GLNF Loge : La Foi maçonnique -  Orient de Suresnes 2001

 

Le Rite Ancien et Accepté

Au moment de frapper à la porte du temple on choisit rarement son obédience, encore plus rarement sa Loge, qui d’entre nous peut se vanter d’avoir choisi son rite ? Ainsi certains sont initiés selon des rites extrêmement répandus, d’autres selon des rites plus rares.

Le Guide Des Maçons Ecossais de Rite Ancien et Accepté (GDM) est de ceux-là. Autrefois pratiqué selon diverses acceptions dans les loges d’obédience écossaise, il est aujourd’hui hélas frappé de désuétude.

La rareté a le mérite d’entraîner l’originalité mais la rareté peut avoir un aspect pervers : L’absence de connaissance précise. Surtout que, dans le cas du GDM, cette absence de connaissance vient justement du fait qu’étant frappé de désuétude les références à ce rituel se perdent. En cas de contentieux sur sa pratique la solution se résume à une décision discrétionnaire du V\ M\ et chaque Loge peut le pratiquer alors à sa manière.

Sans doute me direz-vous que la forme ne saurait primer sur le fond et que l’important dans le travail effectué en loge est le parcours initiatique. Mais si le rituel a le mérite de fédérer ce qui est épars, il est aussi le véhicule de la transmission initiatique, une transmission verticale fixée. La verticalité nécessite dès lors un référentiel précis, référentiel plutôt floue dans le cas du GDM.

Conscient de tout cela, le V\ M\ de l’année 6000/6001 de « La Foi maçonnique n°1017 » m’a chargé au début de son vénéralat, de mener des recherches sur le GDM pour en faire le référent manquant.

Pas question pourtant de m’attribuer des lauriers que je ne mérite pas. Car, disposant de mon rituel comme base de recherche, je n’avais pas à mener une investigation pour retrouver des manuscrits et autres ouvrages éparpillés dont il est tiré. La plupart de ces ouvrages sont conservés à la bibliothèque Richelieu, à la Bibliothèque François Mitterand, ou à la bibliothèque du Grand Orient. La piste était tracée, je n’avais plus qu’à la suivre…

Après une petite année de recherche mes F\F\, je suis en mesure de vous proposer un voyage à travers le temps. Fermez les yeux et imaginez : Vous êtes à la fin de l’été 1830. Louis-Philippe D’Orléans vient juste de monter sur le trône de France après une nouvelle révolte. C’est le début de ce qu’on appelle déjà la Monarchie de juillet.

Mais quid de la Franc-maçonnerie à cette époque ?

§ 1 : Le contexte maçonnique de l’époque et la genèse du guide des maçons :

Pour bien comprendre les événements maçonniques qui vont se dérouler, il est nécessaire de revenir sur le cheminement du Grand Orient de France.

Après la mort du comte de Clermont le 16 juin 1771, le Grand Orient de France est fondé le 26 juin 1773. La nouvelle organisation ne tarde pas à signer une alliance avec le Directoire du Rite Ecossais Rectifié en 1776 et avec la Mère-Loge de Ecossaise de France pour le Rite Ecossais Philosophique. C’est à partir de 1782 que se créer la Chambre des grades, une commission qui commence l’élaboration du Rite du Grand Orient qui deviendra le Rite Français avec 3 grades symboliques et un chapitre en 5 ordres. Mais bien des loges écossaises ne l’entendaient pas de cette oreille comme les loges écossaises de Douai, de Marseille et certaines de Paris, avec à leur tête le F\ Antoine-Firmin Abraham. Ces loges entrèrent donc en résistance.

Une résistance telle que, le 12 novembre 1802, le GODF prend un décret déclarant irrégulières les Loges ne pratiquant pas un rite reconnu par lui. Or les seuls rites reconnus par le GODF étaient les rites modernes, plus particulièrement le Rite Français tel que défini par l’ouvrage intitulé « Le régulateur du maçon » publié en 1801. De ce fait, les loges pratiquant les rites anciens se retrouvent excommuniées.

Il existe peut-être une autre raison à ce décret. Une raison plus politique... Il faut savoir que les militaires français noyautent les Loges et savent que la paix d’Amiens avec les Anglais n’est qu’illusoire. D’où la méfiance envers ce qui viendrait d’Angleterre. Du reste Napoléon Bonaparte, alors seulement 1er Consul, se méfie de ce qui à l’air de venir d’Angleterre et, sans s’informer plus, il fait savoir bientôt que le « rite écossais et ces hauts grades écossais » ne lui disent rien qui vaille.

Les loges pratiquant le rite écossais étaient peu répandues à cette époque mais, même les loges écossaises à cette époque, pratiquent une maçonnerie de type moderne. Plusieurs documents en témoignent. Ainsi l’ouvrage de 1742 « Le secret des francs-maçons », ou le manuscrit daté de 1763, intitulé « Rituel du marquis de Gage » (1).

Le Rite écossais en France à l’époque se nommait Rite Ecossais Philosophique (2). Le Rite Ecossais Philosophique fut créé dans le sud de la France, à Avignon, voire à Marseille, vers 1774. Il ressemble en bien des points aux rites modernes : Les surveillants sont tous les deux à l’Ouest, les mots sacrés sont dans les mêmes ordres que dans la maçonnerie des modernes comme nous les verrons plus tard. Pas grand chose à voir avec les anciens mais les loges pratiquant les rites selon les anciens usages existaient tout de même et leur vivacité a permis la survie de ces rites.

Pour se faire, une loge bordelaise nommée « La parfaite Loge d’Ecosse de St Jean de Jérusalem » et qui portait le titre de « Mère-Loge Ecossaise » accorde en 1749 une patente à plusieurs frères pour répandre les grades écossais dans le nouveau monde tandis que la Mère-Loge Ecossaise de Bordeaux continuerait son œuvre en France.

Outre atlantique justement, c’est en 1795 que le comte Alexandre François Auguste De Grasse, marquis de Tilly (3) met au point un projet de « Suprême Conseil pour les Indes Occidentales Françaises ». Le REAA comprend à l’époque 25 grades. Il passera à 32 puis à 33. Le 4 décembre 1802, une lettre intitulée « Le manifeste » annonce la création depuis le 31 mai 1801 du Suprême Conseil de Charleston. Ce premier Suprême Conseil américain se composait, après cooptation, de John Mitchel, Frédérick Dalcho, Emmanuel De la Motta, Abraham Alexander, Batholomew Bowen, Israêl de Lieben, Isaac Auld, Moses Levy, James Moultrie et Alexandre De Grasse-Tilly (4). Le Rite Ecossais Ancien Accepté devient officiellement un système initiatique dirigé par un Suprême Conseil coopté et organisé selon un système de 33 degrés tel que défini par les grandes constitutions de 1786 édictées, selon une convenance, par le Roi Frédéric II de Prusse. Ce premier Suprême Conseil donnera lui-même naissance au Suprême Conseil de St Domingue (l’actuel Haïti) et à d’autres.

