GLNF Loge : Saint Jean d'Ecosse et la Vertu persécutée - Orient d'Avignon Date : NC


Autour de la vertu

La vertu dans le rituel du 1er degré

Le devoir par amour,
voie de l’individuation par l’oubli du Moi


Dans l’instruction au premier degré, l’une des questions reprend ainsi la notion de devoir :
« Quels sont les devoirs d’un Franc-Maçon ?» à quoi l’interrogé doit répondre : « Fuir le vice et pratiquer la vertu ». A la fin de l’ouverture des travaux, parmi les questions rituelles posées par le V\ M\ à tout F\ entrant après la cérémonie, figure celle-ci : « Que fait-on dans une Loge de Saint-Jean ? » ; l’interrogé répond : « On y tresse des couronnes pour la vertu ; l’on y forge des chaînes pour les vices ».

Essais d'extraction de la quintessence des textes

Bref, comme on vient de le voir, cette notion de vertu est omniprésente dans notre rituel. On nous y parle tantôt de la vertu, et tantôt des vertus, lesquelles semblent être l’ensemble des attitudes constituant globalement la vertu Essentiellement, on remarque que d’une part :
1/ nous devons pratiquer, aimer (« cœur embrasé de son amour ») et glorifier la vertu (lui
« resser des couronnes »).
2/ il nous est aussi demandé d’éventuellement la venger.

A ce stade, la comparaison est facile avec l’attitude préconisée par toutes les religions envers le Créateur, qui doit être adoré et glorifié, voire vengé. C’est une attitude somme toute basique, presque dogmatique. On ne nous demande pas notre avis et, s’il fallait s’en tenir là, la Maçonnerie n’aurait pas grand-chose d’initiatique.
et d’autre part :

1/ A chacun de nous, en son âme et conscience, d’en définir les limites (« Charité cessant d’être une vertu si elle est pratiquée au préjudice de devoirs plus sacrés »).
2/ Si cette pratique fait d’une façon générale s’aplanir les obstacles sous nos pas, elle peut aussi exiger l’oubli de nos intérêts propres. Là, nous sommes invités à une réflexion sur la vertu, ce qu’elle est, les conséquences que sa pratique et son amour peuvent avoir. « Le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté », chantait le poète ; et l’histoire fourmille d’exemples d’hommes vertueux condamnés pour avoir proclamé la vérité dans les différents domaines où elle s’exprime, de Jésus Christ, crucifié, à Giordano Bruno, condamné au bûcher, via les intellectuels russes prisonniers des goulags ou aux opposants congolais réduits à un définitif silence, ou encore nos glorieux prédécesseurs avignonnais, grands praticiens de la vertu et persécutés par l’Inquisition, toutes choses qui nous horrifient mais qui n’en sont pas moins vraies. Ainsi, lorsque nous avons défini et intégré cette notion de vertu, reste à la pratiquer, éventuellement au mépris de nos intérêts propres.
Il y a donc là une première invitation, apparemment paradoxale, à nous réaliser en tant qu’individus (processus d’individuation) en nous oubliant en tant que tels ! Et ceci, en mettant en avant, par deux fois, la notion de devoir : d’abord en énonçant que la pratique des vertus est, avec le combat de ses propres passions, le second et plus fondamental des trois devoirs, et ensuite dans l’instruction, où l’on va encore plus loin en énonçant comme seuls devoirs la pratique de la vertu et la fuite du vice. Or, pratiquer la vertu, comme le dit l’un de nos F\ les plus éminents, c’est « mourir à la chair et faire fructifier son esprit, dans une recherche active et réfléchie de la vertu » ; cette vertu, Platon l’a finalement définie, dans le Lachès, comme « la science de tous les biens et de tous les maux, et l’homme qui les connaîtrait tous posséderait la vertu entière ». On comprend mieux, dès lors, qu’elle soit l’unique objet de la démarche maçonnique, et nous sommes loin des idées sociales, désuètes et convenues, voire religieuses au sens étroit, de la vertu.

Cette première approche permet déjà de constater, j’espère l’avoir démontré, que la pratique de la vertu est une véritable ascèse qui suppose oubli de soi et conscience de la nécessité du devoir.

La grande question...


