La vertu chez les philosophes de l’Antiquité
Qu’est-ce que la vertu, demande le rituel au premier degré ?
-C’est une ferme et constante disposition à pratiquer le bien, doit
répondre le récipiendaire. Cette réponse semble vague, imprécise et à
la limite banale surtout quand la seconde question est posée : Et du
vice qu’en est-il ? l’opposé de la vertu, donc une disposition
habituelle au mal. Nous voilà bien avancés ! Fantôme : voir spectre...
Spectre : voir fantôme.
Et pourtant cette question anodine nous ouvre la porte d’une multitude
de questionnements, nous oblige à réfléchir à la définition du bien et
du mal et à leur utilité commune et à penser au choix moral à faire en
fonction des lois qui définissent selon les circonstances et les
besoins les règles de la société. Cette question nous oblige surtout à
analyser notre comportement personnel face à nous -même, en un mot à
philosopher ainsi que le précise Pierre Hadot dans son livre « La
philosophie comme manière de vivre ».
Celui-ci pense que dès le dialogue socratique, la philosophie vise à
provoquer la rupture avec les soucis factices, le dégel de toute
existence, sans quoi elle n’est rien. En effet, on a longtemps pensé
que la philosophie hellénistique qui va du règne d’Alexandre le Grand
jusqu’à la domination romaine au ler siècle compensait une vie
politique perdue et le sentiment de décadence, en offrant un repli sur
la vie intérieure et le souci éthique. Or il n’en est rien. La
philosophie règle la vie des anciens à tous les niveaux et n’est
nullement un exercice de style pour joutes intellectuelles. « Vide
est le discours philosophique s’il ne contribue pas à guérir la maladie
de l’âme »
disent les épicuriens en accord avec les stoïciens qui réduisent le
niveau théorique au minimum indispensable en privilégiant l’efficacité
psychique.
Et la vertu, qu’a-t-elle à voir avec tout ça ? En quoi
la vertu pratiquée en maçonnerie se fonde t-elle sur la pensée des
anciens, quel rapport existe-t -il entre la vertu et la pensée
philosophique ? Eh bien plus qu’on ne pense.
Un petit rappel étymologique : Virtus, virtutis en latin veut dire :
Qualité distinctive, mérite essentiel de l’homme. Par extension
courage, talent, mérite, énergie, force, vaillance. « Animi
virtus corporis virtuti anteponitur » (« Les
mérites de l’âme passent avant ceux du corps ») dit Cicéron.
Nous allons prendre quelques exemples chez les philosophes de
l’antiquité et nous verrons combien la vertu chez le Maçon fait la
synthèse des différents courants de pensées. La pensée philosophique
antique s’appuie en gros sur la réflexion suivante :
« Chaque homme peut devenir le vrai maître de sa vie en
s’affranchissant de tout ce qui lui est étranger »
: tous les philosophes s’appuient sur ce principe, mais chacun choisit
son axe de pensée et le vice intime à combattre... Pour les Épicuriens
ce sont les faux plaisirs. Pour les sceptiques, les opinions égarées.
Pour les stoïciens l’intérêt égoïste. Et enfin les conventions sociales
pour les Cyniques.
En passant du manuel d’Epictète aux dialogues de
Platon, aucune révolution, aucun progrès n’altère la force de ces
pensées face au cosmos, face au mystère de la vie.
Ainsi, Socrate cet homme insaisissable, ambigu, ébranle tous les faux
savoirs par son ironie cinglante. Face aux sophistes du siècle de
Pénclès, il n’hésite pas à dire que : « lui au moins, ne
croit pas savoir ce qu’il ne sait pas ».
Là est la méthode socratique qui fera basculer toute la conception
grecque de la sagesse. C’est là que cette méthode renferme en soi la
vertu telle que la conçoit Socrate et vous verrez que notre rituel
englobe cette philosophie. A savoir que les opinions des hommes
recouvrent une ignorance qui s’ignore, c’est de cela que Socrate se
veut le révélateur.
En se confiant au discours pur, à la réalité du logos, chacun peut
découvrir lesrecouvrent une ignorance qui s’ignore, c’est de cela que
Socrate se veut le révélateur.