En apprenant les agissements du GODF et le décret du 12 novembre 1802, Alexandre De Grasse-Tilly revient en France pour y implanter son rite. Il débarque à Bordeaux le 4 juillet 1804 et arrive à Paris à la fin du mois. Notons au passage que le comte a connu quelques déboires et se retrouve ruiné. Il devra pour survivre faire beaucoup de concessions, y compris au niveau maçonnique, ce qui expliquerait bien des choses. Quoi qu’il en soit, le 22 septembre 1804 (5), c’est avec l’assistance de ses frères français et de nombreux frères américains, qu’il fonde le Suprême Conseil de France et le 22 octobre suivant, il réunit le convent de la « Grande Loge Ecossaise du Rite Ancien Accepté » (6).

Sous l’impulsion de Napoléon, encore lui, la Grande Loge Ecossaise du Rite Ancien Accepté signe un concordat avec le GODF, concordat qui ne durera guère que quelques mois, le temps de créer une loge éphémère, avant que la scission ne revienne (7). A la fin de l’année 1804 le Suprême Conseil reprend son indépendance et 60 Loges symboliques du GODF le quitte et choisissent de le suivre dans sa démarche.

Mais ce Suprême Conseil doit se doter d’un système de grades symboliques dispensés dans les Loges bleues. C’est ainsi qu’en réponse au « Régulateur du maçon » les trois premiers grades du rite ancien font l’objet d’une rédaction et d’une édition. Ce texte n’est autre que le « Guide Des Maçons Ecossais de Rite Ancien Accepté » dont l’édition originale imprimée se divise en 3 cahiers. Un pour chaque Surveillant et un pour le Vénérable (8), le plus complet des trois.

Cet ouvrage semble à première vue avoir été rédigé dans une période se situant entre 1804, date de fondation du Suprême Conseil de France, et 1812. Le doute quant à sa date vient, d’une part, de sa propre datation qui est « 18\ », et d’autre part, de sa partie contenant le rituel de table et ne mentionnant personne en particulier si ce n’est « sa majesté et son auguste famille », sans mention du souverain en question.

Pour lever ce doute il faut se référer à un autre rituel, celui d’une loge nommée « La Triple Unité Ecossaise » (9), un rituel daté de décembre 1804. Ce rituel de la Triple Unité Ecossaise est identique au Guide. Son Vénérable Maître était le F\ Fondeviolles qui fut reçu au 33ème degré par Alexandre de Grasse-Tilly lui-même. Ainsi le Guide daterait, lui, bel et bien 1804, que cette version de 1804 en soit l’originale ou une copie.

Le Guide s’inspire largement de la maçonnerie pratiquée par les anciens et telle que décrite dans l’ouvrage « Trois coups distincts » (« Three Distincts Knocks ») daté de 1760, la grande référence des rites anciens. Ces rites anciens étaient d’ailleurs pratiqués en Caroline du Sud, à Charleston plus exactement.

Le Guide critique d’ailleurs violemment le « Régulateur du maçon » pour la publicité qui lui est faite et prend à contre pied la déchristianisation –. Certes temporaire à cause de la révolution - opérée par les rites modernes même si, nous le verrons plus tard, il en a assimilé bien des éléments. Il a également assimilé le Rite Ecossais Philosophique que pratiquaient les Loges écossaises de France au XVIIIe siècle (10). La raison de ces assimilations est simple, Alexandre de Grasse-Tilly, ruiné, a du faire de nombreux compromis avec le système en place pour pouvoir manger et vivre aux Invalides.

Le Guide veut rechristianiser la maçonnerie. Il y est dit que les trois grandes lumières sont l’équerre et le compas posés sur la Bible. De plus dans l’instruction d’apprenti, il est fait mention de l’évangile qui fut d’abord prêchée à l’Est pour se répandre à l’Ouest ainsi que le dit l’instruction de « Trois coups distincts »…

Le GODF, le Suprême Conseil, les 33 degrés… Vous, vous êtes bien loin de ça… Imaginez-vous ce soir de 1830 vous rendant à votre Loge pour la tenue régulière. Vous profitez du confort du fiacre qui vous y emmène pour feuilleter la 2ème édition d’un ouvrage sorti il y a 10 ans, un livre nommé « Le Tuileur » écrit par un certain Vuillaume. Vous congédiez le fiacre et vous entrez dans le temple. La plupart de vos FF\ y sont déjà, V\ M\ en tête, tous les officiers sont présent également et il y en a beaucoup… Pour ne pas perdre de temps, vous vous hâtez de laisser votre redingote au vestiaire, vous passez votre tablier de peau peinte, vous enfilez vos gants blancs et vous prenez place sur la colonne la plus proche, sur un fauteuil à la dernière mode : en acajou et aux angles arrondis.

Les travaux ne vont plus tarder à commencer.

§ 2 : La disposition de la loge et des officiers :

Un regard circulaire vous permet de voir les différents officiers de la Loge. Ils sont tous disposés selon les indications du livre : « Recueil général des lois constitutionnelles du rite écossais et des différents grades qui composent cet ordre maçonnique », un ouvrage manuscrit de 1812 comportant toutes les indications sur le 1er degré du rite et sur la disposition de la loge et des officiers (11). Ce livre n’a jamais été complété par les grades de compagnon et de maître. Pourquoi ? Mystère…

Ce soir tout est conforme. Le Vénérable Maître est juché sur l’estrade, à l’orient. Une estrade surélevée d’une hauteur de 3 marches et fermée par une balustrade. Il porte le maillet, symbole d’autorité, une équerre à son sautoir et un chapeau. Selon le manuscrit « Rituel écossais du 1er au 18ème degré » de 1820 (12), il s’agit d’un chapeau Henry IV orné d’un plumet blanc et d’une cocarde tricolore. Clin d’œil au RER ? Le chapeau Henri IV est prescrit pour les Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte selon les rituels RER de 1787-1791.

Le chapeau paraît être l’ornement adéquat. Il s’assimile facilement à la couronne, symbole de souveraineté et de pouvoir. Mais pas question de faire porter une couronne au Vénérable Maître. A cette époque une couronne rappellerait trop de mauvais souvenirs aux républicains et serait sans doute perçue comme un sacrilège pour les royalistes. Juste en bas de l’estrade se trouve un petit autel, appelé « autel des serments » sur lequel trônent les trois grandes lumières de l’ordre : Le compas, l’équerre et une bible ouverte au 12ème chapitre du livre de Juges. Pourquoi ce choix ? De prime abord on a du mal a priori à comprendre le rapport entre ces quelques versets relatifs aux guerres entre les tribus d’Israël, plus exactement sur la tribu d’Ephraïm, et la franc-maçonnerie. Mais une simple lecture de ce passage permet de voir un rapport évident.

Le livre des juges, dans son chapitre 12, traite de la défaite d’Ephraïm, le 2nd fils de Joseph, face aux hommes de Galaad rassemblées par Jephthé. Suite à cette défaite, les hommes de la tribu d’Ephraïm voulaient fuir. Si un homme d’Ephraïm se faisait prendre par les hommes de Galaad et niait sa qualité d’Ephraïmites les Galaadites lui demandait de prononcer un certain mot. Comme les Ephraïmites avaient un défaut de prononciation, ils ne pouvaient prononcer ce mot correctement. La sanction était d’avoir la gorge coupée. Ce mot n’est autre que le mot de passe du second degré que l’apprenti, au moment de sa cérémonie de passage, est sensé déjà connaître...

