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Philosopher, c’est apprendre à mourir…

Philosopher c’est apprendre à mourir… Cette phrase de Platon…reprise par Montaigne, m’a depuis longtemps intriguée…j’ai donc eu envie de creuser l’analogie.

Certains professeurs de philosophie de notre enfance ont sans doute oublié que le langage ne tient pas lieu de réalité, et qu’il ne suffit pas de « dialecter » sur les idées des autres…philosopher, c’est un état d’esprit…c’est entretenir un questionnement émerveillé devant le monde, devant l’homme, devant la conscience d’être…philosopher c’est ainsi apprendre à comprendre sa place dans le monde, apprendre à vivre.

Alors en ce sens, philosopher, pour moi, c’est être maçon : c’est être scrutateur attentif et éveillé…s’ouvrir au monde par le doute et le questionnement… En tant que F\ M\, je me sens dépositaire non pas d’un très ancien secret, mais d’un devoir d’agir.

Mais avant d’agir, il faut regarder une réalité pas toujours agréable, prendre conscience de la possibilité, mais aussi des difficultés à transformer cette réalité.

Philosopher c’est apprendre à vivre, et philosopher c’est apprendre à mourir…

Avoir conscience de la mort est un marqueur de la nature humaine : le traitement particulier accordé par les vivants envers leurs morts est un des fondements de l’humanité. Si l’on ignore la mort, il est impossible d’apprécier le présent. Rien ne serait plus triste que de se savoir immortel. En imaginant demain, ce qu’aucun animal ne sait faire, nous avons donné sa valeur au présent.

Le prix à payer est l’angoisse de l’aboutissement, de la disparition finale.

Mais que peut bien représenter cette notion d’« apprendre à mourir » ? Et pourquoi le rituel insiste-t-il tellement sur la mort ? Comment apprendre à vivre doit-il passer par apprendre à mourir ?

J’essayerai de répondre à ces quelques questions en passant par quelques détours selon le plan suivant :

Partie 1 : Apprendre à mourir = prendre conscience de la mort. Les postulats.

La peur de la mort

La conscience de la mort

L’utilisation de la mort

La mort, qu’est-ce-que c’est ?

Partie 2 : Apprendre à mourir= les pistes du premier degré

La mort en F\ M\ : que nous apprend le symbolisme maçonnique de l’apprenti sur la mort ?

Partie 3 : Apprendre à mourir = apprendre à vivre ?

Apprendre à mourir = apprivoiser la mort ?

Mort = vie

La mort régénération, continuité
Les grands initiés : disparition de l’ego
Une goutte d’eau dans l’océan

PARTIE 1 : APPRENDRE A MOURIR = CONSCIENCE DE LA MORT

J’ai peur de la mort, de la destruction de l’être que je suis, de ce qu’elle peut me priver de plaisirs et biens matériels. Mon éducation européenne m’a assénée de postulats sur la mort et son environnement : les flammes de l’enfer, le purgatoire.. rien ne me permet d’envisager un meilleur dans l’au-delà… Pour tant est que mon éducation scientifique ne m’ait déjà convaincue que je finirai en poussière, sans espoir de voir continuer quoi que ce soit de moi-même…

Oui, je suis seule, j’ai peur…mais mes lectures m’ont fait comprendre qu’il existe de par le monde des initiés qui sont susceptibles de dominer leur frayeur, d’avoir la paix intérieure, …Depuis ma naissance je côtoie la mort dont je me suis fait un épouvantail…au point d’avoir toujours réussi inconsciemment à tout enfouir si profond en moi que je me sentais parfois extraterrestre à ne pas réagir face à la mort de proches… Mais enfouir la peur de la mort n’est pas l’accepter ou la comprendre…

Mon chemin est encore long…

Comment parler en fait de l’expérience de la mort ? Je ne peux faire que l’expérience de la mort d’un autre, pas de ma propre mort… C’est bien là le dilemme... Je ne peux donc pas faire l’expérience de la mort... Alors comment la comprendre, savoir ce qu’elle est ? C’est donc toujours de l’extérieur que je parle de la mort.

La mort dérange. Epée de Damoclès au-dessus de nos têtes, elle menace toutes nos entreprises. Grande alors est la tentation de l’occulter. …en l’évacuant ; par exemple en pratiquant l’incinération ou en plaçant nos cimetières loin de nous, …en lui déniant tout impact réel sur nous…

La mort est parfois exploitée au service du pouvoir.

…utilisée comme un instrument au service du maintien de l’ordre social, comme arme politique quand on brandit la peine de mort comme punition suprême…

...quand certains régimes exercent leur pouvoir au moyen de la peur de la mort (menaces claires de mort pour tous ceux qui ne respectent pas la ligne définie par ces régimes...ou parfois la mort peut être exploitée contre le pouvoir : le terrorisme par les attentats impressionne une population pour exercer son pouvoir contre un régime politique en place…

Mais il ne faut en fait ni l’occulter, ni l’exploiter. Il faut l’affronter, et ce de plusieurs façons au moins...

