DH Suisse Loge : NC 03/04/1998


L'Humilité


Humilité ? Humilité du pauvre, du modeste ou humilité du sage, de la connaissance ? Car ce mot a la particularité d’associer le social à l’esprit : ne dit-on pas d’un individu qu’il est de condition humble ou modeste ou, encore, qu’il accomplit des tâches humbles! Il conviendrait d’emblée de marquer la différence entre humble et modeste : affaire de nuance ? Le dictionnaire ne la fait pas et le langage courant entretient la confusion. Pénétrant, " avec humilité ou modestie ? ", dans la subtilité des choses et pour rester dans le domaine de spiritualité qui est le nôtre, il me semble avant tout que l’humilité est une démarche alors que la modestie pourrait n’être qu’un état. Je dirai : "l’humilité est une prise de conscience, un constat de sa petitesse, de l’espace à parcourir. L’humilité c’est prendre la dimension de l’être par rapport au Tout, c’est relativiser. La modestie n’est qu’une modération, une pudeur, une intelligence des choses et des situations ".

De même le mot humilité puise ses racines dans le sol, puisque dérivé du mot latin humus, et la condition terrestre, matérielle voire vitale de l’homme, de même il trouve un sens dans ce qui le sublime. Paul Morand nous dit :
" L’humilité est un abaissement intérieur, un consentement de pieuse reconnaissance envers l’ordre du monde, inégal en apparence, une position morale où la dignité n’est jamais en jeu ".

Je vous propose de reprendre les détails de cette citation. Notre thème étant symbolique, je m’efforcerai de ne pas trop dévier du fil philosophique et de ses représentations qui donnent un sens à notre engagement maçonnique.
Tout commence par cet " abaissement intérieur " dont Lamartine disait :
" Et devant Dieu, caché dans sa fatalité,
Notre seule science est notre humilité ! ".

Quel sens donner à notre initiation si ce n’est vivre en nous même notre petitesse, comprendre que rien n’est acquis, qu’il faut tout remettre en question (mort et renaissance) et admettre que nous sommes le microcosme de l’univers. Ce constat n’est pas difficile. Ce qui l’est, en revanche, c’est de l’admettre ouvertement. L’admettre ouvertement cela engage : patiemment travailler à l’édification de son temple intérieur, douter et accepter le doute comme voie de progrès, comme seule arme contre l’arrogance des certitudes et des satisfactions à court terme prometteuses de lendemains finalement bien trompeurs. C’est sortir de son image conventionnelle, celle qu’il nous est agréable de transmettre, pour se regarder en face dans le miroir de nos actes, de nos pensées et accepter de rompre nos liens avec elle. Admettre, ce n’est pas de la psychologie, encore moins de la psychanalyse, au contraire, c’est accepter et pouvoir entretenir avec soi-même une relation non maladive, loin de toute thérapie, c’est rechercher l’équilibre de l’esprit à travers une conscience claire de l’immanence de l’homme, parcelle de l’univers : tout est dans tout, ce qui est en haut est en bas.

L’humilité est le principe même de l’action ! Aucun franc-maçon ne peut se dire humble s’il ne vit pas cet abaissement intérieur qui conduit à mettre en relation la partie et le tout - l’homme et l’univers, l’homme et le néant, le chaos et l’ordre - avec pour objectif de construire. De se construire et, à travers l’élaboration de son propre édifice, participer à la construction de celui de ses semblables. Réciproquement, l’humilité c’est aussi savoir et accepter que d’autres travaillent à notre profit, à notre édifice, car on peut retirer trop de vanité à croire que les relations humaines sont univoques et que nous sommes suffisamment forts pour donner sans recevoir. L’homme ne pouvant vivre seul doit accepter sa dimension sociale et l’importance des échanges qu’il retire de sa situation dans le groupe. Le nier c’est s’isoler et se faner ou, alors, sombrer dans la paranoïa, la mégalomanie ou le despotisme.

Apparence de l’inégalité ? Apparence ? L’inégalité pourrait-elle n’être qu’une apparence ? Certes, dans la dimension temporelle de l’univers, l’homme, à son échelle et par orgueil, peut se croire immortel et imaginer construire une supériorité dans l’ordre des choses. Des millions d’années, implacablement, lui montrent la vanité de ces idées et lui rappellent que dinosauriens, oiseaux ou hominiens tous se confondent et laissent de bien petites traces quelques millions d’année plus tard. L’ordre du monde ! Quelle place y tenons nous ? Le défi de l’homme sage, de celui qui sait, du Myste, qui donne un sens à son initiation, n’est pas dans la quête de l’absolu. Il a compris que le temps efface les traces et que la vie dont il dispose est trop courte pour trouver la Lumière. Sa vie ne lui suffit pas souvent pour trouver la sienne propre. Puis, tout retournera au chaos à partir duquel tout peut à nouveau se réorganiser. Cet incessant passage du chaos à l’ordre et de l’ordre au chaos est vraisemblablement le seul ordre du monde et ne contient pas d’inégalité. Son incompréhension force notre humilité. Si l’homme, dont la nature est d’expérimenter, d’explorer toute voie, toute brèche qui s’ouvre devant lui, venait un jour à connaître son sens, il est probable qu’il y introduise, consciemment ou non, une composante inégalitaire. Pour l’instant donc, cette incompréhension de l’ordre du monde nous protège de l’homme.