Mais revenons-en à la tenue. L’estrade sur lequel se tient la chaire du roi Salomon a d’autres locataires. Il y a trois autres officiers, que le manuscrit de 1812 désigne sous le vocable de « dignitaires ». A la droite du Vénérable se trouve le secrétaire, à l’extrémité de l’estrade. Plus proche du Vénérable siège le 1er diacre, armé d’une Hallebarde et qui sert de messager. Pourquoi une hallebarde ? Il n’y a aucune explication officielle à ce sujet. Pourtant, on peut trouver une explication symbolique : La hallebarde s’assimile facilement à la lance. Or la lance est certes une arme mais c’est aussi dans biens des traditions un ornement, une simple décoration. C’est le cas par exemple pour les indiens d’Amérique pour lesquels la lance décorée montre le rang social. Plus proche de nous, les « Beefs eaters » qui gardent les joyaux de la couronne d’Angleterre ou les gardes suisses du pape, portent la hallebarde. De plus il faut savoir que les gardes suisses, mais aussi les beef eaters, sont les gardiens du sacré. La hallebarde serait alors l’arme sacrée par excellence.

Notons au sujet des diacres, puisqu’il y en a deux, que la présence de ses officiers, décrits déjà dans « Trois coups distincts », atteste de la conformité du GDM avec la maçonnerie des anciens. La présence de 2 diacres œuvrant comme messager entre le Vénérable Maître et les surveillants apparaît dans les premières constitutions irlandaises de 1730. La fonction de diacre fut reprise dès 1752 par les règlements de la Grande Loge des Anciens établit par Lawrence Dermott.

A la gauche de l’estrade, on trouve l’Orateur, le détenteur de la Loi comme l’atteste les bijoux de son cordon. A l’orient, on trouve enfin l’étendard de la Loge et un grand nombre de sièges. Même si le recueil de 1812 ne les mentionnent pas, il doit s’agir de sièges à destination des visiteurs importants ou des membres d’honneur qui, eux, sont cités dans le même recueil. Du reste l’original du « Guide des Maçons Ecossais » dit, dans le rituel d’ouverture, que le Vénérable Maître « reconnaît pour maçon tous ceux qui sont à l’orient ». Cela se limite-t-il au secrétaire, au diacre et à l’orateur ? Autre indice : Le recueil de 1812 dit clairement que les Frères pratiquant les grades supérieurs sont revêtus des attributs de ces grades, peut-être sont-ce les occupants des sièges de l’Orient…

Juste en bas de cette estrade on trouve deux autres plateaux. A midi celui du trésorier qui porte ses deux clefs en bijoux, et au septentrion celui du Garde des sceaux. Ce dernier est l’assistant direct du secrétaire, il conserve les archives de la loge, ses timbres et tampons. Son bijou consiste simplement en une médaille de Loge.

Toujours plus à l’occident on trouve les Maîtres des cérémonies, car il y en a deux : Le 1er en tête de la colonne du midi, portant sa canne d’ambassade et dont les bijoux consiste en deux cannes entrecroisées. Son alter ego lui fait face en tête de la colonne du septentrion. C’est surtout leur voisin qui les différencie. Le 1er Maître des cérémonies à pour voisin de gauche le 1er expert, portant une épée à la main et une règle coupant une épée en guise de cordon. Le 2ème Maître des cérémonies à pour voisin immédiat le porte-étendard qui arbore un simple triangle en cordon. Ce dignitaire, à dire vrai, n’a aucun office particulier pendant la tenue. Son rôle consiste, on le pense, à suivre le Vénérable Maître lorsqu’il est en déplacement.

Toujours plus à l’occident, sur la colonne du midi, siège le 2nd Surveillant derrière son plateau surélevé d’une marche. Il porte son éternel fil à plomb autour du cou et tient le 3ème maillet. Cette présence au midi du 2ème Surveillant atteste particulièrement du caractère ancien du GDM. Le « Trois coups distincts », place expressément le 2ème surveillant au midi « pour observer au mieux le soleil culminant au méridien, pour appeler les hommes du travail au repos, et de veiller à ce qu’ils reviennent en temps voulu, de sorte que leur Maître en retire plaisir et profit ». Cet ouvrage place également le 1er surveillant à l’occident pour « clore la Loge, payer leur salaire aux ouvriers, et les renvoyer de leur travail ». Plus loin dans le catéchisme des « Trois coups… », il est dit que la colonne Force représente le 1er surveillant à l’occident et la colonne Beauté le 2nd surveillant au midi. Dans les rites modernes comme le rite français au contraire, les deux surveillants sont à l’occident, un devant chaque colonne. Dans l’ouvrage de Prichard intitulé « Massonry Dissected » de 1730 il est très clairement affirmé que les surveillants sont à l’occident pour renvoyer les hommes du travail en ayant payé leur salaire. Le « Régulateur du maçon » de 1801 emboîtera le pas des modernes.

Encore plus à l’occident, devant la colonne B\, on trouve le 1er Surveillant, juché sur une estrade de deux marches. Il porte le 2nd maillet et un niveau en sautoir. Ce dignitaire est très entouré. A sa droite on trouve le 2nd diacre armé lui aussi d’une hallebarde, et qui sert de relais entre les deux Surveillants. A sa gauche on trouve l’Hospitalier, et « l’Architecte-vérificateur », ou « Architecte » tout court, qui est plus spécialement chargé de la « maintenance » du temple : Gestion du stock de bougies et des accessoires rituels, réparation du local s’il y a lieu, commande des médailles de loges et attribution desdites aux membres de la Loge. Cet officier porte un compas en sautoir. La fonction d’architecte disparaîtra très rapidement : Dès 1849, lors de la réforme du Grand Orient de France. Un tel officier est peu utile dans un temple comme celui de la rue Cadet, ou de la rue Christine de Pisan, dans lesquels il y a une intendance.

Il faut enfin signaler la position même du 1er surveillant qui, à l’origine, se situe juste en face du Vénérable Maître, dans l’axe de la chaire du roi Salomon et du tableau de Loge. Cette position est en tout point conforme aux usages des anciens. Alors qu’au XXI siècle, le 1er surveillant est souvent décalé vers le Nord, tout comme le 2nd Surveillant vers l’Ouest. La raison invoquée de nos jours est que chaque surveillant doit faire face à sa colonnette.

Enfin, à l’occident, on trouve le 2nd Expert juste derrière le 1er Surveillant, contre le mur devant la colonne B\ qui est le stricte alter ego de son homologue à la tête de la colonne du midi. Pas loin de lui, devant l’autre colonne, siège le Couvreur, armé de son épée. Une tradition veut que le couvreur soit en général le précédent Vénérable Maître. En effet la fonction de Passé Maître Immédiat n’existe pas au GDM.

Il y a enfin un dernier officier, il s'agit de l'économe qui est chargé de la bonne organisation de l’agape et qui prend place sur l’une ou l’autre colonne. L’économe est parfois appelé « Maître d’hôtel », ce qui sied mieux à sa fonction.

