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Le Maillet et le Ciseau ou Objets inanimés avez-vous donc une Âme ?

Oui, Vous, Maillet et Ciseau, avez-vous donc une Âme ? Tel Alphonse de Lamartine, je me pose souvent cette question en vous regardant au pied de cette pierre brute, ma Pierre brute. En effet, n’êtes-vous pas les premiers outils que j'ai utilisés en tant qu'apprenti franc maçon, selon un rituel caractérisé par sa simplicité mais non dépourvu de profondeur et d’espoir ? Oui, Si vous n’avez pas d’Âme, comment pourriez-vous donc m'aider ?

Toi, Maillet, tu es composé d’un manche et d’une tête symétrique, en buis. Ton bois est certes dur mais tu es différent de la masse ou du marteau dont la tête en fer, provoquerait une onde de choc perturbatrice en percutant le ciseau, risquant ainsi de détruire l’œuvre que je dois accomplir.

N'es-tu pas l'instrument magique de la mythologie japonaise, que Daikokuten, l’une des Sept Divinités du Bonheur tient dans la main droite ? Le grand sac qu’il porte contient la sagesse et la patience, et son maillet représente la vertu du travail. Ta simple présence, n’est-ce pas déjà la leçon que seul un travail assidu me permettra de progresser ?

N'es-tu pas aussi l'instrument de Sukellos, « le bon frappeur » ce dieu Gaulois du Monde Visible et de l’Autre Monde, Dieu du Passage qui tue et ressuscite avec son maillet. N'est-ce pas ainsi que je dois t'utiliser car ne dois-je pas mourir pour pouvoir revivre ?

Mais que puis-je faire de toi seul, sans ton ami le Ciseau ? Car toi, Ciseau, tu es constitué d’une lame dure en acier, coupante, taillée en biseau. Tu dégrossis les pierres en ôtant leur rugosité permettant ainsi l’Art de la sculpture. Tenu de la main gauche, tu es l'outil qui prolonge la main mais partout où tu te montres, il s'établit un esprit de soumission et même de crainte car tu es un outil qui blesse le maladroit. Ta simple présence, n’est-ce pas déjà la leçon d’un outil mal utilisé peut générer plus de mal que de bien ?

Dans le silence, je vous observe, réfléchis, prends conscience des passions, et de tout ce qui anime ma propre personnalité mais je ne suis encore qu'une Pierre Brute, qui y-a-t-il à l'intérieur ? Je n'ai que Trois ans. Je suis comme cet enfant de l'assistant d'un Maitre Sculpteur dont voici l’histoire : Un Maître Sculpteur avait un assistant qui avait un fils. Son père lui avait interdit d’entrer dans l’Atelier afin de ne pas troubler les travaux du Maître. Aussi, vu de son jeune âge, cet endroit était un lieu magique. Des pierres grossièrement taillées y entraient et de magnifiques sculptures en ressortaient.

Un jour, on vint livrer un bloc de marbre brut énorme. Il était si grand et si gros qu’il fût impossible de le mettre à l’intérieur de l'atelier. Il resta donc dans la cour.

L’enfant était fasciné par ce bloc, tous les jours il passait de longs moments à le toucher pour sentir la chaleur de la pierre au soleil ; il imaginait, dans ses reliefs et dans ses veines, des montagnes, des vallées, des rivières. Chaque jour, il découvrait d’autres merveilleux paysages, d'autres mondes à explorer à la surface de la pierre. Mais il dut s’absenter avec son père pendant plusieurs semaines. A son retour, le bloc de marbre avait disparu et un splendide et gigantesque cheval trônait au milieu de la cour.

Interrogeant son père au sujet du bloc de pierre, celui-ci dit que le maître l’avait taillé pour en faire sortir le cheval. Etonné, l’enfant alla voir le maître et lui demanda : « Mais comment savais-tu qu’il y avait un cheval caché à l’intérieur de la pierre ? »

En guise de réponse, le maître sculpteur lui donna un ciseau et un maillet et lui dit : «Apprends à t’en servir et, toi aussi, tu découvriras qui est dans la pierre ».

J’ai moi aussi un ciseau et un maillet, je dois donc apprendre à me découvrir et je vous regarde donc souvent, Maillet et Ciseau, à ma base de Pierre Brute à la recherche de moi-même dans le cadre de notre rituel et en particulier dans le silence sur les colonnes.

