Depuis le moment où le profane entre dans le cabinet de réflexion, son corps et son esprit sont déstabilisés. Se trouver enfermé dans une pièce sombre entouré de multiples symboles, le plonge dans une posture inconfortable et il essaie d’analyser, de comprendre ce qui se passe. Il se trouve alors projeté hors du temps profane.

L’entrée dans le temple par la porte basse contraint son corps à se recroqueviller. Les 3 voyages lui font subir le tumulte et l’agitation des sens. Tout ceci ne le place pas dans un état de sérénité, mais au contraire, lui fait perdre quantité de repères.

Puis le 2nd Surveillant, après toute cette période déstabilisante, procède à l’instruction du nouveau frère, lui communique les secrets du grade et lui dit notamment :

« Mon Frère, les équerres, les niveaux et les perpendiculaires sont de véritables signes de reconnaissance pour un Franc-maçon. Vous êtes donc tenu de vous mettre bien droit, les pieds en équerre. Maintenant, faites un pas vers moi avec votre pied gauche et ramenez votre talon droit contre le gauche, en formant équerre : c’est le premier pas régulier en Franc-maçonnerie et c’est dans cette position que les secrets sont communiqués. Quand vous pénétrerez en Loge, vous exécuterez ce pas trois fois ».

A ce moment-là, la première chose demandée au nouveau Frère est de se tenir droit. Pourquoi ? Parce qu’il lui faut récupérer son corps qui a été mouvementé, revenir vers lui, se recentrer. La position droite le pousse vers ce retour, vers cette position à laquelle nous ne sommes pas habitués dans le monde profane, car nous nous laissons bien souvent aller aux aléas des situations et nous ne prêtons que trop rarement attention à notre posture physique et morale. Il lui est demandé de mettre les pieds en équerre ainsi que le bras, avec la main, elle aussi, en équerre devant sa gorge. Cette position n’a rien de naturel pour l’homme et je dois avouer qu’elle m’est inconfortable. L’effort demandé est difficile pour garder la posture. De plus, c’est comme cela qu’il doit faire trois pas successifs, en ligne droite, en avançant vers l’Orient.

Pourquoi nous demande-t-on une telle chose ? Pour nous soumettre ou bien il y a-t-il un sens caché que nous devrons découvrir ? Le fait de frapper à la porte du temple est signe que le postulant recherche un moyen pour pouvoir effectuer un voyage intérieur qui l’amènera vers la connaissance de lui-même. Mais avant de pouvoir prétendre commencer à chercher, il va falloir apprivoiser, dominer ce corps qui souvent prend trop de place au détriment du vrai outil de recherche qu’est l’esprit. Une préparation de l’esprit par la discipline du corps est nécessaire. Lorsqu’il se met à l’ordre et s’apprête à marcher, l’apprenti se soumet à un rite qui le dispose à passer du monde profane à celui du Sacré, qui lui permet d’atteindre une disponibilité d’esprit et d’ouverture aux symboles, qui l’incite enfin à la rupture avec le monde extérieur et l’invite au recueillement. En entrant dans le temple l’apprenti soumet son corps et ouvre son esprit. Il s’en remet à ses Frères, qui seuls peuvent le reconnaître comme Maçon.

La posture seule ne peut pas suffire. Il doit maintenant se mettre en mouvement car sinon il stagnera. C’est ce zèle dont il doit faire preuve que le dictionnaire définit comme : « Vive ardeur pour appliquer les consignes et les règlements à la lettre, ou plus généralement pour le maintien ou le succès de quelque chose en poussant à l’extrême le travail sans prendre la moindre initiative pour l’alléger en l’interprétant ». Le zèle, que l’on pourrait comprendre si l’on s’en tient à sa définition, comme son propre engagement envers soi-même, mais aussi à la foi en soi que nous devons avoir pour nous permettre d’avancer.

Les pas sont le moteur du mouvement. Il lui faut avancer en gardant la posture de départ, c’est-à-dire à l’ordre. L’apprenti effectue trois pas égaux, le pied gauche s’avançant en premier, le pied droit le suivant toujours à angle droit, dans un sens rectiligne. Pied gauche pour 2 raisons : la première, naturelle, c’est le côté du cœur dont l’apprenti aura besoin. La deuxième est physique. Avez-vous essayé de tourner dans le sens du mouvement solaire en partant du pied droit ? Il est certain que rapidement vous ne pourrez plus suivre cette route !