Que d’officiers dans ce rituel direz-vous ? Pas moins de 20 se repartissent le travail dans le temple sans compter les adjoints ou suppléants éventuels ! Certes leurs fonctions sont strictement définies par le recueil de 1812. Le secrétaire fait la place tracée des travaux, le garde de sceaux conserve et gère les archives de la Loge, le 2nd Surveillant scrute la colonne du septentrion et se charge de l’instruction des apprentis, le 1er garde les 2 colonnes et se charge de l’instruction des compagnons, les Maîtres des cérémonies procèdent aux cérémonies diverses : Initiations, passages, élévations, etc. Tout cela dans un temple entretenu par l’architecte, préparé par les apprentis sous le contrôle des maîtres des cérémonies, et vérifié par les experts. Pourtant on ne peut tout de même pas s’empêcher de penser à la confusion qui régnerait au cours des travaux si ceux-ci ne n’étaient pas réglés au millimètre. On ne peut qu’en déduire l’importance d’autant plus grande du rôle de V\ M\ au Guide des Maçons Ecossais, ses qualités d’équité et de gestion doivent être d’autant plus grandes.

Quoi qu’il en soit, tout le monde est en place, le rituel commence…

§ 3 : Le rituel d’ouverture :

Au moment d’ouvrir les travaux, les bougies sont déjà allumées, les officiers sont en place, y compris le V\M\ (13). Le V\ M\ demande tout d’abord au 1er Surveillant de s’assurer de la sécurité de la Loge puis de la qualité maçonnique des gens qui garnissent les colonnes. Le GDM imprimé original ne mentionne pas la façon dont les surveillants s’assurent de cette qualité, pas plus qu’il ne mentionne la levée des FF\ ou du Vénérable Maître. Ce n’est que dans le manuscrit de 1829 « Rite Ecossais Ancien et Accepté, rituels des 3 premiers degrés selon les anciens cahiers » (14) que l’on trouve la façon dont ce fait cette vérification. Ils montent d’abord à l’orient pour y chercher symboliquement la connaissance puis redescendent vers l’occident pour y effectuer leur travail avant d’en rendre compte.

Enfin le mot sacré passe du Vénérable au 1er Surveillant puis au 2nd par l’intermédiaire des Diacres. Le Vénérable se découvre le temps de prononcer la formule rituel d’ouverture des travaux. Pour cela il s’arme d’une épée à la lame droite et non d’une épée flamboyante, épée droite qu’il tient droite dans la main gauche tandis que la main droite tient le maillet. Le Vénérable Maître ouvre les travaux de façon autoritaire, en rappelant l’interdiction des discussions politiques ou polémiques en loge, interdiction assortie de sanctions. Il n’y a pas non plus, de formation d’un tétraèdre avec la canne du Maître des Cérémonies et l’épée de l’Expert. Ce tétraèdre – au même titre que l’épée flamboyante – est un élément d’hermétisme absent du GDM.

L’être au nom duquel les travaux sont ouverts diverge aussi avec le temps. Dans le recueil de 1812 et le manuscrit « Rituel écossais » de 1820, les travaux sont ouverts au nom de Dieu et de St Jean, il n’est nullement fait mention du GADLU qui n’apparaît que dans le manuscrit de 1829. Les travaux, selon ce dernier manuscrit seulement, sont ouverts comme dans notre rituel contemporain au nom de « Dieu, GADLU et de St Jean d’Ecosse ». Notons au passage que l’appellation de « St Jean d’Ecosse » est purement franco-française puisque les « Trois coups distincts » ne parle que de St Jean… (15) Quant à l’acclamation, elle n’apparaît que dans le manuscrit de 1820 sous la forme « Houzzé » et celui de 1829 sous l’écriture « Houzzaï ».

Que n’a-t-on pas dit sur cette acclamation mystérieuse : « Houzzé ». On en a fait le simple synonyme de « Hourra », un dérivé de « Hoschée » -L’acclamation Rose-Croix - un dérivé de l’hébreu « Ozé » qui signifie « Force » et par extension « vie », ce qui rapprocherait le « Houzzé » du « Vivat » des rites modernes. Delaunay, dans son tuileur, en a même fait une signification de « Vive le roi » ce qui n’a rien d’étonnant lors de la restauration monarchique.

Certes le mot sacré du 1er degré n’est nullement mentionné lors de l’ouverture, ni celui de compagnon et encore moins celui de Maître. Le mot du 1er degré ne figure dans aucun des textes, seule la 1ere lettre du mot est mentionnée ce qui permet certes de comprendre que celui-ci est « Boaz ». L’ordre des mots sacrés selon les anciens est donné très tôt par le manuscrit « Sloane 3329 » et le manuscrit de Trinity College. Tous deux datent du début du XVIIème siècle et restituent cet ordre des mots sacrés avec « B » au premier degré. Dans un autre texte fondateur des anciens, « Le sceau rompu » de 1745, on ne donne pas le mot du premier degré mais l’intégralité de celui du second. Il n’y a alors plus qu’à faire marcher l’esprit de déduction.

Pour retrouver l’intégralité des mots sacrés, il faut se référer aux textes fondateurs des rites anciens. Les « Trois coups distincts » (1760) donne l’intégralité des mots sacrés des deux premiers grades avec B au 1er degré.

L’intégralité des mots est donnée à ceci près que le mot de compagnon est écrit à L’anglaise (16). Avant cela, deux ouvrages français nommés respectivement « Le catéchisme des Francs Maçons » (1744) et « L’ordre des Francs Maçons trahi » (1745) donne l’intégralité des mots sacrés des 1er et 2nd degré avec l’écriture du mot de compagnon à la façon française. (17)

Pour information il faut savoir qu’un des moyens de distinguer les rites anciens des rites modernes est justement l’orthographe du mot « Boaz ». « Boaz » est une orthographe typiquement ancienne à laquelle les modernes ont substitué l’orthographe « Booz ». Les modernes qui ont d’ailleurs volontairement inversé l’ordre des mots sacré des 1er et 2nd degrés comme en témoigne une divulgation des secrets des modernes par le « manuscrit Sadler » de 1766, divulgation faisant suite au « Massonry Dissected » de Prichard (1733).

Le GDM étant de nature ancienne, l’ordre et la prononciation des mots sacrés dans les trois grades ne peut guère laisser de doute.

§ 4 : Les préliminaires à l’initiation :

Avant d’aborder la cérémonie en elle-même, il faut s’arrêter un instant sur toute la procédure qui a conduit le profane dans le cabinet de réflexion. Le recueil de 1812 précise toute la démarche.

La demande d’initiation est déposée dans le sac aux propositions par un F\ de l’atelier. Le postulant doit être âgé de 21 ans, mais le recueil permet la candidature d’un postulant âgé de 20 ans seulement s’il est louveton (18). Suite à cette première attache le Vénérable Maître nomme trois enquêteurs désignés sous le vocable de « commissaires » (19) pour se rendre chez le profane et s’assurer de sa bonne moralité et de sa bonne volonté (20).

