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Réflexions autour du paranormal
Philosophie et paranormal

L’opposition matière-esprit est-elle pertinente ?

Gnose de Princeton et New Age

1) Les incohérences du dualisme "esprit-matière"

Durant le chapitre Matérialisme, nous avons considéré comme "allant de soi" qu’il existe deux entités distinctes, "esprit" et "matière". Les philosophes ont fait de sérieuses objections à ce dualisme : si l’esprit est une substance différente de la matière (et du corps), comment expliquer la corrélation entre eux ? Lorsque je décide de bouger ma main, je peux le faire. Cela ne prouve-t-il pas qu’un "bout" de l’esprit est spatial et peut influencer le corps, la matière ? Sinon, comment expliquer cette liaison entre deux "substances" radicalement dissemblables ?

Il sera tentant d’en revenir au matérialisme pur, et de tout réduire à des interactions physiques. Le matérialisme classique affirme que la matière est inerte, dépourvue de vie et de pensée. Comme les cartésiens, il se trouve confronté à des problèmes, par exemple celui de "l’émergence" de la vie (ou de l’intelligence) à partir de particules qui en sont absolument dénuées... Sans oublier l’apparition de la conscience. On attribue évidemment celle-ci à la "complexification" du système cérébral, mais comment expliquer que l’accumulation de corps n’ayant absolument pas une certaine propriété puisse "créer" cette propriété ? Nous reviendrons sur cette question, qui est souvent escamotée par un discours triomphaliste sur les "propriétés émergentes des systèmes" .

Différencier "matière" et "esprit", en faire deux mondes, l’un inerte et aveugle, l’autre doué de vie et de conscience, mène à des dilemmes qui durent depuis plusieurs siècles. Peut-être la question est-elle mal posée ! C’est du moins l’avis d’un des introducteurs de la pensée orientale en occident, Alan Watts, qui fut aussi un des pères de l’Esalen Institute et du mouvement hippie : "Divisez à tort un même processus en deux, oubliez que vous l’avez fait et demandez-vous ensuite pendant des siècles comment les deux parties ont pu se réunir.(...) Le monde n’est pas plus fait de matière que les arbres de bois. Il n’est ni forme ni matière, ces deux mots désignent un processus unique (...). Nous avons complètement oublié que "matière" et "mètre" dérivent tous deux du sanscrit matr- (mesurer) et que l’expression "monde matériel" ne désigne rien d’autre que le monde vu comme mesuré ou mesurable à l’aide d’images abstraites telles que celles des (...) centimètres, grammes, décibels." La solution pourrait consister à récuser dès l’abord l’opposition de l’étendue et de la pensée, ces deux propriétés étant des "attributs" d’une substance infinie. Nous rencontrons ici la grande Tradition moniste , incluant (entre autres) Baruch Spinoza jusqu’aux spéculations New Age en Occident, et la plupart des courants non-dualistes de l’Orient.

Ces philosophes récusent les fondements de l’opposition matérialisme/spiritualisme. Selon eux, la réalité ultime consiste en une substance sous-jacente, incluant pensée et matière en un Tout. Face aux difficultés du réductionnisme classique, certains physiciens s’approchent, avec les nuances qui s’imposent, d’une telle conception . Or il faut bien voir que cette Tradition se sépare tant de l’athéisme classique que des Religions du Livre. Pour les monistes, il n’y a pas d’âme séparée, donc aucun "Jugement" post-mortem et Dieu est en général immanent, confondu avec le monde. Mais ils récusent aussi l’anéantissement de la conscience ; à la mort, celle-ci réintègre le Grand Tout dont elle est issue.

Thèse : "Matière" et "Esprit" sont des catégories verbales, héritage d’une tradition occidentale périmée. Ces mots ne recouvrent pas le Réel. Nous participons d’un champ infini d’énergie qui est aussi conscience, et prend de multiples formes mais ne doit pas être découpé en aspects opposés.

Aujourd’hui cette théorie est l’apanage de la "nouvelle physique", qui prétend que chaque grain de matière est aussi un grain de conscience . Un animisme modernisé émerge : tout est plein d’âme, et c’est la science qui va le démontrer ! s’écrient ces enthousiastes.

