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Quels sont les devoirs d'un F M ?

Fuir le vice et pratiquer la vertu


Cette phrase contenue dans le mémento de l'apprenti, nous la connaissons tous. J'avoue que pour ma part, en la découvrant pour la première fois, j'ai été assez surpris. Surpris par la brièveté des réponses à une aussi vaste question. Surpris aussi par les termes employés. Le vice ? La vertu ? De quoi me parlait-on ?

Tout jeune initié, le terme de « vice » évoquait spontanément pour moi une conduite déviante, des pratiques que la morale officielle ne pouvait que réprouver, mais qui, avouons-le, n'en sont pas moins parfois souvent fort agréables. Après tout, le langage commun distingue bien les « petits » vices des gros. Quant à la vertu, le mot possédait le parfum un peu suranné et pour tout vous dire, il sentait pour moi la naphtaline.

Mais la Maçonnerie nous apprend, notamment, à aller au delà des apparences et, en l'occurrence, à s'interroger sur le sens des  mots. Je me propose donc dans ce court travail d'apporter un éclairage sur le sens possible de ces deux termes employés pour définir les devoirs d'un FM. A savoir dans un premier temps « fuir le vice » et dans une deuxième temps, « pratiquer la vertu ».

Commençons donc par le vice. Dans l'acception initiale du mot, vice désigne un défaut, une imperfection grave. L'expression moderne « vice de forme » ou « vice de raisonnement » contient bien cette idée de malformation et d'imperfection. Si donc le devoir du FM est de fuir le vice, il faudrait donc entendre par là que nous devons avoir comme souci constant d'éliminer les défauts et les imperfections qui sont en nous. Un travail long et difficile, et qui se trouve en parfaire cohérence avec notre engagement maçonnique.

Souvenons-nous de la réponse qui nous avons tous donné au VM lors du passage sous le bandeau et au tout début de la cérémonie d'initiation lorsque celui-ci nous a demandé « pourquoi voulez-vous devenir FM ? ». Si chaque réponse a été différente dans  son expression, suivant en cela l'histoire et la sensibilité de chacun, nous avons tous exprimé avec nos mots un désir de changement, de perfectionnement personnel. Ce désir de changement, nous pouvons le voir comme un axe qui va guider toute notre démarche maçonnique. Dès lors, il nous appartient de rendre effectif ce désir de changement. Car c'est bien de notre propre et libre volonté que nous avons reçu l'initiation et prêté notre serment. Et c'est donc aussi de notre responsabilité que de réussir ou non cet engagement.

Il faut ici peut-être revenir au sens premier du mot initiation, ce mot venu du latin initiare : Quels sont les devoirs d'un FM ? »
« Fuir le vice et pratiquer la vertusignifie commencer. Une manière de dire qu'en devenant initié et FM, nous disposons du cadre, des outils et d'une méthode pour débuter une nouvelle vie. Mais la réalisation effective de ce projet dépend de nous, et de nous seuls. Toute la difficulté du travail se situant entre le désir et la réalisation de ce désir. Un chemin difficile ou les pièges et les embûches ne manquent pas. Nous les connaissons tous. En premier lieu ces fameux « métaux » qu'il nous est demandé de laisser à la porte du temple. Des métaux qui peuvent se nommer préjugés et aprioris, ces maigres béquilles de la pensée et qui sont si courants dans le monde profane. S'en débarrasser demande une grande exigence de lucidité et de persévérance. Et le miroir qui nous est tendu lors de notre initiation désigne clairement quel sera notre meilleur ennemi dans cette démarche. Dans le même temps, les visages bienveillants des FF réunis dans la chaîne d'union alors que le bandeau nous est enlevé nous désigne tout aussi clairement quels seront nos guides et nos compagnons sur cette route longue comme la vie.

Après avoir envisagé le « pourquoi » fuir les vices, voyons maintenant comment le faire. Car vouloir éliminer les défauts et les imperfections suppose des outils et une méthode. La méthode maçonnique, basée sur le symbolisme et son interprétation, ainsi que sur la pratique d'un rituel codifié en est une. Il en existe d'autres dans le monde profane. Je pense ici notamment à la psychanalyse qui vise, elle, avant tout à guérir l'homme de ses blocages et de ses névroses. Mais donc aussi, in fine,  à le transformer, à le faire émerger tel qu'il est, en faisant mourir le vieil homme qui est en nous.

