Obédience : NC Loge : NC 17/03/2011


L’Humilité

Nos premiers pas en maçonnerie commencent avec une invitation à l’humilité du Grand Expert envers l’aspirant apprenti maçon : « Courbez-vous cette porte est très basse ». C’est dire si cette qualité est indispensable dans l’évolution du maçon dans son cheminement. A moins que cette invitation de l’Expert symbolise le chemin du fœtus naissant à la vie, comme l’aspirant apprenti qui doit renaître en laissant derrière lui tous ses artifices, tous ses métaux. Cela aussi nécessite une grande humilité.

Chemin faisant en maçonnerie, je pense avoir compris pourquoi j’attache à l’humilité une telle importance et pourquoi je considère qu’elle est le quatrième pilier de notre évolution initiatique vers notre vérité. Mais j’y reviendrai…

Commençons par le commencement, le mien tout au moins : Chaque individu a une personnalité. Cette personnalité, cet ego, est la composante de l’image qu’il se fait de lui-même et de l’image qu’il pense que les autres ont de lui.

Ceci revient à dire finalement que notre ego, est une stratégie inconsciente dans laquelle nous portons un masque et, comme dans une pièce de théâtre, nous nous conformons à un personnage à défaut d’être nous-mêmes. Mais il existe aussi en nous des aspects inconscients, que nous avons refoulés parce qu’ils nous dérangent, parce qu’ils ne sont pas justement conformes à notre ego. Ces aspects, constituent avec l’ego, notre individualité. Ce côté obscur et inconscient de nous, forme un système autonome agissant contre notre ego, notre personnalité consciente et, étant située en dehors de la conscience, il est inaccessible au langage de la raison et de l’objectivité. Il se manifeste en conséquence par des préjugés tenaces, des comportements inexplicables ou des frustrations. C’est notre petite voie intérieure qui nous agace car elle nous chuchote autre chose que ce que nous fait dire notre conscience à travers notre manière de nous comporter et d’agir.

Un exemple assez simpliste me traverse l’esprit : Connaissez-vous la fameuse phrase de Georges Orwell dans « La ferme des animaux » : « tous les animaux sont égaux mais il y en a qui le sont plus que d’autres » et que Coluche a paraphrasé en changeant le mot animaux par hommes ? Eh bien, la première affirmation de cette phrase illustrerait assez fidèlement, je trouve, ce que l’ego conscient, d’un homme politique par exemple un peu raciste sur les bords, dirait lors d’une conférence devant un auditoire africain, alors qu’en même temps, la partie inconsciente et inavouable de sa personnalité lui susurrerait la deuxième partie de cette même phrase. On imagine facilement la colère (certainement démesurée !) de cet homme, si quelqu'un le traitait de raciste !

Cette colère traduit le fait que notre conscience, qui ne peut pas intégrer cette irruption brutale, cette contradiction de l’inconscient, se défend en projetant sur les autres les caractéristiques inacceptables de notre côté obscur. Par là, nous croyons voir chez les autres la cupidité, l’agressivité ou la jalousie, le racisme, le vice, le manque d’une qualité, l’envie, que nous ne pouvons reconnaître dans nos propres motivations.

Et voilà en quoi l’humilité peut nous aider à progresser.Traiter de l'humilité, c'est toucher à un point sensible de notre ego.Elle nous oblige à sonder des profondeurs qui touchent à notre intimité enfouie et inconsciente. Par un travail tenace et suivi sur nous, rendre conscients des aspects inconnus de nous-mêmes. Laisser de côté ce ramassis, cet écheveau égoïste et ombrageux de nos souhaits personnels, nos ambitions, nos espoirs et nos appréhensions et nous mettre en accord avec nos tendances, souvent opposées, de notre inconscient.

En prenant conscience de cette notre face cachée, de notre côté obscur, nous passons d’une conscience immédiate des choses à une conscience qui se réfléchit et réduisons ainsi notre part inconnue en nous. C’est la voie pour passer de l’ombre à la lumière. C’est exactement cela que nous enseigne notre démarche maçonnique !