Chez les égyptiens, comme chez les bâtisseurs de cathédrales on ne taillait pas la pierre sur le chantier, mais à l’écart, dans la carrière pour ne pas perturber les Travaux. On ne l’amenait que pour lui faire prendre sa place définitive. Pour cela elle devait être dégrossie et la taille devait être même bien avancée. Alors, elle pouvait enfin prendre sa place dans l’édifice.

Régulièrement, l’envie de parler, de poser une question, de commenter la planche d’un Frère me prend, mais vous Maillet et Ciseau, me rappelez à mon statut d’apprenti, à cette humilité indispensable et c’est d’ailleurs pour cela que je dois me mettre à genoux pour vous utiliser. Le Verbe m’étant interdit, vous m’apprenez à mieux utiliser mon intelligence afin d’affiner mon sens de l’observation, ma logique, mon raisonnement et cela pour apprendre à mieux m’instruire.

En effet, je sais que pour avancer, il me faudra faire preuve d’intelligence et de volonté. N’est-ce pas pour cela que tu es là, Maillet ? N'es-tu pas ce symbole de la volonté agissante, emblématique du pouvoir ? C'est d'ailleurs pour cela que tu es remis au Vénérable Maitre et aux deux surveillants car tu es utilisé dans le rituel pour annoncer l'ouverture et la fermeture des travaux, pour demander la parole et de façon générale pour ponctuer toute décision.

N’est-ce pas pour cela que tu es là Ciseau ? N’apportes-tu pas la précision et l’intelligence de la taille ? Grâce à toi, je peux espérer parvenir à un résultat nuancé et harmonieux.

A vous deux, vous constituez un principe complémentaire actif-passif de type yin-yang avec le Ciseau dans le rôle du Yin et le Maillet dans le rôle du Yang même si toi Ciseau, je ne dois pas te croire aussi Passif que cela car au contraire, toi seul permet de choisir l'angle d'attaque de la Pierre et les variations indispensables pour œuvrer de manière parfaite.

Depuis mon initiation, j’ai commencé à apprendre à frapper de façon réfléchie. C’est toi, Ciseau, qui m’aide à déterminer et me guide vers la réalisation de l’objectif choisi ; tu m’indiques que je dois être résolu de manière inflexible à suivre le chemin fixé. Cela passe entre autres et par exemple, par l’assiduité aux tenues mais je suis conscient que le meilleur ciseau n’aurait qu’une action stérile sur la matière si je ne trouvais pas la force nécessaire. En effet, à quoi servirait une action restée impuissante ou une bonne résolution restée théorique.

C’est donc toi Maillet qui m’apporte cette force. Mais je dois bien faire attention à ne pas te considérer comme une masse lourde et brutale, car ma volonté ne doit être ni obstination, ni entêtement, elle doit être simplement ferme et persévérante c’est-à-dire que progressivement je dois apprendre à mieux comprendre l’apport de la Franc-Maçonnerie pour moi et non pas me limiter à sa représentation.

En décidant de commencer le dégrossissement de moi-même, en m'attaquant à mes habitudes rassurantes, à mes préjugés du monde profane, aux divers conditionnements que je peux avoir, à mon absence d’écoute, j’ai dû mettre en place une introspection afin de m’examiner, de me scruter, de me comprendre, c’est-à-dire de me regarder sans complaisance afin de réaliser un véritable retour sur moi. Je sais que je dois corriger mes défauts et retirer le superflu : mon travail commence par essayer d'être et ne plus paraître.

Ciseau et Maillet, vous me montrez que les éclats qui se détachent de moi-même, sont mes imperfections, mes vices, mes passions, mes pulsions irréfléchies ou inconsidérées. Et c'est pour cela d’ailleurs, que la bavette de mon tablier, est relevée pour me protéger. Mais la tâche n’est pas aisée car connaître ses qualités est beaucoup plus facile que de reconnaître ses défauts. Mon aveuglement sur moi-même n’est-il pas mon pire ennemi ? Je préfère souvent fuir mes imperfections, plutôt que de les regarder en face. Je sais néanmoins que toute cette analyse, me permet de constater que, la mise en application dans ma vie des choses que je trouve bonnes et la fuite des choses dites mauvaises, me permet de progresser.

