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Le Coq

Seul symbole animal qu'utilise la Franc-Maçonnerie bleue, le Coq mérite un peu plus qu'un détour - fait par quiconque étudie le cabinet de réflexion. Il faut bien avouer toutefois que se pencher sur le symbolisme rattaché au coq entraîne de prime abord une grande perplexité.

Quel rapport établir entre le coq qui couronne le clocher de nos églises et celui dont notre République laïque frappe ses der­nières pièces d'or ?
Comment passer du coq sacrifié à Esculape à celui qu'on im­mole dans les cérémonies vaudou ? Qu'ont donc en commun le coq de Saint Pierre, le coq d'or des légendes persanes, le coq rouge de la mythologie scandinave ? Quelle voie même du coq de village, bellâtre séducteur de filles, au Chantecler de Rostand, prêtre inspiré du soleil qu'il fait naître ? Dire que l'on peut deve­nir "rouge comme un coq" - de combat s'entend - ou à l'opposé vivre tranquille comme un "coq en pâte" !
De quoi s'y perdre... ce qui n'est pas mon intention.
N'attendez donc pas de moi un catalogue des interprétations symboliques d'un sympathique oiseau que je ne me résouds pas à traiter de volatile... encore moins de volaille.

Qu'il suffise de vous dire que le Thesaurus de l'Encyclopedia Universalis lui consacre plus de quatre-vingts lignes, le Dictionnaire des Symboles de Chevalier quatre bonnes pages, celui de Seringe deux pages et demie, tout autant dans le Dictionnaire du Symbolisme animal de Clebert, trois pages dans le Bestiaire Sacré des Gaulois de Pierre Lance ; quant à l'excel­lent mais très succinct Dictionnaire des Symboles, attributs et al­légories de Pillard et Verneuil - dont je ne saurais trop recom­mander l'usage - il ne donne pas moins de vingt-et-une correspondances symboliques à notre coq. Autant de références auxquelles je renvoie celles ou ceux que ma planche laisserait sur leur faim... et qui ne se contenteraient pas de l'ouvrage qu'Arnoult-Gremilly a consacré à notre oiseau.

Pour moi, devant ce foisonnement au sein duquel je vais es­sayer de dégager de grands axes, il me semble utile de tenter une réflexion sur le mécanisme du symbole.
Quand des quatre coins du monde (un monde qu'entre paren­thèses l'homme continue à se représenter comme carré alors qu'il sait bien qu'il est rond !!) nous reviennent en échos des conver­gences symboliques troublantes - même si les voilent parfois des divergences qui, à l'examen ne sont que culturelles - deux types de réponses peuvent être apportées aux questions que chacun se pose.

L'espèce humaine est une, et les récentes découvertes paléon­tologiques ou biologiques viennent opportunément à l'appui du sentiment diffus que nous portons en nous. Mais faut-il la consi­dérer comme l'héritière - dégénérée - de quelque civilisation pri­mordiale, ou de quelque création divine ? Faut-il tout simplement penser qu'une structure neuronale identique conduit à des inter­prétations similaires des mêmes faits que tous les hommes obser­vent avec les mêmes sens...
Par exemple que chaque matin le jour succède à la nuit, que chaque matin le soleil se lève, et précisément qu'un peu avant ce lever du soleil, chaque matin le coq chante.
Aucune étude d'un symbole n'est valable si elle ne s'appuie d'abord et fortement sur les données immédiates de la conscience, ou, plus simplement dit, sur ce que nos sens nous font constater, toujours et partout.

Il faut avoir passé la nuit dans un coin perdu de campagne pour réaliser l'importance du chant du coq : car c'est par l'ouïe que je vais commencer à en décrypter le foisonnement symbo­lique.
Il fait nuit donc sur le monde : une nuit intense - sans néons, sans réverbères, sans phares - S'il n'y a pas de lune, tout est plongé dans les ténèbres sous "l'obscure clarté qui tombe des étoiles"... le silence, troublé de frôlements, de chuchote­ments inquiétants dont on ne peut discerner l'origine... la peur rôde, celle des dangers que l'on ne voit pas venir... les fauves, les spectres peut-être. Le monde est abîmé dans la terreur et la désespérance.