Reste que si « la vertu est une force de l’âme qui nous porte à faire ce qui est bien, même au détriment de notre propre intérêt », il reste quand même à définir l’essentiel, à savoir… le bien.
Le bien, dans son acception absolue, est, me semble-t-il, ce qui depuis toujours et pour toujours est dans l’intérêt de l’autre, de la société humaine et plus généralement de la vie, donc en dernier ressort de soi-même, en tant que partie intégrante de ce monde manifesté. Dans la mesure où on l’évoque de façon absolue, ce ne peut être qu’au niveau des idées ; je crois qu’on peut admettre que le décalogue est un bon exemple de ce qu’il ne faut pas faire : tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, etc. ; on notera au passage qu’on dit ce qu’il ne faut pas faire, pas ce qu’il faut faire, comme si le bien était en définitive l’absence de mal…

Du relatif à l’absolu

Ne pas voler, c’est donc bien, dans l’absolu ; le faire quand même, braver l’interdiction morale et sociale, c’est s’exposer à des sanctions qui apparaissent comme émanations du bien puisqu’elles s’opposent au mal. Mais ces sanctions elles-mêmes fluctuent d’une époque et d’un pays à l’autre, et nous amènent à relativiser cette notion de bien, parce que ce qui est conforme aux nécessités de survie harmonieuse de la société et de ses membres est nécessairement de nature contingente, susceptible de changement avec le temps. Je prendrais un exemple de nature à ne pas, je l’espère, heurter vos convictions personnelles : il apparaissait aux Juifs d’il y a deux mille comme un bien de lapider la femme adultère ; c’était se conformer à des usages d’ordre religieux, donc salvateurs, donc positifs. Il en allait de même pour la punition qui consistait à amputer le voleur d’une main. Ces mesures protégeaient la famille, cellule de base de la société, et les biens des individus. Aujourd’hui, ce type de sanctions, qui restent d’actualité dans certains pays du Moyen-Orient, est quasiment regardé par ceux qui les pratiquaient hier comme le mal absolu, parce que la protection de leur société et de ses membres passe maintenant par d’autres moyens.
Nous, Maçons, où nous situons-nous donc ?
Pour moi, clairement, dans la recherche du bien dans son acception absolue, puisque, par ailleurs, nous nous sommes tous engagés à respecter les lois de nos pays ; celles-ci sont l’expression du bien légal du moment (les lois changent), elles représentent donc le bien relatif et, dans leur grande sagesse, nos prédécesseurs qui savaient bien que toute discussion à leur propos serait stérile nous ont seulement invités à les respecter sans, en tant que maçons, les discuter. Dans l’absolu, on peut sans doute s’entendre sur une approche de définition du bien : est bien ce qui concourt à l’amélioration de notre condition en général, sans être soumis aux fluctuations liées aux temps et aux lieux. Est donc bien ce qui est libre ou plus précisément affranchi de toute détermination extérieure à nous. Nous retombons là sur l’idée maçonnique fondamentale de détachement des choses de la chair et de l’attachement aux choses de l’esprit. Je vais ici citer Platon qui, dans le Phédon, fait ainsi parler Socrate : « Aussi bien, reprit Socrate, le fait de voir un homme s’irriter d’être sur le point de mourir, ce fait ne témoigne-t-il pas suffisamment que l’homme n’est pas philosophe, n’est pas, il le montre bien, un ami de la sagesse, mais que c’est du corps qu’il est un ami ». Voilà bien le fond de l’affaire : est donc bien ce qui ne saurait être pour soi porteur de souffrance ; mais, comme le dit notre rituel, c’est un long, très long travail.

Ne tenant pas à allonger démesurément des propos qui vont assurément gagner à s’enrichir de vos points de vue, j’ai envie de terminer sur une pseudo-boutade, qui résume pourtant parfaitement et définitivement pour moi la nature profonde du bien, donc de la vertu : c’est l’amour, un amour absolu et de l’absolu, qu’il nous sera sans doute un jour donné de contempler en haut de l’échelle. Mais je conçois que ce résumé apparaisse comme quelque peu saisissant…

La vision de la vertu dans les cultures orientales

L’objet de ce petit exposé n’est pas de survoler des connaissances que l’on trouve dans les bibliothèques, mais de montrer que des cultures lointaines, malgré les différences de races et d’époques, peuvent être mises en parallèle avec nos propres pratiques.
Comme on le sait, l’Inde fut un foyer fertile en doctrines spirituelles : brahmanisme, hindouisme, greffées sur les grands textes épiques du XVème siècle avant notre ère, les Védas. Le Bouddha naquit au Vème siècle avant notre ère en Inde. Il atteint l’illumination, autrement appelé Nirvana. Ensuite il enseigne, transmet sa méthode à ses disciples. De nombreuses doctrines bouddhiques en découlent. Comme toujours, ces doctrines de sagesse sont des réactions au spectacle de la souffrance, de la maladie, de la guerre et des massacres, qui font l’ordinaire des sociétés de ces époques, et peut-être des nôtres. Tous ces maux ont leur cause dans une condition humaine, individuelle et sociale, qu’il s’agit de réformer, afin de vaincre les passions, la guerre et les maux qui en découlent, et la programmation collective de la mort. Au VIème siècle de notre ère, Bodhidharma, l’un des patriarches qui transmettent le Dharma, la Loi, la Voie, la Vertu, part vers l’Est, atteint la chine et enseigne le Bouddhisme qui devient, en se combinant au Taoïsme, le Chan chinois. Six siècles plus tard, au XI°siècle, Maître Dogen, un Japonais vient en Chine, y étudie le Bouddhisme Chan et revient au Japon l’enseigner. Le Chan deviendra le Zen japonais.

