L’équerre
et le compas
Ou une ontologie
Maçonnique
Dans les confessions d’un enfant du
siècle Alfred de Musset nous décrit ainsi
l’Humanité : « derrière
elle, un passé à jamais détruit
s’agitant sur ses ruines, devant elle l’aurore
d’un immense horizon, et, entre ces deux mondes…je
ne sais quoi de vague et de flottant ».Ce soir je
voudrais justement vous parler de ce « je ne sais quoi de
vague et de flottant ».
Je voudrais montrer ce que représente respectivement
l’équerre et le compas, puis affirmer la
nécessité de leur union.
Si on considère
l’évolution, force est de reconnaître
qu’il a fallu attendre l’arrivée de
formes de vie complexes avant que l’esprit ne se manifeste
pleinement. Dans cette optique, on peut dire que la matière
a précédé l’expression des
formes évoluées de l’esprit.
Il est d’usage de dire que l’équerre
sert à tracer le carré et le compas le cercle.
La Tradition attribue à la Terre, donc à la
matière une forme carrée, tandis que le mouvement
circulaire des astres a de tout temps fait attribué le
cercle au ciel, et par extension à l’esprit.
L’équerre et le compas sont des flèches
sur l’axe du temps, l’équerre peut
représenter le passé, ce que nous avons
été, alors que le compas peut
représenter l’avenir, ce que nous avons
à être.
Selon Marc Alain Ouaknin : « l’être
ce n’est pas le soi, mais l’articulation entre
avoir été et avoir à être
».
Si on croit cet auteur, l’espace circonscrit par
l’équerre et le compas définit le
présent et mon travail consiste à montrer comment
nous devons être, donc à tracer une ontologie.
Le losange délimité par
l’équerre et le compas est évocateur de
la vulve, dont le symbolisme s’apparente à celui
de la source et à celui de la gueule : elle prend et donne,
avale la virilité et rejette la vie, elle unit les
contraires, ou plus exactement les transmute l’un en
l’autre.
Elle symbolise l’ouverture aux richesses secrètes,
aux connaissances sacrées, à la Gnose. Ainsi nous
comprenons mieux la formule qui orne souvent les vierges noires :
« Virgina pariturae » : la
vierge qui doit enfanter. Cet enfantement résulte de
l’union des contraires symbolisée par
l’enlacement des deux triangles que dessinent
l’équerre et le compas, contraires qui sont en
nous même et nul part ailleurs.
Ce qu’il s’agit d’unir,
c’est : l’animus et l’anima. Nous devons
prendre conscience de notre coté ombre de nos blessures du
moi, et une fois identifiées nous devons les accepter (ce
qui n’est pas une mince affaire). Une fois ce travail
accompli a lieu l’union mystica qui donne naissance
à l’embryon hermétique que la Tradition
Chrétienne a symbolisée sur le fronton de
certaines Cathédrales par le Christ en gloire
entouré d’une amande ourlée, qui
n’est qu’une forme stylisée de La Vulve
archétypique d’où sort
l’embryon hermétique ou fils de l’homme.
L’espace losangique reposant sur le prologue peut
être interprété comme la vulve
d’une vierge prête à recevoir la semence
divine ici représentée par le logos du prologue.
C’est ce qui permet à Maître Eckart de
dire : « si l’homme restait toujours
vierge, nul fruit ne viendrait de lui. Pour devenir fécond,
il faut qu’il soit Femme ».
Première conclusion, nous devons enfanter
L’espace délimité par le c et
l’, est losangique et repose sur le prologue : » au
commencement était la Parole, La parole est perdue, nous
devons la retrouver donc nous retrouver auprès de Dieu cf.
le mythe de la chute Adamique. L’initiation c’est
le retour : le chemin est ce que le maçon doit parcourir, je
dis bien doit, la maçonnerie est un devoir. Nous devons
redevenir nous même, cf. le meurs et devient de Goethe :
meurs à ce que tu es pour devenir un peu plus toi
même. cf. : il est plus moi même que je ne le suis.
Tu es cela : TAT TVAM ASI comme le disent les hindouistes.
Cet enfantement dont je viens de parler c’est la
révélation à sa propre
identité.
Entre le passé et l’avenir il y a le
présent, le ici et maintenant, quand nous vivons le ici et
maintenant, nous sommes au centre, centre par lequel passe un axe qui
permet de changer de plan. Vivre l’instant présent
c’est ressentir cet axe en soi. Etre sur cet axe
c’est acquérir La connaissance, la Gnose.
Là, La Parole qui brillait dans les
ténèbres et que les
ténèbres n’avait pas comprise est
retrouvée.
