GLDF | Loge : La Roumanie-Unie | 12/07/2011 |
Qu’est-ce
que le chemin initiatique ?
Vénérable
Maître, et vous tous mes frères
en vos degrés et qualités, la question
à laquelle il m’a été
demandé de
répondre ce soir est: « Qu’est-ce que le
chemin initiatique ? » L’une
des premières remarques que je me suis
faites en commençant de réfléchir
à cette question
a
été qu’il doit exister autant de
réponses que de
francs-maçons. Et en me disant cela, une anecdote
m’est revenue en mémoire.
Il y a
quelques années, j’étais alors
compagnon de la RL l’Étoile, je me trouvais en déplacement
à Londres et j’en avais profité pour
organiser une
rencontre avec quelques frères de sexe
masculin appartenant à la Grande Loge Unie
d’Angleterre et quelques frères de
sexe féminin
de l’Honorable
Fraternité des Anciens Francs-Maçons,
l’une des deux principales obédiences
féminines du pays, très rigoureuses
sur le rituel, d’où leur insistance pour
s’appeler entre
elles « mon
frère » et non « ma sœur
». Vu
mon statut de franc-maçon de sexe masculin appartenant
à la Grande Loge de
France, il m’était bien évidemment
impossible d’assister à une tenue avec les uns ou les
autres. Nous nous
sommes donc retrouvés dans un pub et avons passé une fort agréable
soirée à refaire le monde et un peu maudire aussi
la
politique étrangère de nos obédiences.
En fin de soirée, alors que nous étions sur le
point de nous séparer, un vieux
frère de la GLUA m’a pris à part et
m’a dit : En repensant
à cette anecdote, je me suis
dit que, bien sûr, chaque maçon sur Terre peut avoir une idée
différente de ce qu’est le chemin initiatique mais
qu’au
delà de ces conceptions particulières,
le chemin initiatique est avant tout une définition que les
loges donnent de
leur pratique
maçonnique. Et cette
manière qu’ont les loges de définir ce
qu’est la démarche maçonnique
constitue le ciment des obédiences.
Ainsi, le chemin initiatique est une définition parmi d’autres de
la pratique maçonnique, ce n’est pas la seule
définition possible comme mon anecdote
londonienne me l’avait montré, mais aussi la
définition dominante qui constitue
la Grande
Loge de France aujourd’hui.
Pour
aborder
plus avant le sujet, j’ai aussi pris en compte le
thème général des tenues de cet
été 2011 qui est, comme vous le savez,
« le
chemin initiatique hier, aujourd’hui ». Avant de les
aborder, un mot encore pour
décrire l’intérêt
qu’il peut y avoir à mon avis d’envisager le
sujet sous cet angle. J’ai longuement
hésité avant de me
lancer dans cette voie car cette
manière d’envisager la question pourrait
à juste titre paraître un peu aride et
je me suis demandé
si une approche
plus subjective et symbolique n’aurait pas
été préférable. Toutefois,
je vous
avoue que je suis actuellement dans une
phase de mon propre chemin initiatique où j’ai un peu de mal avec les travaux
symboliques. Non pas
que je n’apprécie pas d’en entendre,
loin de là.
Mais il me semble que ce type de travail ne permet pas
véritablement de discussion. Certaines loges,
pas la majorité chez nous, considèrent
qu’un travail symbolique ne devrait pas
être soumis à
des questions,
les
débats étant réservés
à des sujets plus objectifs. Première
question donc, à quand remonte le
fait que nos loges se sont accordées sur le point de définir
la pratique maçonnique comme étant constitutive
d’un
chemin initiatique. Pour y
répondre, il faut effectuer un rapide
survol de la franc-maçonnerie en France depuis quelques
années. À
partir de
1830, et surtout de 1848, des tensions sont nées au sein du
SCDF entre les loges
bleues et la direction. Ces tensions ont une
base politique, les loges bleues étant plutôt
républicaines tandis que la
direction du SC est plutôt monarchiste. Certaines loges
choisissent donc
de quitter le SC pour former une Grande Loge
Nationale Française (rien à voir avec
celle d’aujourd’hui) très militante
et engagée politiquement et qui sera d’ailleurs
interdite trois ans plus tard. C’est donc ce vent républicain qui pousse les loges à revendiquer de pouvoir s’administrer elles-mêmes. Par soucis de concision, je passe sur les divers rebondissements dans cette démarche pour rappeler qu’en 1880 une bonne part des loges bleues du SC se séparent pour former la Grande Loge
Symbolique Écossaise, d’où
émanera en 1893
l’Ordre Mixte International
du Droit
Humain. L’année suivante, ce qui restait des loges
bleues du SC rejoindra l’essentiel
des
loges de la GLSE pour former la
Grande Loge de France que nous connaissons aujourd’hui.