Apprendre à mourir c’est d’abord affronter la mort : en premier lieu, refuser de la donner, mais aussi la combattre pied à pied pour la faire reculer, mais sans la refuser.

Affronter la mort c’est aussi oser risquer sa propre vie. Le philosophe Hegel disait que c’est en étant capable de risquer sa vie que l’homme manifeste sa supériorité sur la nature et affirme ainsi sa liberté. Et dans la religion chrétienne, accepter de se sacrifier est le degré suprême du don de soi, le degré suprême d’humanité…

Avant d’aller plus loin, peut-être est-il temps de définir ce qu’est la mort.

On peut considérer que c’est un mot dépourvu de sens puisque personne ne peut revendiquer l’expérience de la mort.

On peut estimer qu’il s’agit d’une intuition d’une fin de la vie que nous pressentons.

On peut se référer à un fait biologique : cadavre = mort. La mort est l’arrêt de la vie biologique.

La mort peut être comprise au sens de la disparition de la conscience de la vie.

On peut voir en la mort un processus d’élévation spirituel (voir les expériences NDE= « Near Death Experiences »), une étape dans la destinée spirituelle de l’âme.

On peut voir en la mort l’aboutissement de l’existence, la fin ultime, sans lendemain…

Il y a probablement autant de façons d’interpréter ou comprendre ou s’approprier la mort, qu’il y a de nuances dans la croyance ou non en un principe supérieur ou un dieu… Alors, je continue de m’interroger…

Le contenu du mot mort n’enveloppe pas seulement les regrets que nous avons de la vie, ou les seuls élans de l’imagination face à l’inconnu. Nous disposons une connaissance clinique sur la mort, certes, mais ce n’est pas une connaissance intime de ce qu’elle peut être.

Philosopher c’est apprendre à mourir… La réflexion sur la mort demande que nous apportions par nous-mêmes des éclaircissements à toutes les hypothèses sur ce que peut être la mort.

J’ai choisi de continuer mon investigation par le symbolisme de la mort en maçonnerie…que je ne traiterai ce jour qu’au premier degré bien sûr…

PARTIE 2 : APPRENDRE A MOURIR = LES PISTES DU PREMIER DEGRE

Un thème récurrent auquel est confronté l’initié est la mort : en tant qu’apprenti, alors que j’étais dans le cabinet de réflexion, je rencontrais le crâne…puis je devais réaliser mon testament… On me fait mourir puis renaître. On me menaçait de me trancher la gorge si je « faillissais » à ma parole.

Au premier degré, dès le cabinet de réflexion, le crâne nous fait réfléchir à la mort comme passage : on parle de mort symbolique, de purification, de renaître tout neuf à la recherche symbolique maçonnique…mais peut-être que ces paraboles nous empêchent quelque part de vraiment réfléchir à la mort tout court.

Dans ce cabinet de réflexion, je m’étais demandé ce que ce crâne, au-delà de figurer la mort ou le passage, pouvait représenter.

- Etait il là pour figurer la réalité telle qu’elle est, dépouillée de tout élément superflu – sans aucune illusion, la vérité nue, brutale ?
- Etait il là pour nous rappeler l’aspect périssable et destructible de l’existence, se rattachant à la symbolique de la terre, à celle de l’introspection ?
- Représentait-il le cerveau dont les spécificités et la complexité font de nous des êtres pensants, des libre penseurs potentiels ?

Je me suis dit que finalement le crâne cachait forcément quelque chose de sacré qui devait m’échapper…le crâne c’est aussi « la tête » ; l’autorité de gouverner, d’éclairer. Platon disait que la tête est un microcosme, comparable par sa forme géométrique sphérique à un univers…à notre planète ?

Comme trophée de guerre dans certaines traditions, le crâne ou la tête tranchée représente aussi la force et la valeur guerrière de l’adversaire… Et il représente aussi sans doute en franc maçonnerie le rappel de notre serment : « je préfèrerais avoir la tête tranchée plutôt que de manquer à mon serment »…

Ce sont donc la tous les sens de la mort à de ce premier grade : s’imprégner de la méthode symbolique, apprendre à entrer en soi, se connaître, mourir à l’ancien que nous fûmes, naître en tant qu’homme qui cherche, respecter la parole donnée….

Mais dans ma troisième partie, je vais montrer que mourir ainsi symboliquement, c’est aussi et surtout faire mourir son ego…et c’est sans doute le plus grand travail qui soit.

