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Autopsie du Soleil,  fou-thèse

Lors de notre précédente Tenue je me suis hasardé à un commentaire imprudent et iconoclaste : le symbolisme est-il mutant ? Le symbolisme a-t-il capacité à se renouveler, à s’adapter à l’air du temps, ou bien est il immuable et à l’abri des mutations sociales, culturelles, idéologiques et religieuses ? Je m’interrogeais, auprès de mon Vénérable Maître. Je me demandais de manière confuse si nos connaissances astronomiques actuelles n’allaient pas mettre en péril, ou plutôt rendre caduque le symbolisme. Que le soleil puisse mourir est une information symboliquement  perturbante, que la lune puisse quitter son orbite terrestre également, etc.

Notre Vénérable Maître me pris au mot et me sollicita pour cette rentrée. Je me plie donc, et ce bien volontiers à l’exercice et je vous soumet bien modestement, non pas une solution, mais plutôt un problème. Pour illustrer l’idée farfelue d’un symbolisme mutant, dans son sens stricte et non péjoratif, je prendrais comme thème l’exemple du soleil.

Il serait vain et ennuyeux de citer les religions, les cultes et les traditions liés au soleil. Alors entre Ra l’egyptien ou Huitzilochtli l’Aztèque, une énumération exhaustive conduirait nos travaux bien après minuit.

Toutes les croyances, et ce depuis l’origine de la conscience affirment que c’est avec la lumière que commence la vie. Ne dit-on pas d’un être qui naît à la vie, il a vu le jour ? Le Soleil symbolise cette lumière.

Quelques jours séparent la lumière du soleil. L’une fut créée à l’aube du premier jour, l’autre, au quatrième. « Dieu fit les deux grands luminaires, le grand luminaire pour présider au jour, le petit pour présider à la nuit, et les étoiles. Dieu les établit dans le firmament du ciel pour illuminer la terre, pour présider au jour et à la nuit et séparer la lumière de la ténèbre. Dieu vit que cela était bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : quatrième jour ».

Le soleil a donc symbolisé, très naturellement, cette lumière, la vie, la connaissance. Le soleil est un principe actif, masculin, yang. C’est le b-a-ba du symbolisme.

Pourtant une anodine ironie sémantique nous apporte trois mots de genre féminin, la lumière, la vie, la connaissance. Le principe vital du soleil n’est pas discutable, point de germination sans lui. Il devrait, par simplicité être féminin, la soleil, la mère. Et il le fut. En Asie, il fut considéré comme un principe féminin, la mère soleil. Pour les Nippons, le soleil est le kami Amaterasu, la grande déesse. Dans la mythologie nordique, les enfants de Mundifari et Glaur sont Sol, déesse du soleil et Mani, dieu de la Lune. D’ailleurs la langue germanique appelle le soleil, die Sonne, la soleil. Les mythes qui ont construit nos sociétés, et notamment ceux de Sumer, les plus anciens décryptés à ce jour, montrent comment la culture patriarcale s’est imposée en combattant puis en effaçant le culte immémorial de la déesse mère. Gilgamesh, dans son épopée, fut le premier guerrier, celui qui amena les valeurs de l’homme conquérant. Par ailleurs, les cabalistes évincèrent Lilith pour une mère plus docile, et la soleil devint le soleil, en adaptant sa symbolique, en passant du féminin au masculin. C’est aujourd’hui une étoile, mais c’est néanmoins le soleil. 

Je précise qu’il serait ridicule aujourd’hui d’affirmer que le soleil est un principe féminin pour en comprendre son symbolisme, mais il faut admettre son évolution qui cadre parfaitement avec l’évolution de nos sociétés. L’humanité sédentaire et patriarcale remplaça le nomadisme matriarcal. Le symbolisme du soleil a également subit cette mutation, c’était hier dans l’histoire de l’humanité, en moins 2800 ans avant J.C.

Il n’est pas possible d’aborder le soleil sans s’attarder un peu sur la civilisation égyptienne. C’est une période riche en bouleversements. Dans la mythologie égyptienne, le soleil est la lumière dès les prémices. « Jadis, sur le sombre océan du dieu Noun, était apparu, tout au début des temps primordiaux, le dieu solaire Ra, qui met l’ordre à la place du chaos ». C’est le premier jour de la genèse égyptienne, le chaos entendu comme les ténèbres.