C'est alors que la nuit est la plus noire, avant même qu'une vague clarté laiteuse ne marque l'horizon du côté de l'orient, qu'un cri perçant déchire les ténèbres : répété, répété encore dans sa sonorité métallique il chasse les terreurs nocturnes par l'immi­nence du jour qu'il annonce. Et de loin en loin d'autres cris simi­laires lui répondent et la vie revient sur la terre assoupie, rendue à l'oreille avant de l'être aux yeux.
Voilà ce qui se produit chaque matin, et dans chaque lieu de ce monde... sauf dans la ville, monstre tentaculaire où l'homme perd son âme en perdant son contact avec la Nature à laquelle il appartient. Qu'importe que ce cri se transcrive "cocorico" "chi­chirici" "kuh-kenta" ou "cock a doole do"... il est le même, et il est porteur de la même espérance, celle de la lumière et du jour retrouvé.

A ce coq qu'on entend et que l'on ne voit pas, je rattacherai plusieurs lignées symboliques. Celle de l'espérance : "c'est la nuit qu'il est beau de croire à la lumière", celle aussi de la vigi­lance car le coq veille quand tout dort encore et que son chant disperse les spectres et les maléfices de la nuit (il marque, ne l'oublions pas, la fin de "la danse macabre") ; celle enfin de pré­voyance et de prophétie - puisque le coq annonce le jour qui va poindre.
Au coq espérance, par exemple, appartiennent les aspects psychopompes de l'oiseau liés à l'idée de résurrection : c'est un coq qui réveillera les morts au jour du jugement pour les maho­métans ; un coq que les Germains sacrifiaient, avec un cheval ou un chien pour accompagner le défunt dans l'autre monde ; un coq qui escorte Mithra ou Hermès pour juger les morts ; un coq qui symbolise la résurrection du Christ et la vie éternelle promise aux saints martyrs. C'est ce coq-là sans doute qui tout en haut du clo­cher des Eglises reçoit le premier la lumière du soleil levant, image du Christ "soleil de justice".      
Le coq qui veille et qui écarte les maléfices, c'est celui dont l'effigie orne les portes au Viêt-Nam et en Chine, c'est celui qui perché sur le chêne Yggdrasil de la tradition nordique surveille l'horizon pour avertir les dieux des attaques des géants, leurs en­nemis ; il est en Islam celui dont le chant révèle la présence de l'Ange et appelle à la prière qui éloigne le mal.

Quant au coq qui annonce et prophétise, son plus fameux avatar est le coq de Saint-Pierre dont le chant souligne le renie­ment et amène la repentance. Il est aussi, selon la Bible au "livre de Job", le porteur d'une parcelle de l'intelligence divine, celle qui lui fait voir et célébrer la lumière avant même qu'elle ne jaillisse de la nuit...

Mais voilà qu'entre temps et peut-être - à en croire Chantecler - grâce à notre coq, le soleil s'est levé, et cet oiseau entendu tout à l'heure nous allons maintenant le voir.
Il faut dire qu'il a fière allure ! Bien campé sur ses ergots, couronné d'une crête écarlate (qui nomme aussi la fleur ama­rante), il trône au milieu de la basse-cour. Perché sur ce tas de fu­mier où son intelligence (dont on parlait tout à l'heure) lui donne le pouvoir de discerner des perles, on le voit fréquemment s'em­ployer à féconder les poules de son harem, opération qu'il conclut par un cri triomphant... ce qui tend à prouver qu'il est content de lui... Soit dit en passant, la poule, elle, n'exprime en caquetant une satisfaction des plus vives qu'après qu'elle ait pondu son oeuf : de quoi inspirer des réflexions qui n'ont pas place ici ! ! !

Revenons donc au coq et aux directions symboliques que son aspect et son comportement engendrent : force et santé, combati­vité et virilité triomphante.
C'est cet aspect robuste qui sans doute amène à lier le coq aux dieux guérisseurs : Asclépios se voyait remercier de ses soins efficaces par le sacrifice d'un coq ; le coq figure avec l'étoile à cinq branches dans les attributs d'Hygea, divinité grecque de la santé.

