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Comment et pourquoi la notion de vivre ensemble s’est-elle imposée
depuis l’apparition de l’Homme ?

En cette période un peu troublée, où la télévision nous montre quasi quotidiennement des images de violences entre forces de police et jeunes en colère, de jets de pierre et autres bombes lacrymogènes ici ou là sur la planète, vivre ensemble semble relever de l’incroyable, du pas logique. Et pourtant, depuis près de 12000 ans les hommes se côtoient, échangent, rient, pleurent, vivent et meurent en société. Ce qui est le plus étonnant c’est l’étonnement que nous manifestons à pouvoir le faire. C’est comme si chacun de nous savait ne pas pouvoir vivre sans les autres tout en sachant ne pas sans pouvoir ne faire autrement ou peut-être ne voulant pas vraiment faire autrement. D’où la question qui nous est posée : « Comment et pourquoi la notion de vivre ensemble s’est-elle imposée depuis l’apparition de l’Homme ? »

Je me propose de traiter ce sujet sous deux angles, induits par la question elle-même : comment (dans une optique historique) Homo Sapiens, l’homme sage, a fini par inventer la civilisation, je devrais dire les civilisations, en créant les sociétés dans lesquelles nous vivons aujourd’hui, et
pourquoi selon quelques philosophes il ne pouvait en être autrement.

Il y a douze mille ans, l’homme prend un tournant décisif : il sort de la préhistoire et pose les fondations des premières civilisations. En quelques milliers d’années, Homo Sapiens abandonne sa vie de nomade pour s’installer dans les premiers villages. Il se sédentarise, invente l’agriculture, l’élevage, le commerce, les religions, la roue, la métallurgie, l’écriture, l’architecture… Il construit des cités et imagine une société complexe, organisée, hiérarchisée. Il communique grâce à l’écriture, échange ses biens et son savoir à travers les continents. En 8 000 ans, la population de la planète passe de trois millions à cent millions d’habitants.

Sur son chemin, de nombreuses épreuves l’attendent. L’esprit de propriété engendre les premières guerres, le bétail provoque des épidémies ravageuses, la surpopulation des famines… Mais Homo Sapiens Sapiens continue inlassablement à construire la société qui est aujourd’hui la nôtre. Et à s’interroger sur sa capacité à vivre ensemble :

Dans un deuxième temps je me propose de vous livrer les réflexions de quelques philosophes choisis, sur la nécessaire sociabilité de l’Etre Humain.

1) L’invention de la société

De 12000 à 10000 avant notre ère : LES PREMIERS VILLAGES ET LA SÉDENTARISATION

C’est dans la région du Levant, qui s’étend de la Palestine au Zagros, qu’apparaissent entre 12000 et 8000 ans avant notre ère les premiers villages néolithiques, des agglomérations de cabanes de plain-pied ou à demi enterrées dans des fosses rondes. La sédentarisation survient avant l’émergence définitive de l’agriculture et de l’élevage : on s’installe dans un environnement qui présente les ressources nécessaires en eau et en nourriture, particulièrement en graminées, poissons et animaux à viande. Il est possible que la consommation de céréales ait aidé à la sédentarisation. En effet, pour les consommer, l’homme doit broyer les grains pour en faire de la farine. Et le matériel nécessaire pour broyer est lourd et impossible à transporter dans un style de vie nomade.

LA NOUVELLE ORGANISATION SOCIALE

La vie en village implique que les différents villageois se soumettent à des règles de vie communes, librement consenties. Tout le monde se connaît et les tensions se règlent collectivement.

SÉDENTAIRES/NOMADES

Les densités beaucoup plus fortes des sédentaires leur permettent d’évincer les nomades du seul fait de leur nombre. En conséquence, dans la plupart des régions de la planète se prêtant à la production alimentaire, les nomades n’ont souvent d’autres choix que de se sédentariser.