Les Egyptiens vénéraient une multitude de dieux, pour ne pas dire une infinité car ces dieux subissaient moult avatars ou se combinaient, se divisaient, s’accolaient pour former d’autres dieux. A l’inverse des dieux grecs, les dieux égyptiens vivaient sur terre, dans les temples. Parmi ces dieux, le grand dieu démiurge était Ra. De nombreuses divinités ne devront leur légitimité solaire qu’en récupérant des fonctions de Râ, comme Amon-râ, Khnoum-Râ, etc. La lionne et le taureau sont utilisés pour montrer sa puissance, sa dangerosité mais aussi sa fertilité. Le faucon Horus, signifiant l’éloigné représentait le soleil à son apogée. Le disque solaire, Aton le désignait en tant qu’entité physique. Le soleil représentait les cycles. Le matin, à sa naissance, il s’appelait Khépri. A midi, l’astre majestueux dans toute sa puissance accablante devenait le faucon, Horakhty et le soir, c’est Atoum, le démiurge créateur. La nuit, le soleil circulait sur le Nil dans le monde souterrain, le Douat,  et renaissait après d’âpres combats jusqu’au matin. Une fusion théologiquement très importante transformait Râ en dieu funéraire et Osiris prenaient des fonctions solaires en éclairant le monde souterrain. On lit sur la tombe de Séthy 1er  les formules : Osiris se repose en Râ et Râ se repose en Osiris. On dit aussi qu’Osiris est hier et Râ est demain. Bref, chaque matin voyait le triomphe de Râ sur Apopis le serpent, grâce à la victoire de Mâat, chaque jour devenant comme une nouvelle création du monde. Pharaon participait à cette harmonie chaque jour retrouvé. Il faisait régner le Mâat, mais il n’était pas le Mâat. A partir de Djedefra, le successeur de Chéops, les rois d’Egypte seront les représentations de Râ jusqu’à la fin de l’histoire pharaonique.

Il y a eu un évènement majeur à l’époque Amarnienne. L’Égypte va connaître à cette époque une des expériences spirituelle et religieuse les plus fascinantes de l’histoire de l’humanité. Je veux parler bien entendu du règne d’Aménophis IV. Ce n’est pas le sujet de développer les motivations réelles de ce monarque enfant, mais Aménophis IV fit appel à Ra quand il voulu dominer l’influence théologique du clergé d’Amon, les représentants du soleil sur terre. Aménophis IV devint alors Akhénaton.

A cette époque, la volonté d’Amon-Râ s’exprimait par l’intermédiaire d’oracles rendus par les prêtres. La puissance du dieu et de son clergé se renforcèrent dans la notion de théogamie. Pharaon n’était plus le fils d’un père et d’une mère mais le fils d’une mère et d’Amon-Râ. Par ce processus, pharaon renforçait sa filiation divine et son rôle de garant de la plume de Mâat. Mais par le biais des oracles, le dieu et la puissance de son clergé pouvait approuver ou censurer et devenait un danger même pour pharaon. C’est dans ce contexte politico-religieux, qu’Aton fit son apparition. Pendant qu’Amon-Râ restait une manifestation du soleil dans le cadre d’un cycle perpétuel, matin, midi, soir, nuit, matin, Aton devenait le disque solaire visible partout et par tous et enserrait de ses rayons tout l’univers de sa puissance. Bref, la pensée d’Akhénaton, souvent associée à la pensée mosaïque, fit muter le rôle symbolique du soleil. Le soleil ne se couchait plus ou ne se levait plus mais il était là, omnipotent, à son zénith. L’aspect fertilisant et fécondant du soleil avec le Nil passa donc au second plan avec Akhénaton. Akhénaton n’était plus un pharaon, fils du soleil mais le soleil lui-même. Le soleil n’était plus l’ingrédient d’une mécanique cosmique mais la mécanique cosmique. D’ailleurs Akhénaton, nia le fait qu’il se passe quelque chose la nuit car le disque solaire n’a plus sous son règne d’existence ou de nature cachée. Bref, le soleil et son symbolisme subissaient une nouvelle mutation, c’était ce matin dans l’histoire de l’humanité, en 1450 avant JC.  