La combativité, qu'illustre la pratique courante aux quatre coins du monde des combats de coqs, l'associe aux divinités guerrières, Jupiter ou Mars : la légende veut qu'un guerrier valeu­reux, Alektruon (nom du coq en grec), compagnon et ami de Mars, l'ait, par sa négligence, laissé surprendre au lit de Vénus en fâcheuse posture par le mari jaloux : il fut changé en coq (gardant son air belliqueux et le cimier rouge de son casque) et condamné à la vigilance !

La virilité du coq en fait un symbole ambivalent : néfaste comme représentant la luxure dans l'art roman ou en Extrême Orient (il est un des "trois poisons" des boudhistes, avec le porc et le serpent, au centre de la roue de l'existence), il était honoré en Grèce et à Rome comme "symbole de fécondité".
Le coq que l'on voit - que je sépare à dessein de celui qu'on entend - a donc de quoi séduire. Pour les Chinois et les Japonais - il appartient à leur "zodiaque" - on lui reconnaît les cinq vertus : vertus civiles (sa crête lui donne l'air d'un mandarin), vertus mi­litaires (il porte des ergots comme des éperons), courage au com­bat, bonté (il partage sa nourriture avec ses poules) et confiance à annoncer le retour du soleil. Ajoutons-y la virilité et nous n'au­rons aucune peine à comprendre pourquoi les Français en font vo­lontiers leur symbole ! !

J'ai gardé pour la fin, pour la bonne bouche en somme, ce coq gaulois... qui n'est pas si gaulois que ça (à part pour la "gau­loiserie" ??).

Certes le coq joue un rôle dans le bestiaire sacré de la Gaule, mais sans jamais - sauf en Angleterre où il n'était pas mis à mort - être l'objet d'un tabou ni d'un culte. Il figurait pourtant sur les enseignes de tribus gauloises et l'homonymie entre gallus, gaulois et gallus, coq, semble un rapprochement hasardeux de deux ra­cines différentes.
Il n'en reste pas moins quelque assimilation, plus ou moins officialisée, entre la France et le coq : les Centuries de Nostradamus en sont un exemple. La Renaissance en fit un des emblèmes mineurs de la Royauté et la Révolution en amena un plus large usage. L'imagerie du temps évoque volontiers le coq, juché sur un canon, avec la devise "je chante pour la liberté" : symbole de la vigilance républicaine, il répond au coq du clocher. Belle illustration de la différenciation à faire entre le coq que l'on voit, qui concerne les valeurs matérielles, et celui que l'on entend qui relève du spirituel.

Si le Directoire conserva l'image du coq, Napoléon lui pré­féra l'aigle comme symbole de l'Empire français... et la chute de l'aigle vit le retour du coq.
Il est dans l'imagerie républicaine symbole de la France certes, mais aussi de la Liberté - on le voit associé à un niveau (égalité), et à deux mains enlacées (fraternité) sur les plaques qui ornent les fameux "bonnets à poils" de la Garde Nationale Louis­Philipparde. Depuis l'image du coq orne le sceau de l'Etat, l'avers de nos monnaies, la grille de l'Elysée - la fameuse "grille du coq"... mais la faveur croissante de Marianne, symbole, fémi­nin cette fois, de la France et de la République tend à laisser le coq au second plan. Faudrait-il en conclure qu'en symbolique comme ailleurs la virilité "n'est plus ce qu'elle était" face à la re­vendication féministe ?...

Mais l'essentiel, quand on parle du coq, est de garder en mé­moire qu'il est d'abord, avant tout et surtout, oiseau solaire.
La mythologie grecque le fait veiller auprès de Léda sa mère à la naissance d'Apollon (comme il veille en fait à la naissance du soleil). Il restera parmi les attributs du Dieu.
Au Japon c'est le chant du coq qui décidera la déesse - soleil Amaterasu à sortir de la caverne où elle se terrait.

Pour les Indiens Pueblo, les coqs sont des créatures du soleil qu'il a placées sur terre pour éveiller les hommes.

Serviteur du soleil qu'il annonce, il peut symboliquement s'associer à Jean-Baptiste celui qui cria dans le désert pour an­noncer la venue de plus grand que lui...

Par C\ T\

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