Obédience : NC Loge : NC 12/01/2010


Le Ciseau


J’avais à cœur, en rentrant en maçonnerie de perfectionner mon être au sein d’une communauté d’esprits libres qui font la promotion de la tolérance  et de la fraternité en édifiant ensemble, des temples à la vertu. J’étais néanmoins, loin d’imaginer le travail qui m’attendait, quand je me vis confier un ciseau et un maillet pour entamer ma pierre brute.
En effet lors de l’initiation de l’Apprenti, que je m’apprêtais à devenir alors, je commençais ma vie de maçon en frappant trois coups sur la pierre brute, comme pour signifier un commencement, l’ouverture du rideau sur une représentation de toute une vie.
Car ici tout est symbole et les outils représentatifs de l’Apprenti, ceux qui lui sont confiés lors de ce premier, et perpétuel travail, sont le maillet et le ciseau.

Il s’agit ici du ciseau du sculpteur et plus précisément du tailleur de pierre, (quand bien même le ciseau du menuisier et de l’ébéniste est appelé planche !), car l’Apprenti a librement consenti à travailler à dégrossir sa pierre brute.

Le ciseau est un outil de taille et permet de dégrossir les pierres en ôtant les plus grosses imperfections, les parties saillantes, ce qui revient symboliquement à affiner son caractère, à enlever le plus gros de nos particularités inhibitrices et insatisfaisantes.
Car cette pierre brute, c’est nous, ou plutôt ce « je », ce « moi » que chacun de nous apprends à connaître, celui que je ne connais pas encore, ou si peu et qu’une citation écrite sur le mur noir du cabinet de réflexion me suggère d’en acquérir la connaissance : « connais-toi, toi-même » !

Quel noble cause que de vouloir construire des temples à la vertu, il est évidemment plus sage  de commencer par construire son propre temple intérieur, son être, sa personnalité. Et cela passe bien évidemment par la taille de la pierre brute.

Nous sommes souvent comme pris au piège par nos a priori, nos préjugés, notre éducation, qui nous ont inculqué des idées qui ne sont pas forcément les nôtres. On peut donc se demander si nos choix sont toujours de libres choix.

Tailler la Pierre Brute, serait donc la volonté de se détacher de cette influence sociale et éducative. Il ne s’agit pas de remettre tout en question, mais de laisser ainsi une place au doute et à la remise en question.

Il s’agit simplement de se retrouver au plus profond de soi-même afin de corriger, d’améliorer, d’embellir son être après l’avoir consciencieusement identifié afin de se le réapproprié à nouveau. Tout cela pour apprendre à s’aimer vraiment soi-même, être en harmonie au moins avec soi-même.
En effet comment prétendre aimer les autres ou de les aider si on n’a pas tout régler avec soi-même ? Comment atteindre l’éveil si  de trop nombreuses couches, amoncelées années après années, viennent systématiquement dévier notre jugement, notre raisonnement. Comment atteindre l’éveil si nos passions, nos pulsions et nos émotions nous submergent trop facilement et tendent à prendre le pouvoir ?

Les bouddhistes affirment que : « celui qui est maître de lui-même est plus grand que celui qui est maître du monde » et donc il convient de se connaître pour être maître de soi.
Le travail sur la pierre consiste à enlever le superflu, à ôter et supprimer le lourd et le grossier, à conférer une qualité à ce qui est encore une quantité, et privilégier l’être par rapport à l’avoir. Cette taille de la pierre est un cisèlement de l’être.
La philosophe Simone Weil considère que : « L’attention absolument sans mélange est prière. Toutes les fois que l’on fait vraiment attention, on détruit du mal en soi. »

Le ciseau figure ainsi un principe actif pénétrant et modifiant la matière, il serait le symbole de la première opération de l’esprit qui ne juge que lorsqu’il a opposé.
Car étymologiquement, le mot ciseau vient du latin cisellus, ou coesellus ou encore coedere, qui signifie couper. Le ciseau est alors la force qui tranche, en appliquant cette action de séparer, il symbolise la faculté de juger et d’apprécier avec justesse, ce qui est la définition du discernement.

Comme le ciseau agit sur la pierre il devient un agent de la volonté du sculpteur, le dernier lien qui unit ce dernier à son ouvrage, et suivant la volonté de celui qui le tient, selon sa connaissance et sa science, sur le point d’impact choisi, afin de faire voler en éclat l’inutile, un dépouillement de ce qui nous encombrent.