Un autre élément clé de cette opposition est la notion de propriété (familiale ou clanique), née avec la sédentarisation et l’accumulation des biens. Les sédentaires voient l’étranger comme une menace potentielle. Ils ont peur pour leurs biens et craignent ceux qui pourraient prendre le fruit de leur travail.

LA DOMESTICATION DU CHIEN

Le chien est la première espèce animale à être domestiquée par l’homme, dès la fin du Paléolithique, en plusieurs points de l’Eurasie. Il est le résultat d’une évolution génétique du loup, provoquée par l’homme. Le chien domestiqué est utilisé pour se protéger contre les prédateurs, consommer les déchets, monter la garde, etc. Il est également possible que l’usage de l’arc, qui permet de tuer à cinquante mètres, favorise l’association du chien à la chasse.

De 8000 à 6000 avant notre ère :

AGRICULTURE ET IRRIGATION

C’est lors de cette période que s’amplifient les expériences agricoles dans les villages de chasseurs-cueilleurs du Levant : apparaissent alors, au voisinage des habitations, les premiers «champs », concentrations artificielles de céréales sélectionnées par l’homme. Au même moment
ont lieu les premières tentatives d’irrigation : des canaux alimentés à partir des rivières marquent le début d’une technique qui connaîtra son véritable essor vers 6 000 avant notre ère et favorisera la sédentarisation. L’irrigation va permettre aux populations de produire une plus grande quantité de céréales et de mieux nourrir les membres de la communauté.

L’ARCHITECTURE

Très vite, les hameaux composés de quelques maisons deviennent des villages de plusieurs dizaines d’habitants à mesure que la population croît. Les maisons rondes, difficilement extensibles, sont peu à peu remplacées par des maisons rectangulaires, auxquelles on peut plus facilement ajouter des pièces.

LA TRIBU

De taille plus importante, la tribu diffère surtout de la bande en ce qu’elle est constituée de plusieurs groupes – les clans – alliés entre eux par les mariages. Les tribus ont un système social « égalitaire », sans hiérarchie. Aucune position n’est héréditaire, aucun membre d’une tribu ne peut accumuler une richesse disproportionnée. L’économie repose sur des échanges réciproques entre individus et familles. La spécialisation économique est peu développée : les artisans spécialisés manquent et tous les adultes valides participent à l’agriculture.

CONFLITS, PROPRIÉTÉ ET ÉCHANGES

La croissance démographique associée aux débuts de l’agriculture donne naissance à un concept jusque-là réservé aux biens mobiliers : la propriété. Les clans se réservent leurs terres, leurs stocks, leurs surplus, se protègent les uns des autres, le village se protège vis-à-vis des étrangers… Des conflits éclatent entre familles et commencent à faire vivre une notion jusque-là peu développée : la richesse. Posséder des biens et en accumuler commence à avoir une incidence sur ce que l’on peut faire ou obtenir des autres. Le surplus alimentaire permet aux populations les plus riches de se procurer des biens et des matériaux qu’elles n’ont pas à leur disposition, au moyen du troc entre clans mais aussi entre villages. Ainsi se mettent en place des réseaux d’échanges entre régions qui favorisent l’émergence de métiers non directement productifs de nourriture. Une porte s’ouvre sur la spécialisation.

PRÉMICES DE LA CÉRAMIQUE

Les premières statuettes en terre cuite sont modelées à partir de cette période, en Turquie, Syrie et Palestine. Elles représentent le plus souvent des personnages féminins.

De 4000 à 3000 avant notre ère :

NAISSANCE DE LA CHEFFERIE

L’essor démographique conjugué à une plus grande production alimentaire favorise la spécialisation des tâches. De nouvelles activités font leur apparition : éleveurs, potiers, tailleurs de pierres, maçons, commerçants...des classes sociales commencent à se créer. La communauté a
maintenant besoin d’un chef pour gérer les conflits entre individus et clans, les besoins collectifs et les richesses. Le chef détient l’usage de la force et prend les décisions importantes pour la collectivité. Souvent héréditaire, le statut de chef exige alors des marques rituelles de respect. Autre conséquence sur le village, un bâtiment plus important que les autres est érigé pour l’exercice du pouvoir. Pour asseoir son autorité, le chef s’associe au pouvoir religieux : il revendique un accès direct aux forces divines et invisibles, entretient les croyances aux forces surnaturelles, leur donne une fonction sociale et rituelle et les transforme en religion. Pour appeler la pluie, les bonnes récoltes ou la guérison des maladies, il s’intronise directement grand prêtre ou s’associe aux religieux pour justifier son pouvoir. Pour pérenniser leur pouvoir, certains chefs vont jusqu’à se promouvoir d’ascendance divine. Ainsi voit-on naître des édifices religieux importants. Lieu de pouvoir divin construit par le pouvoir politique avec les richesses du peuple.

ÉLEVAGE ET DOMESTICATION

Bovins, moutons, chèvres, cochons…, sont les premières espèces à être domestiquées. L’élevage des animaux entraîne de nouvelles contraintes pour les sociétés humaines : il faut les surveiller, les soigner, les nourrir, collecter leur production… Après l’avoir chassé pour sa viande et sa peau, l’homme domestique le cheval, lequel achève de révolutionner les sociétés humaines en devenant le principal moyen de transport terrestre jusqu’à l’essor des chemins de fer au XIXe siècle. Son usage transforme la notion de distance, facilitant le commerce mais aussi les grandes conquêtes.

ÉPIDÉMIES

Les épidémies naissent avec l’intensification de l’élevage et la formation de populations humaines denses : les eaux usées et la promiscuité favorisent le développement des bactéries et la propagation des virus et des microbes. Car les animaux sociaux comme la vache ou les cochons sont porteurs de maladies épidémiques qu’ils peuvent parfois transmettre à l’homme. Ainsi apparaissent la rougeole, la tuberculose, la grippe et la petite vérole.

LE BRONZE ET LA ROUE

Le bronze – alliage d’étain et de cuivre – permet de fabriquer des objets plus solides, plus rigides et plus tranchants. L’introduction du bronze constitue une innovation technique qui accélère le processus de croissance économique et territoriale. Il permet une plus grande productivité et donne une puissance déterminante à ceux qui maîtrisent les forges. Une autre invention se répand rapidement et va considérablement modifier les moyens de transport, la roue. Elle est pour certains peuples le moyen direct d’étendre leur royaume et de conquérir d’autres peuples.

De 2500 à 2300 avant notre ère :

NAISSANCE DE L’ETAT

La Cité État est formée d’une multiplicité de villages fédérés autour d’une capitale où le pouvoir central est localisé. L’État est composé de plusieurs centaines de milliers de personnes, n’appartenant pas tous au même ensemble linguistique ou ethnique. L’administration publique est nécessairement complexe et les échelons hiérarchiques se multiplient. L’organisation de la vie quotidienne est devenue plus formalisée du fait des lois, de la justice, de la police. Les premiers États ont un chef héréditaire doté d’un titre équivalent à celui de roi, jouant le rôle de chef suprême et détenant un monopole encore plus large de l’information, de la décision et du pouvoir. Nombre de rois primitifs, considérés comme divins, ont droit à d’innombrables égards. L’État crée une armée pour protéger son territoire et, le cas échéant, en conquérir de nouveaux. Il est doté d’une religion officielle et fait construire des temples bâtis sur le même modèle. L’État promeut de grands projets publics, systèmes d’irrigations, ponts, palais, etc., et se sert des populations asservies lors des conquêtes pour effectuer ces grands travaux.

GUERRES ET ESCLAVAGE

Nombre d’États primitifs, peut-être la plupart, recoururent largement à l’esclavage parce que la spécialisation économique accrue, avec le développement d’une production en série et de travaux publics, ouvrait de nombreuses possibilités au travail servile. Par ailleurs, les guerres étatiques ayant davantage d’ampleur, les captifs devenaient plus nombreux.

SYSTÈME DE COMPTABILITÉ ET NAISSANCE DE L’ÉCRITURE

L’invention de l’écriture est le fait des Sumériens, en Mésopotamie, un peu avant 3 000 ans avant notre ère. Les premiers écrits sont des comptes tenus par les bureaucrates des palais et des temples. La connaissance de l’écriture est réservée à des scribes professionnels à la solde du
pouvoir et qui vivent sur les excédents alimentaires produits par les paysans. L’écriture devient la clé du pouvoir de la Cité, elle diffuse dans les territoires lointains le savoir, les lois et la propagande de la capitale. Mais bientôt elle servira à transmettre et à diffuser le savoir sur toute la planète. L’écriture, c’est aussi le début de l’histoire et des grandes civilisations.

La réalité historique est là, les hommes ont peu à peu appris à vivre ensemble, vraisemblablement d’abord pour assurer la survie de l’espèce dans des milieux hostiles. Mais au fur et à mesure que le temps passait, l’homme a appris à maîtriser son environnement sans pour autant renoncer à vivre ensemble. Il lui a souvent fallu lutter non plus contre l’hostilité de l’environnement mais contre l’hostilité de ceux qui l’environne. Ainsi sont nées les premières grandes civilisations, ainsi est née la civilisation.

2) la sociabilité humaine

Un esprit pessimiste, voyant ce qui se passe actuellement dans notre pays et un peu partout dans le monde pourrait considérer qu’il faut une force extérieure considérable pour maintenir les hommes ensemble, car ils ne semblent vraiment pas sociables. Pourtant, l’édification de toute l’histoire s’est sédimentée dans des institutions sociales et nous vivons dans un monde qui est ce qu’il est grâce au dynamisme de la société. Ne devons-nous pas après tout ce que nous sommes à la société ? N’est-il pas naturel pour l’homme de se sentir membre d’une société ?

Si l'homme fait partie de la Nature, il faut bien que d'une certaine manière, la société humaine soit naturelle. Dans une interprétation finaliste de la Nature, il devrait y avoir une explication naturelle de l’existence des sociétés humaines. Dans l’Antiquité, Aristote partait du principe que la société humaine est aussi naturelle que la société animale.

L’homme par nature est un animal politique. On l’a vu plus haut, le lien entre les hommes est d’abord celui que tissent les besoins naturels et c’est en fonction de la complexification des besoins que se comprend l’édification de la Cité. De ce point de vue, il existe une sociabilité naturelle qui remonte à la communauté de la famille.

Afin de pourvoir satisfaire aux besoins qui ne sont plus quotidiens, les familles doivent s’unir et c’est ainsi que se structure le village. Les villageois sont ceux qui s’entraident pour la satisfaction de besoins que chacun ne pourrait pas satisfaire à lui seul.

Quand plusieurs villages s’assemblent naît alors la Cité, dont la vocation première, selon Aristote, est l’autarcie, l’indépendance économique. La Cité vient achever le processus de socialisation. Il y a une continuité naturelle, en sorte que la société paraît avoir été voulue par la Nature, en vertu de la finalité naturelle. La structure du tout est antérieure aux individus et il n’y a d’individu qu’au sein d’une société, de même qu’il n’y a d’organe qu’au sein d’un corps. La société est un corps social dans lequel chacun trouve sa place et dans lequel la vie nourrit chaque individu. La thèse d’Aristote s’appuie sur une conception finaliste et organiciste de la Nature. Toujours est-il qu’il en résulte que l’individu – parce qu’il ne peut pas se suffire à lui-même - n’a sa place qu’en tant que membre organique de la Cité. Ce qui caractérise la condition humaine, c’est la dépendance d’une multitude de besoins, et il est naturel que les hommes vivent unis dans un tout social, qui est lui-même un tout qui fait partie de la grande totalité de la Nature.

Cette idée que le Tout est supérieur à la partie se retrouve dans la conception, cette fois-ci religieuse du Grand Être d’Auguste Comte qui soutient que vouloir penser l’individu indépendamment de la Société est une absurdité. La Société n’est pas décomposable. Elle existe avant la naissance de chaque individu et existera encore après sa mort. Elle est le corps mystique de l'humanité, dont chaque homme est une simple cellule. Nous ne pouvons pas fragmenter ce qui est indissociable. En tant qu'individu, je dois tout ce que je suis à la Société. J'ai reçu de la société ma langue, ma culture, mon savoir, mes usages, mes pensées, mes espoirs, mon avenir, mon éducation ma culture. L'individu qui serait pensé à part, ne peut pas exister.

L'individualisme est une aberration, car il pense l'existence de manière fragmentaire, alors qu'elle est toujours prise dans un tout qui la dépasse. Pour comprendre l’existence sociale, il ne faut pas la dissoudre, mais au contraire montrer la dépendance étroite qui lie la partie au tout. Cette
dépendance de l’individu à la société justifie le fait que nous « naissons chargé d’obligations de toute espèce, envers nos prédécesseurs, nos successeurs, et nos contemporains ». Comte en déduit qu’il n’y a pas de « droit » de l’individu, contrairement à ce que nous pensons, il n’y a que
des « devoirs » envers la Société, qui est comme le corps mystique de l'Humanité qui nous a engendré. Le positivisme accrédite la naissance de la sociologie qui se développe après lui avec
E. Durkheim. Si la mystique du « Grand Être » disparaît, par contre la réification de la « société » y trouve toute sa place et le commencement de sa longue carrière. Le « social » y recevra un statut de réalité en soi, réalité dont une étude objective devient possible.

Chez l’animal, le Tout importe davantage que la partie, l’espèce compte plus que l’individu. S’il en était de même chez l’homme, alors, peut-on se demander, comment pourrait-on faire la différence entre une société animale et une société humaine ?

La réponse que donne Aristote est très importante : la sociabilité humaine est liée au langage. La nature en effet, selon nous, ne fait rien en vain ; et l’homme, seul de tous les animaux possède la parole. La communauté humaine est naturelle de fait, mais elle est fondée sur le langage. Ce qui
change tout.

Changement avec les auteurs du XVIIIème siècle, en disant que la sociabilité chez l’homme n’est pas naturelle, mais qu’elle résulte seulement d’une convention, admettent que le passage de l’état de nature à l’état social suppose une convention implicite passée entre les hommes. L’homme vit en société seulement parce qu’il en tire des avantages, non pas parce qu’il y est naturellement porté. Accepter des règles suppose que nous reconnaissions qu'il est nécessaire de respecter en commun des lois qui s’appliqueront dans la société et que tous auront avantage à voir appliquées. Si nous ne sommes pas spécialement portés à un élan d'altruisme et de générosité vers les autres, du moins pouvons nous reconnaître que c'est dans notre intérêt à tous que les règles sociales soient correctement respectées.

Ainsi, logiquement toute société remonte à une première convention par laquelle elle a été instaurée. C'est une nécessité logique. Un implicite qu'il convient de rappeler quand on l'a oublié et que la rupture menace. Dans le Discours sur l’Origine de l’Inégalité parmi les Hommes, JJ. Rousseau s’attaque à ce problème, et les termes complets de la solution qu’il donne, apparaîtront plus tard dans Le Contrat social. Remontant par la pensée à l’état de nature, Rousseau imagine un homme qui ne serait pas encore sociabilisé, l’homme naturel. Contrairement à ce qu’Aristote admet, la sociabilité n’a pas été présente à l’origine, l’homme naturel est un animal avantageusement organisé par la nature, mais il est plutôt solitaire et indépendant. Une sorte d’ours, peu porté à faire société avec ses semblables.

Mais la naissance de la société n’apparaîtra réellement sous des formes tangibles qu’avec la propriété de la terre. Le premier qui planta des poteaux pour fixer un enclot, un terrain cultivable, fut le vrai fondateur de la société explique Rousseau. La propriété, en effet, est bien plus que la
possession physique. C'est tout un monde qui les sépare, comme la culture se distingue de la nature. Tout cela présuppose aussi un langage commun.

La sociabilité passera alors par le respect d’un contrat social entre les hommes car nous ne pouvons vivre ensemble humainement que dans le respect de règles tacites. L’éducation civique est devenue une nécessité. Par société, on entend alors un ensemble d’individus organisés
collectivement, de telle manière qu’ensemble ils forment un tout et non pas une simpleagrégation d’éléments juxtaposés. L’usage actuel du terme tend à nous faire croire que la société est par nature une construction humaine. Cependant, il ne faut pas oublier que les concepts de société et
d’individu ne sont pas seulement du ressort de la philosophie politique. La biologie recourt directement à la notion d’individu et elle doit aussi penser en terme de « sociétés » animales. L’homme n’a pas « inventé » la société, elle existe déjà dans la Nature. Mais chez l’homme, l’individualisme prévaut.

Chez Kant cette nature conflictuelle de l’homme dans sa relation à la société est qualifiée d’insociable sociabilité. Comme lorsqu’il analyse l’amitié, Kant se sert d’une métaphore empruntée à la physique de Newton. L’univers se meut dans un équilibre entre force d’attraction et de répulsion. Les hommes d’un côté sont attirés les uns pas les autres, et ils portent en eux une sociabilité, un penchant à entrer en société. « L’homme a une inclination à s’associer, parce que dans un tel état il se sent plus qu’homme, c’est à dire qu’il sent le développement de ses dispositions naturelles ». C’est au milieu des autres hommes que son humanité se forme et s’épanouit. La sociabilité n’est pas seulement un penchant à l’altruisme, mais une exigence du développement de la culture. Le développement des potentialités humaines suppose que l’homme reçoive une éducation. Un homme éduqué a été poli par son éducation qui l’a rendu civilisé ce qui doit vouloir dire sociable au sens le plus raffiné.

Mais l’homme porte aussi en lui une tendance inverse, un penchant à se séparer, « il trouve en même temps en lui-même l’insociabilité qui fait qu’il veut tout régler à sa guise et il s’attend surtout à provoquer une opposition des autres ». La tendance à l’insociabilité est par contre inscrite dans l’égoïsme, car on ne s’oppose aux autres, que parce que l’on considère seulement ses intérêts propres avant les intérêts de tous. L'homme en société, voit dans les autres hommes une limite à son pouvoir, une gêne, une entrave. Les passions des hommes le placent dans une contradiction : d’un côté ils cherchent une reconnaissance vis-à-vis des autres, une considération ; et d’un autre côté, les passions referment chaque individu sur ses intérêts propres. L’égoïsme replie sur soi, l’altruisme étend au dehors.

L’insociabilité n’est jamais complète, car l’homme sait bien qu’il ne peut vivre seul, mais la sociabilité est toujours inachevée, car il y a en l'homme une liberté qui s'accommode mal de l'existence même de l'autre homme. La sociabilité est un processus toujours en devenir et en devenir à travers l'éducation. L’individu finit par se socialiser. Car une question demeure : aujourd’hui comme hier, l’homme peut il ne pas « vivre ensemble » ?

3) l’homme peut il ne pas « vivre ensemble » ?

Aujourd’hui comme hier l’homme continue à s’interroger sur sa capacité à vivre ensemble et sur les raisons qui le poussent à le faire.

