GLFB Loge : NC - Orient de Liege - Belgique 2007


Planche au 3°

Mon compas

Est-il possible que le secret de mon évolution se soit trouvé enfermé dans une boîte longue et noire ?
Est-il possible qu’il ait toujours été là, sous mes yeux et que je n’aie pas entendu le message qu’il me chuchotait ?
Bien souvent j’ai ouvert cet écrin et j’ai contemplé ce compas encaqué dans sa gangue de velours bleu. Bien souvent je l’ai refermé sourde à son appel.

Pourtant il a toujours été présent aux grandes étapes de ma vie.

Chez mes parents, il était là dans le bureau de géomètre de mon père, parmi les encres de chines, les pinceaux et les crayons, seul outil dont je ne pouvais pas me servir.
Il était là quand mon père a cessé son activité et qu’il me l’a offert comme on passe un flambeau.
Il était là pour mon premier travail en Maçonnerie. J’ai perçu alors que ce symbole m’ouvrait une porte vers la compréhension de mon éducation. Il était le signe d’un attachement familial, d’un grand respect pour mon père. Il représentait le cocon d’une famille unie aux  règles strictes. L’équerre régissait ma vie.

Mon compas se divise en deux parties mobiles faussement symétriques. Un bras planté dans la matière solidement ancré comme les racines d’un arbre, l’autre terminé par une mine de crayon, créative et insolente, ne demandant qu’à s’écarter pour dessiner un vaste cercle dont la circonférence se perdrait à l’infini. Le tout commandé par une tête qui s’efforce de relier les deux bras dans l’harmonie et la cohérence.

Apprentie, il a défini un centre. Il m’a défini car je suis le centre. Il m’a permis d’apprendre à me connaître. J’ai dû tourner sur moi-même. Faire le point... J’ai dû effectuer un voyage intérieur et prendre conscience de ce qui vit et s’exprime en moi. J’ai dû dans un premier temps faire une démarche individuelle, un acte de l’esprit qui  a puisé ses ressources dans ma sensibilité et mon intelligence. J’ai dû débusquer mon ego dans ses recoins les plus cachés pour entreprendre son perfectionnement, j’ai dû percevoir mes forces,  j’ai dû comprendre que j’avais la faculté de me déployer et d’ouvrir les bras de mon compas. .. Connais-toi toi-même
Puis, tu connaîtras l’univers, compagnonne, timidement j’ai ouvert les bras. J’ai tracé quelques points d’une circonférence. J’ai ressenti le bonheur d’aller à la rencontre de l’autre. J’ai ressenti que les êtres vivants étaient reliés entre eux et que les relations qu’on entretient entre nous donnent de l’énergie et un sens à mes choix. 

Le mouvement était amorcé... tels les battements d’un cœur j’ai senti la force pulsatile qui poussait mon rayon à croître. Vibrations, écho de l’univers qui parvenaient enfin à ma perception.
Est-il possible que mon compas se soit libéré de son linceul quand Hiram s’est relevé du tombeau ?
Car avec la Maîtrise, le poids de l’équerre s’est allégé. Et j’ai entendu mon compas.... tu connaîtras l’Univers et les Dieux...  J’ai osé jeter un fead back sur mon enfance et j’ai compris que mes parents avaient mis tant d’énergie à combattre les dogmes religieux qui auraient pu entraver ma route, qu’ils avaient construit un autre mur autour de moi. Une barrière d’athéisme sclérosante et étouffante. J’avais libéré cet outil sacré qui me donnait accès à la spiritualité. Je venais de me libérer de l’éducation de mon père géomètre pour entrevoir celui que Platon appelait l’éternel Géomètre. Est-ce le hasard de la vie ?

Après plusieurs années d’errance et de recherches où j’ai essayé de rassembler ce qui était épars, il m’a été permis enfin de construire des cercles de plus en plus grands qui me poussent à dépasser les horizons connus pour élever ma pensée vers le « tout autre », l’inconnu, celui que je refuse de nommer pour éviter de le réduire à un signifié.

Maintenant, mon compas bien enfoncé dans la matière, puise ses forces dans le sol pour s’élever vers le ciel. Il est l’axe qui relie le matériel au spirituel. Il est l’axe qui permet aux forces de l’Univers de me pénétrer, qui me permet de percevoir l’Unité. Il canalise le flux des énergies qui décrivent des cercles concentriques me situant ainsi dans le temps et dans l’espace. Ces cercles sont fluctuants, ils s’écartent du centre puis y reviennent comme un mouvement de marée. Car l’expérience de la spiritualité est une démarche complexe qui requiert retour sur soi-même, rencontre avec l’autre et sens d’un ailleurs, lointain et indéfini.

Chaque point de la circonférence que je trace est relié au centre par mon vecteur compas. Je peux ainsi m’écarter du centre tout en  restant en contact permanent avec lui et éviter de me perdre. Mais chacun de mes gestes est donc influencé par une spiritualité intrinsèque.
Je suis donc le centre par ma matérialité et mes attaches au monde raisonnable, par ce concentré d’énergie qui focalise la coexistence des forces antagonistes. Besoin d’expansion et nécessité de re-centrage continu. Besoin de matérialité et de spiritualité. Point fixe qui m’est échu par hasard ou résultat de mes karmas antérieurs.

Je suis la circonférence par mes actes situés dans le temps et dans l’espace, par les traces que je laisse et qui creusent des sillons pour ceux qui me suivront.
Je suis le bras du compas par ma volonté, par la spiritualité qui l’anime, par le souffle créateur qui prend source tout au fond de moi et qui me pousse et par les imperfections qui m’entravent.
Et lorsque j’éprouve des difficultés à tracer mon cercle à cause d’une faiblesse de mon compas, comme le jour de mon passage à la maîtrise, si mon trait dérape, je peux toujours revenir en arrière et reprendre le tracé en deçà. Je peux vérifier mon ouverture et la comparer à la vôtre. Je ne suis pas seule dans mon cheminement, vous pouvez m’aider à me sensibiliser à la vie intérieure et aux sollicitations de l’esprit qui l’anime  Je vis une expérience qui me libère et m’unit à vous. C’est aussi une quête de l’altérité, un désir de rejoindre l’autre pour retrouver l’unité.

J’espère que mon dernier cercle ne sera jamais achevé, en perpétuelle construction ...  il restera alors ouvert comme mon compas, comme le temple, perméable aux forces de l’Univers.

J’ai dit V\M\

N\ L\

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