Obédience : NC Loge : NC Date : NC


L'Initié

Vous parler de mon « cheminement maçonnique » n'est pas une chose évidente.
Le mot « initié » du latin « initium » (commencement) veut dire simplement « mis sur le chemin ». Le maçon sincère sait, même quand il est devenu compagnon ou maître, qu'il reste un apprenti.

La principale chose que j'ai constatée est la différence fondamentale entre ce qu'on croit trouver en maçonnerie, et ce qu'on y trouve vraiment. La réalité est encore mieux.
Plus sérieusement, et chacun vivant sa maçonnerie à sa manière, j'ai pour ma part pris le parti, depuis le jour de mon initiation, de penser (par simple hypothèse de travail choisie tout à fait arbitrairement) que le rituel maçonnique était, en tant que système de communication entre les être humains, extrêmement bien conçu. Cette hypothèse de travail est productrice de sens, dans l'optique ou une chose mise avec une autre fait toujours sens, ce qui est le départ de la symbolique, peut-être.

A l'issue de notre première tenue, notre frère second surveillant nous avait d'ailleurs demandé de noter par écrit nos impressions. Il faut se remettre dans le contexte: après plus d'un an de procédure, nous venions d'être initiés, et il s'agissait de notre toute première tenue. Nous allions enfin voir de quoi il s'agissait, avec ce regard qui avait décidé que tout devait avoir un sens, qu'il s'agissait de découvrir. Je vous lis un extrait de ces notes prises à chaud :
Entrer dans la rue.
Pousser le portail. Le sas. Petit pincement. Le code révélé par notre second surveillant va-t-il fonctionner ? Il fonctionne, la porte s'ouvre. Mais pourquoi ?
Laeken xxx, passe encore (et 9,0, ce sera pour plus tard ajoutait Dean un peu mystérieux !) Mais ???
Préoccupations somme toute très profanes, me dis-je.

J'ai usé cette vie-ci jusqu'à la corde de ses certitudes. Renaître alors ? Ou simplement naître ?
Je retrouve un par un mes frères. L'atmosphère est à la joie. L'heure est là. Nous descendons au Temple. Les apprentis que nous sommes prennent place sur la colonne du Nord.
Le rituel commence, les travaux reprennent force et vigueur. Ce qui me marque de prime abord est la sérénité impressionnante qui se dégage du moment vécu. Les abords du temple sont déserts, clame majestueusement le frère couvreur.

Sérénité du lieu, sérénité du rituel qui se déroule paisiblement et qui n'en acquiert que plus de force. Emotion et simplicité baignent alors le climat entourant la planche de Marc et François. La magie opère.
Subtile émotion que produit l'évocation d'un certain Paris où il fait bon musarder sur la Butte aux Cailles, au gré des souvenirs, qu'évoquent les noms inusités des rues de la Commune oubliée...
Mystère que celui des maçons d'alors, montant à la barricade, revêtus de leurs décors, et payant de leur vie la défense des anonymes, pour une cause juste qu'ils savaient perdre d'avance.
Folle poésie, celle qui évoque le frère Pilâtre de Rozier, s'élevant enfin dans les airs, vers quelle sublime aspiration...

Mon regard s'arrête çà et là, perplexe et jubilatoire à la fois. Une multitude de détails retiennent mon attention. Les colonnes situées à l'Occident, d'abord. Un J côté Nord et un B côté Sud. Je me rappelle l'initiation. Je ne sais ni lire ni écrire, je ne sais qu'épeler. Va donc pour le J, que je m'empresse de faire suivre d'un a... Mais le B alors ??? Et au-dessus du Vénérable Maître, un G.
A l'Orient, côté nord, un croissant de nouvelle lune. Côté sud, le plein soleil.
Logique : le Monsieur a dit qu'il était midi plein !

Allez, tout se complique délicieusement dans une promesse de travail et de cheminement. Je termine en remarquant que tout ce qui nous est donné d'entrevoir l'est au grade d'apprenti. Cela nous est répété à l'envi. C'est décidément louche !
Est-ce à dire que même le tuilage, signes et attouchements appris changent en fonction des degrés, et nous identifient de facto comme apprentis aux yeux de maçons plus expérimentés ? La suite nous le dira.

La planche est finie, mais le rituel se poursuit, majestueux et léger, magique et frondeur à la fois, comme baigné d'une imperceptible ironie, qui aurait compris qu'il n'est pas opératif de se prendre trop au sérieux.
Subtile harmonie qui produit çà et là l'effluve fugace du sacré. Le monde profane est soudain tellement loin...

Enfin, le déroulement du rituel tout entier me fait soudain penser au mécanisme d'une horloge de précision en train de fonctionner, dont chaque officier dignitaire constituerait une des pièces mobiles, les frères des colonnes d'autres rouages, et le temple lui-même le boîtier.
La parole circule de manière précise, le Maître des Cérémonies, le frère expert et le frère orateur se meuvent dans le temple suivant une course toujours identique, les phrases rituelles empruntent des voies précises, les frères se mettent à l'ordre ensemble, comme mûrs par un même ressort. L'ensemble du système fonctionne comme la course des étoiles... Et le silence est d'Or.
Break musical Oriente (Chanson bolivienne, interprétée par Henri Fiol).