Attention ! Ne réagissons pas de façon sarcastique. A en croire Raymond Ruyer, qui fut professeur à la faculté de Nancy et auteur d’un best-seller philosophique (La Gnose de Princeton), dès les années 1960-70 il existait dans les hautes sphères de la technoscience américaine un réseau d’intellectuels élaborant ce genre d’hypothèses . Mouvement discret et qui serait le symptôme du trouble métaphysique que causent les récentes avancées de la science ! D’autant que les ouvrages dans la même ligne de pensée prolifèrent depuis quelques décennies .

Les successeurs de la Gnose de Princeton considèrent que la physique quantique a détruit la notion de localité, tant au niveau matériel que psychique. Il s’agit là d’une spéculation hautement discutable, et qui n’a plus grand chose à voir avec la science. Mais les expériences de NDE et d’OBE suggèrent que la conscience n’est pas située "à l’intérieur" du cerveau. Ne serait-ce pas un indice fort en faveur de la non-localité de notre esprit ? L’univers physique n’est plus un ensemble d’objets séparés ; il s’agit d’un tout en interaction, la moindre particule influençant les autres et réciproquement . Or, cette interaction généralisée ne se retrouve-t-elle pas au niveau psychique ? Considérer son propre esprit comme une île, n’est-ce pas en rester à une image dépassée, atomistique, du réel ? Nous allons voir qu’en déconstruisant peu à peu le dualisme cartésien, c’est l’ensemble de notre rapport au monde qui va être bouleversé !

2) La fin de l’opposition esprit-matière ?

Au premier abord, les concepts d’esprit et de matière ne semblent pas se réduire à des mots, ils se rattachent à l’expérience de chacun d’entre nous. J’ai bien l’expérience immédiate de "quelque chose", sans étendue, qui est ma conscience et, d’autre part, je vois autour de moi un espace avec des objets. La réalité semble scindée en deux ! Qu’y a-t-il de commun entre des émotions, des concepts, bref tout ce qui fait la valeur de notre vie intérieure, et des volumes, des densité, des corps solides, cet ensemble de "choses" qui meublent l’espace extérieur ? Il semble qu’il existe bel et bien un hiatus : les objets ont des propriétés différentes des sujets ! D’un côté il y a des corps aux contours définis se déployant spatialement et perceptibles, de l’autre il y a des vécus subjectifs que l’on ne perçoit jamais par les cinq sens, et que l’on devine "à l’intérieur d’autrui".

Comment puis-je savoir qu’il y a une conscience en l’autre ? Comment être certain qu’un autre être possède une intériorité semblable à la mienne, une subjectivité ?

Dans La controverse de Valladolid , Jean-Claude Carrière nous fait revivre un épisode déterminant de l’histoire des idées. Nous voilà transportés en 1550, peu après la découverte des Amériques. A la suite d’une longue traversée de l’Atlantique à bord d’une caravelle, un couple d’amérindiens captifs a été amené sans ménagements jusque en Espagne. Un groupe de théologiens examinent ces indiens, enchaînés et traités comme des bêtes, pour déterminer si "les sauvages" sont dotés d’une âme ! Bien sûr, les indiens ne manient point la langue de Cervantés, et ils se sentent apeurés, réduits à l’impuissance. Pendant ce temps, nos doctes théologiens observent de l’extérieur les malheureux et essayent de discerner en eux des signes d’intelligence ! Comme les "indigènes" ne se comportent pas tout à fait selon l’étiquette de la cour d’Espagne, ne mangent pas avec des fourchettes, ne bougent pas comme des nobles, ne supportent guère les vêtements etc., ils se trouvent fortement soupçonnés d’être de simples animaux dénués d’âme.

Nous croyons qu’il est évident de "ressentir" qu’un autre être a une vie intérieure, des pensées et des émotions. Mais il s’agit en fait d’un long processus, requérant de nombreuses conditions. Si, comme dans le cas mis en scène par Carrière, le langage et les codes communs viennent à manquer, il s’avère difficile de percevoir la richesse intérieure d’un alter ego. Qu’en est-il lorsqu’il s’agit d’entités beaucoup plus éloignées de nous ? Comment savoir si elles sont douées d’une intelligence élémentaire, animées par une vie intérieure ?

