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Ni le soleil ni la mort ne peuvent se regarder fixement

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Cette maxime de La Rochefoucault insiste sur deux éléments, le soleil et la mort. Importants dans l’existence de l’homme, ils le sont aussi dans la symbolique maçonnique. Une maxime est une pensée qui tombe comme une sentence. Sa forme brève, lapidaire, tout comme l’aphorisme ou le proverbe, tient un discours universel à propos de l’homme. Elle frappe l’esprit sans l’illuminer ou dérange parfois mais jamais ne laisse indifférent. Sa pointe, c'est-à-dire sa chute, force à la méditation.

Quel rapport l’homme a-t-il eu avec le soleil et la mort depuis l’émergence de sa conscience ?
Le soleil, source de vie, image de la création, peut être aussi générateur de mort.

La mort est-elle un passage ultime vers un autre état ou juste l’instant où tout s’arrête ?
A l’évidence, la mort génère des questions pour lesquelles l’homme ne sait pas vraiment s’il désire connaître les vraies réponses. Le soleil et la mort revêtent une importance capitale dans l’évolution de l’humanité. Sans l’un nous ne serions pas et avec l’autre nous ne serons plus. Peut-être est-ce là les raisons pour lesquelles nous ne pouvons pas les regarder fixement. Malgré toutes ses craintes, l’homme, dans la recherche de la vérité, n’aura de cesse de tenter de connaître les éléments qui rythment sa vie.

Le soleil ne peut être regardé fixement, cela est évident et vérifiable pour tout le monde. Celui qui s’y risquerait pourrait en perdre la vue. Au sens figuré le soleil représente tout, à la fois le créateur et la création. Nous ne pouvons donc nous regarder nous-même, sans risquer de faire du nombrilisme.

La mort, elle, n’est pas une chose que l’on peut matérialiser, nous ne pouvons la voir. Au sens figuré elle n’est rien, notre regard se perdrait dans le néant.
Nous ne pouvons regarder le soleil en face, nous sommes contraints d’utiliser un reflet. Il en est de même pour la mort, ne pouvant être observée par les vivants, elle ne se laisse appréhender qu’à travers la mort d’autrui comme dans un reflet. Ce que nous pouvons seulement en voir, ce sont leurs effets quotidiens. Ils nous rappellent leur existence et leur importance pour notre vie et notre conscience.

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Au début le primitif, vivant en osmose avec la nature, intégrait la mort comme un processus si naturel qu’il ne convenait ni d’en avoir peur ni de tenter de la transcender dans une prise de conscience spirituelle. Tout résidait dans un mouvement répétitif de génération en génération, rythmé par le culte des ancêtres perpétuant leur vie à travers leur descendance. La peur en général et la peur de la mort en particulier a poussé la conscience de l’homme à transcender la mort. Thanatos dans ce même temps il a commencé à se couper de la nature. Peu à peu la sédentarisation s’est installée, les villages, puis les villes se protégeaient de l’extérieur par de hautes forteresses de plus en plus sophistiquées ayant pour principal effet sur l’homme de formater son esprit. Inconsciemment il a bâti ses propres murailles intérieures.

Se protéger par de hautes murailles, c’est l’idée de se couper de la vraie vie, celle qui côtoie la mort au quotidien.
La peur s’installe, la peur de la mort grandit avec les murailles. A force ces murailles sont tellement ancrées dans l’esprit que leur « virtualisation» suffit à pérenniser et amplifier cette peur. Ces murailles sont très difficiles à abattre. Elles enferment l’esprit humain dans un carcan opaque qui masque la vue, la vue de l’au-delà, de la réalité, de la vérité, laissant le champ libre à tous les fantasmes repris et confortés par certaines sectes et religions. (au XIIème siècle)

L’instruction du 3ème degré nous donne ce message d’espoir : «Le grade de Maître a été institué pour combattre les préjugés qui s’opposent au développement des connaissances humaines; pour briser le joug de l’ignorance, du fanatisme et de l’ambition déréglée, et pour établir le règne de la Liberté, de l’Egalité et de la Franternité».

