GLDF Loge : NP Date : NC


Souvenirs de nulle part

Les Deux Luminaires

Vénérable Maître et vous tous mes frères, en vos grades et qualités,

Je vais poursuivre la narration des souvenirs de nulle part, où il est notamment question des Deux Luminaires.

Tandis que je suivais mon maître dans l’interminable escalier qui s’enfonçait sous notre temple, je me remémorais les connaissances transmises sur la Voûte Etoilée. Ainsi donc, j’apprenais que le Temps et l’Espace étaient les deux piliers de l’Illusion. Aussi, hasardai-je une question :
-         « Mais, toutes ces étoiles, sont-elles loin ? »
-         « Oh oui, très très loin… »
-         « Et cela fait-il longtemps qu’elles sont là ? »
-         « Elles étaient déjà là du temps de nos pères, des pères de nos pères, et ainsi de suite… Je ne connais pas de témoignage d’homme qui dise avoir vu apparaître l’ensemble des étoiles dans le ciel, bien qu’il en naisse et meure régulièrement. Pourtant, l’un de nos textes sacrés dit qu’elles ont été créées le Quatrième Jour de la Création, en même temps que les deux grands Luminaires. »
-         « Mais si aucun homme ne dit avoir vu apparaître les étoiles, comment pouvons-nous avoir un texte qui explique quand elles sont arrivées ? »
-         « Ah oui, je comprends ta remarque. Un jour je t’expliquerai ce que sont les livres-trésors… Mais le récit de la Genèse s’aborde cependant avec différents niveaux de lecture. Rappelle-toi : je t’ai dit que l’Univers était dans l’Homme et que la Voûte Etoilée pouvait être perçue comme la conscience de l’Homme… »

Nous étions parvenu en bas de cet interminable escalier hélicoïdal. Nos torches émettaient de temps à autre des crépitements, en écho au bruit de nos pas sur la pierre.
Nous devions probablement être très profond sous terre. Après quelques dizaines de mètres, nous arrivâmes dans une grande salle comportant des fresques en relief. Je suivis mon maître qui se dirigea vers l’une d’elles. Il prît le médaillon qui pendait à son cou et l’encastra dans un petit motif anodin. Le médaillon et d’autres motifs du mur se mirent alors à briller et un grondement sourd se fit entendre : un pan du mur se dérobait doucement. Lorsque le passage fut suffisant, nous plongeâmes dans l’obscurité qui s’offrit à nous. Nous suivîmes un long couloir qui débouchait dans une grande salle.
Je restai consterné : une dizaine de personnes s’affairaient autour d’une immense dalle haute comme deux hommes, d’un vert très profond et légèrement translucide. Elle flottait dans l’air à quelques dizaines de centimètres du sol et ne reposait sur rien.
-         « Elle est en sustentation » m’expliqua mon maître. « On l’appelle la Table d’Emeraude et nous sommes en train de la soustraire de ce monde. » -         « Et qu’y a-t-il d’écrit dessus ? » demandai-je, fasciné.
-         « Oh ! C’est un autre texte-trésor. Le début du texte commence ainsi ». Et mon maître se mit à déchiffrer :
 
Il est vrai, sans mensonge, certain et très véritable :
Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut,
Et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ;
Par ces choses se font les miracles d’une seule chose.

-         « Mais je m’arrête là : c’est beaucoup trop compliqué pour toi, et ce n’est pas de ton âge. Allez, viens. »

Nous reprîmes notre parcours dans un dédale de couloirs. Voulant reprendre notre conversation sur les Deux Grands Luminaires, j’interrompis le silence de notre marche.

-         « Et donc, le Quatrième Jour, il y a eu deux grands Luminaires en même temps que les étoiles ?… Je suppose que c’est le Soleil et la Lune… »
-         « Oui. Exactement. Et voici ce que rapporte ce récit de la Genèse : »
 
Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre.
La terre était déserte et vide, et la ténèbre était à la surface de l’abîme ; le souffle de Dieu planait à la surface des eaux,
Et Dieu dit : « Que la lumière soit ! » Et la lumière fut,
Dieu vit que la lumière était bonne. Dieu sépara la lumière de la ténèbre.
Dieu appela la lumière « jour » et la ténèbre il l’appela « nuit ». Il y eut un soir, il y eut un matin : Premier Jour.