Ces bouleversements idéologiques et religieux auraient pu s’inscrire dans un aparté sans conséquence, une forme de monolâtrie mort-née. Les prêtre d’Amon s’y employèrent d’ailleurs avec  férocité, détruisant tout cartouche et tout témoignage de cette  période. Mais la période amarnienne en Egypte fut très cosmopolite. De nombreuses tribus sémites côtoyaient les Egyptiens. Ces tribus étaient polythéistes et animistes. Le culte d’un dieu unique, ou plutôt d’un dieu dominant tous les autres étaient trop réducteurs et culturellement trop complexes pour ces tribus empruntes de rites agraires. Pourtant des érudits sérieux associent souvent Akhénaton avec le patriarche biblique Moïse. Il faut reconnaître de nombreuses relations, entre Akhénaton et Moïse. C’est à travers eux, qu’il est question de l’unité ou de l’unicité de dieu. La genèse de la bible soulève un point étonnant et perturbe une nouvelle fois le rôle symbolique du soleil. En effet : « Dieu dit, que la terre se recouvre de verdure, d’herbe qui rend féconde sa semence, d’arbre fruitier qui, selon leurs espèces, portent sur terre des fruits ayant en eux même leurs semences. Il en fut ainsi. (...), Dieu vit que cela était bon, il y eu un soir, il y eu un matin : troisième jour. » Le soleil fut crée le lendemain, au quatrième jour. Le rôle fécondant et régulant du soleil n’existe donc plus dans la pensée chrétienne. Le soleil n’est plus Dieu. Dieu seul est fécondant et régulant. On ne peut pas représenter Dieu. L’amour pour Dieu n’est plus idolâtre et collégiale. Une relation intime s’installe entre Dieu et chaque homme. L’homme s’adresse directement à lui par la foi et la piété. Le soleil, par ses aspects idolâtres, n’a plus sa place dans la religion chrétienne. Progressivement il fut réassimilé avec les autres points lumineux du ciel visibles par l’homme, en particulier, la lune, mercure, vénus, mars, Jupiter et saturne. Ces astres errants deviennent des yeux qui représentent l’omniprésence de dieu partout sur la terre. Le soleil est le grand oeil de Dieu, sans larme, ni paupière, un oeil limbé de flammes, un oeil qui voit tout, inquisitoire et rédemptoire. Bref, le soleil n’est plus dès lors une divinité pour les chrétiens mais simplement le symbole de l’omniprésence de Dieu. L’idolâtrie a totalement disparue. C’était il y a un instant dans l’histoire de l’humanité, entre deux conciles, au cinquième siècle.

Voilà comment le symbolisme solaire a pu muter au fil des siècles. C’est une démonstration très schématique et très simpliste qui me permet de supposer que le symbolisme est mutant et s’adapte aux grandes révolutions culturelles et religieuses. Ici, j’ai insisté sur le passage du matriarcat au patriarcat puis du passage du polythéisme à la monolâtrie pour se conclure par le monothéisme religieux sans partage sur la planète excepté quelques tribus reculées. Plus de temps et plus de réflexions m’aurait permis de m’égarer un peu dans l’univers des alchimistes, où le soleil a un rôle symbolique particulier. Mais il est imprudent de commenter et d’analyser ce que l’on comprend mal, et c’est le cas, en ce qui me concerne à propos de l’alchimie. Il en est de même pour l’univers précolombien, les Incas notamment. Ces thématiques ne sont pas des oublis dans ma planche, mais plutôt des incapacités à en saisir le sens. Un aparté sur la relation soleil-or n’aurait pas été inintéressant non plus. Enfin, les changements climatiques et les cataclysmes ne sont pas étrangers aux modulations et aux ressentis symboliques à l’égard du soleil.

Il n’y a pas de raison pour que la mutation du symbole solaire ne cesse. Nos connaissances scientifiques en astronomie ont fait un bond extraordinaire depuis un siècle. Il est loin le temps ou le philosophe Anaxagore fut condamné à mort quand il prétendit que le soleil n’était pas le chariot d’Hélios mais une masse incandescente plus grande que la péloponnèse. Il est loin le temps des déboires et des railleries à l’encontre de Copernic, Gallilée ou Kepler. Le XXème siècle disséqua la structure du soleil, expliquant sa formation et décrivant sa destruction. Rutherford, Einstein, Eddigton, Payne-Gaposchkin, Chandrasekhar, Bethe et d’autres furent les artisans de notre nouvelle compréhension du système solaire. Mais ses évidences scientifiques d’aujourd’hui se périmerons. De nombreux « gallilée » s’y emploierons. Les évidences d’aujourd’hui se transformeront en mythe puis, au fil du temps, les traces qui subsisteront s’inscriront dans le symbolisme.

Enfin, le trou de la couche d’ozone, le réchauffement planétaire et ses conséquences cataclysmiques nous ferons regarder le soleil autrement. Pourrons nous encore admettre le soleil comme un principe vital ou comme un oeil bienveillant, celui-là même qui inspira les sciences thermo-nucléaires à l’humanité, celui-là même qui nous détruira avant de se détruire lui-même. Quand nous serons des vers de terre à l’abri de l’acide, il y aura un nouveau panthéon, avec les enfants du soleil. Peut-être qu’Hiroshima et Nagasaki, avec de nouveaux noms altérés par le temps, engendreront un fils terrible, pourquoi pas Tchernobyl. Il y aura des héros. Ce sera ce soir dans l’histoire de l’humanité dans dix, vingt ou trente mille ans.

Et ce, en attendant demain, quand le soleil s’éteindra d’épuisement pour avoir trop brillé, dans cinq milliards d’années ...

Vénérable Maître et vous tous mes frères,

J’ai dit.    

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