Obédience : NC Loge : Lumière de Saint-Jean - l’Orient de Montpellier 20/09/2015

 

Le ciseau et le maillet

Fil rouge de l’année : La notion de sacré au R\ E\ A\ A\ dans une Loge de Saint-Jean. Sujet : Vous êtes l’acteur de votre construction, avec « le ciseau et le maillet », vous entrez dans votre propre dimension.

Le sujet de ce travail porte sur les deux outils opératifs de tailleurs de pierres que sont le ciseau et le maillet. Mais l’intitulé de la planche nous conduit à l’évidence un peu au-delà par l’évocation d’une dimension personnelle de réalisation. En filigrane bien que non évoquée explicitement, nous devinons l’élément central que représente la pierre brute, indissociable des outils de l’apprenti.

Je me propose donc de scinder mon propos en deux développements :

Dans la première partie, volontairement brève, je resituerai ces outils dans le cadre du symbolisme du premier degré. Puis, dans une deuxième partie, j’essaierai de développer ce qu’ils m’inspirent dans le cadre de notre parcours maçonnique.

1/ Le ciseau et le maillet.

Le maillet tout d’abord.

Proche du marteau (appelé « Martulus » chez les Romains) nous trouvons plutôt son étymologie dans le latin « Malleus ». Ce maillet « Malleus », est surtout associé à des corporations de travailleurs (charpentiers, forgerons ou tailleurs de pierres). Il puise sa source dans l’indo-européen « Mel », qui correspond à l’action de moudre ou rendre fin. Cet outil, comme souvent, possède une grande ambivalence. En effet, s’il est utilisé sans ménagement, seulement mû par une force brute, le maillet peut détruire plus qu’il ne permet de construire.

Symboliquement, au premier degré et en sa qualité d’outils de l’apprenti (je fais volontairement abstraction ici des maillets que détiennent le V\ M\, le 1er et le 27ème surveillant), il peut se comprendre comme la représentation d’une ferme et persévérante Volonté qui s’exprime dans et par l’action.

Le ciseau ensuite.

Il dérive du latin « Cisellus » issu lui-même de Caedere (couper). Nous sommes en présence d’un outil tranchant qui servira à entamer la pierre afin d’en ôter la matière. Mais là encore, le ciseau utilisé seul restera inopérant, il ne fera qu’effleurer la surface de l’objet sur lequel il est appliqué sans la pénétrer, d’où la nécessité du maillet pour lui transmettre sa force. Par contre, c’est la position que prendra le ciseau au contact de la pierre et son inclinaison, qui permettront d’arriver au résultat escompté en retirant la quantité de matière suffisante, à l’endroit désiré. Symboliquement, il peut se comprendre comme une faculté de discernement.

Maillet et ciseaux sont les deux outils dévolus aux apprentis. Ils sont complémentaires car nous avons compris qu’utilisés indépendamment ils peuvent être soit dangereux (Maillet), soit inefficaces (Ciseau). Ces outils ne sont bien évidemment que des représentations symboliques. Ils figurent ces deux qualités nécessaires à posséder et à utiliser pour exécuter le travail de construction qui doit être le notre : volonté et discernement.

Ils se retrouvent dans le Temple sur la première marche à l’Orient côté septentrion et apparaissent sur le tableau de Loge.

Dans les deux cas ces outils sont indissociables d’un troisième terme que représente la pierre brute. Ce qui m’amène à la deuxième partie de ce travail.

2/ Le parcours maçonnique : construction et dimension personnelle.

Revenons au rituel, plus précisément au tuilage :

A quoi travaillent les apprentis ?

« A dégrossir la pierre brute afin de la dépouiller de ses aspérités et à la rapprocher d’une forme en rapport avec sa destination » !

Quels sont les outils de l’apprenti ?

« Le ciseau et le maillet ».

La construction

La Franc-Maçonnerie, par l’utilisation symbolique d’outils destinés aux artisans et aux bâtisseurs nous enjoint donc au travail. Un travail sur une pierre qui, de bien des Traditions, est la base de la construction des édifices religieux.

Il est ici essentiel de ne pas perdre de vu la finalité de toute construction spirituelle, temple, cathédrale… Quelque nom que l’édifice porte, quelle que forme qu’il revêt, matériel ou non : il ne s’agit de rien de moins que d’ériger un lieu privilégié pour la recherche du Sacré, un lieu où la Présence Divine se manifeste, un endroit où une Rencontre redevient possible. Mais nous n’en sommes pas encore là, le chemin est long.