-         « Bon, je te passe les jours Deux et Trois et vais directement au quatrième jour : »
 
Dieu dit : « Qu’il y ait des luminaires au firmament du ciel pour séparer le jour de la nuit, qu’ils servent de signes tant pour les fêtes que pour les jours et les années,
Et qu’ils servent de luminaires au firmament du ciel pour illuminer la terre. » Il en fut ainsi.
Dieu fit les deux grands Luminaires, le grand Luminaire pour présider au jour, le petit pour présider à la nuit, et les étoiles.
Dieu les établit dans le firmament du ciel pour illuminer la terre,
pour présider au jour et à la nuit et séparer la lumière de la ténèbre. Dieu vit que cela était bon.
Il y eut un soir, il y eut un matin : Quatrième Jour. »

-         « Oh ! m’écriais-je, mais cela ressemble au prologue de Saint Jean ! »
-         « Oui absolument. Et cela n’est certainement pas dû au hasard. Mais rappelle-moi le Prologue de Saint Jean ! »
 
Et je me mis à réciter :
 
Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu.
Il était au commencement tourné vers Dieu.
Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui.
En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes,
Et la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise.

-         « Voilà. Arrête-toi là. » m’interrompit-il. « Si tu mets les deux textes en perspective, tu peux dire que les deux Luminaires sont des dispensateurs de vie, des diffuseurs d’énergie vitale car « les deux luminaires illuminent la Terre » et « la vie est la lumière des hommes ». En fait, les notions de Vie, de Conscience et de Lumière sont étroitement liées. Les Deux Luminaires sont également un archétype du Principe de Genre qui dit que tout possède son Principe Masculin et son Principe Féminin, que le Genre se manifeste en toute chose, sur tous les plans, et il en est de même pour la vie.
Mais dis-moi, petit scarabée, me demanda-t-il soudain avec une petite voix de souris, rappelle-moi les quatre caractéristiques fondamentales de la vie biologique… »
 
Un peu surpris par sa voix mais sans rien manifester, je fis appel à ma mémoire des cours de biochimie.
 