Dans ces trois pas, on retrouve l’équerre, le niveau, et la perpendiculaire. Par le rapprochement du pied droit et du pied gauche, l’apprenti rapproche deux segments de droite séparés, qui, lorsqu’ils viennent à se toucher, forment cette équerre. Celle-ci, à l’échelle de l’homme, est symbole de droiture, mais elle représente également, au-delà de l’apprenti-Maçon, par la forme parfaite ainsi composée, le divin.

On peut ainsi considérer que l’apprenti ne peut trouver l’Unité que par le rapprochement de sa dimension humaine et de sa recherche spirituelle. Ce chemin chargé d’embûches, offre une progression entrecoupée d’arrêts rectificateurs. Rectificateurs, car après chaque pas, il doit se recentrer, rectifier par rapport à son but. L’apprenti doit s’armer de patience et de prudence. Ces pas rappellent enfin la constance dans l’effort, les doutes et difficultés que chacun de nous doit surmonter tout le long de son chemin personnel vers la lumière.

De manière à renforcer le message, cette marche s’effectue sur le pavé mosaïque, qui tout du long pousse au déséquilibre. L’apprenti doit apprendre à comprendre ces dualités, remettre en cause ses propres croyances afin de dominer ses passions et arriver à maîtriser le déséquilibre qu’elles provoquent en lui. Il doit apprendre à marcher en maîtrisant cette dualité. Pour progresser, il ne doit plus la subir, comme le ferrait le profane, mais la dominer.

Cette marche doit également suivre la direction du soleil, de l’éclairage. C’est une marche solaire et elle se fait en respectant une ligne parfaitement droite. Elle part de l’occident pour aller vers l’Orient, symbole de la Lumière qui chaque matin revient après avoir repoussé les ténèbres. Elle est cette clarté sans cesse renouvelée, qui révèle les êtres et les choses que cache l’obscurité, elle est symbole de Connaissance. Partir vers l’Orient c’est aller à sa découverte.

La ligne droite est le premier élément dimensionnel ; elle possède une direction, un sens, et une longueur. Elle fournit le plan à suivre dans cette droiture à garder tout le long du chemin. L’apprenti découvre cette dimension fondamentale également présente dans le fil à plomb, symbole axial qui relie ce qui en haut avec ce qui est en bas. C’est ce que fournit l’équerre, outil composé de 2 règles ou lignes droites, l’une horizontale, l’autre peut-être verticale, formant ainsi un angle droit, donnant des axes et permettant de vérifier si l’ouvrage est juste et parfait. La ligne droite donne un chemin. L’équerre offrant deux lignes droites, permet de vérifier si l’horizontalité de notre personne forme un angle parfait avec la verticalité de notre esprit. Tout nous rappelle dans la loge, dans nos gestes, que nous devons constamment être à l’équerre, à savoir être des hommes droits.

Cette ligne, bien qu’horizontale lors de la marche, montre le chemin à entreprendre en suivant le sens donné par le symbole V.I.T.R.I.O.L. Il nous invite à plonger à l’intérieur de nous-mêmes pour mieux nous élever vers le divin, vers la Connaissance.

Enfin, je ne m’aventurerais pas dans le symbolisme du nombre 3 qui a brillamment été traité lors de notre tenue précédente. Mais nous ne pouvons pas ne pas y faire référence car la marche de l’apprenti se compose notamment de 3 pas.

En conclusion, la marche de l’apprenti nous donne un carnet de route qui nous invite à aller vers nous-mêmes, à revenir à l’unité principielle, par la droiture de notre démarche, dans la dignité, le respect, le devoir. Marcher droit, avec zèle, vers Celui qui nous éclaire, c’est comprendre et emprunter la vraie ligne droite, parce qu’elle est la première, la plus simple, et par conséquent la plus proche manifestation du Principe.

J’ai dit.

C\ A\