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Source de chaleur et de lumière, le soleil est devenu un symbole de vie et de puissance dans quasiment toutes les civilisations. Les hommes l’ont toujours adoré, il se sont très tôt tournés vers lui pour répondre à leurs interrogations, concernant le monde et leur propre origine. Ils l’ont souvent personnifié et élevé au rang de divin. Pour les anciens égyptiens, Râ, le dieu soleil, a créé le monde. Durant la nuit, Râ se déplaçait en barque à travers le royaume des morts avant de revenir éclairer la terre le lendemain matin, formalisant ainsi le passage des ténèbres à la lumière. Il a été symbolisé par un scarabée, signe hiéroglyphique qui signifie « venir à l’existence». Pharaon était considéré comme le descendant du premier roi, le créateur Râ. La pyramide était une rampe qui devait lui permettre de rejoindre, après sa mort, le ciel et le soleil.

En Am érique du sud, les peuples ont aussi construit des pyramides, non pour enterrer leurs morts mais pour vénérer le soleil, la religion officielle du peuple Inca. A la même époque, le peuple Aztèque pratiquait des sacrifices humains sur les pyramides pour obtenir la protection du dieu soleil.

Ces sacrifices consistaient à arracher le cœur de la victime, qui, parfois, était un jeune enfant et à l’offrir encore palpitant au soleil. Si les religions avaient pour but de relier les hommes en communautés harmonieuses, ces croyances ont fini par emprisonner et avilir leur esprit, pervertissant le rôle et la place du soleil gageant un certain retour à l’animalité.

Lorsque le soleil disparaît à l’occident, il ne subit qu’une mort apparente. En réalité il aborde un parcours invisible, celui de la nuit qui cache le mystère de la lumière régénérée. Comme le soleil, le compagnon, qui est amené en chambre du milieu où règnent les ténèbres et la mort, vient découvrir les mystères de la vie régénérée. La vie ne peut vivre qu’en se renouvelant.

Il est dit dans le rituel : «Le Maître est retrouvé et il réapparaît aussi radieux que jamais!C’est ainsi, mon TCF que tous les Maîtres Maçons, affranchis d’une mort symbolique, viennent se réunir avec les anciens Compagnons de leurs travaux et que, tous ensemble, les vivants et les morts, assurent la pérennité de l’œuvre!».

Socrate nous en parle en ces termes : «C’est ainsi que tout être mortel se conserve non qu’il soit jamais le même, comme l’être divin, mais du fait que ce qui se retire et vieillit laisse la place à un être neuf, qui ressemble à ce qu’il était lui-même».

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Anne PHILIPPE, dans son livre « le temps d’un soupir», écrit sur la mort de son mari : « Tu fus mon plus beau lien avec la vie. Tu es devenu ma connaissance de la mort.»

Cette citation me fait penser à un épisode de ma vie, que le rituel d’élévation au grade de Maître, m’a permis d’analyser comme ayant contribué en grande partie à l’initiation de la vie. Certes, celle-ci fut inconsciente et non consentie, mais a sûrement guidé ma démarche maçonnique cette fois bien volontaire et réfléchie.

En effet, les différentes phases de l’initiation maçonnique du premier, deuxième et troisième degré ont été des signes forts, qui m’ont amené à revivre symboliquement des périodes qui ont structurées ma vie.

Je passerai sur les deux premières pour ne parler que de la troisième, celle qui a été le déclencheur de cette réflexion. Jusqu’à l’âge de dix ans, l’initiation à la vie se passait de façon insouciante. Mon guide, ma mère, était là devant moi, elle rayonnait tel le soleil et éclairait le boulevard de ma vie. Puis, un jour une porte nous a séparés, c’était la maladie. Je parle d’une porte car cette image n’est pas que symbolique. A l’époque l’accès aux hôpitaux était interdit aux enfants et je me souviens être resté devant l’entrée de l’institution le cœur serré envahit par un sentiment contrasté d’incompréhension et de culpabilité. C’est peut-être à ce moment là que j’ai compris que l’être est seul devant son destin, il doit en être l’architecte et l’artisan.