Psychanalyse et démarche maçonnique restent certes différentes dans leur méthode et leurs présupposés. Il est pourtant intéressant d'interroger l'usage qu'elles font du silence. Dans la cure psychanalytique, le thérapeute est muet. La cure s'effectuant au cours d'un long travail mené par le patient à partir des mots dont il se sert pour exprimer ses maux. Son expression étant d'autant plus libre que le silence est fort. En FM, c'est l'apprenti qui est muet. Une privation de parole durant les tenues qui l'amène à pratiquer une écoute active, et qui le conduit à devenir plus attentif à lui même et aux autres. Le silence est ici un outil et une condition nécessaire pour effectuer cette introspection à laquelle l'initiation nous appelle.

Éliminer ses défauts, une manière plus moderne de dire « fuir le vice », c'est donc aussi dégrossir la pierre brute pour devenir la pierre cubique qui s'intégrera à l'édifice. Ce qui suppose également de chercher à retrouver le plan de l'édifice à construire, un plan qui se cache avant tout en nous même. Une idée qui nous est suggérée par la formule VITRIOL que nous rencontrons dans le cabinet de réflexion. « En rectifiant tu trouveras la pierre cachée » nous dit clairement aussi bien la méthode que l'objet de la recherche. Rectifier signifiant ici remettre droit, cette formule nous suggère qu'en tant qu'être humain, nous avons tous une pierre précieuse cachée au plus profond de nous mêmes. Et que seul un long et patient travail d'élimination de nos défaut peur nous amener à mettre au jour.

Passons maintenant au deuxième point de cette planche.
Qu'en est-il donc de « pratiquer la vertu » ?


Au sens étymologique du terme, la vertu désigne le courage, la force d'âme, la sagesse, l'énergie morale. Le mot vient du latin « virtus » qui signifie « mérite de l'homme ». Les anciens avaient défini quatre vertus cardinales d'après quatre genres d'emportement. L'emportement de la peur définit par opposition la vertu de courage. L'ivresse, qui est l'extrême du désir, définit la tempérance. L'emportement de la convoitise définit la justice; et l'emportement des disputeurs définit la sagesse. Ces vertus classiques deviennent dans le christianisme, les trois vertus théologales que sont la foi, l'espérance et la charité.

La vertu peut aussi être entendue comme « la disposition constante à accomplir une sorte d'actes moraux par un effort de volonté » comme nous l'indique le Petit Robert. Cette définition contient à mon sens deux éléments intéressants et qui peuvent nous donner à réfléchir sur la manière de pratiquer la vertu. Ces deux éléments étant la constante et l'effort. En effet, il ne peut s'agir de pratiquer la vertu une fois de temps en temps, ou bien quand cela nous arrange, voire quand cela peut servir nos intérêts. Sans constance, on le voit facilement, la vertu ne serait que simple hypocrisie.
L'idée que la vertu suppose un effort de volonté nous dit aussi que la vertu ne va pas de soi, qu'elle n'a rien d'évident, qu'elle est le résultat d'une réflexion active et d'une détermination forte. Pratiquer la vertu suppose aussi du courage. Elle suppose de savoir dire non à la facilité des faux semblants et des faux-fuyants.

L'emploi du verbe « pratiquer » n'est donc pas ici innocent. Lorsque dans le monde profane on parle de pratiquer un sport par exemple, cela suppose un entraînement, et donc d'y consacrer du temps et de l'énergie. En aucun cas il s'agit de regarder le match de foot du dimanche à la télé en buvant des bières avec ses amis. Il en va de même pour pratiquer la vertu. Cette pratique ne peut s'envisager comme une simple déclaration d'intention, mais bien comme un engagement tout ce qu'il y a de plus personnel. Un engagement qui peut entrer parfois en conflit avec nos intérêts immédiats, notre sécurité ou notre vie. N'oublions pas en effet que le mémento de l'apprenti répond à la question de savoir comment le FM doit il pratiquer la vertu, et disant qu'il doit « préférer à toutes choses la justice et la vérité ».

Ce qui signifie notamment que pratiquer la vertu peut amener à devoir dire « non » à un ordre injuste. Avec toutes les conséquences qu'il peut s'en suivre. Je pense tout particulièrement aux périodes de guerres ou de dictatures où refuser de se  soumettre peut conduire à la torture ou à la mort. Et parfois je me demande : Qu'aurais-je fait moi à la place de tous ces résistants ? Aurais-je été au bout de ma logique en préférant la justice et la pratique de la vertu ? Question vertigineuse qui n'appelle surtout pas de réponse, mais qui permet de resituer les termes et les perspectives de l'interrogation.

