GLDF Loge : Conscience et Fraternité - Orient de Paris 11/2005


Achever au dehors…

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Selon ses constitutions, la Grande loge de France a pour but le perfectionnement de l’humanité.

L’initiation, le travail en loge s’il est accompli rituellement, participent effectivement au perfectionnement des maçons. Le travail personnel, hors de la loge prépare et complète l’oeuvre accomplie en loge. Ainsi il paraît logique que notre rituel de clôture des travaux au premier degré forme le souhait:

« Que la lumière qui a éclairé nos travaux continue de briller en nous pour que nous achevions au dehors l’œuvre commencée dans ce temple, mais qu’elle ne reste pas exposée aux regards des profanes. »

Surprenant ! Ainsi le maçon ne peut faire profiter le profane de la lumière qui l’éclaire, sauf peut-être de façon fugace.

Dans ces conditions comment la Grande Loge de France peut elle perfectionner l’humanité ?

Je n’ai rien vu à ce sujet dans les constitutions, règlements généraux, ou autres textes fondateurs de notre Ordre.

Ce souhait, bien plus cette nécessité, de poursuivre au dehors, dans le monde profane, l’oeuvre entreprise dans le temple est si prégnante qu’elle a sous-tendu plusieurs fois les questions soumises à l’étude des loges et que cette année encore elle inspire fortement l’une des deux questions posées.

Dans le passé, la maçonnerie en général et les maçons en particulier ont participé activement aux progrès de la société. Nous connaissons tous le travail de Jules Ferry et d’Emile Combes pour l’instruction publique, de Garibaldi pour la paix, la liberté, l’égalité, de Victor Schoelcher pour l’abolition de l’esclavage, d’Adolphe Crémieux, Francisco Ferrer et tant d’autres moins célèbres mais tout aussi efficaces.

Il s’agit d’hommes des siècles passés, principalement du XIX siècle.

Au XX siècle une seule figure se détache, celle de Pierre Simon, passé grand maître de la Grande Loge de France, qui a agit en faveur de la contraception.

Il est vrai que le XXème siècle a apporté son lot de guerres, de révolutions, d’évolutions profondes. L’éducation nationale a succédé à l’instruction publique, les facilités de transport puis les moyens de communication ont profondément changé la société et continuent à la changer. Et donc, la maçonnerie ne serait plus confrontée aux dénis d’humanité qu’elle a du combattre par le passé. La mondialisation des communications en reliant instantanément tous les hommes devrait supprimer les inégalités, les injustices et plus généralement les zones obscures.

Aujourd’hui les maux dont la société a souffert dans le passé seraient donc, sinon abolis, devenus plus subtils, moins contraires aux principes de liberté, égalité fraternité que nous proclamons en permanence.

Mais nous constatons au contraire la montée des obscurantismes, le repli sur les communautés, l’égoïsme, la croissance de l’ignorance. Evolution naturelle c’est à dire non raisonnée. Nous constatons l’amoindrissement de l’action raisonnée au profit de l’action réflexe.

Quels sujets d’importance majeure ont récemment animé notre travail ?

Le communautarisme, la laïcité et le terrorisme. De quelle manière les maçons ou la maçonnerie ont-ils participé aux débats ? Quels ont été leurs apports ? Rien de fondamental, probablement rien de notable.

Pourtant la Maçonnerie continue de maçonner et la société continue de se débattre contre ses maux, reste minée par des indignités que l’on croyait éradiquées.

L’hydre est aussi un Sphinx.

Quelques exemples ?

Comment accepter que 60 ans après la guerre, 50 ans après l’appel de l’abbé Pierre, nous soyons encore dans l’incapacité de loger décemment les personnes qui vivent sur notre territoire.

Pensez pour le moins à nos enfants, aux personnes divorcées en charge d’enfants. Et aux autres...

Ils ne peuvent avoir un logement social. Il n’y en a pas de disponible.