-         « La vie biologique, commençais-je, se caractérise par quatre fonctions principales qui sont le grand M et les trois grands R. »
-         « Mais encore… »
-         « Le M pour Métabolisme. »
-         « Oui, poursuivit mon maître, c’est la fonction par laquelle un être vivant puise de la matière dans son environnement pour construire son corps et modeler la matière pour sa propre édification. Et pour le premier grand R ? »
-         « Le premier grand R pour Respiration. »
-         « C’est exact : les êtres vivants effectuent des échanges gazeux avec leur environnement. C’est ainsi que les animaux produisent du dioxyde de carbone et les végétaux de l’oxygène. Quid du deuxième grand R ? »
-         « Le deuxième grand R pour Réparation. »
-         « Absolument. Les êtres vivants, jusqu’à un certain point, sont capables de se régénérer pour réparer les blessures qu’ils sont amenés à subir. Et enfin pour le troisième grand R ? »
-         « Le troisième grand R pour Reproduction. »
-         « C’est cela. Les êtres vivants ont la capacité durant leur vie à se reproduire et engendrer des semblables. Ainsi, l’ensemble des êtres vivants de la surface de la terre interagissent entre eux, avec l’atmosphère et avec la géosphère. On appelle l’ensemble de ces êtres vivants « la biosphère » et l’on pourrait considérer que tout cela fonctionne en système fermé au sein de la chaîne alimentaire et des échanges gazeux. C’est presque vrai. Car les Deux Luminaires apportent l’énergie vitale première nécessaire à cette vie. L’apport du Luminaire du jour est bien connu. C’est grâce à sa lumière que les plantes trouvent la capacité à élaborer du vivant à partir du minéral. Il maintient également une température à la surface de la terre pour la rendre propice à la vie. Et nombreuses sont les civilisations qui ont perçu le Soleil comme un dispensateur de vie. Tu peux d’ailleurs penser à nos frères sculpteurs qui représentent le Soleil avec des croix de vie, des « ankhs », au bout des rayons.
L’apport de la Lune est moins connu. Il n’en est pas moins indispensable et se situe notamment dans la stabilisation du climat. On sait que les saisons sont provoquées par le fait que l’axe de rotation de la Terre fait un angle de 23°27’ avec la perpendiculaire à l’écliptique, si bien que chaque hémisphère, nord et sud, reçoit à tour de rôle le maximum d’ensoleillement. De petites variations de cet angle provoquent des changements climatiques assez importants pour entraîner des glaciations ou des réchauffements de plusieurs degrés de notre planète. Ainsi, des planètes comme Mars ou Vénus ont connu des variations importantes de cet angle, avec sans doute de très grands bouleversements climatiques. Par contre, la Terre a vu son orbite stabilisée par la présence de la Lune, et ne subit que de faibles variations de cet angle. La Lune a de fait contribué directement à la vie biologique en régulant et stabilisant la diffusion de l’énergie du Soleil sur la Terre. Ainsi, vois-tu, le Soleil et la Lune sont les sources originelles de la vie biologique. Ils diffusent une énergie qui, se combinant à la matière inerte, crée la vie biologique. »
-         « La Lune aussi éclaire et diffuse de la Lumière !?! ».
-         « Absolument. Mais son action est plus subtile comme tu peux le voir sur l’aspect de la stabilisation de la rotation de la Terre. Elle réfléchit la lumière du Soleil en lui apportant sa propre nuance. »
-         « Mais qu’avez-vous voulu dire en parlant du lien fondamental entre la Vie, la Conscience et la Lumière ? »
-         « Bien. Qu’as-tu demandé en frappant ici à la Porte du Temple ? »
-         « La Lumière, dis-je, assurément ! ».
-         « Oui, mais pour toi, c’est quoi la Lumière ? »
-         « Euh… Un savoir… Un savoir sacré… » ajoutai-je d’une voix plus hésitante.
-         « Oui, c’est bien… Creusons un peu ensemble, veux-tu ?
Lorsque tu demandes la Lumière, pour toi c’est en premier lieu recevoir un savoir, as-tu dis. Un savoir sacré, as-tu même précisé. Il est exact que lorsque nous recevons du savoir, de la connaissance, nous améliorons notre compréhension de ce qui nous entoure, voire de nous-même. Notre langue est même teintée de cette notion : lorsque nous recevons des éclaircissements sur un sujet, ou les lumières d’une personne, nous sortons des ténèbres et parfois de l’obscurantisme, et ainsi de suite. Même nos frères sculpteurs, lorsqu’ils veulent représenter une personne qui a une idée, dessinent une petite lumière au dessus de la tête, ajouta-t-il en riant.
Le savoir crée donc une compréhension et apporte une lumière dans nos consciences. Ce n’est pas une lumière électromagnétique constituée de photons et pourtant elle éclaire nos consciences, car c’est une lumière d’une autre nature. Ainsi, plus notre compréhension de notre univers croît, plus nous sommes à même de saisir les forces et les principes qui le sous-tendent. Nous sommes davantage capables d’appréhender de façon plus intime le monde, les autres et nous-mêmes.
Ceci crée une spirale vertueuse car ce savoir génère alors davantage de conscience. C’est un peu comme si la conscience prenait davantage de volume, précisa-t-il. Elle devient capable d’anticiper les évènements, les réactions humaines, de comprendre ce qui est bon de ce qui ne l’est pas, d’établir les conséquences des actes, paroles et pensées. Ne dit-on pas d’une personne qui, quelle qu’en soit la raison, est peu réceptive à son environnement, ne comprend pas bien les choses, est repliée sur elle-même, etc., qu’elle est éteinte ??? établissant de nouveau un lien entre la Lumière et la Conscience…
Tu as précisé un savoir sacré. La notion de sacré est un sujet vaste qui mérite d’être approfondi pour lui-même. Cependant, cette notion de sacré est liée à la notion de conscience. Quelque chose devient sacré notamment par la conscience profonde et intime qu’on y associe. Une même chose, un même acte pourra être profane ou sacré selon les individus. Cela dépendra notamment de la conscience et de la signification que l’on y associe.
Lorsque la Conscience augmente, la Vie également augmente, devient plus riche, plus intense. Si nous faisons de nouveau appel à notre langue, lorsque nous trouvons qu’une personne est très présente et consciente de son environnement et d’autrui, nous disons parfois qu’elle est vivante.
De la même façon, lorsque nous évoquons des êtres surnaturels, comme les anges par exemple, ou même des hommes particulièrement évolués spirituellement et souvent représentés avec une aura, nous voulons signifier à la fois qu’ils maîtrisent les connaissances spirituelles, qu’elles sont intégrées à leur nature, d’où leur rayonnement lumineux interne et qu’ils sont tellement plus vivants que le commun des mortels !
Ainsi vois-tu, Lumière, Conscience et Vie sont intimement liées.
-         « C’est bien, interrompis-je, mais de quelle façon agissent les deux Luminaires l’un par rapport à l’autre ? »
-         « Ils agissent en complémentarité, chacun apportant sa nuance, et l’équilibre entre les deux est à rechercher. Sur le plan de la conscience objective, ils se retrouvent dans le cerveau humain qui est le réceptacle biologique de cette qualité de conscience, la conscience objective je veux dire. Le cerveau droit est associé à la Lune et le cerveau gauche au Soleil et les deux luminaires influent sur le fonctionnement de chaque cerveau à l’intérieur du crâne. Ils inondent le corps de leur énergie, qui est nerveuse au niveau physique et exerce leur propre activité dans chaque cerveau. C’est notamment pourquoi l’on dit qu’ils illuminent la terre, la matière inerte sur le plan physique ou bien notre conscience, sur un plan plus élevé. On a ainsi pu montrer que le cerveau droit, la Lune, était davantage mis à contribution durant les phases de créativité, d’émotion, d’intuition, de réceptivité, tandis que le cerveau gauche, le Soleil, était plutôt mis à contribution pendant les phases d’activité de raisonnement, de théorisation, d’objectivation, d’extériorisation. Maintenant, si tu te rappelles ce dont nous avons parlé au sujet de l’homme archétypal contenu dans le Temple, de par l’orientation de la Lune et du Soleil, tu te rendras compte qu’il est allongé sur le dos et contemple l’infini de la voûte étoilée.