En se confiant au discours pur, à la réalité du logos, chacun peut
découvrir les failles que les idées les plus communes recèlent et ainsi
se purger des fausses valeurs. Là est la vertu. Pour Socrate, la vertu
n’est pas le courage comme les Athéniens le pensent et il fustige deux
généraux Lachès et Nicias qui s’étaien distingués contre Sparte car
cette vertu, n’est qu’une témérité dangereuse si elle ne s’accompagne
pas de ce qui est vraiment bon pour l’homme. Cette vertu selon Socrate
impose aux braillards le silence, dégonfle les orgueilleux,
déstabilisent les importants. II inspire un désir inconnu à l’époque,
celui d’une vie soucieuse d’elle-même. « Une vie qui ne se
met pas elle-même à l’épreuve ne mérite pas d’être vécue »,
dira Socrate par l’intermédiaire de Platon dans « l’Apologie ».
Au-dessus des intérêts de la cité, Socrate place le souci de soi,
c’est-à-dire de son âme.
La vertu selon Socrate
Une idée médiocre dite par un rhéteur renommé, un dandy parfumé ou un
puissant général reste une idée médiocre. Socrate insiste ainsi sur le
fait de ne jamais se laisser impressionner ni par la meute ni par les
soi-disants experts et à se fier à son seul libre examen. Ces idées-là
scelleront sa perte. Celui-ci sera suspecté d’impiété et condamné à
mort pour avoir aux dires de certains perverti la jeunesse. Il boira la
ciguë en 399 av. JC en renonçant à fuir, alors qu’il le pouvait, sa
manière à lui de se soumettre comme ultime forme de résistance.
Un regard sur Diogène le Cynique, « se moquer de tout et de
tous »
semble être en apparence la philosophie des Cyniques... Ce serait
réduire à peu leur vertu que de croire qu’ils ne font qu’aboyer comme
des chiens d’où leur nom. Leur pensée, c’est rendre caduques les
conventions humaines, défaire les valeurs habituelles de l’échange,
dépouiller toutes les prétendues qualités qui sont l’apanage de la
multitude des médiocres, et retrouver par là, la liberté primordiale.
Voilà le fond de leur pensée. Le Cynique au sens hellénistique du terme
n’a rien à voir dans sa définition avec le mot que nous utilisons
couramment, celui-ci dénonce avant tout la domination exercée par le
plaisir sur les hommes engendrant le dégoût de tout ce qui le contrarie
: la texture d’une vie humaine en quelque sorte (le travail, les
revers, la souffrance). Le seul bonheur dans la recherche passe par
l’autarcie, le fait de se suffire à soi-même. Tout ce qui entrave la
liberté individuelle doit donc être rejeté, ainsi arrive-t-on à une
sérénité inaliénable que ni la pauvreté ni la mort d’un proche ni des
liaisons malheureuses ne peuvent plus atteindre. Les Cyniques portent
l’ironie socratique à l’extrême. Diogène prenant le soleil devant le
Grand Alexandre qui lui dit « Demande moi ce que tu veux »
celui-ci rétorque : « Ôte toi de mon soleil ou, arrête de me
faire de l’ombre. »
suivant qu’on veuille donner une traduction plus symbolique ou plus
personnelle aux dires de Diogène Pour Platon, reprenant la
doctrine de Socrate et se voulant l’accoucheur de la pensée, le « Connais-toi
toi-même »
n’est pas une simple maxime ou un conseil, mais suivant la pensée
maïeutique de celui-ci, une exhortation à la réflexion, une ouverture à
la recherche de la sagesse qui permet de passer de l’opinion répandue,
reçue et définitive, naïve et erronée, à l’idée débarrassée de ses
scories sensibles. « Si l’on interroge bien les hommes, en
posant bien les questions, ils découvrent d’eux-mêmes la vérité sur
chaque chose. ».