PARTIE 3 : APPRENDRE A MOURIR POUR APPRENDRE A VIVRE

Nous vivons dans un monde qui se soucie assez peu de la mort. Nous subissons la mort-spectacle au cinéma avec ses effusions de sang, la mort-actualité avec les faits divers à la télé… Mais ce sont des représentations. Cela ne suffit pas pour que nous en tirions des leçons de vie. Cela ne résonne pas en nous de l’éventualité de notre propre mort, dans sa subjectivité intime. La mort est ici trop dans l’image pour qu’elle puisse nous concerner de près. Et quand la mort vient nous frapper : mort de nos proches, de nos amis, de nos parents, nous sommes bien obligés d’assumer. La vie est souvent une succession de deuils, et là, ce sont des leçons de vie.

La mort, la plupart du temps, on évite d’y penser et travailler sur cette planche m’a amenée sur un terrain douloureux mais aussi heureux. Comment prendre en considération la mort pour mieux vivre ?

Ma première réflexion a été de réfléchir à mes défenses psychologiques personnelles (celles dont j’ai parlé au début qui font que dans ma vie, chaque fois que j’ai rencontré des épisodes douloureux, mon inconscient a vite effacé tout ça, et j’ai rebondi en me jetant dans de nouveaux projets) : et je me dis que finalement c’est peut-être ça qu’il faut, faire comme si la mort ne nous concernait pas, vivre comme si on ne devait jamais mourir, vivre dans l’insouciance ne songeant qu’à nos projets, nos plaisirs du moment, ou nos plaisirs futurs. Pour exécuter de grandes choses, se projeter dans le futur, il faut peut-être alors vivre comme si on ne devait jamais mourir… ?

La peur de la mort existe parce que nous nous accrochons à une continuité. Le moi est en souci de devenir, alors il s’effraye de ce qui menace son identité. Tant qu’existe un ego qui veut se perpétuer, la peur est là.

Les grands initiés n’ont eu de cesse que de s’affranchir de cette peur, trouver la paix intérieure en vivant le présent pleinement, à chaque seconde, sans toujours se projeter dans des désirs de futurs. Au lieu de voir la mort comme un événement vague et lointain qui ne nous concerne pas encore, prenons conscience que cette mort est là, immédiatement, qu’elle est un processus qui appartient à la vie.

Notre corps lui-même connaît déjà la leçon : tous les sept ans, toutes les cellules du corps sont intégralement régénérées (sauf celles du cerveau). La vie biologique se maintien en mourrant : en jetant ce qui est mort pour le régénérer. La mort accompagne ainsi les processus du vivant.

Il doit en être de même dans les processus de la conscience. C’est en mourant au passé résiduel, en ne m’agrippant pas à une continuité que je redonne au présent la fraîcheur de la vie.

Le problème c’est que consciemment l’ego est là qui veut garder toutes les vieilleries, qui s’accroche aux souvenirs, refusant l’abandon, ayant peur de l’infini et de l’inconnu, peur du changement, peur du renouveau.

Et puis j’ai repensé à mes nombreuses lectures sur les NDE (Near Death Experiences : ces expériences de la vie après la mort lors de comas ou chocs divers), ainsi qu’aux travaux d’Elisabeth KUBLER ROSS, célèbre thérapeute de l’accompagnement en fin de vie. Dans ses centaines d’entretiens avec des mourants, elle dit que ce qu’ils lui ont enseigné va bien au-delà de la simple description des derniers instants de la vie. Ils ont évoqué devant elle tout ce qu’ils auraient dû faire, avant qu’il ne soit trop tard, avant qu’ils ne soient trop malades ou trop faibles, avant qu’ils ne perdent leurs conjoints ou leurs proches. Ils revenaient sur leur passé et lui faisaient part de tout ce qu’ils considéraient comme essentiel, non pas à propos de la mort, mais en ce qui concerne la vie. La conscience d’une mort proche fait réfléchir à la meilleure façon de vivre…

En préparation de cette planche, j’ai également relu un livre que je conseille à chacun : « La dernière leçon » de Mitch Albom. Il s’agit de l’histoire d’un accompagnement de fin de vie entre deux hommes, un professeur de philosophie et l’un de ses anciens élèves. Ce que j’ai tiré et compris de ce livre c’est que tout le monde sait qu’il va mourir, mais personne n’y croit. Sinon, on s’y prendrait autrement. Il faut se préparer et vivre comme si ça pouvait arriver à tout moment : cela permet d’être infiniment plus vivant quand on vit. Se demander chaque jour : suis-je prêt ? Est ce que je fais tout ce qu’il faut pour devenir la personne que je veux être ? Et dans tout le livre transparaît la leçon de vie ultime, celle qu’il cherche à transmettre par dessus tout : se consacrer à l’amour des autres, à la création de quelque chose qui donne réellement un but et un sens à notre vie… Ce qui donne vraiment satisfaction : c’est offrir aux autres ce qu’on a à donner. Temps, intérêt…c’est comme ça qu’on commence à se respecter soi-même, en offrant ce que l’on a. Ne plus confondre ce dont on a besoin de ce dont on a envie….

