GLISRU Loge : Alexandrie - Orient de Paris Date : NC


Réflexion sur les sources des Rites Egyptiens

3094-2-1.jpg 
  

Ni Rome ni Alexandrie ne se sont faites en un jour. Et nous pouvons en dire de même du Rite de Memphis-Misraïm. Parler d’un rite égyptien avant même d’en évoquer l’histoire c’est évoquer sa spécificité. Il n’y a pas de rite romain, juif ou grec dans la maçonnerie. Seuls se sont imposés des rites dits « anglais, français… ou égyptiens ». C ‘est une première évidence. Autant les deux premiers puisent leurs sources historiques dans l’histoire récente voire contemporaine, autant le dernier revendique radicalement et ouvertement une filiation antique.

Deuxième évidence, ils font tous les trois dans leurs rituels allusion à l’antiquité en termes de civilisations ou puisent leurs mythes fondateurs dans des livres dits sacrés. Dernier point, le rite de Memphis-Misraïm ne dévoile son originalité que dans ce que l’on qualifie de Hauts grades, puisqu’à son apparition en Europe au XVIII° siècle, il souche ses trois premiers degrés sur le Rite Français alors massivement pratiqué. Et leurs fait subir quelques modifications pour une cohérence d’ensemble.

En fait, le rite Egyptien, dans toute sa diversité et dans toutes les formes qu’il a pu emprunter n’est que l’expression d’une sensibilité très particulière qui au sein des autres expressions maçonniques, a su trouver et perpétuer sa voie. On pourrait, aussi pour cela penser qu’il n’est pas une maçonnerie, à proprement parler, ou se situe en deçà de la Maçonnerie telle que nous la pratiquons dans les autres rites.

Si n’est pas réellement crédible l’idée d’une perpétuation ininterrompue de la tradition, de l’Antiquité à nos jours, ou plus récemment des opératifs aux spéculatifs, il n’en demeure pas moins que ce qui présidait dès l’Antiquité à la mise en place des rites initiatiques ou de passage ( j’avoue avoir un petit faible pour cette expression), ne s’est jamais éteint, même si ceux qui étaient chargé de le transmettre n’ont pas joué leur rôle. Si le fleuve d’Héraclite continue d’avancer, ce n’est pas dû à la conscience qu’en aurait chacune des gouttes d’eau qui le composent et en auraient elles conscience qu’elles n’empêcheraient pas le fleuve d’avancer. Ainsi en est-il de la Tradition et des héritages maçonniques.

C’est par rapport au corporatisme des bâtisseurs et à leur enracinement chrétien que la maçonnerie anglaise et ses différents rejetons se situent. Pour ou contre le dogme chrétien, l’embellissant ou le dénaturant, les différents courants maçonniques puisent dans le mythe fondateur d’Hiram, à l’émergence relativement récente, les sources de leurs enrichissements successifs. Se grefferont au fil des ans, en raison d’influences diverses toutes sortes de portes nouvelles ouvertes sur des savoirs qui sans se compléter vraiment offriront aux cherchants réels des possibilités d’avancer sur des voies singulières. A chacun son chemin. Si à l’intérieur de cette maçonnerie que l’on peut qualifier de traditionnelle, les judéo-chrétiens ont la part belle, il n’en demeure pas moins que de nombreux courants a-dogmatiques ont su émerger enrichissant en cela le terreau initial.

La spécificité du rite égyptien vient d’ailleurs. Elle s’approprie l’arbre communs des rites existants mais pour mieux faire épanouir ses feuilles si particulières. Ne nous y trompons pas. La maçonnerie Egyptienne se veut maçonnique. Mais elle revendique d’autres sources, une autre histoire et de bien différentes fondations. Si elle se nourrit des mythes de tous c’est pour les abonder à sa manière et emmener les siens vers d’autres rivages.

La culture égyptienne est méditerranéenne. Ce qui la différencie déjà du tronc anglais mais la rapproche du tronc français. Elle s’imprègne de tous les cultures qui ont bercé le bassin méditerranéen. Qu’il s’agisse de l’Egypte, de Rome ou de la Grèce. Mais aussi de toutes ces cultures mortes ou dont les survivances atténuées ont pénétré les religions mono ou polythéistes de cette région du Monde.

Que les rites égyptiens soient apparus sous des noms aussi divers que Rite de Memphis, Rite de Misraïm, Rite des parfaits Initiés d’Egypte, Rite des Négociâtes ou Sublimes Maîtres de l’Anneau Lumineux, Rite de l’Académie Platonique, Rite des Architectes Africains, Rite Primitif des Philadelphes ou Ordre Sacré des Sophisiens montre à l’évidence qu’au-delà de l’aspect éparpillé de leur émergence conjoncturelle ou de leur retombée dans les oubliettes de l’histoire chacun d’entre eux tentait à sa manière sans pouvoir l’expliciter clairement qu’il fallait rechercher dans les antiques Mystères la source inépuisable de leur volonté d’exister.

