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Loge : Tradition et Fraternité – Orient de Paris

Date : NC

Vivre pour transmettre
Transmettre pour vivre

Tout groupe humain, peuple, état, nation, se définit par un ensemble de valeurs communes qui fondent la société et dans lesquelles chacun de ses membres doit pouvoir s’identifier. Ces valeurs, qu’elles soient morales, culturelles, religieuses ou historiques, fondent cette société par la cohésion interne qu’elle entraîne,

Afin de permettre la perpétuation de cette société, de ce groupe, il est indispensable que ces valeurs soient transmises aux descendants afin que le relais soit entrepris et que l’histoire puisse se poursuivre. Mais le rappel nécessaire de la transmission et de la mémoire ne dispense pas de réfléchir à la transmission elle-même et aux rapports qu’elle dispose, c'est-à-dire à la manière dont elle configure le passé en héritage, La permanente redéfinition des objets, des oeuvres, des histoires appelées à représenter le patrimoine montre le travail rétrospectif et identitaire que produit le geste de transmettre, construisant une fondation pour son destinataire,

L’histoire des hommes est à l’image de ces Dieux du stade, qui, dans une course effrénée, se passent le témoin pour vaincre l’espace et le temps. Mais à l’instar de cette quête de la perfection, le temps s’accélère inexorablement, au point que ce passage du témoin échappe à la main qui se tend. Les valeurs de la transmission ne sont plus reconnues comme les mythes fondateurs de notre humanité, Nous ne sommes plus ces hommes de la préhistoire qui voyaient dans le feu jalousement conservé, la perpétuation du pouvoir, du savoir et de l’histoire. Quel chemin parcouru depuis la guerre du feu , jusqu’à la guerre des étoiles en passant par la guerre des ondes !!

Dans un monde en révolution permanente ou tout s’accélère, ou la transmission se fait à la vitesse de la lumière, ou les modèles anciens sont contestés, ou la modernité s’entend comme une démarche qui abolit l’autorité du passé, construire le transmettre voilà une tache d’actualité !!

Mais l’actualité c’est le « communiquer » son faux ami ; communiquer, l’acte de transporter une information dans l’espace, transmettre, l’acte de transporter une information dans le temps, telle serait la nuance capitale. Bien sur il faut communiquer pour transmettre : condition nécessaire mais non suffisante. S’il y a des machines à communiquer, radio, télé, cinéma, informatique, il ne peut y avoir de machines à transmettre. Pour apprivoiser l’espace il suffit d’une machine, pour voyager dans le temps, il faut un vécu, une volonté, une institution : famille, école, église etc.. Là ou la haute technologie permet d’inespérées prouesses, elle se déclare impuissante à rendre signifiantes les leçons de l’histoire .Entre nos moyens de maîtrise de l’espace et nos moyens de maîtrise du temps, un hiatus, une distorsion apparaît de plus en plus criante. Si en 2 siècles, la France est passée d’un hexagone à 15 jours à un hexagone à 1 heure de coté en sautant du cheval à l’avion, on ne peut raccourcir à volonté le temps de la formation et de l’incubation. Il y a donc de l’incompressible dans la transmission et c’est précisément ce dont nous rêvons de nous délester ; en adoptant la light-culture , le digest, le best of , nous ne faisons que tenter de raccourcir le temps, comme si l’on pouvait rabattre le temps de la transmission sur celui des télécoms , comme si dans notre village utopique, nous avions effacé le passé pour mieux faire circuler l’information .Et pourtant n’y aurait il pas insidieuse corrélation entre les progrès de la mobilité et les reculs de la civilité , entre notre bougeotte et notre muflerie !

Il convient à présent de s’interroger sur les origines de la crise de la transmission et de tenter d’expliquer comment s’ancre-t-elle dans une histoire plus ancienne.

