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Le pas qui coûte

Le titre de ma planche ce soir est : « Le pas qui coûte ». Dans le rituel d'initiation il est dit : selon le vieil adage populaire : « il n'y a que le premier pas qui coûte... ». Mais vous ne savez pas encore ce qu'il coûte ! Mon fils vient de faire son premier pas. Je l'ai observé et j'ai appris. Dans ce premier pas, il y a la peur ! Pour faire son premier pas il a dû à partir d'une position d'équilibre se déséquilibrer, se lancer en avant. Il faut en effet, pour marcher, partir de la vitesse nulle, vitesse apparente, bien sûr, pour atteindre la vitesse de déplacement. Or deux forces agissent pour empêcher ce mouvement : la pesanteur et l'inertie. Il faut apprendre à maîtriser la pesanteur tout d'abord. Cela peut se faire même à l'arrêt. En lâchant ses jouets, il a pu s'apercevoir que ceux-ci tombaient, lui-même a pu tomber à l'arrêt. Mais pour l'inertie c'est un autre problème, le phénomène est lié au mouvement et sans la marche comment connaître l'inertie. Il ne connaît pas donc il ne peut pas appréhender le danger lié à ce phénomène. Pour lui, effectivement le premier pas coûte, car il a peur de la pesanteur et du déséquilibre. Il a peur de chuter. Mais il ne sait pas qu'un autre danger lié à l'inertie le guette.

Le premier pas fait, il a enchaîné rapidement avec un deuxième mais ce n'est qu'au troisième qu'il a recouvré l'équilibre perdu. Ca y est, il marche ! Il vient d'acquérir un degré de liberté supérieur mais que de danger pour lui, car la chute est inévitable au début. Que lui coûte ce premier pas ? Il n'est plus le bébé qui attend il est devenu celui qui peut agir. Il peut maintenant aller vers le feu de la cheminée, ouvrir les portes, enfin certaines, celles qui sont à sa portée. Ce premier pas lui apporte le danger par la liberté. Il est inconscient de cela mais il est fier d'être reconnu par ses frères comme l'un des leurs. Il est petit mais il est debout. Que nous coûte ce premier pas, à nous ses parents ? Que d'inquiétudes en perspective ! Que de barrières, devons nous dresser, devant lui. Mais c'est pour sa sécurité ! Ce premier pas ne coûte pas qu'à celui qui le fait mais aussi à son entourage ! Par analogie, j'ai fait le premier pas. Il m'a coûté. Mais aujourd'hui je peux dire qu'il ne me coûte plus. Aujourd'hui, je vis autre chose. Que de travail au début, que de recherche, comme je le disais moi-même « je suis au stade de l'éponge, j'absorbe tout » maintenant il faut restituer. Que puis-je recevoir si ce n'est ce que je peux me donner et donner aux autres ?

Personne ne peut marcher pour moi, personne ne peut vivre pour moi. Il ne faut pas « savoir », il ne faut pas « croire » mais il faut « vivre » ! Le pas vient du passage. La naissance est un passage, et la mort en est un autre. Entre ces deux passages, je suis passé par le cabinet de réflexion, la terre, la mort, puis les autres voyages. Enfin on m'a donné la lumière, la naissance ? Oui je peux le dire maintenant c'est une seconde naissance, une porte franchie mais c'est l'action de passer qui importe, et que la porte est étroite ! Elle ne laisse pas de place aux idées reçues. Je dois laisser l'écorce qui me colle à la peau. Mais le travail n'est pas le chemin, la joie de la vie reste mon chemin aujourd'hui. La porte étroite ne permet pas de garder mes métaux. Je dois les laisser à la porte du temple. Moi aussi par analogie avec mon fils, j'ai deux forces qui s'opposent à mon avance. Le poids de la vie, les obligations professionnelles, la vie de tout les jours, mais je ne dois pas rester sur place, je dois avancer. Le poids de la vie « profane » est lourd, mais ce poids, je le connaissais avant ma démarche. Je pouvais l'appréhender comme le poids pour le petit enfant.

La deuxième force l'inertie, elle, je ne la connaissais pas. L'inertie des idées reçues, l'inertie liée à la découverte sans cesse plus difficile. Plus j'avance et plus je ressens cette inertie. La résistance est en augmentation exponentielle avec ma progression. Plus je veux avancer vite et plus cette force est grande. Chacun avance à sa vitesse, je ne dois pas m'épuiser inutilement. Ma résistance croit avec le temps. Bientôt je pourrais courir. Maintenant je dois me contenter de marcher, et c'est déjà difficile. De midi à minuit, j'ai appris. J'ai trouvé des limites. Je n'ai pu lors de ma première planche d'apprenti faire le travail demandé, j'ai du prendre sur moi. Je me suis retrouvé pour la deuxième fois en ce lieu, sans l'obole pour la veuve ! L'humilité doit se vivre. Les limites s'apprennent et maintenant je comprends pourquoi le compas reste sous l'équerre au niveau d'apprenti. Les limites viennent du bon usage du compas. Mais il y a loin de l'intention à la réalisation. Sur la colonne du nord, j'ai appris le silence. Au début, c'était facile. L'écoute est facile sur un temps court, mais le temps passe et les questions viennent à l'esprit naturellement. Et contre mon envie, je me suis tu. J'ai entendu un autre adage populaire qui disait « Il n'y a pas de mauvaises questions mais seulement de mauvaises réponses ». Mais pour que la réponse apporte le grain qui va germer en nous, la question doit creuser le sillon correctement. Or je ne savais pas, poser la question. Maintenant, saurais-je ? De midi à minuit, je suis avec mes frères mais de minuit à midi je vis ma transformation. Chaque pas est plus difficile, car le poids du vieil homme est toujours plus lourd, l'inertie est la loi qui me pèse.

Un jour j'ai reçu, une autre leçon. Une leçon qui éclaire aussi ce que coûte aux autre ce premier pas. Lors de mon initiation, on m'a remis une deuxième paire de gants. Je l'ai donnée à ma femme, en lui expliquant son rôle. Je lui ai dit : « Si tu sens que je m'éloigne des mes engagements, montre moi-là, cela suffira » et bien sûr je pensais à ce moment là : « Jamais elle n'aura, à le faire ! » et pourtant le poids de la vie, celui que je croyais connaître s'est manifesté de manière inattendue et rapide, somme toute puisqu'avant la fin de ma première année je les ai vus sortir devant mes yeux. J'ai appris aussi les limites dans le monde profane. La mesure en toute chose. Dans le catéchisme de l'apprenti, il est dit : « vaincre nos passions ». Je suis toujours un passionné, et lorsqu'un passionné lute avec passion contre ses passions, il est en plein paradoxe. C'est un piège dont on ne sort pas facilement. Le travail est commencé, il durera longtemps, et quoi que me donne l'avenir, l'apprenti que je suis sait maintenant qu'il peut apprendre toujours. Comment concevoir après la connaissance que l'oubli est possible. Je ne peux oublier que ce qui n'est pas moi, le reste, ce qui est en moi, je ne peux que l'accepter ou le refuser ! Or Je me suis engagé sur la voie de la recherche de la vérité et la vérité ne se refuse pas. Elle se vit.

J'ai dit.
 
P\ C\


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