La position morale et la dignité. Ici, l’homme tente de récupérer et d’affirmer sa différence. A travers une vision éthique, un concept de la vie en société, conduisant à une déontologie et une sociologie, il élabore une philosophie de l’étant qui pourrait ou devrait en faire l’être supérieur. Parallèlement, se complique le problème de l’être car, comprenant qu’il est semblable, qu’il n’est que provisoirement parcelle de l’ordre, il n’en prétend pas moins à cette supériorité dans son temps, confondant spécificité, originalité et finitude. Pour nous, francs-maçons, l’humilité commence peut-être ici. Dans le cabinet de réflexion, où nous avons été invités à faire le Grand Voyage, rien ne nous a été dit mais tout nous fut révélé. Le sel et le pain de la vie, la mort et sa fraternité silencieuse, présente, pesante, rassurante car d’elle naît la lumière. Nous avons compris que tout est fin et tout est renouveau et, comme le disait Paul Morand, nous pouvons trouver dans cet ordre du Monde une position morale ou notre dignité n’est jamais en jeu.
Nous avons compris que : " L’humilité est l’antichambre de toutes les perfections ". C’est ainsi que humilité et fil à plomb confondus nous amènent à construire notre perfection, tant il est vrai que même la perfection, reflet d’un certain ordre des choses, peut n’être que relative puisque liée à une perception individuelle. Nous amenant à comprendre quels sont les leviers de nos convictions, de nos croyances ou de nos rejets, cette recherche immanquablement situe nos limites et les efforts pour les dépasser. Limites mouvantes qui, avec le temps et le travail, évoluent mais qui marquent notre horizon momentané, sphère qui borne notre univers de connaissance et de compréhension dont, avec orgueil ou sagesse, nous prétendons être le centre. Avec orgueil lorsque nous ne comprenons pas que, si le rayon de notre sphère est petit, nous sommes nous même petit et avec sagesse si nous comprenons que notre sphère personnelle marque aussi notre horizon collectif, celui où nous sommes en relation d’intelligence avec les autres et qu’il ne tient qu’à notre volonté d‘élargir. En cela, le maçon comprendra que l’ouverture de son compas permet de percer la voûte céleste, l’horizon zodiacal géocentrique, pour s’ouvrir et s’offrir à l’infini de la découverte de ses frères. Colette nous dit que " l’humilité a sa source dans la conscience d’une indignité, parfois aussi dans la conscience éblouie d’une sainteté ". Si nous gardons à ces mots le sens de sagesse et de connaissance (d’initiation) et si la sainteté à des couleurs de lumière et de fraternité alors nous, francs-maçons, avons un devoir de sainteté dont les racines sont l’humilité et la reconnaissance, puis l’effacement, de nos indignités.


Permettez-moi de conclure en complétant la citation de Saint-Exupéry, écrivain que j’admire et qui est une de mes références de vie. Dans Pilote de guerre, réfléchissant sur le problème de l’humilité, il nous dit : " Je comprends le sens de l’humilité. Elle n’est pas dénigrement de soi. Elle est le principe même de l’action. Si, dans l’intention de m’absoudre, j’excuse mes malheurs par la fatalité, je me soumets à la fatalité. Si je les excuse par la trahison, je me soumets à la trahison. Mais si je prends la faute en charge, je revendique mon pouvoir d’homme. Je puis agir sur ce dont je suis. Je suis part constituante de la communauté des hommes ". C’est simple et limpide. Si je me prends en charge, si je le revendique ce qui fait de moi un homme libre, si j’agis et réfléchis, si je m’inscris dans la communauté de mes semblables et si, au lieu d’excuser mes faiblesses, je les reconnais, si je n’ai pas recours à la fatalité mais , au contraire j’oeuvre sur moi-même alors je suis un maillon de la chaîne et je m’inscris parmi mes frères dans le Grand-Œuvre.
L’humilité ainsi comprise et vécue est bien le principe même de l’action et devient une vertu essentiellement maçonnique.

J’ai dit V\M\ .


L\ G\

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