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Le Signe d'Ordre, La Mise à l'Ordre, La Mise en Ordre

Laisser son imagination vagabonder sur un « symbole », geste ou objet…
Trouver le symbole, geste ou objet,  qui s'impose comme un signifiant porteur de sens dans le quotidien, qui touche l'être entier : physique, affectif, intellectuel...
Eviter la tentation d'aller voir ce que d'autres en ont dit, tentation non pas nécessairement de facilite mais de sécurité...

Oser être soi-même avec ses mots à soi, ses idées à soi... Se découvrir face aux autres et à soi-même, chose à la fois plus facile et plus difficile qu'un travail intellectuel de recherche et d'érudition...

Déjà le coeur battant très fort à l'idée de ce travail, alors...alors cette phrase du rituel, ces mots qui, loin des bruits du monde profane, me plongent dans la paix du temple et de l'oeuvre maçonnique : « Debout, mes sœurs, et à l'ordre, face à l'Orient ».

Le signe d'ordre, la mise à l'ordre, la mise en ordre (selon une suggestion très pertinente de ma maîtresse d'instruction), voila mon choix pour ce travail symbolique. Que signifie ce geste, la main droite posée en équerre au-dessus de la poitrine, bloquant la gorge ? Ce geste symbolique, je le sais pour l'avoir lu et entendu au cours de mon bref « apprentissage » évoque des instruments maçonniques concrets : l'équerre ( main posée au-dessous de la gorge, les quatre doigts serrés et le pouce écarté), le niveau (élever le coude droit à la hauteur de la main, main et bras se tirant horizontalement jusqu'a l'épaule), le fil a plomb (la main et le bras retombent verticalement le long du corps, le tout formant l'équerre.

Il semble également que selon les « correspondances » du Zodiaque physiologique des anciens Inities, la région de la gorge est, je cite, « régie par le signe du Taureau, symbole de l'impulsivité passionnelle susceptible, non d'être domptée, mais d'être détournée de ses fins bestiales, et sublimée, sous l'influence des forces psychiques supérieures de l'individu, en fermeté, amour du travail, persévérance dans le bien ».
(Mes Sœurs natives du taureau, voila de quoi vous réjouir !)

Pour moi, bien avant de savoir ce qu'il représentait au niveau proprement maçonnique, c'est le premier geste qui, le jour de l'initiation,- pour autant que je puisse m'en rappeler clairement quelque chose -, c'est le premier geste donc qui a réussi à me procurer un certain apaisement en me remettant en contact avec moi-même, après - ou pendant - une cérémonie qui m'a complètement retournée et jetée hors de moi et où je devais garder les mains éloignées de mon corps..., à me procurer la sensation de me retrouver enfin et de retrouver les autres, des humains comme moi, avec qui j'avais le sentiment de partager quelque chose d'indéfinissable Partage, ...oui, et plus que partage encore, oserais-je dire communion ?
Oui j'oserai, puisque c'est ce que je ressens lorsque j'entends ces mots et lorsque, à l'unisson, nous faisons toutes ce geste en même temps.

Ce geste, qui règle également tous les déplacements dans le temple, est devenu pour moi le premier symbole intégré et vécu dans ma (courte) vie d'apprentie...
Intègre et vécu, mais peut-être pas dans son sens premier.

J'ai appris qu'il exprimait dans l'histoire maçonnique : « je préfère avoir la gorge tranchée que de trahir le secret »...mais j'ai entendu qu'il signifiait aussi : « je contrôle et j'apaise mes instincts, j'apprends à modérer mes paroles, à maîtriser mes passions... ».
Pour moi, plus que cela encore, il signifie : je reprends contact avec moi-même  pour pouvoir authentiquement communiquer avec les autres.

Symbole de la maîtrise des passions, du contact renoué avec soi, de la main maternelle qui rassure et apaise les peurs...

Symbole de la main, la main qui fait l'homme, qui peut caresser ou torturer, nourrir ou tuer, la main posée sur la gorge, à cet endroit où l'on sent palpiter la vie, la gorge par ou sortent les mots que nous prononçons, des mots qui peuvent tout : rendre heureux, faire souffrir, aider à vivre, ou tuer ; ces mots que bien souvent nous ne contrôlons pas, dont nous disons qu'ils sont sortis malgré nous, que nous ne voulions pas dire, mais que ça a été plus fort que nous. Il est si facile de juger, bien plus facile que de s'abstenir de le faire...et ce geste, c'est pour moi une sorte de rappel à l'ordre, sans jeu de mots facile, c'est un moyen de me mettre en garde contre tout ce qui pourrait sortir de moi sans que je l'aie véritablement choisi.