Pour arriver à cette façon de réfléchir, il faut se rappeler que tant
que nous aurons un corps associé à la raison dans notre recherche et
que notre âme sera contaminée par un tel état, nous n’atteindrons
jamais complètement ce que nous désirons et nous disons que l’objet de
nos désirs, c’est la vérité. L’amour charnel, la maladie, le désir de
nous nourrir, les chimères, les innombrables sottises sont autant
d’entraves à notre chasse au réel. Il semblerait que la mort soit un
raccourci qui nous mènerait au but puisque le corps nous paralyse, il
faut donc nous séparer de lui et regarder avec l’âme seule, les choses
en elles-mêmes. Cette vertu prônée par le fondateur de l’Académie n’est
pas loin de la pensée maçonnique dans sa recherche du principe.
« Qu’avez vous aperçu en entrant en loge ?
Rien que l’esprit humain ne puisse comprendre... il ne suffit pas à
l’homme d’être mis en présence de la vérité pour qu’elle lui soit
intelligible...» etc...
« On
ne devient homme qu’en se surpassant» : voilà la pensée vertueuse
d’Aristote. Jusqu’à maintenant sa pensée reste pour nous fondamentale.
Tel monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, nous
fonctionnons encore sur les modèles aristotéliciens (essence,
existence, forme matière, puissance, acte) même chez Heidegger résonne
l’écho de ses méditations ontologiques au travers de l’éternelle
question posée par Aristote lui-même : «Qu’est-ce que l’être en tant
qu’être ? ». Le fondateur du lycée et ses élèves
les
péripatéticiens aimaient à se promener dans les allées arborées du
gymnase en s’opposant à la philosophie platonicienne dont la finalité
restait, en grande partie politique. Ces disciples d’Aristote
affirmaient bien au contraire que le bonheur tout secondaire que
procure la pratique de la vertu dans la Cité n’est d’aucune mesure au
regard des vertus philosophiques consacrées entièrement à l’esprit qui
procure le détachement des biens et des préoccupations matérielles.
C’est cette manière qui permet à l’homme d’être libre. L’homme ne vit
plus en tant qu’homme, mais en tant qu’il possède quelque chose, de
divin.».
Les vertus philosophiques des péripatéticiens
Ce paradoxe subtil fait de ce qui transcende l’homme, son essence même,
à savoir sa pensée. Le sommet du bonheur philosophique, la
contemplation de l’intellect divin, la vision de la vérité en quelque
sorte n’est accessible à l’être humain qu’en de rares moments Le reste
du temps le philosophe doit chercher passionnément. Vous sentez comme
moi toutes les imprégnations de ces philosophes sur notre cheminement
maçonnique. Cette recherche continuelle que nous pratiquons nous-même.
Aristote ouvre le traité sur « la métaphysique »
avec cette affirmation : « que
la philosophie naît de l’étonnement mais cet étonnement est un
émerveillement interrogatif toujours reconduit et jamais à bout de
souffle.» Notre rituel ne dit pas autre chose. Or apercevoir
une
difficulté et s’étonner, c’est reconnaître sa propre ignorance.
Poursuivre sa recherche de la connaissance en vue du savoir et non pas
à des fins utilitaires voilà la vraie vertu qu’on pourrait appeler :
sagesse.
Et Zénon le stoïque ? On allait
l’oublier celui-là. Sa philosophie ? Un sport de combat mental pour
escalader les hautes altitudes du malheur humain. Du pain des figues,
un peu d’eau, voilà le suffisant pour écarter les préoccupations
matérielles et pour préserver le « Dieu intérieur ».
Cette attitude vertueuse va séduire bien des philosophes de l’Antiquité
comme Épictète, Sénèque ou Mare-Aurèle. « Toujours vouloir
la même chose, toujours refuser la même chose »
Sénèque pratiquera cette vertu jusqu’à son suicide imposé par Néron. Le
but du stoïcisme, c’est de réduire notre souci au noyau de ce qui
dépend vraiment de notre volonté. La condition humaine est telle que
les désastres ne sont pas seulement probables mais certains et qu’il
faut essayer de les envisager comme tels pour cesser de les redouter
indéfiniment. « Bouffonneries et luttes sanglantes,
agitation, torpeur, esclavage de chaque jour » :
écarter tout ceci de nos pensées, afin de préserver notre « Citadelle
intérieure »
si nous voulons vivre libre. Le M\ libre n’est-il pas celui
qui a
réussi à rejoindre sa citadelle intérieure à la recherche du Principe ?