Voulant davantage investiguer le sujet, je questionnai :
 
-         « Mais que signifie rechercher l’équilibre entre les deux Luminaires ? »
-         « Les deux Luminaires apportent chacun leur nuance de Lumière, de Conscience et de Vie. Comme je te l’expliquais, les savoirs enseignés par le Soleil sont plutôt des savoirs formels, avec de la théorie, des systèmes, de l’analyse, des équations, des principes, tandis que les savoirs enseignés par la Lune vont davantage être des savoirs informels, du vécu, de l’expérience, de l’émotion. Il serait erroné de vouloir les hiérarchiser car ils sont fondamentalement complémentaires. Bien des problèmes viennent de déséquilibres entre le Soleil et la Lune chez les individus. Celui qui aura tendance à privilégier la lumière du Soleil risque de devenir savant mais aride, peut-être incapable d’apprécier la beauté ; tandis que celui qui privilégiera la Lune acquérra probablement une grande empathie avec son entourage et les arts, mais risque d’être emporté par le flots de ses émotions.
-         « Mais oui, dis-je, c’est pourquoi l’un des maîtres a dit :
 
Et quand bien même j’aurais le don de prophétie, la science de tous les mystères et toute la connaissance, quand j’aurais même toute la foi pour transporter des montagnes, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien. (I Corinthiens 13 : 2) » !

-         « Exactement. L’action de la Lune consiste à faire absorber la Lumière du Soleil afin d’en faire une connaissance vivante, vécue et intégrée à l’être qui reçoit ses rayonnements. On peut avoir beaucoup de connaissances sur de nombreux sujets, elles restent arides et inexploitables si elle ne sont pas harmonieusement couplées à une émotion maîtrisée. Et ceci se retrouve dans nos travaux : nous les commençons à Midi, lorsque le Soleil a son plus fort éclat, et les terminons à Minuit lorsque l’éclat de la Lune est au maximum. Tu peux comprendre cela par le fait que l’on commence à dispenser des savoirs et des connaissances sous l’égide du Soleil, puis que la Lune doit faire son œuvre afin d’intégrer cette connaissance aux membres de la Loge. Une autre lecture de ce symbolisme consiste également à dire que les travaux formels et les savoirs démarrent avec l’apogée du Soleil et que l’émotion et la convivialité des agapes qui s’ensuivent, démarrent avec l’apogée de la Lune. Et si la conscience de ce qui est à l’œuvre est là, les agapes peuvent devenir un moment sacré. Tu noteras d’ailleurs que « agapes » vient du grec « agapao » qui signifie aimer dans son sens le plus élevé : celui de l’amour de Dieu, de l’Etre Absolu et aussi l’amour du prochain.
De ces notions, portées à leur plus haut niveau, on associe le Soleil à l’Esprit de l’Homme, dans la plus haute acceptation qu’il soit, et la Lune à l’Ame, à son plus haut niveau également. Aussi, vois-tu, ajouta-t-il, de nombreux symboles et de nombreux concepts se cachent derrière ce Soleil et cette Lune, mais qu’il n’est jamais question d’astrolâtrie, c’est-à-dire de culte des astres en tant que tels. »