Ils ne peuvent avoir un logement privé car le propriétaire veut des garanties aussi exorbitantes que le niveau du loyer qu’il demande.

Est ce décent que des marchands de sommeil s’enrichissent en profitant de cette pénurie maintenue.

Savez vous que l’aide de l’état pour le logement social consiste pour l’essentiel à ramener le taux de la TVA sur les logements construits de 19,6% à 5,5%. Ce qui signifie que chaque fois que les organismes sociaux investissent dans la construction de logements, l’état perçoit 5,5% du prix de revient de ces logements !

Savez vous qu’aujourd’hui les société d’HLM sont généralement devenues de très gros propriétaires d’immeubles totalement amortis. Que la gestion de ces immeubles apporte tellement de trésorerie qu’elles n’ont aucun intérêt à rompre ce confort spéculatif pour construire de nouveaux logements qui seront financièrement difficiles à équilibrer.

Cependant 1.300.000 familles sont à la recherche d’un logement. 5.000.000 de personnes se voient nier leur droit au logement.

D’autres exemples ?

Quelle dignité reconnaît-on à l’homme ou à la femme célibataire qui travaille à temps plein pour gagner le SMIC ? Savez vous ce qu’est le SMIC : 900 €net par mois. Si dans cette situation on était en mesure de trouver un logement, on ne pourrait en payer le loyer. Et puis il faut se nourrir, s’habiller, se déplacer…

Est ce digne qu’un individu qui travaille à temps plein ne puisse à la fois se loger, se nourrir, s’habiller, se déplacer ?

Pourtant ces individus qui gagnent le SMIC rendent des services indispensables à notre société.

Comment accepter qu’un travail normalement accompli ne permette pas de se construire, de construire une famille, de vivre dignement.

Quelle dignité reconnaît on aux immigrés et aux sans papiers qui affluent sur notre territoire et que l’on ne veut pas voir ?

On peut regretter qu’ils viennent clandestinement. Pourtant, ils participent à notre richesse par le travail qu’ils produisent, fut il clandestin. Ce travail au noir dont directement ou indirectement nous bénéficions tous. Comment pouvons nous fermer les yeux devant cette résurgence de l’esclavage ?

Quelle dignité reconnaît on à celui qui, citoyen de notre pays, ne nous ressemble pas, quels que soient ses mérites. Comment peut se comporter l’individu qui ne se reconnaît pas dans le regard des autres, de ceux qui comptent, qui détiennent le savoir, le pouvoir, l’autorité ?

Et l’éducation ? Croyez vous que l’éducation dispensée concourre à former des hommes, des hommes libres.

L’éducation telle qu’elle est dispensée à la généralité des enfants apprend à l’individu, quand elle réussit à lui apprendre quelque chose, des techniques ciblées qui l’asservissent au lieu de le libérer.

Ne devrions nous pas nous attacher à former des hommes libres capables de discernement, de bon sens, de responsabilité ?

Comment accepter de continuer à affamer ceux qui, dans le monde, ont déjà très faim. Ceux qui en Afrique ou ailleurs voient les nantis piller leurs récoltes, non, pas les piller, les acheter à vil prix, au prix d’un marché contrôlé par ces nantis.

Comment continuer à les priver de toute chance de sortir de leur condition en leur vendant à des prix très inférieurs aux productions locales des produits excédentaires dont le stockage nous coûterait et nous gênerait ?

Vous le savez, la dignité, la fraternité ne consistent pas à les rendre dépendants, mais à leur donner les moyens d’abord de se suffire, puis de progresser.

Pouvons nous plus longtemps accepter que l’on nie ainsi la dignité plusieurs millions de nos concitoyens ? de plusieurs centaines de million d’humains. Comment peut on penser que les concepts de liberté égalité fraternité puissent être mis en oeuvre si l’on ne commence pas par reconnaître la dignité de l’autre ? De tous les autres ?