LES CAUSES :

L’HISTOIRE

La généalogie de cette crise semble remonter au siècle des lumières, la raison est alors proclamée maîtresse du logis. Tout ce qui n’est pas explicable par la rationalité, est systématiquement relégué dans le champ « infâme » dira Voltaire, de l’irrationnel, de la superstition et de l’obscurantisme, Plus tard, au XX ° siècle, avec Auguste Comte, débute l’age positif qui à la fois milite et croit à l’extinction finale de tout ce qui déborde du rationnel ? C’est à ce moment que le mot modernité apparaît et devient une idéologie, le religieux est nié ou considéré comme une aliénation de type économique chez Marx, de type psychique chez Freud. La leçon des anciens, la tradition, les rituels sont discrédités, place à la toute puissance de la science seul vecteur reconnue du progrès ! Or, l’influence de cette philosophie matérialiste sur la transmission est prépondérante. En effet si la transmission ne transmet que le visible, le palpable, alors c’est à la portée de tout le monde, alors le rôle des anciens, des initiés, de l’élite dans la transmission du savoir est contesté. La transmission ne peut être valorisée que par la valeur ajoutée que constitue l’invisible. Vouloir transmettre le visible c’est rendre inopérant le message du transmetteur.

Mais plus prêt de nous, il nous semble qu’aujourd’hui nous vivons dans une société ou les individus ont beaucoup de mal à s’estimer héritiers d’une histoire. Quand ont examine à posteriori le XX° siècle, on ne peut échapper à l’importance des évènements dramatiques que les sociétés européennes ont vécus : Guerre de 14/18 : des millions de morts, un traumatisme qui va faire vaciller l’idée même de civilisation et de culture et n’oublions pas que le fascisme et le communisme naissent dans le sillage de cette guerre .La shoah constituera un traumatisme décisif : comment un peuple, admirateur de Goethe, amoureux de Rilke, pouvait mettre des gens dans des chambres à gaz et tranquillement aller écouter une symphonie de Mozart !!.. Le massacre des guerres coloniales qui ressurgit aujourd’hui dans l’actualité. Tous ces dramatiques évènements ne sont évidemment pas sans justifier une certaine désaffection pour notre mémoire collective. Ce passé peu glorieux invalide toute référence aux anciens devenus pour le coup suspects.

Largement refoulé jusqu’à une certaine période, l’histoire va resurgir brutalement dans les mémoires. Il y a un moment ou tout va basculer, ou le refoulé va crier sa colère! Mai 68 sera la première déflagration lourde de conséquences, à mon sens, sur la conception des valeurs qui avait cours jusque là. Sans entrer dans les détails de cet événement majeur, je dirai que si Mai 68 a eu parfois des aspects positifs, il n’en demeure pas moins que ces effets destructeurs sont patents. Pour le thème qui nous intéresse, la transmission, je voudrais souligner comment cet événement sans précèdent interféra fortement sur sa nature. Tout un héritage culturel a été remis en cause de façon radicale, héritage qui n’est pas seulement celui de la religion, mais aussi l’héritage des lumières et des valeurs de la république, de l’éducation voir de la famille. La question a été directement posée : les valeurs traditionnelles, la référence à la raison se sont montrées non seulement impuissantes, mais n’ont-elles pas servies de masque pour couvrir les abjections du passé. Les changements décisifs qui se sont opérés dans les années 68/70 ne sont pas limités à ces constats, dans le même temps, une nouvelle forme d’individualisme va se développer, pour qui le rapport au collectif ne va plus de soi et qui considère les pouvoirs et les institutions comme de simples appareils de domination.

LES FLUX MIGRATOIRES

Moins nocifs mais tout aussi déterminants dans ses conséquences, les flux migratoires aggravent ce processus d’amnésie du passé. Les dispersions permises par la révolution des transports, encouragées par la misère des populations défavorisées, coupent de plus en plus d’humains de leurs premiers ancrages, ce territoire qui nous sert à tous de lieu de mémoire identitaire. Quand on n’est pas lesté par le plomb stabilisateur d’une référence, d’une culture, la socialisation familiale, civique, et juridique est compromise.Mais pour ne pas perdre sa place dans une généalogie, rien qu’en changeant de place et d’habitat, force et de renchérir sur l’héritage, au risque d’un certain intégrisme communautaire. C’est le divorce radical entre l’explosion des mobilités et l’implosion des continuités ! Comment être dans un même lieu a la fois hier et aujourd’hui !