Rien ne naît de rien. On ne peut douter qu’à l’émergence du courant égyptiens des ouvrages comme le Sathos de l’Abbé Terrasson ( 1731) , l’Oedipius Aegyptianicus d’Athanase Kircher (1651) ou le Monde Primitif de Court de Gébelin (1773) n’aient joué leur rôle. Mais cela ne suffit pas à tout expliquer.

Pourquoi l’Egypte ? Et quelle Egypte ? La représentation déformée, décalée par rapport à la réalité historique est immense. Le peu de certitudes que nous pouvons avoir repose sur des monuments à tout jamais silencieux et quelques événements historiques souvent controversés. Au pire, c’est au travers de nos filtres de pensée et de nos rituels actuels que nous traduisons l’Egypte. Au mieux, nous pouvons essayer de nous immerger dans le rituel que nous pratiquons pour nous ouvrir à d’autres horizons, à d’autres plans de conscience.

Mais n’est-ce pas là le but de toute pratique maçonnique ? Je ne suis pas sûr que cela suffise.

Une première remarque s’impose. Le regard que nous pourrions porter sur la philosophie ou la cosmogonie égyptienne est dès l’entrée, faussé.
Il passe par le prisme grec. Par la vision que les penseurs grecs ont perçu de la civilisation égyptienne. Quand nous parlons du sacré égyptien, de la relation de l’égyptien à l’univers, de son découpage du champ social en castes religieuses, c’est par le biais de la synthèse grecque que nous ne le faisons. Et plus particulièrement de celle qui est née au 2ème siècle à Alexandrie.

Et c’est à cet en-deça de la culture hellénistique que se réfèrent beaucoup de nos égyptomaniaques actuels qui méconnaissent la loupe au travers de laquelle ils déchiffrent leurs hiéroglyphes sacrés.
Cela ne veut pas dire que le panthéon égyptien n’a pas existé, mais seulement qu’il faut se méfier de l’ordre qu’on veut lui donner. Que Pythagore, Platon, Plutarque et tant d’autres aient puisé connaissances et savoir au terreau égyptien ne nous permet en rien d’affirmer que ce qu’ils en utilisent est conforme au dépôt initial, même si l’enrichissement qu’ils en retirent et nous apportent est réel.

C’est dans l’une des sentences de Diogène Laerce à propos de Pythagore qu’on saisit le mieux cette filiation de pensée entre la civilisation égyptienne et grecque. Je cite :
« Comme il était jeune et studieux, il quitta sa patrie et fut initié à tous les mystères grecs et barbares. Il  gagna donc l’Egypte quand Polycrate l’eût recommandé par lettre à Amasis, et il apprit la langue du pays. Il alla aussi chez les Chaldéens et les mages. Etant en Crète, il descendit avec Epiménide dans l’antre de l’Ida. Tout comme en Egypte, il était allé dans les sanctuaires, il y apprit les secrets concernant les dieux. »

La plupart des philosophes grecs furent initiés aux mystères. Et firent leur pèlerinage en Egypte, comme nous irions, nous, à Compostelle ( sur le champ de l’Etoile)

Quelques idées fortes demeurent : l’égyptien distinguait le vrai du réel. Relisons Platon, cela s’y trouve. En d’autres termes, pour agir sur le vrai, qui recèle en lui-même la trame de l’univers et sa multitude de potentialités, il faut déchiffrer le réel. Savoir le lire, savoir l’appréhender, savoir l’utiliser. L’apparente cacophonie du panthéon égyptien n’est que le reflet imagé de ce polymorphisme sur lequel l’humain par sa magie essaie d’intervenir. Sa magie, c’est-à-dire son rituel, précis, rigoureux qui lui permet d’établir le lien avec ces formes divines qui ordonnancent le réel et le régulent sur divers plans. Par certains aspects, le panthéisme indien joue le même rôle, au travers des diverses incarnations ou manifestations du divin. Les rituels n’étaient rien d’ autre que des moyens de communications ( des vases communicants ) permettant d’établir le lien ( de re-lier) le vrai ( la supra-réalité) le réel ( la réalité). C’est là et là seulement que se trouve l’origine de tout rituel. C’est là qu’il trouve son fondement sacré et sa raison d’être. Le rituel relie. ( relit  ? le réel pour y trouver le vrai et le plier à la réalité ?) La théurgie d’un Martinez de Pasqually refait à travers la kabbale judéo-chrétienne le chemin inverse pour retourner à ses origines.

