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L’équerre du Vénérable Maître

L’équerre est l’un des trois outils placés au centre du naos, avec la règle et le compas ; ces trois outils sont interdépendants. Mais l’équerre a peut-être une primauté sur les deux autres, en raison de son symbolisme propre qui entre particulièrement en résonance avec les préoccupations premières de tout Franc-maçon, de celles qui sont les siennes depuis son initiation jusqu’à son arrivée dans les hauts grades, au sein du temple comme dans le monde profane.

Comme le compas, l’équerre sert à tracer des figures géométriques parfaites ; le premier à base de cercles, la seconde à base d’angles droits ; les deux sont nécessaires et complémentaires, car pas plus qu’on ne saurait dessiner des cercles avec une équerre, on ne pourrait davantage former des carrés ou des triangles avec un compas. La règle permet de tracer des droites, verticales, horizontales ou diagonales, mais pas d’angles droits. La précision, la rigueur et la perfection caractérisent également les trois outils ; qu’en est-il alors de la spécificité de l’équerre ?

Selon Jules Boucher, cet outil représente la matière, alors que le compas représente l’esprit ; au premier degré du rite de l’apprenti, la première recouvre le second, façon de signifier qu’au début de son parcours, le Maçon est encore imprégné du monde terrestre. Mais l’équerre a ceci de particulier qu’elle allie dans sa forme le vertical et l’horizontal. Le symbolique qui ressortit à cette caractéristique s’impose à nous - bien qu’il faille se méfier des apparentes évidences : le plan vertical figure le spirituel, le sacré, et le divin, l’horizontal le matériel et le terrestre, le profane et le séculaire. Le point de jonction de la perpendiculaire ainsi dessinée représenterait l’être humain, fait de chair, donc de matière, mais aussi de pensée, donc de spirituel. L’équerre unirait donc trois plans, trois mondes, l’un étant l’interface des deux autres. La signification générale qu’on lui attribue est celle de la rectitude : on enjoint au Maçon d’être « droit, rigoureux et ferme dans ses pensées, ses actes et ses paroles » (Encyclopédie de la Franc-Maçonnerie). Servant à dresser régulièrement les matériaux, elle intéresse directement le jugement et la conduite sur un plan humain, et comme le compas symbolise la Justice et la Vérité. Pourquoi ? Parce que mathématiquement parlant, les mesures de l’équerre sont justes et vraies.

Quelle différence avec la règle ? A mon grand désarroi, l’Encyclopédie de la Franc-Maçonnerie ne propose pas d’article entre « Reghini » et « Régularité » ; le Jules Boucher reste muet sur le sujet ; demeure le symbole du niveau, qui sert à vérifier les horizontales. Malgré le peu d’informations dont je dispose, je peux néanmoins supposer que la règle signifie la droiture, puisque les lignes qu’elle trace sont droites et parfaites, sur le plan vertical, horizontal et diagonal ; en revanche, elle ne permet pas de trouver le fameux point de jonction dont nous parlions plus haut, et qui fait la spécificité de l’équerre. Je peux donc en déduire que la règle autorise la perfection, mais sur un seul plan à la fois. Symboliquement parlant, la droiture de la règle implique un comportement moralement irréprochable, tandis que la rectitude de l’équerre implique une fermeté et une continuité logique dans les comportements, soutenues en principe par la morale de la règle, certes, mais ne se confondant pas avec elle.

Ayant clarifié le symbolisme général de l’équerre, nous pouvons en venir à celui de l’équerre du Vénérable Maître, qu’il porte en sautoir, et qui prend le nom de « bijou » ou de « joyau ».