Une incertitude existe quant à la teneur de la 3ème attache : Passage sous le bandeau ? Entretien en comité de Maîtres dans une salle humide ? Simple confirmation de la 2ème attache ? Faute de texte, on peut raisonnablement déclarer qu’il y a une totale liberté des loges en la matière. Mais la 3ème attache ne saurait être escamotée puisqu’elle est prévue par le rituel de l’initiation lui-même.

Pour ce qui est du scrutin, la règle est complexe. Selon le recueil de 1812 le vote à boules est obligatoire lors de la 2ème et de la 3ème attache selon les modalités suivantes : Si à l’issue du scrutin, il y a une boule noire dans l’urne, il est procédé à un nouveau tour pour s’assurer qu’il n’y aucune erreur. S’il y a encore deux boules noires dans l’urne, il est prévu que les FF\ qui les ont mis rencontrent ultérieurement le Vénérable Maître et les Surveillants pour exposer les raisons de leur refus. A l’issue de cette entretient, le V\ M\ et les Surveillants tranchent et leur décision a force de Loi. S’il y a trois boules noires ou plus dans l’urne, le scrutin est tout simplement défavorable. Notons que le recueil a prévu le cas du profane très connu des membres de l’atelier. Dans ce cas, il sera dispensé d’enquête et seule la 3ème attache aura lieu. Mais dans ce cas, l’unanimité est requise.

Quoi qu’il en soit, une fois la loge acquise au profane, la cérémonie peut avoir lieu.

§ 5 : L’Initiation :

Pour l’initiation, le profane est amené sur les parvis du temple après un long moment dans le cabinet de réflexions. Il a pu y lire les diverses maximes inscrites sur les murs noirs, il avait sur la table en face de lui un crâne et un « livre de morale », la sainte bible sans doute. Le sel, le souffre et le mercure sont des éléments alchimiques de base absents de ce rituel qui se veut, nous le verrons plus tard, très proche du métier symbolique.

Après un temps de réflexion le profane est introduit dans le temple dans la vêture rituelle. Le voilà donc sans métaux, un bandeau sur les yeux, une corde au cou, le sein et le genou gauche dénudé, le pied gauche en pantoufle.

Il est bientôt précipité dans la caverne après avoir accepté de subir les épreuves et après avoir médité sur la sellette des réflexions qui n’est autre que la pierre brute elle-même. La caverne est décrite dans le recueil de 1812 qui en donne une description précise. Il s’agit seulement d’une longue gouttière suffisamment large pour y faire tenir un homme assis. On met le profane à un bout puis on lève la gouttière pour le faire glisser. En termes clairs on lui fait faire du toboggan… L’épreuve de la caverne n’est pas sans importance symbolique. Dans de nombreuses traditions initiatiques les cérémonies débutent par un passage dans une caverne ou une fosse, à titre de punition dans la logique platonicienne ou à titre de retraite purificatrice ce qui conviendrait mieux à l’optique maçonnique. Ce passage « troglodyte » symbolise une régression « ad uterum », un retour au ventre maternel pour une nouvelle naissance. Au plan psychologique il s’agirait même d’une phase d’introspection récapitulative avant la construction d’une nouvelle identité.

Au cours de la cérémonie de réception, après avoir subi l’épreuve du calice d’amertume, on lui fait faire les 3 voyages. Trois voyages strictement identiques durant lesquels le candidat est bousculé et durant lesquels les FF\ font un vacarme épouvantable. Mais le vacarme du 3ème voyage disparaît dés 1829.

Pourquoi cette suppression ? On s’accorde à dire que ce voyage correspond à la première entrée dans le temple. On a alors du mal à comprendre pourquoi un tel tumulte dans un lieu où règne la paix, la concorde et l’harmonie.

Au cours de ces voyages le profane sera purifié par l’eau et le feu mais non par l’air ni par la terre. Il faut voir ici non pas un oubli d’une référence alchimique mais une référence biblique. Le candidat à l’initiation est assimilé à une future victime d’un holocauste dans le temple de Jérusalem : il est donc purifié par l’eau lustrale. Cette cérémonie biblique est décrite dans le chapitre 19 du Livre des Nombres (21). Vient ensuite l’épreuve du feu dont la signification est la suivante : Si la victime est impure, elle sera consumée. Si elle est pure : le feu ne la détruira pas. Alors, seulement à ce moment, le feu jouera alors le rôle d’un catalyseur de la transformation du profane au sacré, du profane au maçon, du métal en or, petit clin d’œil à l’alchimie…

Pas question de décrire plus avant une cérémonie que vous connaissez tous mes FF\ Laissez-moi seulement m’arrêter sur quelques points. En effet au fil des transcriptions du rituel quelques éléments changent. Ainsi, lors du « test de bienfaisance » les premières versions du rituel ne prévoient pas les dons d’argent ridicules, seulement une offre généreuse. La formule « Monsieur le denier de la veuve donné avec indigence est aussi agréable au GADLU que la pièce d’or du riche… », n’apparaît pas, seule « Je n’en attendais pas moins monsieur, de votre bon cœur... », est rédigé. Quant au sacrifice de sang, si les versions plus récentes du rituel attribuent cette fonction à un F\ anonyme appelé F\ chirurgien, le recueil de 1812 donne cette fonction à l’hospitalier. Il faut noter que là encore le sacrifice de sang est un élément français qui date de la 2nde moitié du XVIIIe siècle mais il était déjà présent au Rite Ecossais Philosophique.

Plus intéressant est la formule latine « Sic transit gloria mundi » employée lors du retrait définitif du bandeau au candidat. Seule la version imprimée du GDM laisse apparaître cette phrase « Sic transit gloria mundi » [ainsi passe la gloire du monde]. D’où vient cette phrase ? Déjà présente dans la Stricte Observance Templière bien avant le 1er empire, elle se retrouve de ce fait au Rite Ecossais Rectifié. La maxime est tirée d’un des grands livres de la mystique chrétienne : « L’imitation de Jésus Christ » qui contient un ensemble de conseils pour la vie spirituelle et religieuse. Cet ouvrage est anonyme. On l’a attribué tour à tour au chancelier de l’université de Paris, Jean Charlier de Gerson (1363-1429), au moine allemand Thomas a Kempis (en réalité Thomas Hemerken, 1380-1471), à L’abbé de Vercelli (Piemont) : Gersen, etc… Cet ouvrage a été traduit de nombreuses fois, notamment par Corneille, mais c’est celle de Félicté-Robert de Lamennais (1782-1854) fait autorité. Quant à ces paroles de l’Imitation - « sic transit gloria mundi » - elles sont adressées au Pape lors de son installation pour rappeler au souverain pontife la fragilité du pouvoir temporel.

La lecture de la bible fourni son explication. Certains passages ne sont guère tendres avec la notion de gloire. A commencer par l’Ecclésiaste qui distingue clairement la gloire de Dieu de la gloire de l’homme qui ne serait qu’une gloriole. Quelques exemples : « Mieux vaut une bonne réputation qu’un bon parfum » (7-1), « Mieux vaut entendre la réprimande du sage que le chant des insensés » (7-5).