Les membres
de ces loges demeurent animés
par l’instauration et la stabilisation de la troisième
République, et le nom de nombre de ces frères est
resté
associé à ce qui sous-tend ce que
l’on appelle aujourd’hui les Principes fondamentaux
reconnus par les lois de la
République. Pour
n’en citer que quelques unes... Il faut
aussi mentionner l’apport de la franc- maçonnerie
à l’évolution de la condition des
femmes, même s’il faut aussi reconnaître
que
la motivation
première n’était pas
leur émancipation mais surtout de contrer
l’influence que les curés
avaient sur
elles. J’attire
l’attention sur ce dernier sujet,
à l’aube de la guerre et de
l’interdiction de la maçonnerie qui
révèle une tendance qui s’est
véritablement manifestée à
partir du milieu des années trente et
que la guerre n’a fait que renforcer.
C’est
à
partir
de la libération que le ton change et que la
définition nouvelle va s’imposer sur une période
d’une vingtaine d’années à un
rythme accru à partir du milieu des années 1950. Là encore, par
soucis de concision je ne cite que les principales
étapes, il faut avoir présent à l’esprit
qu’aucune d’elles n’est allée
de soi et mais est le fruit de nombreux débats
ainsi que de luttes
extrêmement «
fréroces ». Le
problème qui
se pose dans cette évolution consiste à
définir l’initiatique sans le faire verser dans le religieux,
ce que la majeure
partie des frères n’est pas prête
à accepter, comme on l’imagine
aisément. C’est dans ce contexte que les
contours du chemin initiatique se précisent, achoppant toujours sur le
GADLU mais aussi sur les rapports fraternels
qu’entretient la Grande Loge
de
France avec le Grand Orient. Bref, après quelques
rebondissements
supplémentaires, la situation
se
fige en 1964 où les divergences d’opinion
provoquent l’implosion du SCDF et le
départ de quelques centaines de frères qui
rejoignent la GLNF en 1965.
La définition
de la pratique maçonnique a au cours de ces
années quitté sa tonalité sociale, dans laquelle les
formes rituelles
étaient perçues comme une manière
d’éprouver et de préparer les
hommes à œuvrer ensemble dans la
cité, pour entrer sur le chemin initiatique, plus personnel
et transcendant.
Enfin, la GLDF se dote en 1971 d’un magazine dont le titre
semble consacrer
cette nouvelle définition: Points de
vue initiatiques. En
résumé, c’est
donc sur une période d’à peu
près vingt ans, entre 1950 et 1970 que le chemin initiatique
s’est imposé comme la
définition dominante de la pratique maçonnique
par les loges
de la GLDF. Face au mot «
initiatique », mon premier réflexe a
été, comme souvent, de m’emparer de mon
dictionnaire Larousse étymologique du français
pour constater que selon lui, la
paternité du mot initiatique revient à Julien
Gracq en 1953. Vous imaginez sans
peine ma joie devant cette information
qui semble corroborer l’analyse historique.