Baruch Spinoza disait « Quand chaque homme cherche le plus ce qui est utile à lui-même, alors les hommes sont le plus utiles les uns les autres », autrement dit, la connaissance de soi est le bien le plus précieux dans la vie commune car elle permet à l'individu de ne plus vivre sous l'emprise de ses passions. Appliquée à ce lieu, cette vie commune est la vie de notre Loge, et je m’aperçois que même s’il m’est indispensable de puiser au fond de moi, en utilisant mon intuition et ma raison, pour savoir dans quelle direction et quelles nuances appliquer à ma taille ; je suis dans une Loge, et je dois utiliser votre expérience, mes Frères.

La Loge est constituée d'hommes qui cherchent à atteindre le maximum de leur capacité en conscience et en liberté. Si je connais bien et maîtrise mes faiblesses, je connais et maîtrise aussi celles des autres en tolérant leur existence et je deviens plus efficace dans l’action.

C’est en effet, par l'écoute approfondie des tailleurs plus expérimentés que vous êtes, mes Frères, qu'il m’est nécessaire de débuter. On peut apprendre autant des expériences réussies que des échecs. Il me faut le plus possible, être à l’écoute des autres pour cultiver et emmagasiner un maximum d’informations qui me feront grandir et vous Maillet et Ciseau, vous me le rappelez aussi bien au sein de ce Temple que dans le monde Profane.

Mes Frères, votre évolution et votre expérience, m’aident à passer des ténèbres où je me trouvais avant d’être reçu franc-maçon, vers la Lumière qui n’est que Ma Vérité.

Pour conclure, je dirai qu’avant de commencer à tailler, et de vous utiliser, Maillet et Ciseau, je suis conscient que deux choses sont importantes. La première est d’avoir un projet clair et précis. La seconde est de savoir bien utiliser les outils.

Ma pierre brute est différente de toutes les autres, et je l’ai acceptée comme telle. Elle n'est pas, intrinsèquement moins bien qu'une pierre taillée. Elle existe à un moment de ma vie, et je sais qu’elle est en devenir. Mon premier travail est de réaliser quelque chose de sage, de fort et de beau. Me réaliser c'est prendre conscience de ce potentiel et l’améliorer du mieux que je peux. Je sais qu’il n’y a pas de recette miracle, pas de raccourci pour atteindre l’objectif plus vite, mais du travail et encore du travail. Le but n’est pas de transformer totalement ma Pierre brute, mais bien de la rectifier, de la modifier sans qu’elle ne perde de sa particularité, de son originalité, de sa personnalité, de son Âme car ma Pierre est unique ! Comme l’enfant de cet assistant du Maître sculpteur, c’est en travaillant ma pierre que je découvre sa forme, je ne la connais ni ne la décide d'avance mais je sais que je dois essayer de me rapprocher du mieux possible de ce que je suis fondamentalement.

Avec vous, Ciseau et Maillet, outils symboliques, comme je ne suis pas le premier à vous utiliser, je dispose d'un savoir-faire, d’une expérience qui remonte assez loin dans le temps : celle de vous mes Frères. Je peux notamment connaitre les erreurs à éviter, car un coup de maillet mal ajusté ou un angle du ciseau inadapté peut causer un dommage irrémédiable à ma Pierre et surtout à ce qu’elle symbolise.

Comme je l’ai déjà dit, ma Pierre est brute non point parce qu’elle n’a pas encore été taillée, mais parce que sa destination me reste à découvrir. Je ne dois pas me décourager devant l’immensité de la tâche. En fait, en tant qu’apprenti et demain, quelque soit le niveau que j'atteindrai, je pense que je devrai tailler ma pierre toute ma vie car elle ne sera jamais achevée, la perfection n’étant pas de ce monde.

Maillet et Ciseau, j’espère que vous serez là en permanence à mes côtés.

Maillet et Ciseau avez-vous donc une Âme ? Je pense avoir trouvé une réponse. Cette réponse me vient de l’Art Chevaleresque Japonais du Tir à l’Arc. Le grand Maitre Kenzo Awa enseigne à ses élèves-archer à n’être plus qu’Un avec l’arc, la flèche et la cible et ce n’est qu’à cette seule condition, et après un apprentissage long et rigoureux, que l’archer peut espérer pouvoir s’améliorer et réussir.

Maillet et Ciseau ; cette Force, cette Volonté, cette Persévérance, cette Intelligence, cette Précision, ce Discernement que vous m’apportez ne peuvent être mus que par une Âme qui vous anime, et qui n’est ni plus, ni moins que celle que J\ E\ voudrais bien y mettre, associée mes Frères, aux Vôtres, qui circulent au sein de cette assemblée.

J’ai dit.

P\ F\


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