Nous arrivâmes de nouveau dans une grande salle dans laquelle d’énormes cristaux scintillaient doucement. Mon maître commença à s’affairer autour d’eux. Je savais qu’il mettait en œuvre un nouveau mécanisme d’ouverture de porte qui nous mènerait vers ses quartiers privés. Tandis qu’il effectuait des mouvements compliqués, je repensais au récit de la Genèse et ajoutais :

-         « Je trouve que la Genèse introduit également une notion de temps et de rythme. »
-         « C’est exact, me répondit-il pourtant fortement concentré, nous avons utilisé les différentes phases de la Lune et son éternel retour pour expliquer des réalités supérieures. Nous voulons expliquer, un peu à la manière de ce que je t’ai lu sur la Table d’Emeraude, qu’il existe un renouvellement cyclique de l’Ame, tout comme il existe un renouvellement cyclique des phases de la Lune. La Lune fait ainsi le renvoi au cycle des incarnations humaines. L’indestructibilité de la vie, s’exprimant par naissances et morts, ne sont que les périodes de lumière et d’ombre. La Lune disparaît pendant trois jours, dans une sorte de mort, renvoyant ainsi aux périodes d’inter-incarnation entre chaque vie terrestre, puis réapparaît au monde physique en commençant par le premier croissant, pour l’analogie du retour de l’âme sur terre. Durant ces manifestations visibles, la Lune ou l’âme, tente de refléter, dans le monde physique, la lumière solaire, c’est-à-dire l’Esprit. La Lune représente ainsi la gestation spirituelle de l’âme qui s’étant approché de la lumière, devient lumière. »
-         « Oui, ajoutai-je, l’âme ou la Lune, est dans les ténèbres et par son reflet de la Lumière, exprime l’éveil des consciences ! »
-         « C’est cela. Ainsi donc, tu vois que les ténèbres sont essentielles car elles permettent la révélation de la Lumière. La Lune devient alors une médiatrice entre l’Absolu, le Soleil, et le temps de la manifestation, la création, la terre. Par ses changements de phases, la Lune représente les évolutions de l’âme et par voie de conséquence, le chemin initiatique. C’est pourquoi, par extension, nous l’assimilons à un vaisseau, la gravant parfois sur nos fresques à bord d’une barque, pour exprimer ce chemin vers la Lumière. A toi de t’embarquer, de faire partie du voyage et de sauter au bond moment, lorsque la Lune rejoint le Soleil ! » Dit-il d’un ton victorieux, alors qu’un claquement venait de retentir et qu’un large bloc de pierre était en train de pivoter, laissant découvrir un grand espace rempli d’innombrables machines.

« Sur le chemin initiatique, reprit-il, c’est-à-dire le chemin d’évolution de l’âme dans le retour à sa source, on assimile le Soleil à la « voie courte », la voie directe qui mène à l’illumination. Par contre la Lune, en ce sens qu’elle reflète progressivement la Lumière pour la faire disparaître puis recommencer cycliquement, est associée à la « voie longue », c’est-à-dire celle des incarnations successives.

Tandis que je contemplais avec émerveillement la lourde porte en train de se refermer, mon maître m’expliqua que les Deux Luminaires représentaient également le regard que porte l’Unique sur la création, manifestant ainsi son omniscience et son omniprésence, et que, de même que « ce qui est en haut est comme ce qui est en bas », le regard que l’homme portait vers les cieux en direction des deux luminaires était identique à celui qu’il devait porter vers son intérieur, là où il découvrirait l’Eternel en train de le contempler, tel qu’Il contemple chaque homme, au travers d’un regard qui avait l’allure d’un immense luminaire où Lune et Soleil s’étaient enfin réunis.

-         « Mais tu ne m’écoutes plus », me dit-il d’un ton bienveillant qui me sortit de ma rêverie. « Allez, ce soir, c’est thermodynamique ! »

Lorsque je ressortis du temple, la nuit était déjà bien avancée. J’avançais sur le chemin poudreux qui me ramenait chez moi, et la fraîcheur du sable me remontait, non pas par la voûte étoilée… mais par la voûte plantaire.

