, mais le symbolisme
cosmique
demeura inchangé. La vie est cyclique, tout ce qu'elle anime croît et
décroît. La qualité
d'une société traditionnelle se reconnaît à son aptitude à
réactualiser le
message - inchangé - qu'elle est en charge de transmettre, en épurant
constamment et renouvelant son expression. La symbolique de la Mort et
de la
Résurrection nous enseigne, entre autres choses, que la tradition,
comme tout
être vivant, doit être reformulée pour être vivifiée. C'est
ainsi que l'initié égyptien recherche les énergies qui feront de lui un
Dieu ou
l'égal des Dieux. C'est ainsi que le Dadouque, puis Hiérophante des
mystères
d'Eleusis, après avoir atteint la divinité, refait sa marche en sens
inverse
jusqu'à ce qu'il arrive au repos. Bouddha, quant à lui, préfère
devenir
Boddhisattva pour montrer le chemin aux autres hommes. Le
Pythagoricien, pour
sa part, se réincarne, sachant de tout temps qu'il lui faut
périodiquement
subir des épreuves et remonter des Enfers à l'exemple d'Orphée. C'est
également
ainsi que le Viking emploie sa vie à traverser le pont qui mène du
monde des
Hommes à celui des Dieux en suivant l'itinéraire sacré du Soufi. Le
Maître
Maçon, en pleine possession de ses moyens, suit le même chemin que le
bouddhiste, l'hermétiste, l'alchimiste, il est dans la même voie
traditionnelle,
entend les mêmes voix qui viennent du fond des âges. Et toutes
ces voix, toutes les traditions, affirment la nécessité d'une
métamorphose,
d'une purification, d'un changement d'état, en vue d'accéder à la vie
spirituelle. La clé en est qu'il faut mourir pour renaître. S'initier,
c'est
non seulement harmoniser sa vie (sagesse), mais c'est aussi et surtout
apprendre à mourir, donc rechercher ce qui peut être au-delà de nous-
mêmes
(connaissance). La
Franc-Maçonnerie s'inscrit dans le courant traditionnel immémorial en
permettant à l'homme qui le désire de puiser, boire aux sources
primordiales
afin de se construire, homme d'aujourd'hui, moderne, c'est-à-dire
vivant avec
son temps, les idées de son temps, les progrès de son temps, tout en
restant
dans la tradition. Une société qui fige ce qu'elle appelle sa
tradition, tue
cette tradition, laquelle, cessant alors d'être bien vécue, n'est plus
comprise
et ne vit plus dans les esprits que comme observance servile. C'est ce
qui
arrive dans les sectes dites «traditionalistes », qui vivent d'un
cadavre de
tradition momifié dans des textes et deviennent «intégristes ». Christian
Jacq rappelle que «quand les scribes, les initiés, se penchaient sur un
texte
pour en dégager la signification, ils ajoutaient, sans en éliminer
aucun,
d'autres arguments à ceux déjà mentionnés par les générations
précédentes. Puis
la génération suivante étudiait ce même texte, et toujours sans
supprimer les
autres commentaires, développait ses propres idées sur la question. Voilà une
caractéristique de la fantastique cohérence du système de la pensée
égyptienne
: laisser la place à plusieurs modes de réflexion sans privilégier
l'une ou
l'autre, ni les considérer comme contradictoires ». Minuit
«plus une seconde» est l'heure de la naissance ou de la résurrection,
d'un
nouveau départ, d'une nouvelle vie ; midi est celle de l'initiation,
d'un
changement de niveau de cette vie ; minuit «moins une seconde» est
l'heure de
la mort, l'annonce d'un changement, d'un nouveau cycle. La voie
exotérique se
vit de minuit à midi, à la recherche de la lumière matérielle. La voie
ésotérique se vit de midi à minuit à la recherche de la lumière
intérieure, du
solstice d'été au solstice d'hiver, de la porte des Hommes à celle des
Dieux,
de la lumière vers l'ombre. « Lumière
et Ombre, dit Zoroastre, sont les deux éternelles voies du monde ». La
Franc-Maçonnerie de tradition a pour clé de voûte l'invocation au Grand
Architecte de l'Univers et le Franc-Maçon rend gloire à un principe qui
met en
œuvre un processus de construction intérieure. L'homme, perdu dans la
multitude, est un nomade de l'esprit. Son entrée dans une société
traditionnelle va le sédentariser grâce à cet idéal de construction de
lui-même
car il est le temple à construire. La voilà, l'actualité de la
tradition :
nous reconstruisons l'Homme. Depuis le
temps des pyramides, on s'exprime avec les mêmes mots, les mêmes
gestes, avec
le Soleil, la Lune, le Delta, le Volume de la Loi Sacrée, le Compas,
l'Equerre,
la Règle et autres outils. La vie dans une Loge maçonnique est
identique, dans
la méthode traditionnelle, à celle de l'Egyptien qui entrait dans le
péristyle
recevoir l'initiation. Le vrai temple dans lequel se consacraient les
mystères
était le corps de l'homme égyptien ; c'est là qu'il adorait son Dieu,
c'est-à-dire tentait de comprendre le sens du mystère. De même, le
Franc-Maçon,
dans sa Loge, apprend, grâce à ses outils symboliques, à percevoir la
lumière
qui est en lui. Alors, par
la présence à soi, l'écoute de la parole, la connaissance du «mot de
Maître» et
la fidélité, l'homme régénéré chemine inexorablement vers la Lumière
qui est
en lui et au-devant de lui. Porteur d'une même et éternelle étincelle
de
vérité, transmise de siècle en siècle, il entend le précepte d'Hermès
Trismégiste : «Sache que ce qui est en Toi
regarde et
entend, c'est la Parole du Seigneur et ton Esprit est Dieu Père; ils ne
se sont
pas séparés l'un de l'autre car c'est leur union qui est la vie». Il
comprend Saint-Jean l'Evangéliste qui reprend en écho, faisant parler
le Christ
: «En vérité, je vous le dis : si quelqu'un garde ma Parole, jamais il
ne verra
la mort ». Il y a,
dans notre rituel, une question fondamentale : «Pourquoi vous êtes-vous
fait
recevoir Franc-Maçon ?» La réponse
est merveilleuse : «Parce que j'étais dans les ténèbres et que j'ai
désiré la
lumière». Au moment
de franchir cette porte des Hommes, prenons la résolution d'être des
Architectes de la paix et notre œuvre sera Lumière. |
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