Je suis tenté de citer Jung qui nous dit : « Plus la conscience se trouve influencée par des préjugés, des erreurs, des fantasmes et des désirs puérils, plus s’élargit le fossé (...) amenant une vie plus ou moins artificielle, très éloignée des instincts normaux, de la nature et de la vérité » et je compléterais en disant qu’ainsi, tout demeure figé dans les difficultés où la lumière ne peut pas pénétrer.

Les trois compagnons sont précisément l’exemple symbolique du manque d’humilité. Ils ont cru posséder la connaissance et par leurs actions ils ont tué la connaissance. Hiram est tombé sous leurs coups. « Comptant sur la vanité de trois ambitieux, les compagnons persuadèrent ceux-ci qu’ils étaient trop instruits pour demeurer dans les rangs inférieurs ». Notre rituel résume ainsi parfaitement la tendance de notre personne de porter le masque du mensonge. Il ne faudrait pas oublier que dans cette quête de la vérité, la notre, l’étude des symboles est primordiale. La démarche maçonnique, symbolique par excellence, nous donne la clé de la réussite. L’interprétation des symboles n’est pas universelle. A chacun la sienne et c’est cela justement qui est intéressant. Notre inconscient, peuplé de personnages qui se révèlent au moyen du langage symbolique, nous montre le chemin pour nous accomplir par cette connaissance de notre vie inconsciente.

« Faire en sorte que l’inconscient et la conscience apprennent à vivre en paix l’un avec l’autre et se compléter. Ceci est la condition du bonheur » nous apprend Jung, encore une fois. Assimiler notre inconscient nous amène à nous modifier au plus profond de nous-mêmes. Et l’humilité est, je répète, une condition indispensable pour accomplir ce travail et pour que nous acceptions de devenir par cette introspection ce que nous sommes réellement. Seulement après une telle démarche, il est possible de comprendre et de tolérer l’autre, avec ses différences d’avec nous et de nous épargner de la stupidité qui consiste à vouloir l’interpréter et croire qu’on le peut.

À partir du moment où je me positionne de telle sorte, que j'accepte qu'il puisse exister quelqu’un de plus grand que moi, je me mets dans une position où je peux apprendre et me perfectionner. C'est par exemple l'attitude qui convient le mieux pour étudier. Conjuguée avec l'intérêt pour le sujet qui m'attire, j'espère pouvoir améliorer mes connaissances.

Le piège consiste à croire que je sais et que je peux. Lorsque je crois savoir, j'estime ne plus rien avoir à apprendre et mon esprit se ferme. C’est là où écouter l’autre, c’est juste pour préparer nos réponses et nos arguments, pour le corriger.

C’est ici que le fameux « connais-toi toi-même » prend toute sa signification voulant dire que nous devons en toute humilité, accepter nos limites, nos possibilités, notre condition. Dans les tragédies grecques, l’arrogance de celui qui prétendait dépasser sa condition - le péché d’hybris - était considéré comme un crime et sévèrement puni par les dieux.

Notre rituel ne nous invite-t-il pas à cette même humilité lors de la naissance du nouveau Maître ? : « Souvenons-nous que l’union fait la force et que sans le secours des uns pour les autres nous ne pouvons rien ».

L’humilité c’est aménager, par exemple, dans sa vie des temps pour marcher tout seul au bord d’une plage. C’est aussi important que construire des projets ! Prendre conscience que des moments de faire peuvent être des moments de fuir. Que souvent nous nous lançons dans des actions non pour construire mais pour éviter d’éprouver.

L'humilité n’est pas la négation de soi. C'est la capacité à une grande qualité de présence dans laquelle rien n'est exagéré ou clinquant. C'est une attitude délicate et respectueuse dans laquelle on n'a pas besoin de prouver qu'on existe.

Il y a en effet ceux qui ont besoin d’une tribune pour exister, qui mélangent connaissances et expériences professionnelles. Ils nous en parlent, mais cela ne présente aucun intérêt sur le plan maçonnique. C’est se tromper et ne pas avoir compris que le rituel d’ouverture des travaux doit être la porte qui nous isole de notre vie profane pendant la durée d’une tenue. Je me suis posé la question pourquoi j’ai voulu traiter de l’humilité et surtout pourquoi j’ai eu de très grandes difficultés pour donner un corps acceptable pour moi à cette planche.