J'ai donc pris comme hypothèse de travail purement subjective et ludique (à chacun sa maçonnerie, après tout) que décidément rien n'était innocent, et que la démarche maçonnique était par conséquent porteuse de sens, même si ce sens, pris comme « ruse de la raison » était un sens caché, qui n'apparaîtrait qu'une fois le chemin accompli, ou du moins au fur et à mesure de cet accomplissement.
Dès lors que ce parti pris de curiosité (et de recherche de sens) était choisi, la démarche prenait toute sa dimension de découverte.
Quelque chose suivait son cours.
Alors, le cheminement de cette année fut ponctué de moments privilégiés, pendant lesquels des déclics se sont faits.

En repassant le film de cette première année maçonnique écoulée, j'ai tenté de retrouver les moments vécus les plus intensément.
Il y eut des moments forts, des moments sages, des moments beaux.
Sur un plan maçonnique, cette année fut placée sous les auspices de la force, de la sagesse et de la beauté.

Quelques moments de force rencontrés au cours du cheminement maçonnique.
L'initiation, bien sûr, et le fait de voir tant de monde au moment de recevoir la grande lumière (le fait aussi de voir que j'étais le seul à ne pas être en smoking, alors que j'en possède un, mais vêtu de ma veste carotte, viens comme tu es qu'il avait dit l'Expert, l'horreur totale, je vous assure. Mais qu'importe, je vivais dans ma chair l'expérience d'avoir laissé tous mes métaux sans exception au vestiaire, en ce compris les attributs vestimentaires de la classe bourgeoise dominante, c'était un début bien involontaire sur les chapeaux des roues, mais peut-on croire au hasard, oui bien sûr, non.

Lors des agapes rythmant notre initiation, l'intervention inattendue du passant, nous recommandant, candide, de ne pas relâcher notre vigilance face aux atteintes à la liberté, et brisant son verre avant de disparaître dans la nuit de laquelle il était apparu.
Mon premier décollage en montgolfière, après la planche de François et Marc, pendant lequel j'ai revécu intensément, et deux siècles plus tard, l'émotion qu'avait dû vivre notre frère Pilâtre de Rozier, premier homme de l'humanité à avoir décollé à bord d'un ballon.

Ce jour là, à travers la filiation maçonnique et la chaîne d'union qui soudainement traversait deux cent ans, j'ai pensé à lui. Il était là, tout autour de nous, sa présence envahissait tout, avec émotion et fraternité. Nous frôlions la cime des arbres, nous passions au dessus de l'Abbaye de Villers La Ville.
Il faisait beau. Tes frères suivent tes traces, Pilâtre ! Un jour, peut-être, nous ferons une tenue en ballon, quand il sera l'heure et que nous aurons l'âge...
Nous serons sept en tout, ce qui rendra la loge juste et parfaite. J'aurai, peut-être, enfin, mon brevet d'aérostier.
Nous survolerons les forêts des Ardennes belges, et utiliserons, pour l'occasion, un rituel champêtre ou éolien...

La planche de notre frère, Vice-Premier Ministre de Belgique. J'y ai vu un homme, dans l'humilité la plus totale, raconter la tourmente dans laquelle il avait été pris, avec une sincérité désarmante. J'ai compris à ce moment précis que la maçonnerie permettait à un homme d'avoir d'autres rapports avec la vérité que ceux qu'il entretient généralement dans la vie profane en général, et face aux médias en particulier.
Quelques moments de Sagesse ou ce que le cheminement maçonnique a provoqué comme changement dans ma vie profane.

En premier lieu, je me surprend de temps en temps, lorsque je suis placé devant la tentation de petites lâchetés quotidiennes, ou de petits mensonges faciles, de ne pas emprunter nécessairement la voie la plus facile, au nom de l'idée que je me fais de ce que devrait être un Maçon.
Je me surprend à me dire « un maçon ne ferait pas çà », ou bien « allez, du courage, tu es maçon, tu dois faire face, nom de dieu ! »
Au volant aussi, mon attitude a changé.

Un des plus tangibles apports de la franc-maçonnerie que j'ai pu constater chez mes frères était la qualité de leur capacité d'écoute. Le système maçonnique est un remarquable moyen de communication, dont pas mal de groupes humains, à commencer par les entreprises, feraient bien de s'inspirer.

Après un an passé parmi vous, mes frères, je continue à travailler ma pierre dans cette direction, essayant d'interrompre les autres le moins possible. Dans la vie profane, le corollaire immédiat à cette attitude est un énervement croissant envers ces « sagouins de profanes » (dont j'étais il n'y a pas si longtemps), dont les éructations ne sont qu'un avortement de la parole, et qui de surcroît s'interrompent à tire-larigot, avec un manque de savoir-vivre que je ne voyais pas auparavant et qui maintenant me choque.