Comment s’étonner alors de la dégradation de notre société, du clanisme, du communautarisme, du retour vers des autorités contestable, des pouvoirs de l’imam, des sectes et de tout ce qui détruit la capacité des individus à êtres des hommes ?

Comment ne pas comprendre ces populations du tiers monde qui fuient la misère et affluent chez nous.

Voyez vous les chantiers sont toujours les mêmes, ceux du XIXème siècle ne sont pas achevés. Ils ont simplement changé d’apparence.

Aujourd’hui encore un quart de l’humanité en asservit les trois quarts avec bonne conscience.

La question « Comment poursuivre au dehors … ?" devient donc lancinante, existentielle pour la maçonnerie selon mon point de vue, pour notre société, sans aucun doute.

Une réponse nous a été proposée depuis très longtemps: celle du battement d’aile de papillon. Vous savez, les scientifiques disent qu’un battement d’aile de papillon dans un coin du globe est susceptible de modifier le climat de régions situées à des milliers de kilomètres.

Le travail en loge, le travail symbolique améliore le franc maçon, papillon, qui ainsi pourrait transmettre des valeurs par battement d’aile, par rayonnement, par osmose, et ainsi de proche en proche participer à l’amélioration de notre société.

L’efficacité de cette méthode peut être mesurée aisément : Nous disposons de plusieurs étalons:

L’image du Franc Maçon dans la société.

Le Franc Maçon n’apparaît pas pour la généralité de nos concitoyens, comme un sage susceptible d’aider son prochain à accéder à un meilleur bien être intellectuel.

Non, d’autres ont cette image, l’église, la communauté, la secte, quelques stars en vogue ou d’autres gourous médiatisés.

Le Franc Maçon, pour le profane, a l’image d’un membre d’une confrérie secrète, élitiste, cultivant les mystères, combinant avec ses frères des coups d’autant plus juteux qu’illicites et couverts par une clique judiciaire, politique ou policière complice.

Dans le meilleur des cas le Franc Maçon n’est perçu que comme un illuminé incompréhensible.

Si le maçon n’est pas en mesure d’apparaître tel qu’il est, un diffuseur de lumière, comment peut il participer au progrès de l’humanité.

L’état de la société.

Avons-nous constaté, au bout de plusieurs décennies d’application de cette technique de rayonnement, que la société s’est améliorée ?

J’ai au contraire l’impression que, confrontée à des mutations fondamentales, à des problèmes existentiels que personne, pas même la maçonnerie, n’a le courage de simplement poser en termes clairs.

Les individus ne pensent, pour ceux qui pensent, qu’a assurer leur confort intellectuel en se déresponsabilisant, en ignorant ceux qui les entourent d’un peu loin et en acquerrant bonne conscience par quelques actes de charité, ou des mesures d’ordre, qui ne règlent pas vraiment les problèmes de ceux qui sont censés en être les bénéficiaires.

Pour les autres, ceux qui ont du mal à acquérir une parcelle de sociabilité, c’est la débrouille. Ils n’existent pas, sauf quand ils cassent.

La montée de l’obscurantisme, de l’extrémisme, de l’intolérance et de l’exclusion, de la violence sociale, nous démontrent que

le Maçon n’a d’influence qu’envers ses Frères.

Le recrutement

Le recrutement est un bon baromètre puisque c’est bien l’aura dégagé par un maçon qui peut donner envie à un profane de nous rejoindre.

Or le recrutement reste faible. Il suffit juste à pourvoir au remplacement des défections ou des décès. Les effectifs restent globalement stables.

L’inefficacité de la méthode, que je nommerais « méthode du papillon », est donc bien patente. Ce n’est pas une découverte, et ces constats ne font que mettre en évidence une carence dont nous avons connaissance, consciente ou non.

Pourquoi cet échec, pourquoi l’influence personnelle de chaque maçon ne parvient-elle pas à concourir efficacement à l’humanisation des hommes.

Cela tiendrait me semble-t-il à ce que nous sommes.