C'est une des premières leçons de ma vie maçonnique, et une importante, je crois,  que je tente d'appliquer dans la vie profane, sans faire effectivement le geste, quoique presque instinctif à la limite, en le faisant dans ma tête en quelque sorte, quand j'y pense. Et j'essaie d'y penser le plus souvent possible : c'est le lien secret entre ma vie profane et ma vie maçonnique et une des règles que je m'efforce d'appliquer, sans y réussir toujours.

« Ne pas se moquer, ne pas s'apitoyer, ne pas détester, mais comprendre » dit Spinoza... Cesser de juger à tort et à travers, surtout quand ce n'est pas nécessaire - et ça ne l'est pas souvent, c'est ce dont ce simple geste m'a fait prendre conscience, ce que ce simple geste m'aide à faire et à vivre.
Geste simple et si lourd de sens....

Il y a le mot ordre aussi : se mettre à l'ordre, c'est accepter d'intégrer et d'obéir à une règle, à un rituel qui donne sens au travail maçonnique : c'est accepter de faire partie d'un ordre, l'ordre maçonnique, avec ses règlements et ses valeurs, c'est s'engager à respecter une discipline librement consentie et nécessaire sans doute au bon fonctionnement de l'ordre.
Mais se mettre à l'ordre, ce n'est pas seulement obéir, ce n'est pas seulement signe d'obéissance, c'est aussi apprendre à se mettre en ordre avec soi - et ce signe ou geste y aide efficacement -, c'est apprendre à être attentif et vigilant, à être à l'écoute de soi et de l'autre, c'est apprendre à mettre de l'ordre dans sa tête, dans ses idées, c'est apprendre à réfléchir avant de parler, c'est, la main sur la gorge, sentir la vie battre en soi, c'est se sentir vivre, c'est se battre pour vivre, c'est vivre pour tenter de se connaître et de s'améliorer, c'est s'améliorer, pour vivre mieux, ou simplement bien avec les autres, c'est peut-être en dernière limite se recueillir, se replier en soi pour mieux s'ouvrir au monde...

Dès lors, la signification de ce geste apparaît fort claire : au moment de l'ouverture des travaux, le Maçon, ou la Maçonne, affirme par ce geste – en théorie du moins - qu'il a isolé sa pensée des influences extérieures et « inférieures », qu'il refuse que les « troubles » sentiments d'en bas viennent perturber son esprit, qu'il a l'esprit lucide et qu'il marchera droit (enfin...c'est une image...), comme le doit un Apprenti consciencieux. Je ne voudrais pas terminer sans parler d'un autre genre d'ordre, qui n'est plus vraiment du rituel proprement maçonnique sans doute, mais qui reste très symbolique pour moi : je voudrais parler de l'ordre aux cuisines, qui, quoi que je puisse en dire ou en penser, et aussi curieux que ça puisse paraître, m'a beaucoup apporté sur le plan humain par le travail que j'ai dû faire sur moi-même pour dépasser certaines appréhensions irrationnelles.

Certaines, pas toutes..., mais le travail sur soi n'est jamais terminé n'est-ce pas ? Le rapport avec la mise à l'ordre ?  Apprendre à maîtriser ses passions et ses peurs... Cet ordre aux « cuisines » ou une idée presque obsédante s'est imposée à moi : cette  complémentarité entre travaux « spéculatifs » et travaux « opératifs », entre un ordre rituel qui retit les travaux dans le temple et un ordre beaucoup moins rituel, quoique...lors des agapes dans les cuisines et la salle humide, cette union harmonieuse entre ce que j'appellerai, à défaut de termes adéquats, deux « mondes » aussi différents, me fait irrésistiblement penser au couple Apollon et Dionysos.

Apollon, dieu de la raison, de la mesure, du soleil, de la lumière, de la sagesse en quelque sorte, qui ouvrerait dans le temple et Dionysos, dieu de la vie, des passions, des instincts, de la nuit, de l'ivresse qui présiderait au repas, lors du retour dans le monde profane.
Une façon de le réintégrer en gardant Apollon et le temple dans un coin de sa tête et de son coeur...

Je voudrais enfin, dans le contexte de ce travail, remercier toutes les sœurs pour tout ce que j'ai reçu ici, en haut comme en bas, pour tout ce qu'elles m'ont apporté, volontairement et involontairement. Et ce geste, cette mise à l'ordre est pour moi le symbole même de cet apport, de cette solidarité, de ce partage de valeurs, de ces liens qui se nouent dans un atelier où nous travaillons toutes ensemble, chacune à notre manière sans doute, mais dans un idéal commun de perfectionnement de l'humain en nous et autour de nous.

J'ai dit

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