Le plus beau lien à la vie allait se briser. Ce soleil qui avait illuminé ma vie jusque là, s’est assombri ; la mort a devant moi fauché tous les repères et jeté un voile noir, m’obligeant à une introspection. Ce voile cosmique, figuré par le Rideau noir de l’exaltation au grade de Maître, qui dissimule le trône et le Delta rayonnant, nous séparant des Maîtres inconnus, passés à Orient Eternel, qui continuent à diriger nos Travaux, grâce  à la tradition fidèlement suivie. Ce symbole, la marche à reculons lors de l’entrée du temple au troisième degré d’initiation, je l’ai vécu de façon inconsciente au moment où, privé de repère et incapable de regarder la mort en face, j’ai commencé de progresser à reculons. Pas facile, il eut fallu pouvoir faire une pause, afin de se restructurer, mais l’horloge inexorablement continue de tourner. Le temps n’est pas notre allié.

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Progresser à reculons ne veut pas forcément dire revenir en arrière ! Cela est évidemment impossible. Par contre, la symbolique de la marche à reculons tente de nous faire saisir que nous sommes en train d’aborder un autre plan, dont nous ne savons plus grand-chose, car la parole a été perdue. Se diriger à reculons est comme avancer dans le noir absolu. L’Etoile flamboyante est, pour le voyageur des ténèbres, une main courante. Elle représente le vécu, le savoir, la connaissance qui doivent permettre de retrouver l’itinéraire, la voie tracée ! La parole a été perdue, parce que la mort a frappé et HIRAM n’est plus. HIRAM gardien de la parole, la gardera à tout jamais ! Nous avons tous été un jour ou l’autre en présence de la mort, mais personne ne l’a vue ! Alors comment le plus courageux d’entre nous pourrait-il la regarder fixement ?

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D’où peut bien venir cette phobie qui nous empêche de regarder le soleil ou la mort fixement. Regarder fixement quelqu’un ou quelque chose, nous place en position d’égalité voire de supériorité par rapport au sujet regardé.

En ce qui concerne le soleil, il est plus aisé de comprendre. En effet, l’astre déifié par nos ancêtres, symbole de toute vie sur terre, préside avec une telle sagesse, rayonne avec une telle force, orne avec une telle beauté qu’il ne peut avoir d’égal. L’homme qui se hasarderait à le toiser prendrait le risque d’en perdre la vue ! Seul l’aigle est capable de cet exploit, ce qui lui a valu d’être l’emblème de personnage en quête de puissance. La mort, elle, est parfaitement invisible et rien ne peut la représenter en action, la seule chose visible est le résultat de son passage. Personne ne peut la voir et à plus forte raison la regarder, elle est sournoise, furtive et fugitive. Ce sont des raisons pour lesquelles nous en avons peur, nous ne pouvons ni la connaître ni la situer.

Le philosophe  Frédéric LENOIR fait ressortir cette méconnaissance en posant ce questionnement :

Si on vous demande

  • L’inverse de froid, tout le monde dira chaud.
  • L’inverse de noir, la réponse sera blanc.
  • L’inverse de mort, la vie.

Il poursuit en indiquant que la dernière réponse aurait dû être « la naissance», car la naissance comme la mort font partie intégrante de la vie.

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On peut penser que la mort n’est pas un élément de la vie, parce que la mort ne peut être vécue. Il faut donner à la vie un sens plus large qui dépasse le clivage du jour de l’existence. Il existe une porte d’entrée, la naissance et une porte de sortie, la mort. Y a-t-il un avant et un après ? Il serait bien présomptueux d’affirmer détenir la réponse, la vérité. La vérité est comme le soleil. Elle fait tout voir et ne se laisse pas regarder, nous dit Victor HUGO.

Tout le travail du Maître maçon est et sera toujours empreint de ces questions existentielles. Aidé par les outils et les symboles, il s’efforcera non pas de regarder fixement le soleil et la mort, mais de tenter d’en comprendre quelques secrets par la pratique répétée du rituel qui en formalise certains effets et force à la méditation individuelle, enrichie de l’égrégore en chambre du milieu. Acquérir une connaissance, c’est liquider une ancienne croyance et, comme dit BACHELARD la vérité se constitue par rectification des erreurs. Vivre, c’est donc perpétuellement mourir à soi-même. Regarder fixement le soleil et la mort, ne serait-il pas vouloir, comme le dit PLATON, rester indéfiniment ce que l’on est, échapper au temps, être éternel.

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J’ai dit T.V.M.

P\C\


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