Regardons nous. Sommes-nous présents partout dans notre société et particulièrement là où les valeurs que nous prônons

sont le plus ignorées ou le plus bafouées ?

Nous faisons partie d’une élite pensante qui recrute par cooptation des profanes qui lui ressemblent. Quels sont nos contacts avec les ouvriers, les pauvres, les habitants des cités, les chômeurs, les déshérités, les désociabilisés, ceux qui souffrent et contestent les valeurs de notre société ?

Dans ces conditions comment pourrions nous être exemplaires, en quoi notre discours pourrait il au moins être entendu, sinon suivi ?

L’attachement à la méthode du rayonnement individuel n’est elle pas une forme de confort comparable à celui que procure certaine charité, une attitude élitiste, peut être même de négligence de l’autre, de négation de la majorité d’entre nous.

Alors, si le battement d’aile d’un papillon est inefficace, les battements d’ailes d’un essaim de papillons peuvent-il changer quelque chose ?

La maçonnerie en tant que telle communique et chaque obédience s’exprime. Au moyen de conférences, de publications, par la radio…etc.

Mais, les termes de cette communication, très savants, trop élaborés, ne peuvent être entendus que par des initiés, et par quelques élites particulièrement averties.

C’est une langue étrangère pour la société.

Et donc cette action globale s’avère aussi inefficace que la « méthode du papillon »

La situation de notre société, celle que j’évoque, n’est pas le fait de la fatalité. Des mécanismes économiques, sociaux, culturels, sont en jeux. Des groupes d’individus, ceux qui prospèrent sur le malheur des gens, agissent pour que ces indignités

perdurent.

L’on ne pourra briser ces circuits, ces mécanismes, qu’en éclairant les individus, ceux qui se disent pensant pour parvenir à réformer les mécanismes qui animent cette société.

Mes frères la tache est donc d’importance, vitale, et je n’ai cité que la partie la plus criante des chantiers qui nous attendent.

Elle est longue.

Pensez vous que cette tache puisse être accomplie par des individus isolés, par chacun d’entre nous entre nos tenues.

Je ne le crois pas. Je suis maintenant convaincu que la poursuite au dehors de l’oeuvre entreprise dans le temple doive être une entreprise collective, une entreprise de la Franc Maçonnerie en tant que telle. C’est exactement ce que disent nos Constitutions.

« La Grande Loge de France a pour but le perfectionnement de l’humanité ».

 La Grande loge de France et non pas seulement les membres de cette grande loge…

Pour agir, ne faudrait-il pas commencer par devenir transparent, expliquer, construire une image de la maçonnerie qui corresponde à ce qu’elle est profondément : Un cercle de pensée qui agit en vue de l’amélioration de l’homme et de la société. Une image qui lui permettrait de s’exprimer et surtout de se faire entendre.

Et aussi diversifier notre recrutement et trouver un langage accessible à ceux que l’on veut toucher.

Alors l’écoute de la Franc Maçonnerie sera possible.

Action non pas seulement vers les dirigeants, les élites ou les cénacles. Au contraire, principalement vers les individus, le peuple, les membres de base de notre société.

Paroles non pour dispenser un enseignement, non plus pour porter une morale, mais pour questionner, inciter à penser, faire entrevoir la liberté au bout du questionnement, faire prendre conscience à chacun de la présence, de l’apport des autres, faire découvrir la générosité de l’esprit qui doit fonder celle du coeur. Stopper le cheminement de l’humanité vers la bestialité ou l’abandon.

L’action de la Grande Loge de France et de la Franc-maçonnerie en général doit bien porter sur les individus.

Elle ne doit pas se substituer au politique pour élaborer des réponses, elle doit éveiller les consciences, interpeller les hommes en utilisant tous les médias possibles, en recrutant des profanes dans toutes les couches de la société, car c’est bien en améliorant chaque homme que l’on perfectionnera l’Humanité.

Jacques KAL\


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