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L’humilité

Je pourrais commencer ma planche par une devinette : qu’est-ce que celui qui se vante d’en avoir, ne possède certainement pas, et que seul celui qui n’en parle jamais a une chance de posséder ? Vous aurez deviné, mes Frères, le sujet que je vais traiter ce soir est l’humilité.

Commençons comme à l’accoutumée par l’étymologie du mot. Tout comme homme, il dérive du mot humus, la terre. Nous en venons et nous y retournerons tous.

Il est parfois intéressant, pour mieux définir les contours d’un terme, d’étudier son contraire. Il s’agit dans ce cas de l’orgueil, ce sentiment exagéré de sa propre valeur, cet amour excessif de soi-même qui fait que l'on est persuadé de sa propre excellence et que l'on se juge supérieur aux autres. On voit souvent de très grands savants être très humbles. Pourquoi ? Leurs connaissances leur permettent d’avoir un point de vue suffisamment éclairé pour percevoir tout ce qui leur reste à découvrir. En revanche un étudiant qui a acquis quelques connaissances court le risque de penser avoir compris le secret de l’univers sans avoir pris conscience de tout ce qui lui reste encore à apprendre. L’orgueil, ce serait donc l’illusion, le mensonge à soi-même, quand l’humilité est la lucidité, dit autrement la vérité.

Il convient avant tout de faire une différence essentielle entre humilité et humiliation, pourtant de même origine. Le second est très connoté, il entend aujourd’hui abaissement, mépris, honte en relation aux autres, alors que du temps de Littré, il signifiait l’action personnelle d’un individu se débarrassant volontairement de tout orgueil, de toute suffisance, ce que nous tentons de faire en maçonnerie.

Au départ, chacun de nous a sa propre personnalité. Cet ego comprend l’image que nous nous faisons de nous-mêmes. Après, ça se complique, il y a aussi l’image que nous pensons que l’autre se fait de nous et enfin, comble de prétention, il y a l’image que nous nous faisons de l’Autre. Je dis prétention parce que vous connaissez le proverbe de la paille et de la poutre…

Sans vouloir empiéter sur la psychanalyse, domaine où j’avoue mon incommensurable ignorance, je dirais simplement que, par une stratégie inconsciente, nous portons tous un masque pour nous conformer à un personnage à défaut d’être nous-mêmes. Ce côté de notre personne - du latin persona : masque de théâtre - obscur et inconscient, rempli de préjugés et de contradictions, c’est celui-là même que la F\M\ nous invite à visiter et à rectifier. C’est de cette intimité enfouie, de cet humus que nous devons faire jaillir cet homme nouveau que nous aspirons à être. C’est en cela que l’humilité peut nous aider à progresser.

Les bouddhistes ont un mot précis pour désigner l’état d’esprit dans lequel nous devons être pour être apte à connaître, recevoir et apprendre, c’est le mot vacuité, à ne pas confondre avec vide. C'est un mot très difficile à comprendre et à définir. La meilleure définition est, à mon avis, « interdépendance », ce qui signifie que toute chose a besoin des autres pour exister. Nous n’existons que par rapport au reste de l’univers. Tout dans l’univers est par nature interdépendant et donc vide d'existence propre. Cela doit nous pousser à l’humilité.

Nous devons prendre conscience de notre face cachée, de notre côté obscur, pour passer de l’ombre à la lumière. C’est cela que nous enseigne notre démarche maçonnique ! C’est seulement après un tel travail qu’il nous sera possible de comprendre et de tolérer l’Autre. Comme nous l’intime l’inscription gravée au fronton du Temple de Delphes il y a 2500 ans, c’est seulement en essayant de nous connaître nous-mêmes que nous pourrons connaître l’Autre, travaillons sur notre microcosme pour connaître le macrocosme.

Etre humble n’est pas se dévaloriser, c’est être pleinement conscient de ses faiblesses, de ses défauts, de sa petitesse face à l’univers. À partir du moment où j'accepte le fait qu'il existe tellement de choses et de gens plus grands que moi, je suis en capacité d’apprendre et me perfectionner. Pour pouvoir emplir une coupe, il faut tout d’abord la vider, la débarrasser de tout ce qui l’encombre.