Autre chose : le substrat économique, géographique, historique et culturel égyptien nous est parfaitement ou presque complètement étranger ne facilitant en rien une lecture ordonnée et rationnelle de ce panthéon égyptien. Les factures de gaz et d’électricité ou les impôts qui articulent notre vie quotidienne sont totalement étrangères au mode de vie égyptien régulé lui, par les crues du Nil.
Dernière réserve, mais il y en aurait tant d’autres, les mystères et autres rites ne sont venus que sur le tard et semblent être plus d’inspiration grecque qu’égyptienne. On pourrait les dater de l’époque ptolémaique sans grand risque d’erreur. Puiser dans une pseudo historicité la source d’une quelconque filiation semble relever de la pure escroquerie. Ce qu’on a écrit sur Akhenaton ou Ramsès II n’est pour l’essentiel que broderie littéraire.
En réalité, c’est dans la phase alexandrine, au confluent des vestiges égyptiens et des traditions juives, latines, chrétiennes et grecques dans un immense brassage de savoirs et de cultures diverses que s’est constitué ce qu’on pourrait appeler le fonds de commerce des rites égyptiens.
C’est là vers cette époque que se constitue vraiment ce que l’on appellera l’hermétisme qui est au cœur des traditions maçonniques égyptiennes. Le reste n’est que fariboles.

Né à Alexandrie, réapparaissant à la Renaissance, le courant hermétiste alimentera au XVIIIème et XIXème siècle la maçonnerie Française. Mais au-delà des apparences et des emprunts pas toujours opportuns que certains y feront, ce courant hermétiste est la souche véritable de la maçonnerie égyptienne.
« Parler de la tradition hermétique, c’est donc désigner un courant de pensée mythiquement et historiquement fondé sur les Hermetica (textes hermétiques ) et plus particulièrement sur la fameuse Table d’Emeraude. Autonome par rapport au Christianisme, indépendant à l’égard des sociétés initiatiques constituées, l’Hermétisme aurait en fait constitué au cours des siècles de l’histoire occidentale, une famille d’esprits avant tout désireux de « travailler » au dépassement de toutes les formes de dualisme ; il serait constitué par un certain type de sensibilité, susceptible d’accueillir par sa plasticité même d’accueillir des voies de réalisation différentes. » Françoise BONARDEL.

Et c’est là dans le syncrétisme alexandrin que naîtra ce courant réellement indépendant de tout courant, de toute chapelle qui fait de l’initiation un véritable rite de passage, un véritable acte libérateur.

Ce courant hermétiste ne se départit pas de mystères. Il les cultive même. Pour assurer la transmission des connaissances.
« Non seulement les Pythagoriciens et Platon cachent la plupart de leurs dogmes mais les épicuriens avouent eux-mêmes qu’il y a chez eux des secrets et qu’ils ne permettent pas à tout le monde manier les livres où ils sont exposés ». Clément d’Alexandrie.
A l’opposé de la démarche maçonnique qui initie et révèle par paliers, l’œuvre hermétiste ouvre un chemin différent, essentiellement philosophique, fondé sur la raison et l’étude. C’est en cela que la maçonnerie égyptienne ne peut pour se réaliser pleinement que se situer au-delà des grades bleus. La tradition hermétique s’appuie plus sur l’étude philosophique que sur l’initiation révélatrice.

La quête hermétiste est unificatrice. Elle donne sens au réel en le fondant dans le vrai. Les prolégomènes maçonniques ( au sens où ils désinvestissent le réel de ses apparences trompeuses ) lui sont nécessaires mais pas suffisantes.

« La philosophie hermétique, c’est d’abord le refus de morceler le savoir en régions rivales. C’est d’ailleurs ce qu’en retiendront les différents courants qui ultérieurement se recommanderont d’elle : illuminisme, chimisme romantique, théosophie attesteront de la permanence d’une voie ésotériste de l’Occident ».
Françoise BONARDEL.

L’Eglise chrétienne mit fin à l’aventure hermétiste au Vème siècle. Il faudra attendre Marsile FICIN vers 1460 pour voir renaître à travers ses traductions et l’Académie Platonicienne toute cette tradition mais ceci est une autre histoire. Notons cependant que c’est la redécouverte de ces textes et notamment ceux de Plutarque et de Jamblique sur la civilisation égyptienne qu’il apparut nécessaire de se pencher plus sérieusement sur cette civilisation pré-héllenique.

Pour conclure, je voulais simplement ajouter que les rites égyptiens, au delà de leurs scissions contemporaines, ( qui ne sont par ailleurs que l’expression d’une méconnaissance profonde de l’essence du rite ) ne peuvent qu’être complémentaires des autres voies maçonniques. Elles ne peuvent s’y substituer. Parce que les prolongeant, dans un enrichissement qui ne peut être que mutuel.

3094-2 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \