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La Lumière, les Lumières

La Lumière, les Lumières, sont un beau sujet.
Les mots ne sont pas des vecteurs de pensées, innocents, objectifs. De même que les symboles, ils ne sont pas de simples supports. Ils portent en eux des charges morales, de bonté ou de malfaisance, de plaisir ou de douleur.

Ainsi en est-il de la Lumière et des Lumières. Qu'évoqueront pour vous, sans même rechercher à quoi je les rapporte, les mots suivants ? N'est-il pas exact qu'ils recèlent une charge positive magnifiquement forte, ancienne, inscrite dans leurs sens et dans notre inconscient. Lumière, Clarté, Eclairé, Illumination, Eblouissant, Enluminé, Lumineux...

Même Eblouir et Eblouissant, qui, à tout prendre, ne traitent de rien d'autre que de l'effet d'un excès de lumière sur l’œil, et qui d'un point de vue quasiment médical devraient avoir un rapport avec la douleur oculaire, ou l'aveuglement, ou le trop-plein, bénéficient malgré tout de ce contenant positif attaché à la lumière, et prennent dans le langage commun des sens figurés qui s'éloignent de la signification première négative. Ainsi dire d'une planche tracée qu'elle est éblouissante, n'est pas spécialement la dénigrer... Alors que le sens premier du terme pourrait signifier que sa qualité est tellement brillante qu'elle aveugle ceux qui l'entendent et les empêche de la comprendre. Mais ce n'est pas le cas.

C'est pour cela que je dis que la Lumière est un beau sujet. Ces multiples connotations positives de l'ensemble des mots dont les racines sont communes avec Lumière, ces multiples sens-figurés qui usent de la lumière : un homme éclairé, un discours lumineux, une explication claire, le Siècle des Lumières (dont la Franc-Maçonnerie est fille), toutes ces utilisations abusives des termes, stricto sensu, qu'on appelle métaphores, ne sont pas des hasards. On les retrouvera dans toutes les langues que nous connaissons (comme le delightful, anglais, qui porte la racine light et signifie délicieux), et même, j'en suis persuadé, dans les langues que nous ne connaissons plus : Cela signifie simplement que depuis les siècles des siècles, l'être humain a compris, sait intimement, que la Lumière est tout simplement bonne.

Et, comme une évidence naturelle, notre Ordre Maçonnique est tout entier placé sous la bienveillante égide de cette lumière :

- Elle nous baigne, nous conduit et nous protège depuis le jour de notre initiation où, profanes, nous étions dans les ténèbres et avons reçu la lumière. Depuis le jour ou nous avons commencé nos travaux dans la Loge qui est un lieu très éclairé.

- Elles sont là, devant nous, les Trois Grandes Lumières, sur lesquelles nous avons prêté serment. Le Volume de la Loi Sacrée qui nous dirige, l'Equerre qui règle nos actions et le Compas qui trace la limite à observer dans notre conduite avec nos semblables.

- Elles sont là, devant nous, les Trois Petites Lumières, symbolisées par les trois colonnettes supportant les étoiles, la force, la sagesse et la beauté de notre Temple.

- Ils sont là, parmi nous, les cinq Lumières de l'Atelier, les Frères officiers qui éclairent notre loge.
- Ils sont là, à l'Orient, les luminaires, le Soleil qui gouverne le jour, la Lune qui impose un peu de lumière aux ténèbres de la nuit, le Vénérable Maître qui gouverne la Loge. De l'Orient où point le soleil pour ouvrir la carrière du jour, le Vénérable Maître de la Loge dirige les Frères dans les voies qui nous sont tracées. Comment les dirige-il, sinon en éclairant leur chemin?

- Il est ici, le Delta Rayonnant... La loge est à l'évidence un lieu très éclairé parce que ce ne sont pas les lumières qui y manquent. Et cela est bon, et cela est cohérent.

Il existe des symboles qui sont des créations intellectuelles. Ceux là sont définis par convention. En revanche, certains autres imposent leur évidence à la raison. Ceux là touchent réellement à l'universel de l'humain. La lumière est l'un d'eux. Nous en traitons au plan symbolique parce que c'est là notre méthode de travail, mais toutes les cultures lui reconnaissent cette puissance signifiante. La Lumière est ce par quoi l'invisible dans les ténèbres devient visible. Ce par quoi le caché menaçant devient éclairé et bienveillant. Ce par quoi l'erreur devient vérité. Le symbole jouxte ici sans cesse avec la réalité physique. Symbolique et physique s'entremêlent, se confortent, se nourrissent l'une de l'autre.