Cette difficulté nous ramène à notre sujet : les êtres dits inertes ! Rien que pour "observer" l’intelligence chez un frère humain d’une autre civilisation (ou d’un parti politique adverse !), il faut déployer beaucoup d’efforts et supprimer nombre de préjugés ; comment alors arrivera-t-on à découvrir des symptômes de conscience au sein de la matière ?

Il ne s’agit pas de se demander si notre poste de télévision a une vie sentimentale, ni si les fleurs réfléchissent à Kant (elles se faneraient bien plus vite si c’était le cas) ! Mais notons que c’est une particularité occidentale de dénier toute sensibilité, même élémentaire, à la nature et aux objets. Ce parti-pris doit être examiné, car il n’est pas anodin ; au contraire, il comporte des conséquences philosophiques et écologiques majeures. Si tout corps étendu était pourvu simultanément d’une conscience, alors la distinction esprit-matière s’évanouirait. La substance qui compose l’univers serait une "chose" paradoxale faisant l’unité entre la pensée et l’étendue. Mais pour que cette idée fasse sens, il faudrait qu’une forme de conscience existât "à l’intérieur" des particules. On entend par "conscience" non une pensée construite, mais une ébauche de pensée et d’émotion. Hypothèse absurde ? C’est à voir... Qu’est-ce qui me permet d’affirmer que la conscience n’existe que chez les êtres vivants, et plus particulièrement chez les mammifères ?

Nous utilisons trois moyens pour répondre à cette question : la croyance que tout vivant doué de système nerveux possède une forme de conscience ; la communication directe ; l’observation.

On a vu par les expériences de "sortie hors du corps" qu’on peut ne pas faire une équation absolue "système nerveux = conscience". En effet, les OBE et NDE montrent une activité psychique intense "hors" du cerveau, comme si un esprit pouvait fonctionner sans l’appareillage des neurones et autres synapses !

Il est possible de séparer la conscience, momentanément au moins, de son supposé siège cérébral. La conscience résulte-t-elle de la complexification ? Ou bien, est-elle déjà présente partout, constitutive de la matière elle-même ? Nous allons voir que les deux hypothèses rencontrent des obstacles.Si la conscience apparaît par un brusque saut, à quel moment le situer ?

En général on admet que les mammifères supérieurs possèdent une certaine conscience du monde, même si leur conscience de soi est bien moins développée que chez l’être humain. La conscience perceptive existe chez tous les animaux, insectes compris. Une fourmi perçoit son environnement. Mais pourquoi n’attribuer une certaine conscience qu’aux animaux ? A partir de quel critère affirmera-t-on : cet être ressent du plaisir et de la douleur, et cet autre n’est qu’une machine qui semble ressentir, mais ne possède aucune vie intérieure ? A un bout du spectre, on trouve Descartes qui considérait tout animal comme une machine ; battez votre chien, il aura l’air d’avoir mal, mais il ressent autant de choses qu’une canette de bière ! Il donne des signes mécaniques que vous, vous interprétez comme de la souffrance, et qui servent à indiquer l’état de son organisme. A l’autre extrême, certains ont conjecturé que les plantes "ressentaient" la musique ou d’autres émotions !

Par ces différents chemins, on rejoint la question formulée par Leibniz : à quel moment quelques grains de sable deviennent-ils un tas de sable ? Pour ce philosophe, il n’y a pas de ligne de démarcation : "la nature ne fait pas de saut", tout est continu et la conscience existe déjà de façon diffuse dans chaque entité élémentaire. Ce qui voudrait dire qu’une subparticule est déjà "consciente" !

Raymond Ruyer a cette jolie métaphore : "l’étoffe de l’univers est fait d’endroit et d’envers". L’envers, c’est l’extériorité ; vu de l’extérieur, tout être se présente comme un corps soumis aux lois physiques. Mais se percevant de l’intérieur, de son propre point de vue, chaque sujet est une forme de conscience. Pour autrui, chacun d’entre nous ne peut être qu’un objet apparaissant dans l’espace sous forme de corps, alors que pour-soi nous savons que nous sommes un sujet conscient .