Les passions humaines ne sont alors que de fausses évaluations et nous
devons regarder l’objet qui suscite l’emportement dans sa « nudité »
comme le dit Mare-Aurèle : « La pourpre... ce n’est que du
poil de brebis mouillé avec le sang d’un coquillage ». Mais
il n’est point facile de se libérer de toutes contingences et dans ce
dessein Zénon nous propose « de nous mettre sous les yeux le
gouffre sans fond du temps » Vaste programme !
D’autres vont s’opposer à cette façon de voir comme Épicure le bien
vivant.
Il y a une manière d’interpréter la philosophie d’Épicier celle qui
consiste à penser que tout son discours est orienté vers le plaisir, la
débauche et l’excès, c’est bien mal entendre le message épicurien que
de s’imaginer une vie débridée. Les vertus épicuriennes résident dans
la maîtrise de soi pour accéder à la sagesse. Savoir mettre son corps
en harmonie avec son âme pour bien maîtriser sa pensée. « Se
suffire à soi-même est la plus grande richesse »
enseignait ce végétarien. Car la vertu première de l’épicurien, c’est
de se défaire de ses peurs et ne pas penser la divinité en fonction
d’un quelconque châtiment. L’homme tourmenté ne peut accéder au plaisir
encore moins au plaisir spirituel.
Pour parler comme on parle
actuellement : Être bien dans sa peau facilite la pensée vers le
Principe. L’épicurisme, au contraire, c’est avant tout le moyen de
passer par une ascèse des désirs qui sont de trois sortes : Les désirs
naturels et nécessaires (manger dormir avoir chaud) les désirs naturels
et non nécessaires (manger des mets raffinés, faire la grasse matinée)
et les désirs vides de sens, non nécessaires et non naturels (avoir une
Porche, être riche ou courir les honneurs.) Ainsi une âme saine dans un
corps sain prédispose à la recherche de la vertu. Purgé des désirs
vains et délivré des craintes superstitieuses, le sage accède enfin à
l’ataraxie : la paix de l’âme. Lucrèce fera de la philosophie
d’Épicier son cheval de bataille dans « De natura rerum (De
la nature des choses) » et jusqu’à Montaigne qui se
délectera « des doux fruits d’Épicier. ».
Je vous sens sceptiques tout à coup sûr ce que je viens de vous dire,
comme je vous comprends. Le scepticisme aussi est une vertu professée
par Pyrrhon au troisième siècle avant JC. Vivre c’est douter et douter
c’est chercher la réponse qui convient et nous sommes des cherchants.
« Croyez vous en Dieu demandait - on à Jean Cocteau et il
répondait « Je ne crois pas en Dieu .... Je doute en Dieu »
cette philosophie rejoint un peu sous certains aspects celle de Socrate
et de Platon : « les opinions des hommes recouvrent une
ignorance qui s’ignore ».
Pour Pyrrhon, « peut-on
accorder une quelconque valeur à nos opinions quand rien ne garantie
leur véracité, à nos sensations lorsque celles-ci ne sont que
subjectives ? ». Face aux illusions des sens et à la
diversité
des croyances qui jettent le trouble chez l’homme, Pyrrhon conclut à la
nécessité de la suspension de tout jugement que suit comme une ombre la
paix intérieure. Puisque tout est indéterminé et qu’à tout argument
s’oppose un égal argument, seul le doute nous est autorisé. « Indifférentes,
immesurables indécidables sont les choses ».
Il ne reste aux sceptiques qu’un mode de vie fondé sur (l’adiaphorie)
l’impassibilité et (l’aphasie) la non-affirmation. Pyrrhon en fut le
parfait exemple et si estimé dans son pays que grâce à lui on accorda à
tous les philosophes l’exemption d’impôts. Pour terminer cette revue de
détail qui a dû quelque peu vous fatiguer, j’aimerais citer pêle-mêle
quelques philosophes qui ont contribué par leurs pensées
àgénérer
ou à développer ces vertus primordiales : entre autre Héraclite qui
réfléchissait sur l’instabilité des choses, le mouvement, la
métamorphose. Pour lui l’immobilité n’est qu’une illusion qui résulte
des mouvements contraires qui se contrarient, ce principe est valable
pour la pensée et la connaissance elle même puisqu’il est impossible de
penser une chose sans son contraire. De même qu’on ne peut pas
descendre deux fois la même rivière se plait à dire Héraclite de même
il dit : « Sans l’espérance, vous ne trouverez pas
l’inespéré qui est introuvable et inaccessible » ou encore
« Il
y a une harmonie dérobée, meilleure que l’apparente où le Dieu a mêlé
et profondément caché les différences et les diversités ».