Ses branches ne sont pas de longueur égale, mais dans un rapport de ¾ ; la plus longue est placée du côté droit du Vénérable Maître, soit le côté actif ; ce dernier l’emporte sur le côté passif, invitant donc le porteur du joyau à agir sur la matière, et peut-être à pousser les Maçons encore trop enracinés dans le profane à se dépasser. Selon le catéchisme du Régime Rectifié, l’équerre « est l’emblème de la régularité et de la perfection des travaux d’une loge, dont le Vénérable Maître doit diriger tous les plans », et non pas seulement le plan concret et physique, ainsi que le laisserait penser Jules Boucher. De même qu’elle trace, vérifie et éventuellement rectifie, de même le Vénérable Maître veille au parcours des Maçons de sa loge, en les invitant à se corriger lorsqu’ils s’égarent, lorsqu’ils quittent le droit chemin - ceci entendu non pas tant sur un plan moral que sur un plan spirituel, car le Vénérable Maître n’est ni un confesseur, ni un juge, ni un directeur de conscience. « Diriger », « rectifier », « corriger », trois termes qui renvoient à la rectitude de par leur étymologie : selon cette dernière, le premier signifie le fait de mettre en ligne, soit en droite, le second de redresser, de remettre droit ce qui devait l’être et qui ne l’est pas ou plus, le troisième de remettre droit également, mais avec l’idée sous-jacente d’une nette amélioration. A ces trois termes j’en ajouterais un quatrième, à savoir « ériger » : sans ce dernier, les trois autres n’auraient guère de sens, du moins en Franc-maçonnerie. Eriger veut dire mettre droit, mais aussi mettre debout ; en son symbolisme, il s’oppose donc à l’horizontale, position du cadavre ou du passif, et suggère l’homme vivant, droit, « d’équerre » ; et bien évidemment, il renvoie à la construction, soit à la mise en œuvre efficiente de toute conception intellectuelle. Le Vénérable Maître est le garant de cette construction : avoir à sa disposition des pierres bien équarries ne suffit pas ; encore faut-il les ordonner, les assembler de telle sorte qu’elles contribuent à l’élévation d’un édifice parfait, dans la mesure du possible. L’équerre du Vénérable Maître l’invite à assumer cette exigence, et rappelle à tous quelle est sa fonction.

Je conclurai en trois points :

D’abord, la position de l’équerre en sautoir du Vénérable Maître fait que le point de jonction verticale-horizontale se trouve placé bien au-dessus des points terminaux des deux branches ; de là à penser que l’homme, lieu de rencontre du spirituel et du matériel, est la mesure de toute chose, il n’y a qu’un pas. Nous le franchirons cependant avec hésitation, car si le Maçon, être humain, est le nécessaire maître d’œuvre du temple, il ne faut pas oublier le Grand Architecte qui, s’il nous laisse notre libre-arbitre, est aussi celui qui nous propose un modèle d’édifice à accomplir. Le Maçon et l’architecte ne sont rien l’un sans l’autre.

Ensuite, l’équerre a un sens moins connu, plus modeste que celui que nous lui attribuons généralement en Franc-Maçonnerie. Elle peut en effet être une pièce métallique en forme de T ou de L (Jules Boucher dirait en forme de Tau égyptien ou de Resch hébraïque) qui sert à consolider des assemblages ; cet usage, pour modeste qu’il soit, ne venant qu’après l’édification du temple, n’en est-il pas moins primordial et fondamental ? Dessiner, construire, consolider, ces verbes actifs ne pourraient-ils être les mots d’ordre du Vénérable Maître et de ceux qui travaillent à ses côtés ? Cette équerre-là est la garantie de la solidité et de la durée de l’ouvrage ; elle trouve sa personnification tout spécialement en le Vénérable Maître, qui s’assure de la cohésion et de la pérennité de la loge dont il a la charge.

Enfin, je citerai un extrait du manuscrit Dumfries n° 4 de 1710 : à la question « qu’est-ce que la maçonnerie ? », il est répondu : « c’est une œuvre d’équerre ». Ce n’est pas une œuvre de compas, de niveau ou de perpendiculaire, c’est une œuvre d’équerre. Nous rejoignons là la primauté, ou la prépondérance, dont nous parlions au début ; la rectitude est la nécessaire et harmonieuse union du spirituel et du matériel, dans les êtres humains et les Maçons que nous sommes, dans notre vie profane et sacrée. Ce n’est pas une tâche facile, elle est au contraire éternellement recommencée ; nous ne devons pas en avoir honte, mais nous dire que l’équerre nous guide, quelle que soit notre faiblesse. Le Vénérable Maître, dont la fonction demeure mais dont la personne change, bien que faillible lui-même, est à nos côtés dans nos moments de doutes. Et c’est pourquoi, selon moi, il porte en sautoir le symbole de l’équerre : pour nous donner l’exemple de la rectitude, et l’assurance d’agir selon ses règles.

J’ai dit, Vénérable Maître

S\ C\ de la GLFM


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