L’ART

L’art sous toutes ses formes, contribue par ce qu’il est l’expression de la pensée imaginaire, à forger l’identité culturelle d’une nation .Cette approche poétique du monde est brouillée par l’expression d’un art qui se veut aujourd’hui l’art de l’éphémère : installations, dispositifs aléatoires s’autodetruisants avec le temps, performances, happenings, land-art, déléguant leur mise en mémoire à des supports vidéo. La vieille « tradition de rupture » de l’art contemporain invalide toute pédagogie de l’oeuvre qui, sitôt comprise, s’évanouit dans l’épreuve du temps. Est contemporain, à la limite, l’art qui ne peut s’enseigner ou se transmettre !

LE DEVOIR DE MEMOIRE

Comment dans ces conditions passer sous silence l’effet d’une transmission pervertie par les effets mortifères d’une identité refabriquée après coup. Cela m’amène à soulever ici le délicat problème du devoir de mémoire. Bien des voix se sont élevées à l’aube du XXI° siècle pour stigmatiser ceux qui encore et toujours évoquaient les drames du passé pour justifier leur obsédant état de vigilance. Bien nombreux étaient ceux qui, au nom du nouveau siècle qui s’annonçait, préconisaient l’oubli, la page à tourner, pour qu’enfin les vieux démons soient à jamais enterrés.Tragique retour de l’histoire qui ne craint pas de se réécrire en trempant sa plume dans les idéologies qu’on croyaient ensevelies à tout jamais !

Transmettre c’est aussi opposer les leçons de l’histoire aux dérives des temps présents. Ce devoir de mémoire s’impose aux générations successives, comme à la fois une pédagogie et une grille de lecture du monde d’aujourd’hui avec les expériences du passé. Il me semble qu’à travers cette vision du devoir de mémoire, ce passé revisité, c’est notre responsabilité qui est mise en cause. Le devoir de mémoire devient pour son exécutant un engagement ici et maintenant dans sa chair et son sang. Le passé figé sous la poussière du temps, est alors intériorisé et reconstruit dans une expérience vivante pour dire voilà le socle indéfectible de nos mythes fondateurs, ou le « plus jamais çà ! »

Nous assistons aujourd’hui, à une dérive inquiétante des valeurs de respect réciproques intercommunautaires et par un pernicieux détour de l’histoire, on assiste au retour de « la bête immonde ». Pour l’avoir trop longtemps enfoui au fond de nos chroniques d’un autre temps, pour avoir ignoré les premiers signes de réveil de son apparente torpeur, voilà qu’aujourd’hui la bête fait feu de tout bois et crache son feu dévastateur sur les consciences encore assoupies. Tout s’entremêle dans ce dernier avatar de l’histoire. Mais le centre de gravité de ce bouleversement illustre pleinement notre sujet. La transmission devient alors par un effet destructeur de son objectif détourné, le vecteur, le media, d’une histoire revisitée à l’aune du rejet de la différence.

Je veux évidemment plus spécifiquement parler de cette gangrène des temps modernes que sont le racisme et l’antisémitisme ! Comment cette pathologie que l’on croyait naïvement éradiquée à tout jamais s’est elle insidieusement réactivée, comment le germe commensal de l’antisémitisme est il devenu pathogène ?...Là encore on s’etait mis à rêver que les leçons de l’histoire nous épargneraient cette navrante réalité ? Aujourd’hui derrière chaque acte antisémite il y a certes la tragédie du Moyen-Orient, il y a le communautarisme qui s’installe et l’islamisme qui s’épanouit mais aussi cette part d’irrationnel, quasi psychanalytique, cette part d’ombre qui fait de l’antisémite et du raciste cet être abject, insaisissable, incontrôlable, contradictoire. Alors que faire ? Tous coupables !....

Les medias : on a vue récemment a la télévision l’humoriste Dieudonné, coiffé de papillotes et veste de treillis esquissant le salut nazi en criant « heil Israël !» L’école ou le mot juif est à lui seul devenu une injure, les professeurs dont l’idéologie de gauche voir d’extrême gauche accrédite certaines positions antisionistes antichambre de l’antisémitisme sans parler de tous ces incidents relatés dans la presse : incendie de synagogue, agressions de toutes sortes etc.…Partout la banalisation de la transgression ! Alors quelles solutions ?

Il me parait urgent de restaurer une pédagogie de l’histoire à l’adresse des jeunes. Dans cette perspective l’initiative de Luc Ferry me parait extrêmement pertinente s’agissant de diffuser un livret républicain répondant au problème de communautarisme de racisme et d’antisémitisme a l’école. Ce livret proposerait des éléments de réflexions afin de faire connaître ce qu’a été l’histoire de la shoah ; Des oeuvres cinématographiques comme « Nuit et brouillard » et « La liste de Schindler » seront présentées pour sensibiliser les élèves. Nous nous devons, en temps que francs-maçons, de favoriser ce genre d’initiative, voir en organisant des tenues blanches à l’adresse des jeunes sur ce thème.

Il serait tout autant souhaitable dans la continuité de ce projet de s’associer aux propositions faites par Daniel Vaillant de réinstaurer un service civique et citoyen : Incivilité, individualisme, racisme ne font qu’un. Quand le lien social se distend, quand il y a confusion entre droit et devoir, alors c’est la porte ouverte à tous les excès .Redonner du sens au pacte social, voilà l’objectif de ce service civique. L’ancien service militaire certes comportait beaucoup de défauts, il avait au moins la vertu de faire sortir les jeunes du giron familial et de provoquer des rencontres avec des jeunes differents par leurs origines et leurs cultures. Il participait à la cohésion sociale. Cette proposition du parti socialiste pourrait prendre differents aspects a définir : obligation pour les hommes et les femmes, ouvert aux non nationaux en situation régulière, l’enjeu étant évidemment d’améliorer l’intégration, il pourrait durer de 15 jours à 1 mois. Cette période serait mise à profit pour acquérir une formation ou se rappeler les fondamentaux de notre société : valeurs de la république, laïcité, respect des autres et de soi.

LES INSTITUTIONS EN CRISE :

Crise de la transmission, institutions en crise, ne sont aujourd’hui qu’un seul et même phénomène.

LA FAMILLE

Peut on parler d’éducation civique, sans penser à ce qui constitue le socle, la base référentiel de tout individu, je veux parler de la famille ou plus exactement de l’institution familiale. Là aussi quel bouleversement ! La famille a changé, non seulement son cadre institutionnel a craqué, mais sa fonction centrale s’est également modifiée. Son rôle premier a longtemps été la transmission du patrimoine économique et moral d’une génération à l’autre. Aujourd’hui la famille tend à privilégier la construction de l’identité personnelle aussi bien dans les relations conjugales que dans celles entre parents et enfants. La famille contemporaine n’est plus une institution, c’est un réseau relationnel, c’est l’espace privilégié de la solidarité naturelle avec comme principe de fonctionnement l’amour.

Peut on parler d’une crise de la famille ? La dévalorisation du modèle paternel, le recentrage de l’enfant roi, le couple en CDD, l’évanescence de l’autorité mettent à rude épreuve les liens constitutifs de filiation. Quand les jeunes en savent plus que les vieux, handicapés informatiques, la hiérarchie en prend un coup, et ce, au moment même ou la fonction génitrice elle-même doit affronter les prouesses de la technologie. Un enfant n’est il qu’un adulte miniature auquel on demande de consentir ?

Pour qu’un enfant puisse se distinguer de ce que les autres disent qu’il est, ne faut il pas qu’il ait des parents qui, dans leur différence, aient l’autorité de lui dire ce qu’il est pour eux ? Pour qu’un enfant puisse enfin s’inventer à son tour et prendre place dans l’aventure humaine, ne faut il pas qu’on lui ai transmis une mémoire plus ancienne qui donne un cadre à sa propre mémoire, à ses propres émotions, à ses propres références ? La transmission des valeurs prend là toute sa dimension ! Mais ne perdons tout de même jamais ce fil d’Ariane tendu entre parents et enfants. A nous opposer, nous parents avec les schémas, la culture, les références d’un passé idéalisé, sublimé, nous risquons de briser ce lien sans lequel tout dialogue devient improbable. Notre ignorance, parfois abyssale, des dernières technologies, informatiques, jeux vidéo, Internet, notre malaise face à ses émissions de télévision décervelées ou se bousculent vulgarité grossièreté, émissions trash avec son dernier avatar Jackass, loft en tout genres dont les héros d’un jour pervertissent les valeurs essentielles du travail, de l’effort et de la réussite ! Ces émissions transgressent non seulement ce que notre éducation nous a appris pour nous protéger, mais aussi elles inculquent le nihilisme de soi, de l’autre, de la culture. C’est l’exaltation de la loi du plus fort et du plus idiot. Tout ceci ne peut que favoriser le repli dans son camp, une communication autiste, un dialogue aux abonnés absents ! Il faut savoir parfois alléger le poids de l’histoire, revisiter notre jugement sur cette nouvelle culture qui souvent nous dérange, nous inquiète. Il faut, encore et toujours, ici et maintenant, composer entre le rejet et le dialogue pour appréhender le sens ou le non sens de cette culture.