« Il était humble comme une insignifiante pièce d’un sou et ceci est suffisant pour estimer quelqu'un » avait dit un jour mon père. Je devais avoir 6 peut-être 8 ans et avec le temps j’ai réalisé que cette phrase m’a profondément marqué ! Pour avoir l’estime (l’amour aussi ?) de quelqu'un il faut donc être humble.

L’humilité est devenue alors une vitrine très importante pour moi, une composante essentielle de mon ego. Je me suis finalement rendu compte que mon cheminement maçonnique m’a aidé à réaliser que mon attachement à l’humilité était une sorte d’exorcisme afin d’accepter, sincèrement, que moi-même manque (j’allais dire manquait !) totalement d’humilité. Elle m’a aidé à réaliser et à accepter que très souvent l’humilité que j’affichais était feinte, fausse et manipulatrice afin, justement, de conformer mon image à ce que je pensais devoir être et à ce que je pensais que les autres me demandaient d’être et de réussir de concentrer ainsi leur estime sur moi.

Mais ma partie invisible et inconsciente était tout autre chose, était raillerie pour tout ce qui n’était pas en accord avec mes valeurs. Mon humilité servait de paravent, de voile, pour cacher mon être profond, ma nature. Pour ce faire et pour être crédible, j’ai traité avec dédain ceux qui, par exemple, se vantaient d’avoir fait des grandes études et leur reprochais justement leur manque d’humilité, moi qui suis arrivé à un stade très avancé d’études et qui au fond, considérais que ce fait me plaçait au dessus de la mêlée. Mais ma conscience s’interdisait d’imaginer cela !
 
Je me suis moqué des gens qui accordaient de l’importance aux statuts sociaux, moi qui considérais cela comme une valeur distinctive de l’être humain…et puis ceux qui attachaient de l’importance aux bonnes manières et aux règles de bienséance, à l’intelligence et que sais-je encore...

Cette humilité que je défendais avec fanatisme m’a permis de me sentir mieux dans mon monde virtuel et finalement illusoire. Je pense que c’est bien ici la clé de la fascination qu’exerce sur moi l’humilité, la clé pour mon progrès finalement. J’ai toujours été fasciné par ceux chez lesquels l’humilité était un mode de vie tout simplement naturel !

Ce ne fut pas chose facile que de m’avouer tout cela. En fait je pense que la partie intéressante de cette planche est justement cette dernière. Le reste c’est de la littérature mais, qui montre toutefois le cheminement de ma pensée pour aboutir à ces quelques considérations sur moi même. J’en sors victorieux je crois. Je commence à devenir et à accepter ce que je suis réellement, de faire en sorte que diminue la distance entre ma conscience et mon inconscient comme plus haut je l’ai évoqué. (Il n’est jamais trop tard pour bien faire n’est ce pas ?). Ceci m’apporte du confort à vivre et de la sérénité. Cette prise de conscience de mes particularités fait que je serai, du moins je l’espère, une pierre mieux appropriée et insérée dans l’édifice social et je contribuerai mieux à notre progrès mutuel.

Je vais vous citer Khayyâm, ce poète Perse qui écrivait vers l’an 1100 de notre ère : « La plupart de nos savants échangent la vérité contre le mensonge ne dépassant pas les limites de la malice et de l’apparat. Ils emploient leur peu de connaissances pour des buts personnels, vénaux ; tout en se moquant et en méprisant toute personne sincèrement en quête de la vérité, qui se bat contre l’hypocrisie ».

En guise de conclusion j’ai envie d’ajouter : « Si tu veux devenir ce que tu dois être, il faut cesser être ce que tu es ». Cette phrase n’est pas de moi, mais ce que moi je dis c’est que pour réussir cela, l’humilité est l’outil indispensable.

L’arrogance nous fait perdre de vue que nous avons à nous incliner face à la mort, à la maladie, à la crise, à la perte de repères, à un tsunami, à une explosion nucléaire… L’humilité nous donne l’occasion d’un nouveau regard afin d’arrêter d’être aveuglés par l’illusion !

G\ Ax\


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