Si une bouilloire possédait, elle aussi, une forme de conscience, il n’est pas dit que nous y accéderions, car nous n’avons pas de "langage" commun avec elle. Le système nerveux ne révèle pas si un être est doué de conscience, mais il dote d’outils d’expression et permet de communiquer avec les êtres cérébrés. En Occident, nous dénions l’âme aux autres formes de vie, celles qui ne peuvent pas communiquer avec nous . En observant de façon purement extérieure un objet, un animal, une particule, impossible de savoir si cette entité a, ou n’a pas, une subjectivité ! Allons plus loin. Certaines particules ne présentent-elles pas des "symptômes" de conscience propre ? Après tout, leur indéterminisme, ne serait-ce pas un autre mot pour la liberté, ou la spontanéité d’individus autonomes ?

Essayons de mieux cerner cette conception, qui semble a priori farfelue. Ruyer a le don d’utiliser des images suggestives. Suivons-le : "Imaginons sur une table (...) les pièces d’un jeu de puzzle. Ces pièces resteront indéfiniment en désordre. Un enfant arrive et s’amuse à les mettre en ordre. Dans ce cas, "l’esprit" (la conscience visuelle plus les connaissances sur le jeu) ordonne la "matière" (...). Les pièces matérielles d’un puzzle ne se mettent pas en ordre d’elles-mêmes (...) Mais la "matière" (en microphysique) s’organise bien d’elle-même, dans un espace et un temps "matriciels", analogues à un schéma de test psychologique par complétion et arrangement selon un sens."

Etre conscient, c’est constater la présence d’autrui. Or tout objet, même infinitésimal, réagit par avance aux mouvements des autres particules. Par cette simple réaction, on peut reconnaître l’ébauche de ce qui, réfléchi en notre cerveau, donnera la "conscience". Ce que Ruyer explique ainsi : "(les particules réagissent) comme si elles étaient, tout à la fois, les pièces de carton du puzzle et les images de ces pièces dans le champ visuel de l’enfant qui les arrange.(...) Normalement, toute matière est déjà esprit en ce sens qu’elle se "voit" elle-même et s’organise elle-même dans son champ de vision." Dans cette perspective, l’organisation cérébrale ne "crée" pas la pensée, elle lui permet de se rendre visible, de se penser elle-même. Ce raisonnement permet la croyance en une certaine manière d’immortalité. En effet, si je suis "totalement présent" et conscient dans chacune des particules de mon cerveau, lorsqu’elles se disperseront je continuerai d’exister d’une certaine façon - c’est la doctrine du physicien Jean Charon, par exemple.

Belle hypothèse ! A croire ces théoriciens, tout est doué de conscience, la conscience existe associée à n’importe quel état d’organisation. En modifiant les échanges au sein d’un organisme, ses diverses propriétés devraient donc changer, sauf une seule, la conscience, puisqu’elle réside en quelque sorte au-delà des propriétés du système. Evidemment, le seul organisme dont nous puissions constater la conscience, c’est notre propre cerveau ! Or nous faisons une expérience gênante : nous "perdons" chaque nuit cette conscience ! Ceci constitue un contre-argument évident : la conscience semble bien la propriété d’un état particulier du cerveau, la veille, et non un constituant des particules élémentaires. De plus, si notre conscience s’efface avec le sommeil, cela constitue un indice sérieux pour penser qu’à la mort elle disparaît de façon encore plus radicale !

Voyons ce que peut nous dire la science. Pendant le sommeil, il existe une forme de pensée : lorsqu’on réveille des sujets à quelque phase du sommeil que ce soit, même les plus profondes, ils peuvent immédiatement se souvenir qu’ils avaient une activité mentale. Images, pensées fragmentaires, etc., existaient . Il semble que la même remarque s’applique en ce qui concerne le coma, état encore plus "endormi". Ainsi, contrairement à ce que l’on croit naïvement, la conscience ne semble pas interrompue par le sommeil ; la plupart du temps, nous ne nous souvenons pas de nos rêves, et pourtant ils sont bien là ! La pensée non plus ne s’interrompt jamais complètement. Les recherches actuelles en neurologie semblent indiquer que la conscience n’est pas localisée dans une zone spécifique du cerveau. Elle serait globalement présente, comme "dispersée" dans le cerveau entier - ou comme effet global des rétroactions neuronales.