Tout est fait pour que le petit d’homme apprenne à vivre au milieu des siens, par les siens et avec les siens. C’est la socialisation qui est un processus d'apprentissage qui permet à un individu d'acquérir les modèles culturels de la société dans laquelle il vit et agit. Elle est le résultat à la fois d'une contrainte imposée par certains agents sociaux, mais aussi et surtout d'une interaction entre l'individu et son environnement. Si elle favorise la reproduction sociale, elle n'élimine pas pour autant les possibilités de changement social.

Certains sociologues insistent sur le fait que la socialisation favorise la reproduction sociale. D'autres considèrent au contraire que l'individu socialisé joue un rôle actif dans son pprentissage de la vie en société. Ainsi est-il capable de s'adapter, en fonction de ce qu'il a appris dans des situations très différentes les unes des autres. De la même manière, il interprète les valeurs plutôt qu'il ne les apprend, ce qui contribue à les faire évoluer et favorise le changement social.

C'est la modification plus ou moins fondamentale des normes et des valeurs dans une société donnée. Toute socialisation est le résultat de deux processus différents : assimilation et accommodation. Par l'assimilation, le sujet chercherait à modifier son environnement pour le rendre plus conforme à ses désirs et diminuer ses sentiments d'anxiété et d'intensité. Par l'accommodation, au contraire, le sujet tendrait à se modifier pour répondre aux pressions et aux contraintes de son environnement.

Par conséquent, la socialisation n'est pas un processus unidirectionnel et l'individu n'est pas un être passif. Si l'individu est marqué par les valeurs de sa société et fait l'apprentissage de certaines normes et de règles, il peut constamment se remettre en question par ses demandes et par la place et le rôle qu'il entend jouer. Ainsi est-il capable de s'adapter, en fonction de ce qu'il a appris dans des situations très différentes les unes des autres. De la même manière, il interprète les valeurs plutôt qu'il ne les apprend, ce qui contribue à les faire évoluer et favorise le changement social. C'est ainsi que l'on constate que les enfants n'ont jamais tout à fait les mêmes croyances, les mêmes valeurs et les mêmes manières de vivre que leurs parents.

C'est d'ailleurs de cette manière qu'une société évolue, en une remise en question des valeurs transmises.

Le vivre ensemble étant le thème annuel je laisse le champ ouvert à d’autres réflexions.

Avons-nous créé nos sociétés naturellement ou par la force des choses ? Hors l’intérêt que le questionnement nous apporte en nous faisant réfléchir je veux croire que la société humaine est sortie de la nature mais qu’elle est élevée sur un fondement qui est plus spirituel que naturel et à remplacer le rapport de force par le rapport de droit.

Je crois surtout qu’Homo Sapiens qui a mis tout se temps à se découvrir et à découvrir les autres a tout à gagner à continuer à le faire, pour poursuivre cette incroyable destinée qui est la sienne, vivre sur ce petit morceau d’Univers qu’est la Terre. Faisons un clin d’oeil à nos méthodes maçonniques et à notre façon de vivre ensemble, pendant les quelques heures que durent nos tenues, pendant une vie que dure notre engagement maçonnique.

Nous sommes des hommes du XXIè siècle qui avons profité et sommes forts de l’expérience de nos prédécesseurs, que ces expériences soient heureuses ou malheureuses.

Comme nos lointains ancêtres ont appris à vivre avec les autres il y a plus de 10000 ans maintenant, nous apprenons à nous accepter tels que nous sommes les uns les autres, à charge pour chacun de faire tomber ses aspérités. Nous vivons les uns avec les autres, venant d ’horizons, de milieux différents. Pas un de nous ne ressemble à l’autre et pour autant nous nous sommes acceptés les uns les autres quasi naturellement, en confiance.

Nous évoluons dans un microcosme, reflet de ce qui se passe au dehors.

La nature humaine est elle ainsi faite que nous ne puissions décidemment pas vivre l’un sans l’autre ?

J’ai dit Vénérable Maître.


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