Lors de l’ouverture des travaux de table le VM
dit : « nous savons que le FM étant un
Homme participe à la fois de la chair et de
l’esprit ».Ce passage du rituel nous
apprend donc qu’un FM résulte de l’union
de ces deux pôles. Pas d’équerre sans
compas ni de compas sans équerre, car l’homme
participe à la fois de l’esprit et de la chair.
L’homme n’est ni ange ni bête, mais qui
fait l’ange fait la bête. Faire l’ange ou
faire la bête, résulte de la même
erreur, celle qui consiste à oublier qui nous sommes, or ce
soir nous essayons précisément de nous en
souvenir.
3- Essayons de décrire la technique pour
vivre l’ici et maintenant.
Il nous faut lâcher les projections vers le passé
et vers l’avenir, par exemple j’aurais
aimé que les choses se soient passées autrement,
ou bien je souhaiterai qu’elles se passent de telle ou telle
manière : non ! L’un sans second,
« Ne contemple en toute chose qu’une,
c’est la seconde qui te fourvoie »
Kabîr l’acceptation, un oui qui soit oui (cf. ADJ),
faire corps avec le présent.
L’acceptation n’est pas une résignation,
c’est un silence du mental permettant de franchir Yesod (la
Lune) et d’arriver à Tipheret (Soleil) lieu de
pleine lumière, d’illumination, source de la
gnose.
Dans un passage de l’évangile le
Christ dit : « Je Suis la Porte
», cela signifie que quand je dis : je suis, je franchi la
porte de l’être « je
suis celui qui est qui était et qui vient
» répond YHVH à Moïse.
La libération ne peut être
réalisée, si ce n’est par la perception
de l’identité de l’esprit individuel et
de l’esprit universel. Immanence et transcendance ne sont que
les deux faces d’une même pièce.
Ecoutons Yung Chia Ta Shih : « la
lumière intérieure est au-delà des
louanges et des reproches, comme l’espace, elle ne
connaît point de limite, pourtant elle est ici
même, en nous gardant à jamais sa
sérénité et sa plénitude.
Ce n’est que quand tu la cherches en la pourchassant que tu
la perds, tu ne peux la saisir, mais également tu ne peux
t’en débarrasser, et cependant que tu ne peux ni
l’un ni l’autre, elle poursuit son chemin, tu
restes silencieux, et elle parle, tu parles et elle est muette
».
La vérité de Brahman peut
être comprise intellectuellement, mais le désir de
séparation personnelle est profondément
enraciné et puissant…il crée cette
notion : « je suis lecteur, je suis celui qui
éprouve », cette notion est la cause de
la servitude à l’existence conditionnelle,
à la naissance et à la mort…elle ne
peut être ôtée que par
l’effort sérieux pour vivre constamment en union
avec Brahman. La chaîne d’union est la contra
posée du désir de la séparation. Cette
phase du rituel maçonnique nous permet de
dépasser nos déterminismes. En abandonnant notre
moi nous participons au Soi.
- En supprimant cette notion et le besoin de séparation
personnelle nous accédons à
l’état appelée LA LIBERATION.
4 Résultat de l’union
La délivrance c’est
l’évacuation du placenta nourricier, celui qui
nous rattache à la matrice (Tellus Mater). La
libération c’est la sortie des contingences que
sont : matière, esprit, espace, temps.
L’équerre est plus spécialement en
rapport avec la détermination de l’espace alors
que le Compas est plus en rapport avec celui du temps.
Réunir équerre et compas c’est
constituer un mandala nous permettant de transcender ces quatre
dimensions. La matière c’est le conditionnement,
le déterminisme. Transcender espace et temps c’est
atteindre à l’état
inconditionné, illimité, à
l’éternité (qui n’est pas une
succession d’instants mais une qualité du temps
éprouvé, vécu.), en un mot
à l’état
édénique.
L’Essence est atteinte, or : chaque être renferme
en lui la totalité du monde intelligible (Un le tout, tout
est partout, tout est Brahman.) être c’est donc
accéder à la connaissance. La Connaissance est
aussi Amour, donc être c’est aussi aimer. La
connaissance implique une certitude, elle ne permet pas de
tergiversation ni d’atermoiement, c’est ou cela
n’est pas.
2-Conclusion :
Non, il ne s’agit pas de naviguer entre la
honte de ce qu’on a été et le mensonge
de ce que l’on voudrait être,
Mais plutôt : Ici et maintenant, instant après
instant :
JE SUIS.
J’ai dit
Vénérable Maître.
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