Le piège consiste à croire que je sais. Lorsque je crois savoir, j'estime ne plus rien avoir à connaître et mon esprit se ferme au lieu de s’ouvrir, voir et écouter. C’est ici que le fameux « connais-toi toi-même » prend toute sa signification, voulant dire par là que nous devons en toute humilité accepter nos limites, notre condition. Elle n’est pas ignorance de ce qu’on est, mais plutôt connaissance de ce qu’on n’est pas. Chez les Grecs, étaient considérés comme des crimes et sévèrement punis l’arrogance, l’orgueil ou la présomption ; c’était le péché d’hubris.

L'humilité n’est pas non plus la négation de soi. C'est la capacité à une grande qualité de présence dans une attitude respectueuse où l’on n'a pas besoin de prouver qu'on existe. Certains, en effet, ont besoin d’une tribune pour exister, ils mélangent connaissance et savoir. Comme dans d’autres domaines, ils connaissent la théorie mais ne la mettent pas en pratique. Un mot essentiel pour moi en maçonnerie est « AMOUR » or le poète Pierre Reverdy l’a bien dit : « l’amour n’existe pas, il n’y a que des preuves d’amour ». Certains faux-maçons feraient bien d’y réfléchir.

Ce n’est pas chose facile que de s’avouer ses défauts. Il faut commencer par accepter ce qu’on est réellement pour espérer devenir celui qu’on ambitionne d’être. Le poète grec Pindare l’a dit il y a 2500 ans « Si tu veux devenir celui que tu dois être, il faut cesser d’être celui que tu es ». L’humilité est ce sentiment qui consiste d’une part à prendre conscience de ce que nous sommes, et d’autre part à nous accepter ainsi comme point de départ vers notre perfectionnement.

Vous me pardonnerez ce pléonasme, mais l’humilité est une vertu humble : elle doute même d’être une vertu. Qui se vanterait d’être humble prouverait immanquablement qu’il ne l’est pas. Un mien Frère maçon plaisante souvent en disant : sur le plan de l’humilité, je ne crains personne. Pourtant, d’aucune vertu on ne doit se vanter, ni même être fier, c’est ce qu’enseigne l’humilité. Elle rend les autres vertus discrètes. Cette discrétion est la marque d’une lucidité sans faille et d’une exigence sans faiblesse. Elle révèle l’amour de la vérité et s’y soumet. Le risque, quand elle est poussée à l’extrême et approche l’ostentatoire, est qu’elle devienne le masque d’un véritable orgueil.

Un détail qui a son importance. Il ne faut pas confondre l’humilité du pauvre avec celle du sage. Car ce mot a la particularité d’associer le social à l’esprit : on dit qu’une personne est de condition humble ou modeste ! Il convient d’abord de faire la différence entre humble et modeste. Le dictionnaire entretient l’ambiguïté. Pour rester dans le domaine de la spiritualité qui est le nôtre, il me semble que l’humilité est une démarche intérieure puisqu’elle disparaît si on l’exprime, alors que la modestie pourrait n’être qu’un état extérieur. On peut être modeste en ayant conscience d'être « supérieur » aux autres, si on ne le montre pas, alors qu'être humble signifie que l'on est conscient de ses faiblesses et prêt à entendre l’Autre. Je résumerai en disant qu’on peut être modeste sans être humble, mais l'on ne peut être humble sans être modeste.

Pour moi l’humilité est une prise de conscience, un constat de sa petitesse et de la distance à parcourir avant d’atteindre notre but, un consentement devant l’ordre du monde, cette Loi universelle qui s’impose à tout et à tous. C’est relativiser sa propre dimension par rapport au Un alors que la modestie n’est qu’une modération des choses et des situations. L’humilité est une position morale où la dignité n’est jamais en jeu.