Simone Weil encore, écrit que « Tant que l'homme tolère d'avoir l'âme emplie de ses propres pensées, de ses pensées personnelles, il est entièrement soumis jusqu'au plus intime de ses pensées à la contrainte des besoins et au jeu mécanique de la force. S'il croit qu'il en est autrement, il est dans l'erreur. Mais tout change quand, par la vertu d'une véritable attention, il vide son âme pour y laisser pénétrer les pensées de la sagesse éternelle. »
Dégrossir au ciseau, c’est avant se soustraire à toutes influences extérieures, car l’action de tailler la pierre brute à un aspect irréversible, une opération de soustraction qui tend l’individu à se déterminer dans ses choix dans sa quête de perfectionnement.

Pour les psychologues ce discernement « est le signe de l’intervention du milieu social sur la conscience individuatrice, réflexive, l’intervention nécessaire à la création individuelle. »

L’œuvre est dans la pierre, rien n’est ajouté à la création finale, l’image recherchée n’est pas imprimée sur la pierre mais dégagée de ce qui la recouvrait, ce qui voudrait dire qu’à force de discernement et de volonté, nous puissions atteindre l’éveil de notre conscience et c’est aussi la signification du VITRIOL : « visite l’intérieur de la terre et en rectifiant, tu trouveras la pierre cachée ».

Nous voici donc Apprenti, à l’œuvre du polissage de notre pierre brute armé de notre ciseau et de son indissociable maillet avec lequel il forme une complémentarité importante. L’action de l’un sans l’autre est inefficace.

Cette dualité complémentaire se retrouve encore lorsque le ciseau est actif par rapport à la pierre passive, sur laquelle il imprime sa marque, en revanche il est passif par rapport au maillet dont il subit l’impulsion, il correspond alors à une faculté de distinction et de discrimination.

Ainsi la volonté ne peut être antérieure à la connaissance et réclame un éveil de la conscience et demande d’être réceptif, disponible, simple et de bonne volonté, comme le suggère Irène Mainguy : « dans son application initiatique et opérative, le ciseau symbolise une connaissance distinctive et le maillet la volonté spirituelle qui actualise ou stimule cette connaissance. » 

Comme la charrue laboure et pénètre la terre et la rend ainsi plus féconde, le ciseau grave dans la pierre les traits qui prépare l’œuvre en gestation, c’est un outil de préparation qui convient parfaitement aux Apprentis.
Voilà peut-être pourquoi il est demandé aux Apprentis de travailler avec ces outils d’une grande simplicité, immuables à travers le temps afin d’accéder à un détachement de l’accessoire et percevoir ainsi la réalité par delà les illusions, d’apprendre à privilégier le fond par-delà les formes.

Le ciseau indique que l’éducation et la persévérance sont nécessaires pour tendre vers la perfection, la répétition de gestes les plus dépouillés et les efforts constamment répétés permettent l’élévation de notre travail d’introspection.
Ainsi Alain Pozarnik définie que « le sublime parcours du chemin initiatique ne s’effectue pas seulement en Loge, simple lieu privilégié où nous découvrons une méthode d’éveil de la conscience. La majeure partie de notre temps se vit en dehors des Loges et nos compréhensions initiatiques s’accomplissent dans la vie quotidienne ou alors elles n’existent pas. »

Il est à noter encore que dans la maçonnerie opérative, les Apprentis étaient cantonnés aux carrières dans lesquelles ils devaient tailler et polir des blocs de pierre, ceci afin que le chantier du Temple soit parfaitement silencieux.
Il explique probablement le silence imposé aux Apprentis sur les colonnes, afin qu’ils soient totalement libres et ouverts, le cœur et l’entendement parfaitement disponibles. Utiliser le ciseau dans un sens plus large c’est s’instruire, se perfectionner.

Ainsi notre ciseau est encore célébré quand on parle d’un habile sculpteur, on dit alors qu’il a le ciseau admirable, ou le ciseau excellent, le ciseau savant, le ciseau délicat etc, et on appelle ouvrages de ciseau toutes les réalisations de sculpture…

Pour finir je me suis posé la question où je placerais le ciseau que l’on m’a donné ? et sur quelle particularité de ma personnalité j’aimerais poser mon ciseau et travailler à la modeler ?
Alors que j’avais réuni un nombre de notes, de citations et de réflexions personnelles, tel, que je n’arrivais plus à en faire la synthèse, et après avoir repoussé jusqu’à la veille de la Tenue la rédaction laborieuse de cette planche, et ayant eu assez de succomber au découragement et à la colère contre moi-même, la réponse m’est apparue d’elle-même dans l’interprétation que je faisais du ciseau : je dois revenir à l’essentiel, être plus tranchant et m’affirmer davantage dans mes choix, d’avoir plus de détachement et de lâcher-prise, une faculté de discernement aussi affûté qu’un ciseau.

J’ai dit

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