Au départ, dans la caverne ou l'homme n'est pas encore Maçon parce qu'avant de rechercher le perfectionnement moral, il faut survivre, cet homme sait que les ténèbres ne sont pas bonnes parce que s'y aventurer est physiquement dangereux. Mais très vite, l'homme pense... Et c'est sa grandeur de ne pas se limiter à la recherche du survivre, puis du vivre, puis du bien vivre. Sitôt qu'il est rassasié, qu'il n'a pas froid, que sa sécurité est assurée, bref, sitôt que l'animal qui est en lui est satisfait, il pense et s'interroge. La mort, les saisons, les Dieux...tout lui fait question. Alors, de même que la lumière physique était le bien dans sa quête du survivre, de même il sait qu'une lumière morale, l'embryon de notre Lumière symbolique, est le bien dans sa quête de la vérité.

Il a vu que la lumière physique était bonne et nécessaire pour chercher sa nourriture, il ressent que la Lumière symbolique est bonne et nécessaire pour résoudre les questions qui le taraudent.
Bien des siècles plus tard, la Franc-Maçonnerie reçoit et adopte telle- quelle cette équation. La Lumière n'est pas un symbole, elle est à la fois le symbole et l'expression d'une réalité : le perfectionnement moral des Franc-Maçons et de l'humanité passe par elle. La recherche, quelle qu'elle soit, est toujours recherche de la vérité. La lumière n'est pas la vérité, elle est le chemin vers la vérité.

C'est pour cela que l'Initiation n'est pas un passage des ténèbres à la lumière qui doit se comprendre comme le passage de l'erreur à la vérité. Il ne faut pas mal interpréter le symbole de la réception de la Lumière. Le profane qui, soudain, reçoit la lumière, ne reçoit pas une forme de grâce. Aucune connaissance transcendante de son quotidien ne lui est soudainement révélée. Il ne faut pas même qu'il se trompe lui même et qu'il croie cela. En aucun cas il ne doit se dire : « J'étais dans les ténèbres, je ne savais pas. Maintenant j'ai reçu la lumière, je sais. » Quelle erreur dommageable à sa progression future ce serait !

A l'issue de l'initiation, lorsque le profane a reçu la lumière, il n'a fait qu'un pas vers la vérité et le perfectionnement qui est notre but. Il a tout simplement, mais fondamentalement, été admis dans un lieu éclairé. Cela signifie un lieu où l'on a la possibilité de marcher vers la vérité, alors que les ténèbres rendent dangereuse cette progression, plus susceptible d'erreur, plus ardue.

Bien sûr, on peut marcher dans la nuit noire. Ce n'est pas impossible, c'est simplement beaucoup plus difficile qu'en plein soleil. Bien sûr, on peut progresser dans le monde profane, ce n'est pas impossible, c'est simplement plus difficile, plus dangereux, plus susceptible d'erreurs que dans la Loge, Monde initiatique baigné de lumière.

Dès lors, il me semble que la mission est clairement définie. La lumière n'est pas la vérité et n'est pas une fin, elle est le moyen qui permet d'accéder à cette vérité que par extension elle symbolise. Donner la lumière est un présent qui n'est utile qu'à celui qui veut marcher vers la vérité. Ce n'est qu'éclairer son chemin, ce n'est rien, et, naturellement, c'est tout.

Dans ce contexte, recevoir la lumière n'est que recevoir la possibilité de faire un premier pas sûr, au début d'un long chemin qui est le perfectionnement. Les Maçons peuvent être les vestales qui couvent cette lumière dans leurs abris sûrs et éclairés. Après enquête, ils la donnent à ceux dont ils estiment qu'ils en sont dignes. De même qu'indiquer une direction à celui qui est perdu, ce n'est pas l'emmener à bon port, mais il est impossible de l'emmener à bon port. Le perfectionnement de soi doit venir de soi. C'est aussi une forme de fraternité que de laisser à son frère la possibilité de se tromper, de se ressaisir, de se tromper encore, pour finalement, demeurer dans la bonne direction. Je ne peux ici m'empêcher d'évoquer cette image : la Franc-Maçonnerie donne la lumière à ses frères profanes, comme le phare donne la lumière au navire égaré. C'est loin, c'est peu, c'est vacillant parfois, mais quand le profane égaré et le navire en détresse aperçoivent au loin cette lueur, ils se savent sauvés et leur cœur est plein d'allégresse.

Ainsi, donner la Lumière est un acte d'humilité. Ce n'est pas dire voici la vérité, mais c'est dire « Voici le chemin de la vérité, viens, toi qui la cherche...cherchons là ensemble ! ». Donner la lumière est l'aveu que nous ne savons pas la vérité, mais que nous prêtons la torche pour éclairer le chemin et avancer ensemble : c'est l'acte de fraternité le plus total qui soit.

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