Quant aux proverbes, au chapitre 25 verset 27 ils disent : « Il n’est pas bon de manger beaucoup de miel, mais rechercher la gloire de l’autre est un honneur ». Jean, au chapitre 12 de son évangile relatif à la résurrection de Lazare parle de Jésus arrivant à Béthanie à dos d’âne. De même au Versets 42 et suivant, Jean y traite des pharisiens qui aimaient plus la gloire des hommes que la gloire de Dieu. Ce à quoi Jésus répond : « Celui qui croit en moi croit, non pas en moi, mais en celui qui m’a envoyé. Je suis venu comme une lumière afin que quiconque croit en moi ne demeure point dans les ténèbres ». Tout cela sans compter avec l’instruction du second degré.

A la lumière de ces quelques lignes sacrées, une explication peut s’imposer quant à la présence de la phrase « sic transit gloria mundi ». Elle signifie à l’impétrant, d’une part que l’initiation incite à laisser là les passions au profit de la réalisation personnelle, la gloire m’appartenant qu’à Dieu. Et, d’autre part, que même s’il vient de recevoir la lumière, cette lumière, aveuglante lors du retrait du bandeau, est éphémère et qu’il faudra continuer l’initiation toute sa vie pour la maintenir ou la retrouver.

Pour en revenir à notre initiation selon le GDM, une fois le bandeau retiré pour la seconde fois et le serment prêté, le V\ M\ communique à au nouveau frère les mots, signes et attouchements du 1er degré du rite. Mais dans le premier imprimé du GDM ainsi que dans les rituels écossais de 1820, le V\ M\ ajoute la phrase suivante : « Mon F\ la maçonnerie est connue dans tout l’univers quoi qu’elle soit divisée en deux rites : Anciens et moderne. Mais ils reposent sur les mêmes principes. Nous travaillons sous le rite ancien ou écossais car il est le même qui nous a été transmis par les 1er fondateurs de l’ordre et est de pure essence de la maçonnerie. Voici les mots, signes et attouchements du rite moderne ». Et sur ce il les lui communique, mais ces mots, signes et attouchements ne sont pas plus indiqués que ceux du rite ancien. On peut tout de même voir la volonté du Rite ancien de tendre la main au rite moderne malgré l’opposition entre les deux. Opposition qui ne prendra fin qu’avec le traité de 1813. Sans doute est-ce là également une marque de la volonté de compromission du comte de Grasse-Tilly pour pouvoir survivre décemment.

Enfin le nouveau F\ est proclamé, il prend place sur les colonnes, sur un siège en acajou aux angles arrondis. Mais le nouveau F\ va devoir, comme les autres apprentis, s’absenter momentanément car ce soir votre Loge monte au 2ème degré pour un passage.

§ 6 : Le Passage :

L’ouverture au 2nd degré ne diffère guère au fil des temps. Elle est d’ailleurs semblable à celle du 1er degré à quelques tournures de phrase près. Seuls les mots sacrés changent, naturellement.

Pour la cérémonie de passage le GDM se veut extrêmement proche du métier, il est proche en cela des rites anciens. Le candidat effectue 5 voyages au cours desquels lui sont expliquées les différentes phases de la taille de la pierre et de l’édification du temple. Initialement, il n’y avait que trois voyages. Ce nombre de 5 voyages apparaît pour la 1ère fois dans un rite français provenance indéterminé datant de 1756 et conservé par le Grand Orient de Belgique. Mais le nombre de 5 voyages deviendra définitif en 1786 lors de la refonte des rites par le GODF en 1786. Ce nombre de 5 voyages fut par la suite adopté par les fondateurs du REAA et repris par le GDM.

Pour effectuer ces 5 voyages, le candidat compagnon prend successivement à la main une série d’outils. C’est d’ailleurs la seule cérémonie et le seul rituel dans les grades symboliques durant laquelle le candidat à les mains pleines de plusieurs outils. Rappelons brièvement le contenu de ces voyages qui représente les 5 années que durait l’apprentissage autrefois, dans les confréries : Le premier est consacré à la coupe de la pierre, le candidat effectue ce voyage muni d’un maillet et d’un ciseau à pierre. Le 2nd voyage est consacré au tracée sur la pierre extraite des lignes propres à en donner la coupe exacte à venir, le candidat fait le tour de la loge en tenant une règle est un compas. Le 3ème au transport de la pierre depuis la carrière jusqu’au chantier et à la mise en place de cette pierre, ce voyage se fait avec un levier et une règle. Le 4ème tour de loge est consacré à la construction de l’édifice en lui-même avec l’équerre et la règle. Quant au 5ème voyage il est consacré à la théorie générale de la construction. Et si les 4 premiers voyages se font avec des outils à la main, le 5ème se fait, lui, mains nues.

Cette progression est empreinte d’un certain bon sens : L’apprenti commence par des tâches grossières ne demandant pas beaucoup d’expérience avant d’affiner peu à peu sa technique pour déboucher sur la théorie, occupation plus noble s’il en est.

D’aucun reprocherait aujourd’hui au GDM l’absence d’éléments plus ésotériques. Ainsi les cartouches retournés lors de la même cérémonie au « 1804 » ou au « 1802 » cartouches sur lesquels sont inscrit les 5 ordres d’architectures, les 5 sens et les 7 sciences libérales. Ces cartouches ne sont pourtant pas si récentes. Ils apparaissent sous la restauration, plus exactement dans un rituel de 1843 publié par le Suprême Conseil de France. Il y avait même plus de cartouches. Selon ce rituel, le 1er cartouche montrait les 5 sens, au second voyage on montrait le 2ème cartouche sur lequel étaient inscrit les ordres d’architectures, le 3ème cartouche traitait des 7 sciences libérales, le 4ème cartouche, lui était montré après les globes terrestre et céleste, il y était inscrit des noms de philosophes comme Platon ou Solon. Le dernier de ces noms inscrit était INRI. INRI signifie certes « Jésus de Nazareth, roi des Juifs », mais aussi « Igné Natura Renovatur Integra » c.a.d, selon la tradition alchimique, « La nature renouvelle tout par le feu ».

Au GDM, ces cartouches sont inexistants. Mais les 5 sens et les 7 sciences libérales figurent déjà dans l’instruction d’apprenti. L’initié aura connaissance de ces éléments dès son apprentissage. Si on ajoute l’étoile flamboyante et la lettre G apparaissant dans la cérémonie de passage, on peut considérer que l’initié acquerra une connaissance symbolique suffisante une fois fini sa période compagnonnique.

Une fois le compagnon reçu dans son grade, on aura rabattu la bavette de son tablier et il aura regagné la colonne du midi. Il devra quitter aussitôt le temple avec les autres compagnons car votre loge procède à une élévation.

§ 7 : L’Elevation :

La Loge monte au 3ème par la même cérémonie que celle du 1er et du 2nd degré mais avec les mots de Maître. A ce degré les titres des FF\ changent. Les FF\prennent le titre de Vénérable Frères, les Surv\ celui de Très Vénérable Frère et le Vénérable devient Très Respectable. Il faut sans doute voir en cela une réminiscence de l’époque où le grade de Maître n’existait pas, il était réservé au président de la Loge, les FF\ portant alors le grade de compagnon mais connaissaient les secrets de l’actuel grade de Maître (22).