Préférer à toutes choses la justice et la vérité demande de la lucidité pour déterminer ce qui est juste et du courage pour défendre cette vérité. Cela suppose aussi d'avoir suffisamment de points de repères pour déterminer ce qui peut-être juste et vrai. Cela suppose d'avoir suffisamment rectifié en soi-même défauts et imperfections jusqu'à acquérir cette conduire juste et droite. Et ne pas oublier le proverbe latin « in medio stat virtus », qui se traduit littéralement par « au milieu se tient la vertu » ou bien plus couramment par « la vertu est éloignée des extrêmes ». Comme pour mieux rappeler que la pratique de la vertu reste décidément un exercice d'équilibre bien périlleux. Et ceci, d'autant plus dans nos sociétés occidentales d'aujourd'hui.
En effet, qu'en est-il de la vertu dans le monde contemporain ? Il faut se souvenir en effet que pour les anciens la vertu fondait la valeur de l'homme. Chez les Romains, le modèle de l'homme vertueux reste le citoyen, courageux au combat et qui agit de manière désintéressée. Le héros parfait de cette époque étant Cincinnatus qui, après avoir conduit les troupes romaines à la victoire, préfère retourner à son travail des champs plutôt que d'accepter le pouvoir absolu qu'on lui propose. Alors qu'aujourd'hui, nos avons plutôt droit à des politiciens qui conduisent leurs troupes à la défaite et sollicitent néanmoins leur réélection du suffrage universel.

A l'évidence, cette vertu « classique » n'a plus court désormais. A quoi cela est–il du ? Sans doute pour une large partie au matérialisme ambiant qui privilégie la technologie au détriment de l'humain. Nous vivons désormais dans une société où, pour ne parler que de la guerre, le courage individuel - un élément essentiel des combats classiques - compte moins que la puissance technologique déployée. Ce qui ne préjuge d'ailleurs en rien sur les résultats d'une confrontation armée. Certaines guerres récentes, je pense ici au conflit Vietnamien ou Afghan, montrent que la puissance technologique peut se trouver mise en échec par la détermination de combattants équipés de matériels moins sophistiqués.

Cet effacement de l'humain au profit de la technologie se retrouve également dans notre vie quotidienne. Notamment avec la place essentielle occupée les machines, et surtout depuis une trentaine d'années par l'informatique. Dans cette configuration, les qualités personnelles de l'individu perdent de leur importance puisque la puissance de calcul et de mémoire devient extérieure à l'homme. Certes, l'être humain reste encore maître des réseaux et des machines. Mais qu'en sera-t-il dans dix ou vingt ans avec le développement des recherches sur l'intelligence artificielle ? Et que serions-nous si d'un coup, l'internet ne fonctionnait plus et que nos ordinateurs restaient muets ?
C'est donc peu dire que la vertu n'a plus guère droit de cité. Une autre raison de cette désaffection réside peut-être dans la connotation négative qu'a pris le mot vertu.

Courage, tempérance, justice, sagesse : nos quatre vertus de nos grecs et romains classiques ont souvent été réduites, via le discours religieux issu du christianisme a propos de la sexualité, à des notions étriquées comme la chasteté et à la pureté. Ce qui ne facilite pas à l'évidence une éventuelle réhabilitation du mot vertu. Quels sont les devoirs d'un F M ? 
« Fuir le vice et pratiquer la vertu »
Derrière ce mot se cache pourtant des concepts forts et qui sont pourtant plus que jamais nécessaires à la vie collective d'aujourd'hui. Revisiter la notion de vertu permettrait peut-être de retrouver l'homme-esprit qui disparaît trop sous l'homme-machine. En continuant de proclamer qu'il nous appartient de pratiquer la vertu, la FM prend sa part, me semble t'il très clairement dans ce débat, en célébrant ce qui lui revient de l'esprit dans le composé humain.

En conclusion, je voudrais souligner la parfaite cohérence à mes yeux des deux termes de la réponse à cette question de savoir quels sont les devoirs d'un FM. Fuir le vice suppose en effet de se rectifier pour mieux pratiquer la vertu. Or de quel projet s'agit il là, sinon de celui que nous avons tous eu au cœur et à l'esprit en entrant en maçonnerie, à savoir devenir un FM, tout simplement.

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