Mais
d’autres
sources étymologiques m’ont poussé
à « aller plus loin » en me renvoyant à des
écrits posthumes de Gérard Encausse (1865
— 1916),
dit Papus, dans les
années 1920. Fondateur
de
l’ordre martiniste, Papus participe
activement au renouveau du courant symboliste de la fin du
XIXème et du début du XXème
siècle. L’ordre martiniste
dispose d’une revue qui s’appelle
«
L’initiation » et attire dans ses rangs un certain
nombre de penseurs
nationalistes
comme
Maurice Barrès (1862 —
1923) ou Victor-Émile Michelet (1861 — 1938). Papus fut
affilié Également
franc-maçon, il faut ici
souligner parmi ses très nombreux écrits,
l’ouvrage «
Ce que doit savoir un maître maçon »
publié en 1910 et dont la tonalité
générale ressemble de manière frappante
à la définition du chemin
initiatique qui s’imposera après la seconde guerre
mondiale. Considérant
l’importance en volume des écrits de Papus,
j’avoue ne pas avoir tout lu, mais
je n’ai pas
trouvé le terme « initiatique »
dans les textes de lui que j’ai consulté. Par
contre, il
utilise volontiers le
terme « initiative »
dans le sens dans lequel nous entendons aujourd’hui
« initiatique » en parlant
par exemple de « cérémonies initiatives
». En remontant
encore dans le temps, avant l’arrivée des
occultistes dans notre paysage, on trouve
le terme initiatique
à de multiples
reprises chez celui qui fut considéré comme le
maçon le plus
érudit du
XIXème siècle : Jean-Marie Ragon
de Bettignies (1781 − 1862). Très
inspiré par la
mode
égyptienne de l’époque (expédition
d’Égypte 1798 — 1801)
il fut membre du Rite de Misraïm
ainsi que
du Grand Orient de France où il
fonda la Loge « Les Trinosophes »,
créée à la fois aux rites
français et écossais, et tout ensemble
symbolique,
chapitrale et aéropagite. C’est
sans doute
ce qui explique le choix opéré par les
rédacteurs du Larousse, car c’est bien avec Julien Gracq dans
les années 1950 que le
« voyage initiatique » prend la place que
l’on connaît
aujourd’hui encore dans le vocabulaire. À
ces divers
éléments issus de
l’hermétisme, de
l’ésotérisme et de
l’occultisme, il faut aussi je crois ajouter
l’influence des
développements scientifiques du XIXème
siècle, d’une part ceux
des sciences
« dures » qui constituaient un
véritable repoussoir pour les occultistes, mais aussi Ñ et
surtout Ñ des sciences humaines. La
colonisation de la seconde moitié du
XIXème siècle a en effet poussé les
ethnologues à
sortir de leurs bibliothèques pour aller sur le terrain. Ces
études
ont introduit deux concepts qui ont, à mon sens, permis de
distinguer le
spirituel du religieux dans le délicat
établissement de la notion
de chemin initiatique.
D’une
part, la
référence à une «
société traditionnelle » que
l’on doit à Émile Durkheim (1858 — 1917)
dans un ouvrage de 1895. Il
ne faut toutefois pas
oublier qu’il la distinguait de la «
société moderne » dans une optique
strictement sociale d’organisation de la
société. Néanmoins le
terme apparaît
dans le vocabulaire occultiste postérieur, chez Papus par
exemple et bien
évidemment chez Guénon, alors que l’on
ne le
trouvait pas chez Ragon. D’autre
part, on
ne peut que constater qu’il est fréquent
aujourd’hui que des frères assimilent les rites
maçonniques à des rites de
passage. Cette dernière expression a
été fabriquée par un ethnologue
français né en Allemagne,
Arnold Van Gennep (1873 — 1957)
à
l’occasion de la publication d’un ouvrage portant
précisément ce
titre, « Les rites de passage », en 1909.
Les
frères des années 1950/1960 ont donc
puisé à ces multiples sources : Ce
sont donc ces
différents courants qui ont participé
à la définition du chemin initiatique, il nous reste
à voir comment et
pourquoi cette définition est devenue dominante au lendemain de la seconde
guerre mondiale.
Ce courant
spiritualiste existait donc bien
en franc-maçonnerie, mais il était minoritaire et
n’avait à priori pas
de possibilité matérielle de prendre le dessus.