À noter que le but à atteindre : Illumination ou Nirvana n’est pas l’immortalité au sens où nous l’entendons, mais tout le contraire : la réalisation ultime du Bouddhiste est la fin des réincarnations, l’extinction du désir de renaître, afin de disparaître définitivement, de se fondre dans le tout indifférencié. C’est là la béatitude du Bouddhiste. La mort est vaincue en quelque sorte en accomplissant la mort. II peut s’agir de la mort de l’Ego, pour naître et se fondre dans le Soi, l’âme cosmique, impersonnelle. Mais venons-en à la Chine à laquelle nous réservons cet exposé. La Chine est à l’honneur cette année, avec son décollage économique, avec la visite du Président Chinois en France, avec un regain d’intérêt pour la culture chinoise, notamment au récent Salon du Livre à Paris qui lui a été consacré.

En réaction à la suffrance à la maladie, à la guerre...

Nous verrons en Chine, une conception morale de la vertu, avec Confucius, puis avec les Taoïstes une autre conception de la vertu, différente, en réaction au Confucianisme. Car avec Confucius, il s’agit de la morale ordinaire de l’homme en société, la morale de la vie profane, si l’on veut. Nous passerons sur le Bouddhisme chinois, le Chan, afin de ne pas trop nous étendre sur le sujet. Pour nous familiariser avec ces doctrines, tentons un rapprochement avec notre Art maçonnique. La phrase du rituel : « que rentrés dans le monde, on reconnaisse à leur sagesse les vrais enfants de la lumière » afin d’achever au-dehors l’oeuvre commencée dans le Temple invite à un comportement exemplaire hors du Temple, dans le monde. Ce comportement vertueux dans le monde correspond assez bien à l’enseignement de Confucius. Et ce qu’enseigne Confucius pour y parvenir c’est l’apprentissage des « dénominations justes ». Autrement dit bien comprendre la langue, les idéogrammes chinois, particulièrement afin de se comporter toujours selon la règle, d’accomplir fidèlement et avec rigueur les rites et les nombreuses cérémonies qui rythment la vie quotidienne du Chinois éduqué. Ce que nous appelons parfois « le catéchisme », l’enseignement du rituel y ressemble beaucoup.
Ainsi, bien des F\ M\ suivent l’enseignement de Confucius sans le savoir. En effet il est le spécialiste des cérémonies, l’érudit féru d’histoire des rites, l’homme attentif à la règle en toute chose. Ne croirait-on pas avoir affaire à un F\ M\ ?
Cette morale n’est pas déduite d’une métaphysique comme dans le Bouddhisme et le Taoïsme, ni d’une Révélation divine, comme dans les 3 religions de la Bible, mais d’une simple sagesse inhérente à la nature humaine. Confucius est un humaniste avant la lettre. Il ne parla qu’en sage, et jamais en prophète.
Il enseigna que notre vie intime et officielle, que l’ordre familial et social seront assurés par l’exactitude du langage exprimant la pensée, par la droiture du coeur, par la politesse et la pratique des rites. II se souciait plus d’expériences vécues et de pratiques que de référence autoritaire à des livres. Confucius joue toujours un rôle important dans la vie de millions de Chinois ; même Mao citait volontiers Confucius pour endoctriner les foules.
Au contraire de Confucius dont les Mandarins, ces hauts fonctionnaires, adopteront la doctrine, pour le Taoïste, la société organisée, la société profane, si l’on veut, ne peut que perpétuer le pire : conflits sanglants, guerres, massacres, tyrannies. Pour transformer réellement l’homme et la société, l’homme vertueux doit donc se retirer loin du pouvoir politique, loin de l’agitation, comme on le faisait au Moyen Age en se retirant dans un monastère.
Ainsi le silence de l’apprenti invite à effectuer un moment ce retrait de la vie courante, ce retour sur soi, selon la formule « V.I.T.R.I.O.L. » du cabinet de réflexion.

La Nature est Temple où de vivants piliers...


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