L’ECOLE

Parler de transmission c’est aussi et surtout parler de l’école. Vaste projet, semé d’embûches !

Je n’ai évidemment pas l’intention de traiter le sujet dans tous ses aspects : politique, économique, social, mais je m’attacherai a en définir succinctement, les fonctions, les pédagogies en présence et je tenterai modestement de faire quelques propositions.

Idéalement, la finalité de l’école devrait être l’enseignement : transmission des savoirs, l’éducation : transmission des valeurs, la socialisation : c-a-d le développement de la personnalité sociale et des relations dans la société.

Il me semble que la première mission de l’école devrait être la transmission des savoirs. Cela pourrait vous apparaître d’une aveuglante évidence, car en effet quoi de plus normal que d’aller à l’école pour apprendre. Cependant de nombreuses pédagogies post soixante-huitardes ont troublé les règles du jeu. Au fond et schématiquement, deux conceptions s’affrontent :

La conception qualifié de traditionnelle, définit sa mission comme le strict devoir de transmettre du savoir, l’élève considéré comme un être en devenir, ignorant, éducable, améliorable par le maître, seule détenteur de l’autorité.

La conception heuristique autrement dit, celle qui consiste à faire découvrir par l’élève l’objet enseigné ; les élèves sont invités à être les auteurs de leur propre formation, ils sont incités à se former en s’appuyant sur leurs convictions, leurs désirs, pour construire du sens et du savoir. Dans ce système l’autorité est reléguée au rang d’antiquité sclérosante et alienante.Nul ne doute, en effet, qu’une pédagogie libertaire produira des personnalités anti autoritaires. Cette pédagogie de la spontanéité, de l’autopromotion a été extrêmement nuisible à ceux qui avaient le plus besoin d’encadrement. Les jeunes qui étaient bien entourés par leurs parents, pouvaient laisser libre cours à leur fantaisie sans risque important pour leur formation culturelle, l’environnement familial compensait. Mais ceux qui avaient des assises culturelles plus fragiles, rencontraient des difficultés face a un enseignement fondé sur le ludique, l’auto construction et la remise en cause de toute hiérarchie. Triomphe de l’individu, libéré de ses obligations archaïques de références et définitivement confirmé dans son droit privé d’ignorer le lien de société.

Hiérarchie, autorité, sujet hautement délicat, qui depuis la pensée de Mai 68 a fait l’objet de diverses interprétations. Le célèbre « Il est interdit d’interdire » aurait pris le pas sur les notions d’efforts, de travail, de contraintes. Pourtant l’autorité est indissociable de la transmission des savoirs. Sa légitimité se fonde sur la capacité de l’enseignant à susciter l’intérêt pour la discipline qu’il est chargé de transmettre. Aucune reforme n’occultera jamais le but ultime de la relation du maître et de l’élève tel que Kant l’a résumé « Prouver à l’élève qu’on exerce sur lui une contrainte qui le conduit à l’usage de sa propre liberté, qu’on le cultive afin qu’un jour il puisse être libre »