La franc-maçonnerie avait attiré
des
occultistes car elle leur semblait
correspondre à l’image qu’il se
faisaient du monde et des
sociétés dans lesquelles il existait un ordre
apparent, extérieur, derrière lequel se cachait un
«
ordre intérieur » composé
d’esprits supérieurs
organisant les choses. À la
libération, des contacts ont été pris
avec René Guénon, membre
éphémère de la
loge Thébah
dans les années 1910 et
depuis parti en Égypte, qui soutenait de loin la
création d’une loge
qui aurait pu agir
comme tête de pont d’un «
ordre intérieur » au sein de la franc- maçonnerie
pour favoriser sa refondation. Les
instigateurs du projet, majoritairement
membres du Conseil fédéral fraichement reconstitué
après que le Général de Gaulle ait
aboli les décrets de Vichy interdisant la maçonnerie, ont
ainsi créé une loge en 1947 à
laquelle ils ont donné le titre d’un ouvrage de Guénon paru la
même année: La Grande Triade. Mais
pour que
l’opération ne soit pas perçue comme
une manœuvre du courant spiritualiste, ils
ont délibérément choisi de faire
alliance avec un autre type d’ « ordre
intérieur » qui s’était
constitué au sein de la GLDF depuis les années
1920:
les russes. C’est peut-être au Grand
Maître de l’époque, Michel Dumesnil de
Gramont (1895 — 1953) qu’il faut
attribuer l’idée
de cette alliance. Homme de lettre russophone, et traducteur de
nombreux
auteurs russes, il semble en
effet
avoir les qualités nécessaires pour effectuer ce
rapprochement. Sur
le plan
maçonnique, ces frères voulaient restaurer la
maçonnerie russe de la fin du XVIIIème
siècle dont la figure de proue était
Nicolas Novikov (1744 — 1818), souvent
considéré comme
le
premier journaliste russe. Quoi
qu’il en
soit, leur organisation disciplinée a retenu
l’attention des fondateurs de la Grande Triade, et
c’est au Frère Alexandre
Mordvinoff qu’a été confié
le soin d’organiser la création
de la
nouvelle loge et d’en être
officiellement l’instigateur avec le soutien discret et actif
de
René Guénon. La
composition initiale de la loge était
prestigieuse : Ivan Cerf en fut le premier VM, Michel Dumesnil de Gramont
(GM en exercice), Antonio Coen, Georges
Marty, Maurice Arnaud,
tous membres
du CF en étaient membres fondateurs ainsi que quelques
autres dont Yves Marsaudon,
l’un des artisans des tentatives de
rapprochement avec l’église catholique et membre éminent
du SCDF. Son
rôle, ainsi
que celui des multiples loges russes, a été
prépondérant dans la diffusion des idées
spiritualistes qui ont contribué à
définir la pratique maçonnique comme
étant un chemin
initiatique.
La
multiplicité des influences et des
motivations ne permet pas de réponse pleine et entière
à cette quesion. Les
maçons russes
furent d’ailleurs les premiers à percevoir des
sommes d’argent pour se reconstituer,
généreusement offertes par la Grande
Loge de New-York ainsi que le Suprême Conseil
juridiction
nord des États-Unis. Pourtant,
lorsqu’on lit les mémoires, les
témoignages de ces frères, lorsqu’on
consulte
les archives
de ces loges, il est
frappant de constater que tous sans exception retirent de ces luttes d’influence un
sentiment d’échec. Il y a là de
quoi méditer. Il
est clair que
depuis Anderson, la franc-maçonnerie, et en
général toutes les organisations ayant pour
but de s’interroger de
façon collective sur la condition humaine, se sont heurtées
à un moment ou un autre à la question de
la distinction entre, pour simplifier, sacré et profane.
En
ce début de
XXIème siècle de l’ère
chrétienne, mon préjugé est que ce
seront les neurosciences
et la connaissance qu’elle nous
donneront du fonctionnement du cerveau humain qui seront à
l’origine de la prochaine avancée notable sur ce
chemin
initiatique. Mais
il
s’agit là d’une autre histoire pour
un autre jour, alors en attendant, J’ai dit VM P\ L\ |
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