Quel sens donner à notre initiation si ce n’est réaliser notre petitesse, comprendre que rien n’est jamais acquis, qu’il faut sans cesse tout remettre en question et admettre que nous sommes une parcelle microscopique de l’univers. Ce constat n’est pas difficile en surface. Ce qui l’est, en revanche, c’est de l’accepter réellement au fond de nous-mêmes. Ceci engage à travailler jour après jour à l’édification de notre temple intérieur, douter et accepter le doute comme une voie de progrès contre l’arrogance des certitudes. C’est sortir de l’image qu’il nous est agréable de montrer, se regarder en face dans le miroir de notre âme. Admettre cela, ce n’est ni de la psychologie ni de la psychanalyse, c’est s’accepter simplement et entretenir avec soi-même une relation saine, c’est rechercher l’équilibre de l’esprit à travers la conscience que l’homme n’est qu’un point dans l’univers.

En tous cas, ce que chacun aura compris, c’est que tout est lié, que la vie de notre conscience ne peut se concevoir dans la solitude. De fait, on n’est pas homme ni Franc-maçon tout seul. Pour exister et évoluer, chacun a besoin des autres. Cette merveilleuse chance que nous avons d’exister doit nous conduire à rayonner d’amour et de fraternité. Que serions-nous sans la Fraternité, sans les autres à qui notre esprit nous relie ?

Mes premiers pas en maçonnerie m’ont conduit dans un cabinet de réflexion qui, dans la Loge où je suis né, était physiquement dans le sol. Cette situation était renforcée par l’invitation de l’acronyme V.I.T.R.I.O.L. dont le sens me serait dévoilé plus tard. Tout me pousse à penser que l’humilité est le point de départ indispensable de notre cheminement maçonnique. « L’humilité est le fondement et la gardienne de toutes les vertus ». C’est Saint Bernard qui s’exprime ainsi et avec raison. Sans humilité, en effet, aucune autre vertu ne peut exister.

Dans le monde profane, l’humilité est l'état d'esprit de quelqu'un qui se considère sans indulgence et qui est porté à rabaisser ses propres mérites. Son synonyme est « modestie ». En maçonnerie, c'est une vertu qui nous fait ressentir notre faiblesse et nous garde de l'orgueil. Son synonyme est « réserve ».

Nietsche a dit « Tu dois devenir l'homme que tu es. Deviens sans cesse celui que tu es, sois le maître et le sculpteur de toi-même » mais pouvons-nous croire celui qui a dit aussi « l’humilité est une vertu d’esclave » ? Je ne voudrais pas alourdir mon propos, mais je ferais une dernière citation ; Mère Térésa a dit « Se connaître nous fait plier le genou, posture indispensable à l'amour. Car la connaissance de Dieu engendre l'amour, et la connaissance de soi engendre l'humilité ».

La Franc-maçonnerie est une suite d’actes d’humilité : accepter le bandeau et plier le genou devant l’autel des serments lors de notre initiation, accepter la loi du silence de l’apprentissage et jurer cette même loi du silence à la fin de nos Travaux, n’en serait-ce pas les preuves ?

Exprimer une opinion avec humilité, implique un esprit ouvert, qui connaît ses qualités, ses forces comme ses faiblesses. La conscience morale est le sentiment intérieur du bien et du mal. Prendre conscience de soi, c'est diminuer la distance entre ce que l'on est et ce que l'on a conscience d'être. C’est réduire la part d'inconnu en soi. Nous pouvons alors mieux nous connaître, nous maîtriser et donc nous réaliser. Mais cela nous oblige à sonder des profondeurs où nous hésitons à descendre. En Loge, la conscience profane sera peu à peu remplacée par une nouvelle conscience dont les fondements se nommeront Sagesse, Force et Beauté.