Déjà Anna Arendt, dans son livre « La crise de l’éducation » stigmatisait les pédagogues de tout poil et militait pour un école « conservatrice » ! Le mot sacrilège est laché. Pas un responsable de bon sens n’oserait le reprendre à son compte. Aujourd’hui tout qui se réclame de la modernité revendique le changement, la révolution. Et pourtant la pensée Arendtiene sans être originale, est saisissante d’actualité. L’erreur fondamentale dit elle, est de vouloir faire jouer un rôle politique à l’éducation, en croyant « fonder un nouveau monde avec ceux qui sont nouveaux par naissance et par nature ». L’idée de laisser les enfants se gouverner eux-mêmes, l’idée de privilégier la formation pédagogique des maîtres par rapport aux compétences disciplinaires, l’idée d’apprendre en faisant faire et en jouant, ces 3 idées sont à l’origine de la crise actuelle selon A A. Pour elle, si le but de l’éducation est de faire acquérir aux hommes la faculté de penser et d’agir par eux même, de leur donner le goût de l’indépendance individuelle et le désir d’engendrer de neuf, pour autant « ce n’est pas à partir de lui-même que l’homme pense par lui-même ». Cette capacité n’est pas immédiate, elle a besoin de prendre le chemin des écoliers et de faire un détour par ce que Paul Ricoeur appelle « Les signes d’humanités déposés dans les oeuvres de culture » Du fait que chaque naissance est un commencement on déduit que « pour être il suffit de naître » .Cette pédagogie de la préférence à l’inné trouve ces fondements dans les thèses de Bourdieu, de J C Passeron, thèses selon lesquelles sur le pieux mensonge de l’égalité des chances, l’école perpétue les inégalités sociales en les convertissant en inégalités de don, d’où la suppression du classement, passage automatique en classe supérieure de la maternelle au bac etc. Les partisans du multiculturalisme à l’école ne disent pas aux enfants « Voici notre monde » Ils disent « Je vous délivrerais du mal » Nul besoin d’un crochet par la tradition, d’un passage dans ce passé suspect, nul besoin des classiques pas plus que de poésie.

Mais peut on envisager une transmission des savoirs sans la parfaite maîtrise de la lecture. Vaste problème en vérité, à un moment où toutes les formes de communications, télé, jeux vidéo, Internet disqualifient complètement la calme et tranquille volupté de la lecture. Et pourtant quelle merveilleuse arme contre les inégalités. Aujourd’hui en France, 15 pour cent des élèves rencontrent de graves difficultés de lecture. Une récente étude de l’OCDE a montré qu’elle est pourtant un des leviers les plus efficaces pour donner aux enfants les plus défavorisés une chance de réussite aussi bien que s’ils avaient grandi dans un milieu favorisé. Etre dans l’incapacité de se frotter aux grands auteurs, à l’age de l’irrévérence systématique et du sarcasme envers les aînés, c’est être la proie impuissante et offerte, aux thèses extrémistes de tous bords « Etre libre c’est être livre » selon une jolie formule de Macé Scaron.

Avec l’aimable participation de notre frère Serge, nous emprunterons donc son bel ULM pour survoler ce village utopique et tenter de tracer ce que pourrait être l’école d’Utopville !

LES REMEDES :

A Utopville la gestion de l’école ne dépend plus d’un pouvoir central du ministère de l’éducation national, mais du pouvoir local de la maternelle au collège. A Utopville le visiteur pénètre facilement. Il n’y aucune porte fermée obligeant les élèves à patienter sur un trottoir à coté des voitures comme on le voie trop souvent.

A Utopville bien que l’école soit publique au sein de l’éducation nationale, donc chapeautée par un ministère, c’est à l’équipe pédagogique et aux professeurs qu’il revient de définir comment cet établissement publique peut devenir la meilleure des écoles pour les élèves. Car en effet, aujourd’hui notre système est centralisé avec des programmes pédagogiques nationaux, définissant le détail du programme scolaire, ce que chaque élève doit apprendre et la manière dont il doit l’apprendre.

A Utopville les directives du ministère se contentent de fixer les objectifs à atteindre dans les différentes matières, c’est au corps enseignant et à l’équipe dirigeante de fixer les modalités de la transmission. Quelques exemples : Pour la langue maternelle : « Maîtriser la langue française et pouvoir écouter, et lire activement ainsi qu’exprimer des idées et des pensées en parole et en écriture » . Les objectifs ainsi définis, l’équipe pédagogique se mettra au travail pour définir les moyens pour y arriver.