Pour la cérémonie d’élévation la Loge est tendue de noir, cela implique qu’on tire un rideau à l’orient pour cacher la chaire du roi Salomon. On éteint les lumières pour donner à la chambre du milieu un air lugubre, elle n’est éclairée que par une bougie jaune dont l’emplacement n’est pas précisé. On supposera seulement que cette bougie est à l’orient pour compenser l’absence de lumière à l’orient qui est caché par un rideau noir. Cette bougie est néanmoins côtoyée par un sablier, symbole du temps qui passe et mène irrémédiablement vers la mort. Cette mort qui vient de frapper le Maître Hiram.

Le dernier maître élevé s’allonge dans un cercueil, recouvert d’un drap noir. Le candidat est amené à reculons et la cérémonie peut commencer. Signalons que le cercueil est une des particularités du REAA, Dans les autres rites les personnes sont simplement allongées par terre. Le cercueil n’est pourtant pas une invention du REAA, il existe aussi au Rite Suédois tel que rédigé dans les années 1760-1770. Mais la présence de cette bière convient parfaitement au coté théâtrale du REAA.

Plus intéressant, le GDM dans sa version imprimée non datée rajoute un élément qui ne se retrouve plus dans le REAA contemporain. Une fois Hiram assassiné le roi Salomon envoie une expédition de 12 compagnons à la recherche du Maître. Cette expédition se scinde en 4 groupes qui partent respectivement au Nord, au sud, à l’Est et à l’Ouest. Ceci fait, voilà très exactement ce qui est stipulé : « Une de ces quatre bandes descendit la rivière de Joppa (Aujourd’hui Jaffa) ; l’un d’eux s’étant reposé sur une roche, il entendit de terribles lamentations par l’ouverture du rocher. Prêtant l’oreille il entendit une voix qui disait : « Oh ! Que j’eusse eu plutôt la gorge coupée, la langue arrachée jusqu’à la racine, et que j’eusse été enterré dans le sable de la mer à la basse marée et à une encablure de distance du rivage où la mer flue et reflue deux fois par jour, plutôt que d’avoir été complice de la mort de notre respectable maître Hiram ! »

« Oh, dit un autre, que mon cœur eut été arraché de mon sein et jeté pour servir de proie aux vautours, plutôt que d’avoir été complice de la mort d’un aussi bon Maître ! »

« Mais hélas, dit Jubélum : je l’ai frappé plus fort que vous deux puisque c’est moi qui l’ai tué ! Que j’eusse eu mon corps séparé en deux, une partie au midi et l’autre au Nord, et mes entrailles réduites en cendres et jetées aux quatre vents, plutôt que d’avoir été le meurtrier de notre respectable maître Hiram ».

Ce compagnon, après avoir entendu ces plaintes lamentables, appela les deux autres compagnons, ils convinrent entre -eux d’entrer dans l’ouverture du rocher, de se saisir des ouvriers et de les transporter devant le roi Salomon, ce qu’ils exécutèrent.

Ces meurtriers avouèrent à Salomon ce qui s’était passé et ce qu’ils avaient commis, et témoignèrent de ne pas survivre à leur forfait.

En conséquence, Salomon ordonna que leur propre sentence leur soit exécutée, puisqu’ils avaient désigné eux-mêmes leur genre de mort, et ordonna qu’il soit fait ainsi : « Jubelas eut la gorge coupée, Jubelos eut le cœur arraché, Jubelum eut le corps coupé en deux parties, l’une fut jetée au Nord, l’autre au midi.

Salomon ayant ainsi vengé la mort du respectable maître Hiram-Abif renvoya les mêmes compagnons pour remplir leur première mission ».

Ceci accompli, les 12 compagnons repartent pendant 5 jours et rendent compte au roi Salomon de leur échec.

Voilà le seul élément vraiment remarquable du 3ème degré du GDM qui ne s’y retrouve plus aujourd’hui. Elle est pourtant toute droite issue de la partie du catéchisme de maître dans les « Trois coups distincts ». Ce passage a pourtant été supprimé en raison d’une contradiction totale avec les degrés supérieurs.

Car le problème essentiel du GDM originel se situe là.

Le 3ème degré du REAA actuel apprend que les compagnons étant rentrés sans avoir découvert le cadavre d’Hiram, Salomon envoie 9 Maîtres qui, eux trouvent le corps. Puis, dans un degré supérieur, l’on apprend que ces neuf Maîtres retrouvent l’un des assassins du Maître Hiram. Aussitôt, l’un d’entre eux tue ce compagnon et en rapporte la tête à Salomon. Lorsqu’il découvre le macabre trophée que lui rapporte ce maître, il songe à le faire exécuter à son tour mais finalement se ravise (23). Quant aux deux autres compagnons, ils ne sont retrouvés dans un autre degré.

On voit donc la totale opposition entre le 3ème degré du Guide et les degrés supérieurs du REAA. Voilà, mes FF\ où le bas blesse. Les degrés 4 à 33 ayant été établis avant le Guide, comment ceux qui en sont les rédacteurs, les membres du 1er Suprême Conseil Français, ont-ils pu commettre une telle erreur ? Des hypothèses seront envisagées en conclusion.

On comprend néanmoins la suppression rapide de ce passage du GDM. Ce rituel, dans sa version actuelle, n’a donc plus ce handicap. Cela dit, une fois la cérémonie achevé, on communique enfin le mot de Maître. Mais il s’agit là du mot substitué. Car le mot de Maître ne pouvait être prononcé que par 3 personnes : Hiram roi de Tyr, Hiram Abif, et Salomon, or l’un des trois est mort et le mot est perdu. D’où un mot substitué mis en place au cas où Hiram, avant sa mort aurait révélé ce secret pour éviter son sort funeste (24).

Quel est ce mot substitué ? Vu le caractère ancien du GDM, il n’y a aucun doute que ce mot est « Mohabon », ce qui est proche du « Mohabone » des anciens. A titre d’anecdote d’ailleurs le terme « Mohabone » évoque le vocable « Marrow in the bone (25) », traduction : Moelle de l’os. Mohabon peut également se voir comme une dérivation du vocable hébreu « Met aboneh », ce qui signifie : « L’architecte est mort ».

A l’inverse il y a quelques éléments d’aujourd’hui qui n’y figuraient pas à l’époque comme la phrase « Dieu merci le maître est retrouvé et il reparaît plus radieux que jamais » lorsque le V\ M\ a relevé le nouveau maître. Cette phrase est caractéristique de l’évolution ultérieure du REAA pour lequel la fuite d’Hiram s’apparente à la course du soleil et pour lequel la relevée du corps est une résurrection comme dans beaucoup de tradition symbolique.

Une fois le nouveau maître installé sur les colonnes, la loge peut redescendre au 1er degré pour la fermeture des travaux.