Ainsi, la conscience subsiste malgré les différents stades cérébraux, un peu comme si elle était indépendante des échanges neuronaux. De plus, la théorie de la conscience élémentaire constitue une réponse élégante à un problème récurrent du matérialisme : le problème de l’apparition de la conscience.

Il est difficilement compréhensible qu’une somme de mouvements mécaniques microscopiques puisse produire la conscience. Ou encore, que l’assemblage de particules mortes finisse par donner la vie. Il y a un inexplicable saut qualitatif !

Les échanges chimiques ne se réduisent-ils pas à une classe de mouvements (électriques) ? Mais la nature du mouvement est trop étrangère à la nature de la pensée pour que l’une puisse résulter de l’autre. Ici, Descartes nous aidera à saisir la difficulté : la pensée est intensive ; une émotion, un concept ne sont pas "spatiaux". Ce sont des qualités pures. Au contraire, tout ce qui relève du monde matériel s’étend spatialement. Comment, en ajoutant des étendues, obtiendrait-on ce qui n’a pas d’étendue ? La différence entre le mouvement et la pensée n’est pas quantitative ; ce n’est pas en complexifiant les mouvements que l’on finira par obtenir des idées, concepts, émotions, etc. C’est comme si on disait qu’en ajoutant des sons, on finira par obtenir des couleurs !

Soit il faut décréter que la subjectivité, ce pur inobservable, n’existe pas. Cette position aurait été soutenue par des psychologues comportementalistes extrêmes. Soit il faut que la conscience se trouve, à l’état latent, dès l’origine. Teilhard de Chardin supposait une conscience élémentaire, qui existe de façon "délayée" dans toute matière. Elle n’apparaît pas brusquement, ni la vie d’ailleurs. Au niveau élémentaire est associé un esprit élémentaire, les petites "briques de conscience" s’ajoutant pour donner une pensée de plus en plus réflexive. On rejoint une forme de monisme : conscience et matière ne se distinguent pas. La vie et l’intelligence manifestent et déploient ce qui était contenu implicitement dans la matière. Il n’y a rien de nouveau, il n’y a que passage du potentiel à l’actuel. Et si la matière était déjà consciente ? La théorie selon laquelle la conscience existe à l’état élémentaire dans la moindre parcelle de "matière" rend compte de nombreux faits : organisation immanente de la matière, persistance des pensées durant tous les stades cérébraux et même en sommeil profond. Ainsi, l’énigme de "l’apparition" brusque de la conscience ne se pose plus.

3) L’expérience chamanique.

Ce n’est sans doute pas un hasard si les spéculations du style Gnose de Princeton naissent dans le milieu universitaire américain, au cours des années hippies. La conscience n’est-elle pas partout présente, tout ne vit-il pas ? Ce genre de question échappe visiblement au "bon sens", mais elle n’est pas forcément vide de sens ! Elle procède en réalité d’une masse d’expériences tout à fait concrètes et vécues par des millions d’Occidentaux. Je veux parler ici des drogues. Il serait vain de cacher cette source de réflexion pour les générations récentes. Les substances hallucinogènes ont procuré des expériences fondamentales, obligeant à remettre en question du tout au tout les délimitations habituelles sujet-objet, intérieur-extérieur. Sous drogues (nous nous référons ici au L.S.D., au peyotl...), certains individus ont perçu un sentiment d’unité avec l’univers entier, d’autres ont pu "projeter" leur conscience dans un chien ou un homard . Ainsi, la plasticité de la psyché humaine s’est traduite pour eux en une ubiquité réelle et ontologique de la conscience. Les théories dites New Age constituent alors une rationalisation, après-coup, d’un bouleversement de la sensibilité.