Un nombre d’heures global d’enseignement sera défini par le ministère. La gestion de ces heures est confiée au directeur de l’établissement. En clair cela veut dire que lorsque tous les élèves de la classe ont atteint les objectifs dans une matière, l’école peut très bien arrêter l’enseignement de cette matière pour consacrer les heures restantes à une autre matière ou les mêmes élèves peinent à atteindre les objectifs fixés ! A Utopville nous avons quitté un système qui fixait les règles, pour un autre système exclusivement basé sur des objectifs. Ainsi nos bons profs d’Utopville sont ils libres d’élaborer le programme scolaire qu’ils estiment être le plus judicieux pour leurs élèves

A Utopville finies les classes composées d’un nombre prédéfini d’élèves. Le système consistera à la formation de petits groupes susceptibles d’être composés de manières différentes selon les activités. Des groupes plus restreints peuvent donc être formés en cas de besoin. Rien n’est figé, tout se fait en concertation

A Utopville, des cours seront consacrés à la civilité et pourquoi pas des cours sur l’intelligence émotionnelle. Qu’est ce donc me direz vous ? Il s’agit tout simplement d’apprendre aux élèves à écouter, argumenter, discuter et utiliser leurs connaissances comme outils pour formuler et résoudre des problèmes, examiner de manière critique des affirmations : Y a- t- il trop de sport à l’école, trop de math, doit on toujours faire preuve de respect vis-à-vis des autres ?..etc

A Utopville les professeurs sont tenus de déjeuner avec les enfants à la cantine, ils n’ont pas de pièce réservée et se mêlent aux élèves dans la cour de recréation. Les incivilités ont été réglées une bonne fois pour toutes, par l’établissement en commun d’une charte de bonne conduite ou sont définis tous les points sur lesquels les adultes n’ont pas le droit de céder : les règles sont clairs, les enfants avertis quelque soit le cours ou le professeur

Surtout cette autonomie des differents établissements d’Utopville va susciter une formidable émulation et un système d’évaluation de la pertinence des choix pédagogiques sera mis en place incluant les différents paramètres, enseignants, élèves, milieux sociaux culturels etc. Une mission spéciale sera alors dépêchée auprès de l’établissement déficient de manière à réapprendre aux enseignants à apprendre. La question ne sera plus pourquoi ils n’apprennent pas mais plutôt quel est le problème pour qu’ils ne parviennent pas à apprendre.

Trop d’utopie me direz vous ?

Je viens succinctement de vous décrire le système adopté en Suède depuis les années 90 !

LE MODELE MACONNIQUE

Et la franc maçonnerie dans tout cela ? Comment peut elle enrichir notre réflexion voir apporter des solutions ? Posons nous la question de savoir pourquoi et comment cette organisation a pu traverser les siècles malgré parfois les persécutions, les diffamations. La force de son message certes, la puissance de sa réflexion certainement mais au-delà de cela, la franc maçonnerie a pu survivre grâce à la transmission de sa tradition, de ses rituels, de ses rites.

N’avons-nous pas trop rapidement abandonné les rites collectifs ? La construction de la personnalité, le sentiment d’appartenance à un groupe, à une nation, passe par des rites. Sil n’y a plus de rites organisés par la société, ceux ci passeront par d’autres : la bande, le groupe ethnique ou religieux, nous assistons à une montée en puissance des rituels tribaux et la tribu n’est pas la société. Il est important que de tels rites intégratifs puissent exister. Pour restaurer l’autorité à l’école, pour retrouver le goût du vivre ensemble, il faut restaurer les rituels qui structurent la césure entre la vie extérieure et le lieu de savoir. Faire en sorte que l’école manifeste au-dedans, sa différence par rapport au monde du dehors. Réintroduisons le silence entre le temps du jeu et le temps du travail, remettons des drapeaux au fronton de nos écoles, réinstaurons la cérémonie de la remise des prix etc. Dans la vie sociale aussi il faut réintroduire les principes de rites, de rituels, de célébration. Ces petits montages chronomoteurs faisaient traverser les millénaires ou les siècles : Sortie d’Egypte, résurrection, prise de la bastille, victoire alliés etc. Ils nous rendaient contemporains d’un passé révolu, invisible, inaudible mais parfois, souvent riche d’enseignement. En déritualisant la vie quotidienne, nous desinstituons allègrement l’humain.

Nous sommes donc mes frères, dans le droit fil de nos réflexions maçonniques. Nos initiations, nos rites, notre fraternité ne sont il pas en quelque sorte les derniers remparts contre la barbarie. C’est dans cette continuité que s’inscrit notre combat, c’est dans ce combat que se justifie notre existence.

J’ai dit !


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