Si j'ai tenu à vous parler d'humilité, c'est non seulement que j'en ai reçu des leçons ici même, mais aussi parce que je crains que tout maçon soit potentiellement menacé du syndrome d'élitisme: "je suis "initié", donc en dehors - voire "au-dessus" - du commun des mortels…

Vécue par tout homme de bonne volonté, l’humilité ne peut s’exprimer que par rapport à un même absolu. Cet  absolu, quelque nom que nous lui donnions, Dieu, Principe ou Grand Architecte de l’Univers, est la source de la transmission d’influences spirituelles ainsi que le fondement de notre Monde Sacré.

J’en profite pour placer ici la devise des Templiers, appelés au départ « les Pauvres Chevaliers du Christ », et qui était un signe essentiel d’humilité «  Non nobis, Domine, non nobis sed Nomine Tuo da gloriam » que je traduirais librement par « pas pour notre gloire, Seigneur, mais pour la gloire de ton Nom ».

Aucun franc-maçon ne peut se dire humble s’il ne vit pas cet abaissement intérieur qui conduit à se construire et, à travers l’érection de son propre édifice, à participer à la construction de celui de ses semblables. L’humilité c’est aussi savoir et accepter que d’autres travaillent avec nous et pour nous, car on peut retirer trop de vanité à croire que les relations humaines sont à sens unique et que nous sommes suffisamment forts pour donner sans recevoir. L’homme ne peut vivre seul et doit accepter l’importance des échanges dans le groupe. Le nier c’est s’isoler ou sombrer dans la paranoïa, la mégalomanie ou le despotisme.

L’ordre du monde ! Quelle place y tenons-nous ? Le but de l’homme sage, de celui qui donne un sens à son initiation, n’est pas la quête de l’absolu. Il a compris que la vie est trop courte pour atteindre la Lumière. N’oublions pas que parmi les grands initiés, parmi ceux qui sont parvenus en une seul vie à la pleine conscience que les bouddhistes appellent l’Eveil, Socrate était conscient qu’il ne savait rien et Mahomet dénonçait les hommes fiers et avides de pouvoir et de richesses. Ceux-ci doivent se soumettre et se montrer humbles et justes. Puis, tout retournera au chaos à partir duquel tout peut à nouveau se réorganiser. Cet incessant passage du chaos à l’ordre et de l’ordre au chaos est vraisemblablement le seul ordre du monde. Son incompréhension force notre humilité.

La hiérarchie maçonnique des offices que nous acceptons, qui génère chez certains des comportements exacerbés, contre-valeurs de l’humilité, risque de nous faire dériver vers la griserie du pouvoir, cette drogue insidieuse ; passer de l’ombre au soleil, quelle ivresse, mais tôt ou tard, nous retournons à l’ombre, quelle leçon d’humilité !

Faire un véritable examen de conscience n’est pas aussi aisé que cela, mes Frères. Aussi tolérant envers nous-mêmes qu’intransigeant envers les autres, nous tendons inconsciemment un voile déformant sur notre petitesse, sur nos faiblesses. Regardons au-delà de ce masque, acceptons de voir ce que nous sommes réellement. Ce n’est pas simple en réalité de se débarrasser de son ego.

En prêtant serment le jour de notre Initiation, nous avons promis, d’une manière ou d’une autre, de nous efforcer de donner l’exemple de toutes les vertus, sacrifiant par avance tout vain désir d’honneur, toute ambition et toute vanité, ces métaux qui devraient s’entasser devant la porte du Temple. Et cela non par orgueil stérile mais dans le seul but d’inspirer à tous le désir de les acquérir.

En conclusion, et après avoir examiné cette vertu d’humilité sous tous les angles, je dirai que je n’ai aucun doute : l’humilité est le fondement de toute vie spirituelle. Sans cette vertu, nous ne pourrons jamais progresser vers notre idéal de perfection. Je rappelle qu’un idéal est un peu comme l’horizon, nous cheminons dans sa direction en sachant qu’il est inatteignable.

La Franc-maçonnerie est sans doute la plus ancienne école de développement personnel et pour cela, pas besoin de séminaires ruineux : seule la recherche de la vérité, de sa propre vérité.

Seul, mais ensemble, en fraternité !

M\ G\


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