En effet, la pierre est « brute ». Cette représentation particulière définit un état ni taillé ni poli. La pierre est donc encore imparfaite. Elle ne peut pour l’instant s’insérer dans ce monument singulier auquel nous nous destinons. Mais nous pressentons déjà que cette pierre recèle la potentialité de recouvrer sa place au sein d’une construction idéale.

La dimension personnelle

Cet objectif bien compris, il faut que l’apprenti dégrossisse la pierre brute. Or cette pierre n’est autre qu’une représentation de l’apprenti lui-même !

Je dois revenir ici sur le symbolisme qui se dégage des outils : nous percevons désormais une forme de boucle entre l’apprenti, les outils et la pierre brute.

Nous distinguons alors une alternance des polarités de chaque élément. Ainsi, initialement le maillet tenu de la main droite était actif et le ciseau dans la main gauche était passif. Mais, le maillet devient passif dans la main de celui qui le porte et le ciseau actif sur la pierre brute. Cette double potentialité des outils, liés entre eux et qui se succèdent, forme une chaine d’énergie. Cette énergie se concrétise par le mouvement qui nous permet de nous modifier :

L’apprenti travaille sur la pierre brute, il la transforme, il est lui-même transformé. Puis, cet acte devra se répéter encore et encore.

Il s’agit bien d’un ouvrage de construction dont nous sommes l’acteur et la matière première, afin de constituer quelque chose de plus ordonné et de plus harmonieux. Il est extraordinaire de comprendre que nous sommes tout à la foi l’artisan et l’Œuvre.

L’invitation au travail des apprentis, par l’utilisation d’outils symboliques est bien une porte ouverte sur notre être profond.

C’est en nous-mêmes qu’il convient de dégrossir des aspérités. Cela se traduit par une recherche de dépouillement, il s’agit d’enlever nos défauts, de nous libérer de nos conditionnements, nos préjugés… En définitive il est nécessaire de lutter contre notre égo pour être en capacité de poursuivre le chemin qui un jour nous a fait frapper à la porte du Temple.

Dégrossir, c’est enlever de la matière. Oter de la matière, c’est laisser la place au spirituel. Notre œuvre d’édification, qui puise ses symboles dans la grande aventure des tailleurs de pierres et des bâtisseurs de cathédrales, n’est pas, la réalisation d’une œuvre concrète et matérielle, mais un processus de changement d’état qui concerne bien notre intériorité.

Les coups frappés à l’issue de la cérémonie d’initiation et qui constituent le premier travail de l’apprenti sont d’ailleurs au nombre de 3. Ce qui rappelle le caractère universel de l’œuvre proposée : nous rapprocher, à notre niveau et avec nos capacités de ce qui relève de l’Unité. Ce programme est magnifique, mais ambitieux. Il exige du courage et du travail. Il nécessite surtout, comme cela a été évoqué plus avant, de la Volonté et du Discernement.

Ce travail sur soi doit aussi nous questionner. Il s’agit, pour reprendre les termes du rituel, de nous rapprocher d’une forme en rapport avec notre destination. Ceci implique qu’il existe un Plan, une organisation idéale et ordonnée de l’homme, qui s’insère elle-même dans une harmonie plus vaste qui est celle du cosmos. Ceci signifie également que notre état actuel ne serait peut-être pas cette organisation désirée, d’où la nécessité librement acceptée de changer d’état et cette tension qui nous anime.

La maçonnerie avec son symbolisme et ses rituels nous accompagne dans ce changement. Œuvre collective, elle nous met paradoxalement sur le chemin personnel de notre intériorité. Mais le changement est-il envisageable sans la conscience individuelle, même diffuse, qu’il existe un autre état possible ?

Comment peut changer celui qui n’imagine pas cette possibilité ?

La maçonnerie ne pourra pas toujours donner à chacun les clés de son organisation intérieure. Il s’agit pour chacun, pour chaque apprenti, de se munir des outils qui leur sont fournis, et de commencer à arpenter son être intérieur, de dégrossir la matière. Et, à un moment donné, il faudra certainement être capable de se projeter soi-même dans l’état suivant afin de poursuivre sa construction. C’est un long processus, étape par étape, pour faire en sorte que de pierre brute, le franc-maçon se rapproche de quelque chose d’autre, de Tout Autre.

Je conclurai avec ces phrases de la nouvelle alliance (1 Pierre 2-5) : « Vous-mêmes, comme des pierres vivantes, entrez dans la construction de la Maison habitée par l’Esprit ».

J’ai dit.

F\ I\


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