Nous
ne sommes pas loin de notre propre quête maçonnique et ces phrases
prononcées cinq siècles avant notre ère forment la charpente de notre
pensée. Je ne voudrais pas oublier Marc-Aurèle dont les méditations au
premier siècle de notre ère sont une synthèse des maîtres grecs. Ses
écrits ne sont que pour lui-même, mais constituent un témoignage de
l’âme : « Nulle part l’homme n’a de retraite plus tranquille
que celle qu’il trouve dans son âme ».
Enfin pour Lucrèce en dehors du fait que la science de la nature doit
nous délivrer des craintes et des superstitions, la connaissance
matérialiste de l’Univers ne doit pas nous faire oublier notre
condition d’humain et au contraire nous éviter de pleurer sur notre
propre fin puisqu’il est absurde de penser que quelque chose de nous
vivant va survivre pour assister à notre propre devenir charnel et à
notre déconfiture organique.
Image assez peu
exaltante que se faisait le peintre Elisabeth-Louise Vigée-le Brun de
«la vertu»
Vous pouvez constater que la vertu recouvre bien des aspects de la
pensée qui vont au-delà des qualités morales bassement profanes et que
la propension à faire le bien recouvre un champs d’action et de
réflexions assez vaste qui s’inscrit dans une recherche bien plus large
que les vertus dogmatiques théologales : foi, charité et espérance.
C’est ici que la maçonnerie nous apporte cette synthèse des recherches
et des réflexions passées, en nous donnant les outils affûtés de la
réflexion et en y ajoutant une vertu primordiale : l’amour. Sans amour,
qui est le corollaire de la sagesse il n’y a pas de divin possible.
L’amour transcendant, c’est la quête du secret, de l’indicible, du
principe, voilà la vraie vertu maçonnique.
L’amour transcendant la vraie vertu maçonnique.
Et pour en finir accordez moi la possibilité de vous lire un court
extrait de Pierre Hadot dans sa leçon inaugurale de la chaire
d’histoire de la pensée hellénistique et romaine au collège de France
en 1983 sur le thème de l’éloge de la philosophie antique :
« Le
souci du destin individuel et du progrès spirituel, l’affirmation
intransigeante de l’exigence morale, l’appel à ta méditation,
l’imitation à la recherche de cette paix intérieure que toutes les
écoles, même celle des sceptiques proposent comme fin à la philosophie,
le sentiment du sérieux et de la grandeur de l’existence, voilà, me
semble-t-il, ce qui dans la philosophie antique n’a jamais été dépassé
et reste toujours vivant. Certains verront peut-être dans ces attitudes
une conduite de fuite, une évasion, incompatible avec la conscience que
nous devons avoir de la souffrance et de la misère humaines, et ils
penseront que le philosophe se révèle ainsi comme irrémédiablement
étranger au monde. Je répondrai simplement en citant ce beau texte de
Georges Friedmann daté de 1942, qui laisse entrevoir la possibilité de
concilier le souci de la justice et l’effort spirituel, et qu’un
stoïcien de l’Antiquité aurait pu écrire : « Prendre son vol chaque
jour ! Au moins un moment qui peut être bref pourvu qu’il soit intense.
Chaque jour un “exercice spirituel” seul ou en compagnie d’un homme qui
lui aussi veut s’améliorer... Sortir de la durée. S’efforcer de
dépouiller tes propres passions... S’éterniser en se dépassant. Cet
effort sur soi est nécessaire, cette ambition, juste. Nombreux sont
ceux qui s’absorbent entièrement dans la politique militante, la
préparation de la révolution sociale. Rares, très rares, ceux qui,,
pour préparer la révolution, veulent s’en rendre dignes. ».
Y/ G/
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