§ 8 : La fermeture :

La fermeture des travaux est sans doute la seule partie du rituel qui n’a jamais grandement évolué. A un détail près pourtant : L’absence de chaîne d’union. Celle-ci est n’est apparu dans les rites anciens que très tardivement, car elle est, dans la première moitié du XIXème siècle, l’apanage des rites modernes qui l’ont tiré du compagnonnage. Elle est néanmoins présente dans l’Arche Royale des anciens et s’en est un élément essentiel. Une fois le serment de silence prêté et les travaux clos, les frères quittent le temple pour une agape rituelle en salle humide.

§.9 : Conclusion :

Revenons maintenant au XXIème siècle. Qu’est-il advenu du GDM ? Il a continué d’être pratiqué tel que prescrit par le manuscrit de 1829 par la Grande Loge de France jusqu’à une date oscillant entre la fin du XIXe siècle et le début du XXème siècle (26). Depuis ce temps il a subi de nombreuses modifications. La première date de 1893 avec Oswald Wirth qui a rajouté à ce rituel proche du métier des éléments hermétiques et des références lourdes à la kabbale, références propres à la mise en œuvre des degrés 4et plus du REAA. Au fil de ces changements les diacres ont disparu avec la création de la Grande Loge de France. Un rituel de 1905 ne les mentionne plus du tout. La précipitation dans la caverne lors de l’initiation itou, le pavé mosaïque s’est rétréci comme une peau de chagrin pour occuper le seul espace compris entre les trois colonnettes allumées. Toutes ces modifications pour aboutir aux deux versions des grades bleus contemporain du REAA pratiqués par la GLNF, versions appelées respectivement « 1804 » alias « Cerbu », ou « 1802 » alias « Trestournel » et datées toutes les deux de la 2nde moitié du XXe siècle.

Aujourd’hui, le Guide des Maçons n’a pas la qualité de REAA vis à vis du Suprême Conseil Pour La France. Il lui reproche d’être en contradiction avec les degrés 4 à 33. La contrariété originelle entre le 3ème degré symbolique et les degrés supérieurs en témoigne. Pourtant, il a été établi par les membres du 1er Suprême Conseil au début du XIXème siècle. Comment a-t-on pu en arriver à un tel antagonisme ? Que s’est-il passé ?

Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées :

-Que le Guide soit un élément marginal du REAA.
-Que le Guide soit un brouillon des grades symboliques du REAA., qu’il appartienne à la protohistoire des grades symboliques du REAA, autrement dit le Guide serait le « diplodocus » de ces grades symboliques.
-Qu’il soit un compromis politique de Grasse-Tilly pour pouvoir manger.
-Qu’il y ait une fin prévue pour ceux qui n’iront pas au delà du 3ème degré, une fin implicitement démentie ultérieurement.
-Ou alors tout simplement que le Guide des Maçons soit un rite à par entière et non un simple rituel.

Nul ne peut prétendre détenir la vérité puisqu’aucun texte n’existe pour accréditer telle ou telle hypothèse.

De nos jours donc, cinq Loges de la province de Paris-Grande-Arche et la R\ L\ Fama Fraternitatis n°387 à l’orient de Paris sont les seules en France à le conserver et à pratiquer le GDM sous une forme à peu près originelle. La Belgique, par contre, pratique dans ses grades symboliques un REAA très proche du Guide.

Certes ce rituel peut-être tout de même connu, grâce notamment au site internet http://reunir.free.fr qui diffuse entre autres les rituels les plus anciens. De même quelques exemplaires imprimés ou manuscrits du GDM traînent encore ça et là. L’un dort à la GLF, un autre dans les armoires du Suprême Conseil pour la France de l’avenue de Villiers, un autre encore au Fond Maçonnique de la Bibliothèque de France de la rue Richelieu, un autre enfin au domicile personnel du bibliothécaire du Suprême Conseil de Belgique. Mais les 6 loges précités qui travaillent encore selon le Guide font figure de dernier bastion de l’histoire.

Alors, mes FF\, par delà tout ce qui peut être reproché à ce rituel : son caractère proche du métier, trop proche pour certains peut-être, l’absence d’hermétisme voire son coté brutal… Gardons le précieusement au titre de prima matériae.

§ 10 : Remerciements :

Tout d’abord le R\ F\ Gilles P\ pour m’avoir grandement orienté dans mes recherches et sans qui nous ne pratiquerions pas ce rituel.

Le Frère J\ S\

Les Fraternautes du forum internet TEH qui m’ont éclairé. (Notamment Roland Bermann, Pierre Noël (bibliothécaire du Suprême Conseil de Belgique).

S\ Irène Mainguy, documentaliste de la bibliothèque du GODF, toute dévouée à sa charge T\ R\ F\ Yves T\ pour m’avoir prêté des ouvrages issus de sa collection privée.

Vénérable Maître et vous tous mes frères, j’ai dit.

P\ S\

Bibliographie :

- « Textes fondateurs de la tradition maçonnique, 1390 –1760 : Introduction à la pensée de la Franc-maçonnerie primitive », cote 299.97 text. (bibliothèque Mitterand).
- « Recueil des lois constitutionnelles du rite écossais et des différents grades qui composent cet ordre maçonnique », 1812, 112 pages manuscrites, cote FM4 72 à la bibliothèque Richelieu. + Microfilm 4601.
- « Rituel du marquis de Gage », 1763, 342 pages, coté FM4 79 (bibli. Richelieu).
- « Rituels écossais », 1820, 574 pages, cote FM4 83 à la bibliothèque Richelieu.
- « Rites écossais ancien accepté, rituels des trois premiers grades selon les anciens cahiers, 5829 », 1829, 272 pages, cote FM4 96 à la bibliothèque Richelieu.
- « Le parfait maçons, les véritables secrets des 4 grades d’app\ de comp\ de maître ordinaire et de maître écossais de la franche maçonnerie + le sceau rompu », 1745, 312 pages, cote FM4 4 Baylot à la bibliothèque Richelieu.
- Ibid, Coutura, F\M\ Impr 3783 à la bibliothèque Richelieu.
- « Le guide des maçons de rite ancien et accepté, cahier du vénérable maître », 18\ (?), coté FM Baylot, imprimé 459.
- « Ordo ab Chao : Origine et évolution des Rituels », édition du Suprême Conseil de France, n° 39-40, 1999, GLF.
- « Les trois coups distincts (1760 et le grade de maître des anciens », Gilles Pasquier, in « Cahier Villard de Honnecourt ».
- « Les anciens et le grade de maître du rite écossais ancien et accepté », Ibid.
- « Le troisième degré d’après le guide des maçons écossais », Claude Gagne, Jean lepont, Francis Torel, le Maillon n° 22, avril-juillet 1988.
- « Guide pratique de la Franc-maçonnerie », Jean J Solis, ed Dervy, 2000.
- « Les origines de la Franc-maçonnerie », Paul Naudon, ed Dervy, 1991.
- « La voie du maçon : Techniques initiatiques de la Franc-maçonnerie spéculative », Jules Mérias, ed Dervy, 2001.
- « La foi d’un Franc-maçon », Richard Dupuy, ed Plon, re-ed 1996.
- « Encyclopédie de la Franc-maçonnerie », ed Le livre de proche.
- « Dictionnaire des symboles », ed Bouquins, J Cheva

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