C’est vrai que j’ai repensé ensuite à tous ces gens qui passent leur temps à s’apitoyer sur leur sort, tellement préoccupés d’eux-mêmes, et qui passent ainsi à coté de leur propre vie. Passant leur temps à courir après leurs prochains « avoirs », se rendant parfois compte de la vacuité des choses mais continuant à courir.

Dans ma vie, un ami proche et intime m’a appris à écouter vraiment les gens. Face aux conversations sans intérêt de type « où habites-tu, que fais-tu dans la vie », je me suis demandée combien de fois je suis vraiment capable d’écouter quelqu’un, sans essayer de lui vendre quelque chose ou d’obtenir de lui une forme de reconnaissance…

Etre conscient pleinement de la mort permet de rechercher un sens à sa vie et de s’y consacrer. Réfléchir sur la mort permet de voir en chaque homme un autre nous mêmes : les hommes sont tous les mêmes.

Réfléchir sur la mort amène parfois à avoir des regrets ; on aurait aimé faire plus, on se reproche des choses. Mais cela ne sert à rien. Utilisons notre vie pour faire la paix, avec soi-même, et ceux qui nous entourent. Se pardonner, pardonner aux autres ; ne pas attendre un demain qui ne viendra peut-être pas pour faire les choses. Se réconcilier avec nos proches. Il faut nous éveiller de notre soucieuse insouciance, de nos petites lâchetés et de nos fuites continuelles.

C’est naturel de mourir. Si nous en faisons une telle histoire, c’est peut-être parce que nous ne sentons pas à quel point nous faisons partie de la nature… Mais j’ai pris conscience d’une chose, tant que nous pouvons aimer et nous souvenir de ce sentiment d’amour, nous pouvons mourir sans vraiment nous en aller. L’amour que l’on a créé reste. On continue à vivre dans le cœur de ceux que l’on a touchés et nourris de son vivant. La mort met fin à une vie mais pas à une relation.

La mort n’interrompt pas notre participation à l’humanité. Ainsi si l’on apprend à faire cet énorme travail de diminution de notre ego, petit à petit, on se sent devenir le maillon de la chaîne, la goutte dans l’océan : notre existence est alors infinie dans le grand corps de l’humanité. On trouve alors un sens à la mort même...

Nous savons que nous devons mourir un jour, le reconnaître c’est accepter la réalité telle qu’elle est. Cette acceptation du fait de la mort délivre une dignité, tandis que le refus nous précipite dans la sensiblerie, dans des larmes inutiles devant ce qui est nécessaire de toute façon.

Conclusion

La mort est nécessaire comme composante même de la vie. C’est par la mort que la vie se régénère et ç’est donc là tout le sens du rituel maçonnique au troisième degré. Apprivoisons la mort pour vivre pleinement notre vie… Progressons de petites morts en renaissances tout au long de notre parcours pour renaître à chaque fois plus proches de l’état de paix intérieure, d’amour universel.

Que nous le voulions ou non, la reconnaissance de notre limitation par la mort est décisive pour notre compréhension et notre appréciation de la vie. La mort est finalement le fait le plus profond et le plus significatif de la vie, nous élevant au-dessus de la quotidienneté et de la platitude, posant la question du sens de la vie. La mort joue ainsi un rôle si essentiel que nous avons besoin de lui reconnaître sa place pour que notre vie puisse conserver une authenticité et une dignité. La pensée de la mort délivre la plus grande sagesse qui soit pour la vie… Voir la fin dans le commencement, et le commencement dans la fin, c’est le signe de l’éternité. L’immortalité n’est absolument pas la continuité. C’est tout le contraire. Seul le processus du changement est continu. Mourir et renaître. Encore et encore. Tuer l’ego et naître à la notion de vie absolue.

J’ai ainsi compris que la mort est une expérience qui nous permet de nous détacher de la matière (et du matérialisme), d’en transcender les limites, de faire de nouvelles expériences et d’acquérir de nouvelles connaissances. Le temps est tellement relatif, qu’à mon sens seul le présent est réel : et c’est en lui que nous devons vivre, entièrement, honnêtement, en exprimant nos sentiments dans ce présent, en aimant sans attendre le lendemain.

Et plutôt que le titre de cette planche « philosopher c’est apprendre à mourir » je dirais plutôt « Apprendre à mourir c’est apprendre à vivre ».

J’ai dit T\ R\ M\

S\


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