Si l’expérience des hippies est discutable, il n’y a pas que sous l’effet de substances hallucinogènes que le monde a été perçu différemment. Un certain nombre de vécus intérieurs amènent la personne à ressentir l’univers comme un grand être vivant, ou un océan de conscience.

Mais l’interprétation de ces expériences est-elle correcte ? Le nouvel animisme auquel aboutissent ces spéculation est-il cohérent ?

Conclusion : une danse d’énergie... sans rime ni raison ?

La théorie New Age rencontre des difficultés. Elle se réclame volontiers du Taoïsme, identifiant celui-ci à un pan-énergétisme. Tout est énergie, il faut se fondre dans le flux cosmique sans chercher à trop comprendre... Vision qui dérive vers les conceptions les plus nébuleuses. Dire que la matière est de l’énergie, tout comme la pensée, cela ne répond pas à un certain nombre d’interrogations profondes, dont on ne peut pas faire l’économie : d’où vient cette matière-énergie ? Est-elle créée ou éternelle ? Y-a-t-il une finalité à cet univers ? Ou bien est-ce une simple "danse cosmique" qui nous entraîne en des cycles de déploiement et de retour sans issue ? Et quel est précisément le rapport entre l’univers et moi ? Suis-je une cellule du Grand animal cosmique, ou bien ai-je une part d’autonomie et de responsabilité ?

On ne peut pas admettre facilement les théories de la "Nouvelle physique". Elles se fondent sur un grand nombre de conjectures plus ou moins possibles, mais invérifiables. Les spéculations qui attribuent une conscience aux électrons et autres particules finissent par se réduire à une pure et simple croyance ! Quelle expérience cruciale concevoir, qui permettrait de vérifier ou d’infirmer cette hypothèse ? Elle relève au mieux d’une illumination mystique difficile à communiquer. Bien sûr, l’auto organisation de la matière nous émerveille, et tend à contredire le réductionnisme. Mais cette intelligence à l’oeuvre dans l’univers pourrait s’expliquer par un Dieu transcendant et immanent, ou par l’aptitude humaine à projeter de l’ordre sur tout phénomène même aléatoire. Le cerveau humain crée constamment du sens à partir de données incohérentes, comme l’ont montré diverses expériences en psychologie sociale .

On en arrive donc à une position proche de celle de Kant : le noumène - ce qui se tient sous les apparences -, reste inconnaissable, et échappe peut-être à nos catégories habituelles d’espace-temps. La réalité ultime s’éloigne de nos perceptions communes, mais faut-il aller plus loin à ce stade de notre enquête ?

Qu’il s’agisse des plus anciennes versions du monisme, des hypothèses du physicien Jean E. Charon, ou du "paradigme holographique" le plus récent, exposé de façon complète par Michael Talbot, l’origine de cette conscience-énergie reste en suspens ! A vouloir évacuer le Créateur, on se retrouve dans un matérialisme élargi, l’univers s’expliquant par une ronde de cycles attribués à une matière incréée. Mais est-ce bien le cas ? L’explication métaphysique ultime se réduit-elle à cette vision d’un déploiement d’énergies, ou y a-t-il un Dieu bon et intelligent qui oeuvre derrière ce processus ?

Synthèse : Les limites du monisme New-Age L’inconvénient de la théorie qui considère le Tout comme un champ unifié de conscience-énergie est que cette idée ne forme pas une vision de l’univers. Elle élude plusieurs questions-clefs, notamment sur l’origine et la finalité du cosmos.

A cette étape de la connaissance, il me semble aventureux, sinon impossible, de trancher entre les multiples interprétations de la physique. Certains auteurs prétendent que leur parole vient du fond du laboratoire, et que la science actuelle "démontre" une vision holographique du cosmos. Nous ne pouvons accepter un tel argument d’autorité .

La réflexion sur le comportement des particules nous a montré une difficulté : il n’est pas si facile de tracer la frontière un phénomène "mental" et un phénomène "physique" ! Les "objets" quantiques alimentent les spéculations les plus étranges, leur complexité fascinante devient un miroir de l’esprit. L’évidence d’une "intelligence" animant la matière à ses niveaux les plus profonds ne doit pas faire d’elle une nouvelle idole !

Par EJD, philosophe


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