Parfois, de bruyants éclaboussements remontaient du fleuve. Et l’on entendait alors les cris de canards ou d’ibis effrayés par quelque prédateur aquatique.

Je me remémorais la leçon de thermodynamique de ce soir et quelque chose ne cessait de tourner dans mon esprit. Il faudrait que j’y revienne bientôt…

Je finis par atteindre la modeste demeure de mes parents. Tout le village était endormi et je grimaçai de nouveau pendant que le portillon de la cour grinçait sinistrement.

Je montai dans ma chambre et m’allongeai sur ma paillasse. Dehors, des milliards d’étoiles qui brillent, des milliards d’étoiles qui rient.

Et puis…
Et puis ?…
Et puis une vague lueur commença à poindre. Elle se mit à grandir lentement mais sûrement jusqu’à m’inonder de lumière. L’éclat était devenu insoutenable et je tentai vaguement de distinguer l’origine ardente par le tamis de mes doigts.

Je découvris alors le Soleil resplendissant qui me regardait et m’inondait. Je sentais qu’il était là pour moi, mais pas seulement. Il semblait attendre quelque chose, ou quelqu’un. Il finit par me dire d’une voix qui grondait comme le tonnerre :

-         « Elle va venir ! C’est sûr, Elle va venir ! J’espère que c’est pour ce soir. »
-         « Mais de qui parlez vous ? » demandai-je.
-         « Eh bien, de la Lune, pardi ! »

Je n’en revenais pas : j’avais en face de moi le Soleil qui me promettait la Lune !

-         « Mais pour quelle raison doit-elle venir ? » ajoutai-je.
-         « C’est la noce ! Le Soleil a rendez-vous avec la Lune pour se marier ! Mais elle est encore en retard ! Bon, tant pis, ce sera pour une prochaine fois ! »

J’étais inondé par l’or de sa lumière. Mais elle décroissait, car il se retirait.

Progressivement, je pris conscience que l’espace était pourtant rempli aussi d’une autre lumière qui apparaissait progressivement au fur et à mesure que le Soleil se retirait.

-         « La Lune est là ! La Lune est là ! » m’écriai-je alors vers le Soleil.
 
La Lune était là mais le Soleil ne la voyait pas.

-         « Bonjour ! » commençai-je.
-         « Bonjour ! » me répondit-elle de sa voix douce.
-         « Le Soleil est parti ! »
-         « Oui, je vois. Ce sera pour une autre fois. »
-         « Qui êtes-vous ? »
-         « Moi ? Je suis le soleil des statues, l’inspiratrice de la beauté. Je suscite les émotions.
-         « Vous voulez vous marier ? »
-         « Oui, mais c’est toi qui dois nous marier dans le Ciel de ton Intérieur. »
 
Et Elle se mit à chanter :
« Raconte, mon petit, raconte,
l’Enfantin, l’Antique,
Dérivé au bord du monde,
Et fais qu’en lui,
Se reconnaissent chaque homme.
Avec le temps, ceux qui m’écoutaient sont partis,
Ils ne sont plus assis en cercle, mais chacun vit pour soi, et l’un ne sait rien de l’autre.
Je suis une vieille Dame à la voix ancestrale,
Mais le Récit et la Beauté s’élèvent encore de mes profondeurs.
Et je les dispenserai avec force et évidence,
Dans une liturgie où personne n’a besoin d’être initié au sens des mots et des phrases.
Où sont mes petits ?
Où sont ceux qui cherchent, dès l’enfance, les passages, portes et interstices qui, en bas sur terre, mènent au ciel de leur cœur ?
Si chacun les voyait, il y aurait une histoire sans meurtre ni guerre.
Nommez-moi les hommes, femmes et enfants qui me chercheront, Moi, le Soleil de leurs ténèbres, car ils ont besoin de moi plus que de rien au monde.
Nous sommes embarqués !… »

Et puis…
Et puis…
Et puis, le coq chanta.

Je bondis de ma paillasse et dévalais l’échelle qui descendait de ma chambre. Je savais qu’un bon bol de lait et quelques fruits m’attendaient sur la table de la salle commune. J’engloutis mon petit déjeuner et me précipitai dehors : aujourd’hui, c’était le ramassage des dattes.

J’ai dit, Vénérable Maître.

Communiqué par B\ D\

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