A cet égard, s'il m'est encore difficile de détecter un maçon au premier contact, il me devient de plus en plus facile d'identifier les profanes, à leur conduite en réunion.
J'ai remarqué, aussi, la sagesse avec laquelle notre atelier avait su faire la part des choses entre la justice profane et la justice maçonnique, épinglant au passage qu'il n'y avait pas d'infraction matérielle sans élément moral, et qu'un acte condamnable par la justice profane ne l'était pas nécessairement par la justice maçonnique.

J'ai aimé aussi que notre loge n'aille pas hurler avec les loups, et ne fasse pas chorus avec les tenants de l'hystérie bien-pensante et politiquement correcte du temps.
D'autre part, les exemples choisis dans ce débat, qui étaient le crime passionnel, ou le fait de casser la figure à un type de l'extrême droite etc. étaient assez à mon goût, et me confortaient dans l'idée de ne m'être pas trompé d'atelier.

Enfin, et ceci est plus privé, le hasard a voulu qu'au moment où j'ai été reçu maçon, je vivais des problèmes affectifs difficiles. Après 17 années d'une relation d'amour partagé avec quelqu'un d'extraordinaire, je fus saisi d'un démon de midi précoce, qui se matérialisa par l'arrivée d'une troisième personne dans le jeu de quille, et provoqua de ma part des sentiments centrifuges, suivis de problèmes de couple assez conséquents. Bref, j'aimais à la folie deux personnes à la fois.

La situation en était là, juste au moment de mon initiation, qui est tombée à point nommé pour m'ouvrir des horizons nouveaux. Me penchant sur l'étude symbolique des formes géométriques, et plus particulièrement sur l'examen du carré de l'hypoténuse, j'ai pu repenser cette relation...triangulaire, et trouver une solution pythagoricienne à l'ensemble des problèmes.
Quelques moments de beauté, pendant lesquels on se dit que cela valait bien la peine.
Les chroniques de notre R\L\, empreintes de poésie, tracées par notre frère premier surveillant, M\T\.

La beauté de la chaîne d'Union avec la musique d'Arvo Pärt, merci Antoine.
La tenue œnologique de notre frère P\D\, où nous découvrîmes avec une émotion touchant au sacré l'existence du Muscat sec élevé par la Mère Faller et ses deux filles.
Les séminaires mémorables chez notre frère second surveillant, la magie du chantier symbolique que nous ouvrions et fermions en ces occasions. Nous le remercions au passage avec émotion d'avoir consacré autant de son temps, afin de nous aider à dégrossir notre pierre brute.
Et enfin, l'égrégore de notre Loge. Quel beau concept. Quel beau mot. Egrégorein signifie veiller, en Grec.

Dans le livre d'Enoch, ce mot Egrégores désigne les anges qui avaient juré de veiller sur le mont Hernon. On le traduit par les veilleurs...
L'égrégore est une entité, un être collectif issu d'une assemblée. Peut- être, celui que représente notre frère orateur lors de ses interventions...
Chaque loge possède son égrégore ; chaque obédience a le sien. La réunion de tous ces égrégores forme le grand égrégore maçonnique.
Dans notre Loge, nous avons la chance d'avoir un délicieux petit vent de fronde de d'anticonformisme qui attise notre égrégore afin de lui conserver sa flamme.

Pour finir, et pour célébrer notre égrégore, je voudrais vous faire écouter un petit morceau de musique maçonnique, que j'ai composé un soir en rentrant d'un séminaire particulièrement joyeux et fraternel. C'est une amusette, qui peut être qualifiée de maçonnique pour les raisons suivantes.

- Le morceau est basé sur les chiffres 1, 3, 5, 7. - Un saxo descend en jouant les notes suivantes : 1 2 3 4 5 6 7 - 1 2 3 4 5 6 - 1 2 3 4 5 - 1 2 3 4 - 1 2 3 -1 2 -1 l'autre saxo monte en même temps, en jouant les notes suivantes : 1 - 1 2 - 1 2 3 - 1 2 3 4 - 1 2 3 4 5 - 1 2 3 4 5 6 - 1 2 3 4 5 6 7.
Les arpèges jouent 1, 2, 3, 4 sept fois de suite, ce qui fait 28 notes jouées.
En même temps, la somme intérieure de 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1 fait également 28.
Le morceau dure sept minutes, avec un temps fort a 1, 3, 5 et 7 minutes.
La mélodie est libre, pour illustrer le maçon libre dans une loge libre.

A noter enfin qu'au saxophone alto (en forme de clarinette), il y a le saxophoniste américain Steven Brown, issu du mythique groupe underground Tuxedomoon.
Il s'agit d'une maquette, donc d'une simple pierre brute.

J'ai dit, Vénérable Maître.
Morceau de musique « La Règle de 7 » (Christian D'Ancourt)

C\ D\


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